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lundi 6 octobre 2025

Carys Davies : Eclaircie

 

Le roman de Carys Davies, Eclaircie, se déroule en 1843 dans une île isolée au nord de l’Ecosse. C’est l’année, nous explique l’auteure, de la Great Disruption, le schisme qui a eu lieu au sein de l’église  presbytérienne écossaise et qui vit de nombreux pasteurs la quitter pour fonder la nouvelle église libre d’Ecosse. Ils protestaient contre le droit que détenaient les grands propriétaires terriens de choisir eux-mêmes les pasteurs. Un autre fait historique d’importance qui préside à ce récit est ce que l’on a appelé en Ecosse : les Clearances. Ce sont des déplacements forcés des populations rurales vivant sur des territoires reculés qui ont commencé dès le milieu du XVIII siècle et se poursuivent jusqu’à la seconde moitié du XIX siècle. Des paysans pauvres furent ainsi chassés de chez eux, allant rejoindre sur le continent une population miséreuse, sans aucune ressource, corvéable à merci, pour laisser aux grand propriétaires, en quête de profit, la possibilité de faire à moindre frais l’élevage intensif de moutons.

C’est là qu’intervient John Ferguson, pasteur prebytérien de la nouvelle église libre à laquelle il a adhéré pour être en accord avec sa foi et sa conscience. Désormais sans paroisse et sans le sou, il est pourtant obligé d’assurer sa subsistance et celle de sa femme. C’est pourquoi il accepte un travail. Il doit se rendre dans une île au nord des Shetlands où vit Ivar, le seul habitant du lieu, pour lui signifier qu’il doit quitter son foyer. Mary a beau démontrer à John les dangers de cette mission ainsi que la responsabilité morale qui sera la sienne, John est dans le déni et se persuade qu’il agit pour le bien de cet homme puisque celui-ci pourra désormais vivre avec ses semblables. Une des difficultés et non des moindres est qu'Ivar parle une langue en voie de disparition, la langue norne, et qu’il lui sera bien difficile de se faire comprendre ! 

Mais voilà que rien ne se passe comme prévu ! John Ferguson blessé est recueilli par Ivar et le roman décrit la construction d’une amitié entre les deux hommes autour de l’apprentissage de cette langue norne, riche et passionnante, qui est en elle-même une aventure. 

«  D’autres termes étaient plus ardus tant il en existait pour désigner les moindres variations du climat et du vent, du comportement de la mer aussi, qui semblaient parfaitement distinctes aux yeux d’Ivar mais que John Ferguson peinait à définir avec certitude et qui le laissaient tout bonnement perplexe - des mots tels que gilgal et skreul et yog, fester et dreetslengi - qui semblaient tous avoir un sens précis et bien particulier, lequel dépassait son expérience personnelle et ses pouvoirs d’observation; autant de termes qu’avec un léger sentiment de défaite, il traduisait collectivement par « une mer agitée ». »

Les personnages sont très réussies : l’austérité du pasteur dont le visage peint le caractère en deux mots : «osseux et presbytérien », caractère qui se précise encore quand John entend sa belle-soeur demander à Mary  « si elle regrettait de ne pas avoir épousé un homme moins sérieux, adjectif qui dans sa bouche, il en était persuadé, signifiait strict et sans humour, ennuyeux et, plus généralement presbytérien. ». 
Pour cet homme, corseté dans ses principes, danser représente un péché, et si, par amour, il pardonne à sa femme d’avoir remplacé ses dents tombées par des fausses, suprême vanité que la communauté lui reproche, il ne le ferait jamais pour lui-même. Scrupuleux à l’extrême dès qu’il s’agit de l’indépendance spirituelle de son église, il néglige ce qui est temporel comme l’injustice sociale. Pourtant, peu à peu, au contact d’Ivar, des scrupules naissent et il se sent honteux du rôle qu’il doit jouer.  

Ivar, lui, est un taiseux. La solitude façonne un homme surtout dans un environnement dur, hostile, où il est à la merci de la maladie qui l’a laissé très affaibli. ll file la laine de ses quelques moutons et tricote ses vêtements. Il vit de peu et mène une vie simple qui ressemblerait au bonheur si ce n’était le manque de compagnie.

« Il resta planté sous la pluie douce qui tombait maintenant et, au bout d’un long moment se parla dans sa tête :
 J’ai les falaises et les récifs et les oiseaux. J’ai la colline blanche et la colline ronde et la colline pointue. J’ai l’eau claire de la source et la bonne pâture riche posée comme une couverture sur les hauteurs perchées de l’île. J’ai la vieille vache noire et l’herbe goûteuse qui pousse au milieu des rochers, j’ai mon grand fauteuil et ma maison robuste. j’ai mon rouet et ma théïère, j’ai Pegi ( son cheval) et, maintenant, miracle, j’ai John Ferguson. »
 

La beauté de la nature dans cette île est toujours présente, décrite par petites touches, même si cela n’occulte pas la difficulté de la vie lorsque commence l’hiver et que le moral est en berne au fur et à mesure que les nuits s’allongent.

Ce roman est juste au niveau des caractères, conté sobrement et les descriptions, les moments de vie, la présence constante de la mer avec les tempêtes, la pêche, les oiseaux, mais aussi la présence chaleureuse des animaux domestiques, le partage entre les deux hommes, la personnalité affirmée du personnage féminin, tout suscite beaucoup d’intérêt. 

C’est pourquoi j’ai été très déçue par le dénouement. Je comprends que Carys Davies veuille montrer l’évolution du pasteur mais la fin qu’elle imagine est contraire à la mentalité, aux croyances profondes d’un austère presbytérien et même de sa femme aussi évoluée soit-elle !  On ne peut y croire un seul instant !  L'écrivaine se trompe de siècle. Je trouve qu’elle cède à la facilité, voire à la mode (?) en écrivant une fin recevable au XXI siècle mais pas au XIXième, époque ou se déroule l’histoire ( et encore si vous vous renseignez sur les presbytériens américains à l'heure actuelle, vous verrez qu’ils n’en sont pas là  même si l'on n'en est plus à la Lettre écarlate ! )
Je ne peux en dire plus pour ne pas divulguer la fin mais je m’étonne d’être la seule à avoir noté cette incohérence psychologique et historique pour ce roman nominé à plusieurs prix littéraires.

Voir le billet d'Alexandra ICI

 

 

Chez Fanja


 

samedi 4 octobre 2025

Percival Everett : James

 

Je n’ai pas relu Huckleberry Finn avant de découvrir James de Percival Everett. C’est peut-être un tort bien que rien n’oblige finalement à connaître le premier pour apprécier celui-ci. J’ai tellement aimé le livre de Mark Twain que j’avais peur d’être déçue surtout si on le relit à l’aune du XXI siècle. C’est facile de rejeter avec horreur l’esclavage de nos jours, cela ne l’était pas pour un jeune garçon, Hucklberry Finn, juste avant la guerre de Sécession. Le livre de Mark Twain analysait justement l’évolution du personnage, les problèmes moraux que lui posait le fait de ne pas dénoncer un esclave en fuite, alors que toute la société et l’église, en particulier, lui affirmaient que c’était son devoir et qu’il y allait du salut de son âme !

Dans son roman Percival Everett imagine que Jim a appris à lire et écrire à une époque où un esclave risquait sa vie à transgresser cet interdit. Une scène montre comment on peut être fouetté au sang et mourir pour le vol d’un crayon ! 
 
« George Junior trouva mon visage dans le fourré. J’avais le crayon, il était dans ma poche. On le frappa de nouveau et je me crispai. Nous nous regardâmes fixement. Il parut sourire jusqu’à ce que le fouet s’abatte encore. Le sang lui dégoulinait le long des jambes. Il chercha mes yeux et articula le mot "pars". Ce que je fis. »

Jim a, de plus, complété sa culture en se cachant dans la bibliothèque du Juge Thatcher, ce qui lui a permis d’accéder aux grands écrivains qui reviennent souvent d’une manière surprenante dans ses rêves avec, parfois leurs propres limites ou contradictions. L’esclave en fuite est donc un intellectuel qui utilise deux langages, celui que l’on attend d’un esclave et celui du maître. Et de tous les défis lancés par Jim, ce qui étonne le plus les blancs, ce qui les touche le plus, les indigne, leur fait peur, les épouvante même, c’est lorsqu’il s'exprime comme eux. En s’appropriant leur manière de parler, il fait naître une pensée dérangeante pour eux : Serait-il un homme lui aussi ? Percival Everett met ainsi le doigt sur ce qui assoit la domination des esclavagistes et sur l’importance pour eux de maintenir la soumission par l’ignorance ! Et c’est pourquoi lorsque Jim s’affranchira totalement de l’emprise des blancs, il revendiquera son vrai nom : James.

Les aventures des deux héros ressemblent fort à celles racontées par Mark Twain : Jim s’enfuit pour ne pas être vendu et se cache sur une île. Huck, lui, fuit son père, un ivrogne violent et haineux. Il fait croire à son propre meurtre pour éviter qu’on le recherche. Evidemment, Jim sera considéré comme son meurtrier. Tous deux s’embarquent sur un radeau et sur le Mississipi qui leur réserve tout un lot de surprises et de dangers. Ils deviennent au cours de leurs aventures épiques des amis et plus encore un père et son fils. 

Mais bien sûr, au-delà des aventures, le sujet de Percival Everett reste l’esclavage dont il décrit toutes les horreurs, l’exploitation au travail, les corrections physiques, la séparation des membres d'une même famille, les condamnations arbitraires, les lynchages, les viols, les humiliations, et plus que tout le fait de ne pas être considéré comme un être humain à part entière. Il montre que la colère est l’un des principaux sentiments qui guide Jim et l’anime, le submerge. Il choisit de se défendre et ne recule pas devant la violence. Quand il s’introduit chez le juge Thatcher et le menace pour savoir où sont sa femme et sa fille,  vendues pendant son absence, celui-ci lui dit : 

« -Toi, tu vas avoir de sérieux ennuis; tu ne t’imagines pas à quel point.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que je n’imagine pas le genre d’ennuis qui m’attendent ? Après m’avoir torturé, éviscéré, émasculé, laissé me consumer lentement jusqu’à ce que mort s’en suive, vous allez me faire subir autre chose encore ? Dites-moi juge Thatcher, qu’y a-t-il que je ne puisse imaginer ? »

On peut se demander si le parti pris de Percival Everett de prendre pour personnage un  homme instruit est crédible. L’écrivain répond à cette question en montrant James en train de lire un livre volé au Juge Thatcher : c’est  le récit de William Brown paru en 1847, esclave dans le Missouri, qui s’enfuit et gagna le Canada; mais il n’est pas le seul.  Je vous renvoie  à l’article Ici 

 


 

 
Dès la fin du XVIII siècle l’autobiographie d’Olaudah Equiano, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African  est publiée en Angleterre en 1789. 
 

 


Le contemporain de William Brown, Frederick Douglass écrit lui aussi une autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, Written by Himself). Je l’ai trouvée en français et j’ai l’intention de la lire.


 
 

samedi 13 septembre 2025

Odon Von Horvath : Un fils de notre temps


 

  

 Odön Von Horvath

Nationalité : Hongrie 
Né(e) à : Fiume, Autriche-Hongrie , le 09/12/1901
Mort(e) à : Paris , le 01/07/1938
Biographie : 

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. 

Détenteur d'un passeport hongrois, Odön von Horvath se défend toute sa vie d'une appartenance à une nation :"Le concept de partie falsifié par la nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple."

En 1933 il ajoute :  « Notre pays, c’est l’esprit. » 

Fils d'un diplomate austro-hongrois, il grandit dans différentes villes : de Belgrad à Budapest en passant par Vienne, Presbourg et enfin Munich, où il décide de poursuivre des études de germanistique.

Il quitte la ville, sans diplôme, pour s'installer à Murnau et se consacrer entièrement à l'écriture. Près d'un an plus tard, il part pour Berlin où une maison d'édition lui offre un contrat qui lui permet de vivre de sa plume. En 1931, il obtient le prix Kleist pour sa pièce 'Légendes de la forêt viennoise'. Il rejoint Vienne qu'il quittera à son tour pour échapper aux représailles du national-socialisme

Horváth a su en particulier renouveler la tradition du théâtre populaire pour en développer une veine critique, qui n’a rien perdu de son actualité. Von Horváth se réfugie à Paris le 26 mai 1938 avec son amie Wera Liessem pour rencontrer Robert Siodmak et discuter de l'adaptation cinéma de « Jeunesse sans Dieu.» 

Le 1er juin, alors qu'il se promène sur les Champs-Élysées, une tempête déracine un marronnier et une des branches le tue devant le théâtre Marigny

Auteur de dix-sept pièces de théâtre et de trois romans, Odön von Horvath dénonce le fascisme dans ses dernières œuvres. (Wikipédia)

Un fils de notre temps

Comment peut-on adhérer à l’idéal nazi ? Comment un jeune homme né libre peut-il accepter de perdre sa liberté, d’adhérer à une discipline qui ressemble plutôt à un lavage de cerveau? Comment peut-il être amené à tuer ceux qui, hier, lui ressemblaient, comme lui, pauvres, chômeurs, sans avenir, désespérés ?

C’est avec une grande lucidité que, devant la montée du nazisme, Odon Von Horvath écrit  Un fils de notre temps, un livre qui "urge" qui urge"
Van Horvath y décrit la société allemande dont l'économie va très mal après la défaite et le traité de Versailles de 1918, et où le sentiment de la revanche à prendre sur l’humiliation ressentie ne cesse de grandir.

Le chômage touche une grande partie de la population, avec tous ses maux, la faim, la pénurie de logement, le manque de vêtements, le froid, la misère et par dessus tout la perte de l’estime de soi. A force de pointer à la soupe populaire, de vivre d’aumônes, de voler pour manger, le personnage qui parle à la première personne dans ce roman, ne veut plus. Il refuse de continuer ainsi :

«  Je suis un homme honnête, pourtant, et ce n’est que le désespoir de ma situation qui m’a fait bailler ainsi, comme un roseau sous le vent, six sombres années durant. Le chemin penchait toujours plus et mon coeur était toujours plus triste. Oui, j’étais devenu amer. »

Le voilà donc soldat et heureux : il n’a plus faim,  il a un uniforme neuf,  un capitaine qui lui tient lieu de père (le sien, il ne l’apprécie guère !) et surtout il  est est fier de lui-même, de sa vie où tout est réglée, où l’ordre règne, de ses capacités de tireur. Il est prêt  à remplir le rôle qu’on lui demande de tenir car « la patrie ne va bien que si elle se fait craindre c’est à dire quand elle possède une arme affûtée. Et cette arme, c’est nous.  ». 
« Mais un soldat n’est pas un assassin »
leur lance leur capitaine horrifié par les crimes commis par cette armée transformée à machine à tuer et qui ne respecte pas la  déontologie. Quand on est soldat, il faut bien apprendre à tuer ! Quand on est soldat, il faut perdre son bras… pour rien et être exclu comme un chien. Bien vite, le désenchantement s’installe. Et le soldat exhorte un enfant qui le regarde mourir : 

« Et quand tu sera grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin - alors, ne m’insulte pas aussi.
Comprends donc : il ne savait pas que faire d’autre, il était un fils de son temps. »


Ce court roman écrit dans un style dépouillé, tranchant, résonne comme un cri en 1940 face à la montée des violences et de l'idéologie nazie mais il est toujours aussi actuel et nous éclaire aussi sur nous-mêmes et sur notre époque, celle de toutes les intolérances, des génocides et des guerres d’expansion qui ravagent le monde.
 

dimanche 11 mai 2025

Bulgarie : Le poète et révolutionnaire Hristo Botev et les héros bulgares : Hajdi Dimitar et Vassil Levski

 

Vassil Levski et Hristo Botev en exil  de Vassil Goranov

 Parmi les héros nationaux que je rencontre depuis que je lis pour ma visite en Bulgarie, il y a des noms qui reviennent toujours, célébrés comme des héros qui ont fait l’histoire et ont oeuvré pour la liberté de la Bulgarie sous la domination de l'empire ottoman. J’ai cherché à mieux les connaître. Or, les articles sur le net sont nombreux.


 Le poète et révolutionnaire Hristo Botev ( 1848-1876)

 

Hristo Botev

Chaque 2 Juin, la mémoire de Hristo Botev est célébré dans le pays  ainsi que de tous ceux qui sont morts pour la Liberté. Les sirènes retentissent  pendant trois minutes et l’on observe le silence quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Cette année ce sera l'anniversaire de la 149 ième année de sa mort.

Hristo Botev est né à Kalofer en 1848 et est mort à Okolchitsa (près de Vratsa, dans les montagnes du nord-ouest de la Bulgarie) en combattant contre les Turcs à la tête d'une troupe de volontaires bulgares venus de Roumanie qui était alors un grand centre d’émigrés bulgares chassés hors de leur pays par les Turcs. Botev s’y était réfugié en 1867.  

Le 16 Mai 1876, après l’échec de l'insurrection mal préparée qui eut lieu en Avril 1876 et qui fut impitoyablement écrasée par les Ottomans (lire le très beau Sous le joug de Ivan Vazov), le voïvode Hristo Botev s’illustre par un coup d’éclat. A la tête d’une petite troupe, il embarque avec les siens sur le bateau Radetsky. Ils feignent d'être des ouvriers et cachent leurs uniformes et leurs armes dans de grandes caisses censées contenir leurs outils de travail. Le 17 mai,  Botev dévoile son identité au capitaine et se fait débarquer sur les côtes bulgares du Danube à Kozlodouï. Il pense que lui et sa troupe vont être rejoints pas des centaines de paysans révolutionnaires mais il n’en est rien. Aucun renfort ne vient les épauler au cours de leur marche à travers les villages bulgares. Réfugiés sur le Mont Okolchitsa, ils combattent les Turcs, un combat démesuré quant aux effectifs. Le 20 mai du calendrier Julien, c’est à dire le 2 Juin du calendrier grégorien, Botev est tué par une balle.

 Ivan Vazov recevant la nouvelle de la traversée du Danube sur le Radetsky effectuée par Botev écrit le poème qui a pour titre « Radetzki » à un moment où l'espoir est encore possible. Ce poème mis en musique est connu de tous les Bulgares comme « Le doux Danube blanc s’agite… ». 

 




"RADETZKI" de Ivan Vazov  (extraits)

Le doux Danube blanc s'agite,
      

bruit gaiement et fort


et "Radetzki" fier va vite
      

sur les ondes d'or.

 

Mais sitôt que l’on entendit :
      

"Kozlodoui lа-bas !",
 

l 'écho de corne retentit,
     

 un drapeau flotta.
 

Des jeunes bulgares vaillants
    

 y paraissent ardents 

-
au front - signes de lion brillants,
  

   les yeux éclatants.
 

Le bateau approche vite
      

la rive espérée,


le Danube blanc s'agite -
     

 les flots jouent, très gais.
 

Il y avait beaucoup de temps
     

 qu'il n'avait porté


de tels braves hommes luttant
      

pour la liberté.
 

 (…)

Mes frères! - Botev déclara
     

 D’une voix de tonnerre 

-
le peuple nous accueillera
      

d'une joie fière!
 

Bientôt d'un tir nous saluerons
      

notre grand Balkan

 -
une bataille de sang ferons
      

contre les tyrans!
 

Nous ne sommes point une armée,
    

  experts militaires,


mais nos âmes sont enflammées
      

pour mener la guerre.
 

Bientôt le Turc éprouvera
      

notre force noire,


et le lion brave guidera
    

  nos plus grands espoirs.
 

Et partout retentit un cri
      

vers le grand Balkan:


"Que vive notre Bulgarie,
      

à mort les tyrans!"

 

Hadji Dimitar

 

Hajdi Dimitar

 

Je n’ai  pu lire que des extraits de la poésie de Botev qui célèbre les exploits et la mort des héros nationaux. Les poésies les plus populaires de Botev sont celles dédiées à  Hadji Dimitǎr et Vassil Levski (La Pendaison de Vassil Levski). 

" L'aigle, le faucon, les bêtes sauvages s'approchent fraternellement de Hadji Dimitǎr gisant dans son sang, et des sylphides de blanc vêtues viennent panser la plaie et baiser les lèvres du jeune voïvode, qui entre dans l'immortalité. Car, écrit Botev, « celui qui meurt en combattant pour la liberté, celui-là ne meurt pas »".

Dimitar Nikolov Asenov est né le   à Sliven dans une famille marchande. Âgé de 2 ans sa famille l’emmène en pèlerinage à Jérusalem. C’est pour cette raison qu’on le surnomme hajdi (titre aussi octroyé aux chrétiens orthodoxes de l'Est ayant fait le pèlerinage à Jérusalem). Il meurt  le ,  mortellement blessé pendant les combats.  Plus connu sous le nom de Hadji Dimitar il est l'un des plus importants voïvodes bulgares, ainsi qu'un révolutionnaire combattant la domination turque.

 

-bas dans le Balkan, il est toujours vivant.
 

Mais il gît et gémit,

 il est couvert de sang ;


Sa poitrine est percée d'une affreuse blessure.


Frappé dans sa jeunesse, il vit, notre héros.



Vassil Levski : l'apôtre de la liberté

 

 

Vassil Levski est considéré comme "l'apôtre de la libération bulgare", le plus grand de tous les héros bulgares.

Vassil Ivanov Kountchev, plus connu sous le nom de Vassil Levski,  (Levski : semblable au Lion) est né le 18 juillet 1837 à Karlovo et meurt le 18 février 1873 à Sofia. Il fut un révolutionnaire et idéologue de la révolution nationale bulgare dans la lutte nationale contre l'occupant ottoman. C'est un ami de Hristo Botev avec lequel il a partagé une vie d'exil et de misère en Roumanie en 1868.

 Il organise la révolution et incite toutes les couches de la Il fut arrêté en 1872 par les autorités ottomanes et condamné à la peine de mort par pendaison. Cinq ans après sa pendaison et après l'Insurrection d'la  guerre russo-turque de 1877-1878 permit la libération de la Bulgarie du joug ottoman. Le traité de San Stefano le mit en place un État bulgare autonome.

La pendaison de Vassil Levski de Hristo Botev

 

Vassil Levski de  Detchko Uzunov (peintre bulgare)

Oh, ma mère, chère patrie,     
 pourquoi pleures-tu si pitoyablement, si doucement ?      
Corbeau, et toi, oiseau maudit,      
sur la tombe de qui croasses-tu si laidement ?  



 Oh, je sais, je sais, tu pleures, mère,
parce que tu es une esclave noire,      
parce que ta voix sacrée, mère,      
est une voix sans aide, une voix dans le désert.  


 

 Pleurer ! Là, près de la ville de Sofia,
j'ai vu une potence noire,      
et l'un de vos fils, Bulgarie,      
y est pendu avec une force terrible.  



Le corbeau croasse de façon hideuse et menaçante,

les chiens et les loups hurlent dans les champs,      
les vieillards prient Dieu avec ferveur,     
les femmes pleurent, les enfants hurlent.  


     

L'hiver chante sa chanson maléfique,      

les tourbillons chassent les épines à travers le champ,      
et le froid, le gel et les pleurs sans espoir      
apportent du chagrin à votre cœur. 






mardi 6 mai 2025

Anton Dontchev : Les cent frères de Manol

 

 

Les cents frères de Manol est un roman dans lequel Anton Dontchev décrit l’islamisation forcée des populations chrétiennes en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, à la fin du XVII siècle. 

Ce roman est aussi un hommage à la Nature, une ode à ces montagnes à la fois sauvages et protectrices pour ceux qui la connaissent et lui appartiennent, au plus près de la grotte d’Orphée où l’on jette les chiens errants qui hurlent à la mort de manière lancinante. Le printemps et surtout l’automne, somptueux, avec ses couleurs rougeoyantes que les femmes imitent pour tisser leurs tapis et teindre leurs vêtements, sont d’une beauté toujours renouvelée.

« La vallée d’Elindenya faisait penser à ces parures de verre coloré enrobé de cristal. L’air était si pur que j’avais l’impression de toucher la montagne en tendant la main. Là où il n’y avait que deux couleurs, on en voyait à présent flamboyer des dizaines… Sur la masse d’acier bleu noir des forêts de sapin apparaissaient çà et là les taches de rouille des hêtres aux feuilles rougissantes, mais seulement au bas des versants. Sur les hauteurs, la muraille sombre se dressait vers le ciel, réfractaire à l’automne et au pourrissement. Le soleil ne se levant plus assez haut pour éclairer les versants abrupts au nord, les forêts couvrant ceux-ci ne se départaient plus de la robe violette et noire de l’ombre. »

 Nous sommes à l’époque du siège de Candie (La Crète, ville Héraclion) commencé en 1648  qui oppose les Turcs aux Vénitiens et aux français venus leur prêter main forte. Le grand Vizir Ahmed Pasha Kropulu prend la ville de Candie en 1669 à la grande satisfaction du sultan Mehmed IV, portant l’empire ottoman à son apogée. Pour briser toute résistance extérieure, les chrétiens des montagnes des Rhodopes en Bulgarie, alors sous le joug turc, sont islamisés de force.

Dans Les cents frères de Manol, Anton Dontchev offre un récit à deux voix qui propose deux points de vue opposés. D’une part, celle du pope Aligorko qui raconte ce qui se passe dans la population bulgare. D’autre part, la vision de celui que l’on appelle le Vénitien qui accompagne l’armée turque venue convertir les bulgares. Le Vénitien est en fait un noble français islamisé, fait prisonnier par les Turcs au siège de Candie. Il a dû choisir lui aussi entre la mort et la conversion si bien que même s'il est du côté des Turcs, les sentiments que lui inspirent les chrétiens martyrisés transparaissent car rien, dit-il, n’a pu éradiquer la foi ancienne.
Le roman commence avec l’enfance de Manol, comme une légende issue pourtant d’une triste réalité   : de jeunes bulgares sont amenés par les Turcs loin de leur pays, les garçons pour devenir des janissaires, les filles pour servir dans les harems. Parmi elles, une jeune épousée avec son bébé qu’elle ne peut plus nourrir. Elle le dépose sur une branche d’arbres pour qu’une biche le nourrisse. C’est Karamanol, le Haïdouk*, traqué par les Turcs, qui le trouve et l’emporte  à travers les forêts : « Toujours est-il que Karamanol descendit en cent villages et cent mères nourrirent son petit protégé ». Karamanol, avant de mourir, confie l’enfant au père Galouschko qui « l’appela  Manol du nom de son père nourricier, et lorsque l’enfant eut grandi on commença à l’appeler Manol aux cent frères ». Une légende qui prend une dimension épique et dont les héros, nobles et courageux, Manol en tête, sont des bergers qui tiennent tête à l’oppression turque, choisissant le supplice et la mort plutôt que de trahir leur foi, certains se cachant dans les montagnes et échappant  à leurs  poursuivants. L’emprisonnement des chrétiens dans le Kanak*, leur résistance héroïque, les supplices qui leur sont réservés, donnent au roman un caractère dramatique grandiose mais les peurs et les défaillances des autres, la faim qui vrille les ventres, le froid qui transperce, la mort qui rôde autour d’eux, soulignent leur fragilité et nous touchent d’autant plus. 

 
Les cent frères de Manol compte un grand nombre de personnages que ce soit du côté bulgare, Manol et ses fils, le jeune Mirtcho  et Momtchil qui finira par incarner aux yeux des Turcs et à lui seul la résistance, la farouche et altière Elitza, Sveda séductrice et fourbe, le père Galouschko dont le fils est devenu janissaire … que ce soit du côté turc. Ainsi le Bey Karaïbrahim, complexe et tourmenté, à la tête d’une armée de cent cavaliers est, lui aussi, face à Manol, un homme hors du commun, et de même l’aga Suleyman, maître du Konak* de la vallée,  pragmatique et retors, qui comprend que, pris entre deux feux, les bergers et l’armée de Karaïbrahim, son temps est fini.  Ce sont des personnages pleins de vie, parfois de fureur, de cruauté, de doute,  de souffrance, mais aussi de joies, d’amour, des êtres humains que nous sentons proches de nous malgré leur dimension héroïque. Mais ce sont aussi des symboles. A travers eux, à travers les « cent frères », Anton Dontchev décrit tout un peuple attaché à sa culture, à ses racines, à ce qui fait son identité, tout un peuple résistant pour rester lui-même et conquérir la liberté mais qui n’est pas encore parvenu à mâturité pour y accéder.

« Karaïbrahim disait qu’être seul, c’est être fort. Selon moi, il aurait dû dire : c’est devenir une bête féroce. L’homme ne vit pas seul. Il lui faut choisir : vivre seul ou vivre avec son prochain. Karaïbrahim voulait être seul et rompre tous les liens avec les autres. Alors que les bergers faisaient tout pour rester ensemble. » La solidarité comme preuve d'humanité.

Un très beau livre, magnifiquement écrit !


*Haïdou : un hors-la-loi, ici, dans ce contexte, vu du côté bulgare, un rebelle, révolté contre les Turcs
 

*Konak : palais, résidence des riches turcs

 


 

vendredi 14 mars 2025

Challenge Bulgarie


 


 


Claudialucia

 Challenge Bulgarie : Littérature Histoire Art qui se joint à moi ?

 Les peintres bulgares : Vladimir Dimitrov Le Maître et Radi Nedelchev 

Les Héros nationaux bulgares : Hristov Botev, Vassil Levski, Hadji Dimitar

Elena Alexieva : Le prix Nobel  

Anton Dontchev : Les cent frères de Manol

 Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer

Kapka Kassabova : Elixir 

Victor Paskov : Ballade pour Georg Hanig

Yordan Raditchkov  : Le poirier/ Les noms

Yordan Raditchkov : les récits de Tcherkaski

Ivan Vazov : sous le joug

Jules Verne : Le pilote du Danube

Yordan Yolkov Un compagnon mon billet 

Yordan Yolkov Soirée étoilée mon billet


Fanja

Le pays du passé de Gueorgui Gospodinov 

 

Je lis je blogue
 

Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer 

Viktor Paskov Ballade pour Georg Henig 


Miriam :

Theodora Dimova : Les dévastés

Kapka Kassabova Elixir ou la vallée de la fin des temps

Kapka Kassabova : L'esprit du lac 

Kapka Kassabova : Lisière 

Kapka Kassabova : Anima 

Marie Kassimova-Moisset :  Rhapsodie balkanique 

Angel Wagenstein :  Adieu Shangaï

Angel Wagenstein : Le pentateuque ou les cinq livres d'Israel

Jules Verne : Kereban le têtu 

Jules Verne : Le pilote du Danube 



Rappel du challenge :

Je pars en voyage en Bulgarie au mois de mai et je commence à lire des livres d'auteurs bulgares fort intéressants.  Qui veut me rejoindre pour découvrir la littérature bulgare ? 

Il s'agit d'une littérature peu connue. Personnellement, je n'avais rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé avec quelques titres, c'est pourquoi je publierai dès le mois de Mars. Mais la date du début du challenge sera au Mois d'Avril pour vous permettre de trouver des titres. j'ai pioché, en particulier dans les nombreuses lectures de Miriam.

Donc, à partir du mois de Mars ou Avril jusqu'à la fin septembre, je propose que l'on découvre la littérature bulgare mais aussi l'histoire du pays et les arts, peintures, icônes, fresques, architecture...

 Laissez vos liens ici.

 




vendredi 7 mars 2025

Carmen Castillo : Un jour d'octobre à Santiago

Carmen Castillo
 

Carmen Castillo est une écrivaine et cinéaste franco-chilienne, née à Santagio du Chili. Amie de Beatriz, la fille du président Allende, elle a travaillé un temps au ministère des affaires étrangères au palais de la Moneda. Elle a été la compagne de deux dirigeants du MIR, mouvement de la gauche révolutionnaire : Andres Pascal Allende, neveu du président avec qui elle a eu une fille Camila et Miguel Enriquez.

 

Miguel Enriquez, un des chefs du MIR

Dans son livre Un jour d’octobre à Santiago, alors qu’elle est en exil en France, elle raconte comment elle a choisi avec son compagnon de vivre dans la clandestinité et de continuer la lutte armée jusqu’à ce jour du 5 Octobre 1974 ou Miguel est tué et elle gravement blessé lors d’une attaque de la DINA (police militaire du général Pinochet.). 

La première partie de ce récit a pour titre la maison bleue de Santa Fé, là, où elle a vécu pendant un an après le coup d’état et éprouvé malgré le chagrin et la violence, « un bonheur paisible, intense », avec leurs deux petites filles : Camila (qui est la fille de Carmen Castillo et d’Andres Allende) et Javeira (fille d'un premier mariage de Miguel Enriquez). Mais le danger est trop grand, les enfants des révolutionnaires sont torturés pour faire parler les parents, et les deux petites filles sont envoyées en exil via l’ambassade d’Italie pour assurer leur sécurité. Dans un récit où le danger guette à chaque instant, Carmen Castillo, entre retour dans le passé et présent, nous fait vivre le quotidien de la lutte révolutionnaire, l’organisation, les changements de domicile et d’identité, les pièges, les trahisons, les arrestations de leurs amis, la mort, les disparitions, le chagrin et la peur mais aussi la force morale, la résistance, toujours présente, et qui font partie de la vie. Et elle revit comme un film le déroulement de la sinistre journée du coup d'état 11 septembre 1973. Parfois l’écrivaine emploie la troisième personne pour parler d’elle-même comme si elle voulait mettre une distance entre elle et elle-même, tenir à distance ce qu’elle a vécu.

"Dix mois de vie à la maison bleu ciel de Santa Fé. Et tout ce qu’on peut attendre le long d’une vie, je l’ai vécu, là.
Chaque action de nos jours, le moindre geste dans ce lieu, entrepris comme si c’était le dernier. Et c’était cela simplement notre bonheur.
Pas une compromission, pas une légèreté, pas une défaillance à réaménager le lendemain, on n’avait pas le temps."


La seconde partie La maison José Domingo Canas est une plongée dans l’horreur. Il s’agit de la prison où les révolutionnaires  sont torturés et maintenus en vie le plus longtemps possible afin d’obtenir des aveux. Il y a les amis, membres du MIR, El Chico qui résistera à la torture jusqu’à la mort, Luisa, Amélia, Jaime, Carolina … Une solidarité étroite les unit qui étonne même leurs gardiens. Il y a aussi la Flaca Alexandra qui a cédé sous les tortures, dénonce ses amis et collabore avec les ennemis. 

Mais malgré les détours tout nous ramène au but de ce récit : « Je me dois de refaire, à mes risques et périls, l’interminable et si court enchaînement qui mena au samedi 5 Octobre » quand la police prend d’assaut la maison bleue, Miguel tué en combattant, elle gravement blessée et enceinte conduite à l’hôpital. Et puis, face à la pression internationale, elle est libérée  et expédiée en exil, son bébé meurt peu de temps après.

Enfin la troisième partie La rue Claude-Bernard  où est situé l’appartement dans laquelle elle est hébergée à Paris, elle et d’autres exilés comme Simon, le frère de Miguel.

 

Laura, députée socialiste, soeur du président Allende

Elle va revoir sa fille Camila hébergée chez son père Andrès à la Havane où la famille s’est réfugiée. Javiera, elle, est au Mexique. A Cuba, elle rencontre aussi Laura Allende, la grand-mère de Camila, mère d’Andres, la soeur du président Allende, un beau personnage plein de force, de grandeur, de résilience. Laura Allende raconte l'enterrement de son frère.

"Le cimetière à Viña del Mar. Les quatre proches familiers et des marins en grand nombre. Laurica cueille une petite fleur jaune, une primevère, dans l'herbe qui entoure la sépulture. Elle la met sur le cercueil. La fleur tombe au fond de la fosse. Les soldats ricanent. Laurita s'exclame : Vous devriez avoir honte !... honte d'enterrer ainsi le président du Chili !... Et après un silence, lentement : Ce n'est pas cela l'important... quoi que vous fassiez, le peuple chilien ne l'oublie ni ne l'oubliera.

Elle n'a pas fini ces mots que le fossoyeur saute dans la fosse, ramasse la fleur jaune et la remet sur le cercueil. Personne ne bouge."

Carmen s’apprivoise à la vie en France au point que lorsqu’elle sera à nouveau autorisée à revenir au Chili, elle ne reconnaît plus son pays, la vie a  continué là-bas sans elle. Mais elle ne cesse pas de poursuivre son but, son devoir de mémoire, demandant à tous ceux qui souhaitent lui répondre : Où étais-tu le 5 Octobre ?

 

 


 

Challenge chilien chez Je Lis Je blogue

dimanche 2 mars 2025

Ivan Vazov : Sous le joug

 

Je n’ai pas encore beaucoup lu de livres d’écrivains bulgares mais assez pour avoir déjà un chouchou : Ivan Vazov : Sous le joug, un classique de la littérature bulgare que j’ai énormément aimé. C’est donc par lui que je commence.


V. Antonov : Les insurgés de 1876

L’ouvrage a été écrit par Ivan Vazov pendant son exil en Ukraine, à Odessa en 1888 et est paru en 1890. Vazov y raconte le soulèvement bulgare d’Avril 1876 contre l’empire ottoman qui fait régner une oppression terrible sur le peuple bulgare depuis le XIV siècle. Les paysans, artisans, tailleurs, marchands, hommes du peuple, habitués à la soumission, vont être gagnés par l’enthousiasme d’une poignée d’intellectuels pour la liberté. La révolte s’organise partout en Bulgarie et pour nous dans le petit village de Bela Cherkva  (c’est le village natal de Vazov, Sopot, que l'écrivain a rebaptisé) et l’on ne peut pas dire que ce soit dans la discrétion la plus totale. Tout le monde finit pas être au courant, y compris le Bey qui les considère avec mépris et les laisse faire. "Charivari de lièvres"  disaient les effendi débonnaires».  

 

Bashibouzouks, mercenaires turcs
 

Comment se battre, en effet, contre l’un des plus puissants empires du monde avec son armée régulière de soldats bien entraînés, appuyée par des mercenaires, ses bachibouzouks sanguinaires, tous armés jusqu’aux dents, quand on n’a que quelques vieilles pétoires et des canons creusés dans des troncs de cerisiers !  Et oui, j’ai bien dit, des cerisiers !  coupés par des patriotes dans leur jardin et évidés par le tonnelier qui les cercle de fer comme un tonneau !  

 

Canon-cerisier


C’est le géant Borimetchka - son nom signifie le tueur d’ours car il s’est battu à mains nus contre un ours- personnage pittoresque du roman, qui monte le cerisier sur ses épaules au sommet de la montagne, à Zli-Dol, au-dessus de la ville de Klissoura. Et le premier essai de ce canon improvisé donne lieu à une scène hilarante. Si vous cherchez, comme je l'ai fait, Zli-Dol, Sopot et Klissoura sur la carte, vous vous  trouverez en face du monument à la gloire du soulèvement de 1876, de la statue du géant Borimetchka et de cerisiers-canons.


Le géant Borimetchka 

 

" Dans l’attente palpitante du grondement, les insurgés s’écartèrent un peu, quelques-uns se couchèrent dans les tranchées pour ne rien voir, certains même se bouchèrent les oreilles, fermèrent les yeux. Quelques secondes se passèrent dans une atroce, indicible tension… La fumée bleue continuait à planer au-dessus de la mèche, mais n’arrivait pas à l’allumer. Les coeurs battaient à se rompre. Enfin une petite flamme blanche courut à la mèche, celle-ci s’enfuma… et le canon rendit un son grêle, grognon, rauque comme celui d’une planche sèche qu’on rompt, quelque chose de semblable à une toux, puis il s’enveloppa d’une épaisse fumée.  Sous la pression de cette toux, le canon se fendit et cracha sa charge à quelques pas de distance."

Comment Ivan Vazov nous intéresse à ce grand moment de l’Histoire bulgare ? Et bien en nous le faisant vivre au niveau des personnages. Notre héros Ivan Kralich, un beau jeune homme, ardent révolutionnaire, courageux, au sens de l’honneur rigoureux, s’est échappé de la forteresse de Dyabakir en Anatolie et se cache sous le nom de Boïtcho Ognianov à Bela Cherkva. Là, il rencontre Rada Gozpojina, jeune orpheline élevée au couvent, en tombe amoureux et réciproquement. Les patriotes l’aident à s’intégrer et à organiser la rébellion. Le tchorbajdi Marko lui procure un poste d’instituteur. Le médecin Sokolov, un personnage farfelu, qui élève une ourse et n’a d’ailleurs aucun diplôme de médecin, devient son ami, de même Kandov, un jeune socialiste idéaliste dont l’amour fou pour Rada causera bien des tourments.  J'aime la consultation médicale de Kandov qui demande au médecin comment ne plus être amoureux. Et puis tous les personnages du village qui constituent une humanité vivante, bruyante, bavarde, parfois médisante, et toujours active dont l’écrivain se fait proche. Tout ce monde se trouve gagné par une effervescence révolutionnaire, un désir de liberté, une volonté de relever la tête, de secouer le joug.

"Submergeant tout, l'enthousiasme prenait chaque jour une force nouvelle. Les préparatifs suivaient; pour fondre des balles, vieux et jeunes laissaient inachevé le labour de leurs champs et les citadins plantaient là leur commerce. Des courriers secrets faisaient chaque jour la navette entre les divers groupements et le comité central de Panaguritché; la police clandestine surveillait la police officielle."

"... le printemps venu très tôt cette année-là, avait transformé la Thrace en un jardin de paradis. Plus merveilleuses et luxuriantes que jamais, les roseraies étaient épanouies. Les plaines et les champs portaient des moissons magnifiques, que jamais personne ne récolterait."
 

Mais ce qui m’a surprise dans ce roman, c’est que Ivan Vazov nous décrivant ce soulèvement tragique parvient à nous faire rire car l’humour est maintes fois présent dans le roman et donne des scènes savoureuses.

Ainsi le Géant Borimetchka veut épouser Raika mais il n’ose pas la demander en mariage. La jeune fille attend la noce avec impatience, les parents sont plus que consentants mais…! Tout le village est dans l’attente, ses amis l’encouragent, mais… Non, il est trop timide. Alors ? Il l’enlève ! C’est la joie !  Il semble qu'un enlèvement soit plus facile qu'une demande en mariage ! On fait la fête.

Un grand morceau de bravoure est aussi la représentation théâtrale du Martyre de Geneviève ( de Brabant) joué par les hommes du village. Boïtchko joue le rôle du comte et y gagne son surnom et la sympathie du village. Et qu’en est-il de Fratu, le malheureux interprète de Golo qui martyrise la comtesse Geneviève et la jette en prison ?  Le public pleure, l'accable d’invectives. Le Bey invité -même s’il ne comprend pas le bulgare- pleure de son côté et s’étonne que l’on ne pende pas ce misérable. C'est ce qu'il aurait fait, lui !Une commère « s’approche de la mère de Fratu et lui dit : Dis donc Tana, ce n’est pas bien beau la conduite de ton Fratu ! Quel mal lui a donc fait la petite femme ? »

 

Antoni Potiovski : le massacre de Batak

 

Mais sous le rire, l’on sent tout l’amour que l'écrivain éprouve pour son pays, la nostalgie de cette époque héroïque et la souffrance de la défaite, toute l’admiration pour ce peuple courageux et fou qui s’est lancé dans une bataille où il n’avait aucune chance de triompher ! Quitte à le regretter après ! Les dirigeants de ce soulèvement, appelés les apôtres, -qui pour la plupart ont donné leur vie -  savaient bien pourtant que la bataille était perdue d’avance mais ils voulaient obtenir le soutien de l’Europe et de la Russie en attirant leur attention sur la barbarie turque. Plus de 30 000 victimes, des dizaines de villages dévastés, comme Batak dont les habitants furent tous égorgés, cinq mille enfants, femmes et vieillards. Ainsi Victor Hugo en Mai 1876 dénonce les massacres, de plus, il plaide contre les empires meurtriers pour une constitution des Etats-Unis d’Europe. Dostoiewski et Tolstoï interviennent aussi. Les russes, à la suite du soulèvement, déclarent la guerre aux Turcs (1877-1878), ce qui entraînera la libération de la Bulgarie.

Tous les ingrédients sont là pour faire de ce roman un plaisir de lecture, émotion, aventures, héroïsme, trahisons, dangers, souffrances, amitié, amour et rire mais aussi connaissance d’un peuple, de ses coutumes et ses croyances, rencontre de ses héros et de ses disparus, de sa révolte contre le joug qui le soumet.  

 


 

Chez Moka

 


Lu  dans une vieille collection club bibliophile de France en deux tomes de plus de 250 pages chacun.