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dimanche 2 mars 2025

Ivan Vazov : Sous le joug

 

Je n’ai pas encore beaucoup lu de livres d’écrivains bulgares mais assez pour avoir déjà un chouchou : Ivan Vazov : Sous le joug, un classique de la littérature bulgare que j’ai énormément aimé. C’est donc par lui que je commence.


V. Antonov : Les insurgés de 1876

L’ouvrage a été écrit par Ivan Vazov pendant son exil en Ukraine, à Odessa en 1888 et est paru en 1890. Vazov y raconte le soulèvement bulgare d’Avril 1876 contre l’empire ottoman qui fait régner une oppression terrible sur le peuple bulgare depuis le XIV siècle. Les paysans, artisans, tailleurs, marchands, hommes du peuple, habitués à la soumission, vont être gagnés par l’enthousiasme d’une poignée d’intellectuels pour la liberté. La révolte s’organise partout en Bulgarie et pour nous dans le petit village de Bela Cherkva  (c’est le village natal de Vazov, Sopot, que l'écrivain a rebaptisé) et l’on ne peut pas dire que ce soit dans la discrétion la plus totale. Tout le monde finit pas être au courant, y compris le Bey qui les considère avec mépris et les laisse faire. "Charivari de lièvres"  disaient les effendi débonnaires».  

 

Bashibouzouks, mercenaires turcs
 

Comment se battre, en effet, contre l’un des plus puissants empires du monde avec son armée régulière de soldats bien entraînés, appuyée par des mercenaires, ses bachibouzouks sanguinaires, tous armés jusqu’aux dents, quand on n’a que quelques vieilles pétoires et des canons creusés dans des troncs de cerisiers !  Et oui, j’ai bien dit, des cerisiers !  coupés par des patriotes dans leur jardin et évidés par le tonnelier qui les cercle de fer comme un tonneau !  

 

Canon-cerisier


C’est le géant Borimetchka - son nom signifie le tueur d’ours car il s’est battu à mains nus contre un ours- personnage pittoresque du roman, qui monte le cerisier sur ses épaules au sommet de la montagne, à Zli-Dol, au-dessus de la ville de Klissoura. Et le premier essai de ce canon improvisé donne lieu à une scène hilarante. Si vous cherchez, comme je l'ai fait, Zli-Dol, Sopot et Klissoura sur la carte, vous vous  trouverez en face du monument à la gloire du soulèvement de 1876, de la statue du géant Borimetchka et de cerisiers-canons.


Le géant Borimetchka 

 

" Dans l’attente palpitante du grondement, les insurgés s’écartèrent un peu, quelques-uns se couchèrent dans les tranchées pour ne rien voir, certains même se bouchèrent les oreilles, fermèrent les yeux. Quelques secondes se passèrent dans une atroce, indicible tension… La fumée bleue continuait à planer au-dessus de la mèche, mais n’arrivait pas à l’allumer. Les coeurs battaient à se rompre. Enfin une petite flamme blanche courut à la mèche, celle-ci s’enfuma… et le canon rendit un son grêle, grognon, rauque comme celui d’une planche sèche qu’on rompt, quelque chose de semblable à une toux, puis il s’enveloppa d’une épaisse fumée.  Sous la pression de cette toux, le canon se fendit et cracha sa charge à quelques pas de distance."

Comment Ivan Vazov nous intéresse à ce grand moment de l’Histoire bulgare ? Et bien en nous le faisant vivre au niveau des personnages. Notre héros Ivan Kralich, un beau jeune homme, ardent révolutionnaire, courageux, au sens de l’honneur rigoureux, s’est échappé de la forteresse de Dyabakir en Anatolie et se cache sous le nom de Boïtcho Ognianov à Bela Cherkva. Là, il rencontre Rada Gozpojina, jeune orpheline élevée au couvent, en tombe amoureux et réciproquement. Les patriotes l’aident à s’intégrer et à organiser la rébellion. Le tchorbajdi Marko lui procure un poste d’instituteur. Le médecin Sokolov, un personnage farfelu, qui élève une ourse et n’a d’ailleurs aucun diplôme de médecin, devient son ami, de même Kandov, un jeune socialiste idéaliste dont l’amour fou pour Rada causera bien des tourments.  J'aime la consultation médicale de Kandov qui demande au médecin comment ne plus être amoureux. Et puis tous les personnages du village qui constituent une humanité vivante, bruyante, bavarde, parfois médisante, et toujours active dont l’écrivain se fait proche. Tout ce monde se trouve gagné par une effervescence révolutionnaire, un désir de liberté, une volonté de relever la tête, de secouer le joug.

"Submergeant tout, l'enthousiasme prenait chaque jour une force nouvelle. Les préparatifs suivaient; pour fondre des balles, vieux et jeunes laissaient inachevé le labour de leurs champs et les citadins plantaient là leur commerce. Des courriers secrets faisaient chaque jour la navette entre les divers groupements et le comité central de Panaguritché; la police clandestine surveillait la police officielle."

"... le printemps venu très tôt cette année-là, avait transformé la Thrace en un jardin de paradis. Plus merveilleuses et luxuriantes que jamais, les roseraies étaient épanouies. Les plaines et les champs portaient des moissons magnifiques, que jamais personne ne récolterait."
 

Mais ce qui m’a surprise dans ce roman, c’est que Ivan Vazov nous décrivant ce soulèvement tragique parvient à nous faire rire car l’humour est maintes fois présent dans le roman et donne des scènes savoureuses.

Ainsi le Géant Borimetchka veut épouser Raika mais il n’ose pas la demander en mariage. La jeune fille attend la noce avec impatience, les parents sont plus que consentants mais…! Tout le village est dans l’attente, ses amis l’encouragent, mais… Non, il est trop timide. Alors ? Il l’enlève ! C’est la joie !  Il semble qu'un enlèvement soit plus facile qu'une demande en mariage ! On fait la fête.

Un grand morceau de bravoure est aussi la représentation théâtrale du Martyre de Geneviève ( de Brabant) joué par les hommes du village. Boïtchko joue le rôle du comte et y gagne son surnom et la sympathie du village. Et qu’en est-il de Fratu, le malheureux interprète de Golo qui martyrise la comtesse Geneviève et la jette en prison ?  Le public pleure, l'accable d’invectives. Le Bey invité -même s’il ne comprend pas le bulgare- pleure de son côté et s’étonne que l’on ne pende pas ce misérable. C'est ce qu'il aurait fait, lui !Une commère « s’approche de la mère de Fratu et lui dit : Dis donc Tana, ce n’est pas bien beau la conduite de ton Fratu ! Quel mal lui a donc fait la petite femme ? »

 

Antoni Potiovski : le massacre de Batak

 

Mais sous le rire, l’on sent tout l’amour que l'écrivain éprouve pour son pays, la nostalgie de cette époque héroïque et la souffrance de la défaite, toute l’admiration pour ce peuple courageux et fou qui s’est lancé dans une bataille où il n’avait aucune chance de triompher ! Quitte à le regretter après ! Les dirigeants de ce soulèvement, appelés les apôtres, -qui pour la plupart ont donné leur vie -  savaient bien pourtant que la bataille était perdue d’avance mais ils voulaient obtenir le soutien de l’Europe et de la Russie en attirant leur attention sur la barbarie turque. Plus de 30 000 victimes, des dizaines de villages dévastés, comme Batak dont les habitants furent tous égorgés, cinq mille enfants, femmes et vieillards. Ainsi Victor Hugo en Mai 1876 dénonce les massacres, de plus, il plaide contre les empires meurtriers pour une constitution des Etats-Unis d’Europe. Dostoiewski et Tolstoï interviennent aussi. Les russes, à la suite du soulèvement, déclarent la guerre aux Turcs (1877-1878), ce qui entraînera la libération de la Bulgarie.

Tous les ingrédients sont là pour faire de ce roman un plaisir de lecture, émotion, aventures, héroïsme, trahisons, dangers, souffrances, amitié, amour et rire mais aussi connaissance d’un peuple, de ses coutumes et ses croyances, rencontre de ses héros et de ses disparus, de sa révolte contre le joug qui le soumet.  

 


 

Chez Moka

 


Lu  dans une vieille collection club bibliophile de France en deux tomes de plus de 250 pages chacun.

 

vendredi 21 février 2025

Connie Willis : Le Grand Livre


 

Vous aimez l’Histoire avec un grand H ? Vous aimez le Moyen-âge? Vous aimez l’aventure et l’extraordinaire ? Vous souhaitez voyager dans le Temps, vivre dans le futur ou dans le passé ? Alors ce livre est pour vous : Le Grand Livre de Connie Willis.

Nous sommes en 2054. Kivrin est étudiante en histoire à l’université d’Oxford et va être expédiée à l’époque médiévale par le directeur du laboratoire de Recherche, Mr Gilchrist, qui n’hésite pas à risquer la vie de son étudiante dans un tel voyage pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et ceci, contre l’avis de James Dunworthy, chargé de l’organisation des voyages temporels. Pour lui, le Moyen-Âge est une période trop élevée sur l’échelle des risques et Kivrin lui paraît trop fragile :« Une fille qui mesurait moins d’un mètre cinquante, aux cheveux blonds tressés en nattes. Elle ne semblait même pas assez âgée pour pouvoir traverser une rue toute seule ». Mais elle souhaite ardemment partir et Dunworthy ne peut s’opposer à Gilchrist. Et puis, après tout, le XXI siècle n’est-il pas dangereux, lui aussi ?

«  Au Moyen-Âge, au moins, on ne risquait-on pas de recevoir une bombe sur la tête. »

Krivin a bien été préparée et partira le 22 décembre 2054 dans l’Oxfordshire du 14 au 28 décembre 1320. Le 28 décembre, elle retrouvera la porte temporelle à l’endroit où celle-ci l’a déposée.
Le docteur Mary Arhens lui a fait toutes sortes de vaccins, choléra, peste, typhoïde... Elle a aussi renforcé son système immunitaire même si l'on sait sait que la grande peste, la Mort Noire qui a d’abord touché l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, avant de ravager la population européenne, n’arrivera en Angleterre qu’en 1348. Badri, l’ingénieur chargé de la machine à voyager dans le temps, est très compétent. Et le départ a lieu malgré les inquiétudes de James Dunworthy.



Mais…  dans la ville du XXI siècle qui se prépare à fêter Noël se déclare alors une épidémie liée à un virus inconnu. Krivin, elle se retrouve au Moyen-âge, est recueillie par une famille noble mais une erreur de calcul la plonge en pleine épidémie de peste en 1348. Le roman se déroule donc en alternance sur les deux périodes. 


Breughel l'Ancien : le triomphe de la Mort


Au Moyen-âge, nous faisons connaissance du père Roche, de dame Eliwys, épouse de sir Guillaume, et de leurs filles, Rosemonde (12 ans) Agnès ( 5 ans). Kivrin doit affronter la peste, soigner les pestiférés, sans savoir si elle pourra revenir dans le présent. Parviendra-t-elle à sauver Rosamonde et Agnès ? Retrouvera-t-elle son époque ? Elle va prouver qu'elle est capable de "traverser la rue toute seule" !  La description de la peste est cauchemardesque et nous immerge dans une époque terrifiante. Le XIV siècle est, en effet, ressuscité avec ses superstitions, ses ignorances et ses peurs, sa vie religieuse, ses croyances à la sorcellerie, avec le manque d’hygiène et la misère, la puanteur, la maladie, avec la mort omniprésente….  


Panneau de la chapelle de Lanslevillard (XVe siècle), en Savoie, La peste noire de 1348

Au XXI siècle malgré l’épidémie et les progrès de la médecine, la pandémie fait rage. James Dunworthy se dévoue pour lutter contre la maladie, pour essayer de sauver Kivrin perdue dans l'époque médiévale,  et pour s'occuper de Colin Templer (12 ans), petit-neveu du docteur Arhens, personnage attachant. Colin et l’étudiant William Meager, ce dernier bourreau des coeurs, doté d’une mère abusive et bigote, apportent une touche de fraîcheur et de dérision au récit. Par exemple, lorsque madame Meager pour réconforter les malades leur lit des pages de l’Ancien Testament !  

« A son réveil, Mme Meager se dressait au-dessus de lui, bible au poing.
-Il vous enverra maux et afflictions, entonna- t-elle dès qu’elle le vit ouvrir les yeux. Et toutes les maladies et toutes les fièvres jusqu’à votre destruction. »
« - je constate que madame Meager ne ménage toujours pas ses efforts pour remonter le moral des troupes. Je présume que le virus prendra bien soin de l’éviter. »
 

Malgré la situation dramatique, à la recherche des origines du virus et d’un vaccin, certaines situations nous font rire !

Un livre addictif qui mêle aventures palpitantes, tragiques, et humour bienvenu, nous amène très loin dans l’imaginaire. A lire absolument si vous aimez ce genre de lecture ! Moi, j’aime et je pense que je lirai d’autres livres de Connie Willis ! Le livre a été récompensé par quatre prix. 


Les pavés de l'hiver chez Moka (702 pages)



Chez Sandrine


mardi 21 janvier 2025

Sarah Penner : La petite boutique aux poisons

 

 

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Voilà le genre de lecture facile destinée aux esprits fatigués et qui ont envie de se divertir avec ce polar historique. Divertir ? Ouep ! En un  sens … mais je conseille tout de même à ces messieurs de se méfier ! Car nous allons rencontrer une empoisonneuse Nella  bientôt secondée par une admiratrice et disciple Eliza (12 ans). Une femme bien sous tout rapports puisque sa loi n° 1 est de ne jamais s’attaquer aux femmes et d’aider celles-ci à se débarrasser des maris gênants, croqueurs de dot,  infidèles, violents, désagréables ! Bref ! Une entreprise qui travaille pour le bien public et féminin ! Nous sommes en 1791 dans l'arrière-boutique obscure d’un quartier de Londres non moins obscur en train de manipuler de mystérieuses fioles gravées d’un écusson représentant un ours et avis aux maris ! Tenez-vous bien !

De nos jours, à Londres, Caroline venue des Etats-Unis est désemparée. Elle et son mari s’apprêtaient à faire ce voyage pour célébrer leur anniversaire de mariage lorsque Caroline apprend qu’il lui est infidèle. Elle part seule et se retrouve dans la capitale sans grande envie de visiter la ville, trop malheureuse pour cela. C’est le moment de faire le point et de s’apercevoir qu’elle a sacrifié tout ce qui était important pour elle en se mariant !
C’est alors qu’un homme l’aborde pour lui proposer une séance de mudlarking dans les boues de la Tamise à marée basse :
« Il fut un temps où les fouilleurs qu'on appelle mudlarks, récoltaient les pièces, des bijoux, des céramiques, pour ensuite les vendre. C'est de ça que parlent les romans de l'époque victorienne. Les gamins des rues récupéraient ce qu'ils pouvaient pour essayer d'acheter un bout de pain. Mais aujourd'hui, nous ne sommes là que pour le plaisir. Vous pouvez conserver ce que vous trouvez, c'est la règle.

Et Caroline trouve… devinez ? Et oui, une fiole avec un petit ours gravé. Dès lors elle mène une enquête qui lui permet de remonter dans le temps sur les traces de l’empoisonneuse et de découvrir son histoire. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est que, non, Caroline n’empoisonnera pas son mari, il est assez bête pour s’empoisonner tout seul !

Un livre agréable  et divertissant  qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux ! 

samedi 14 décembre 2024

AndreÏ Kourkov : Les abeilles grises

 

 

Serguei Sergueïtch et Pachka, les deux derniers habitants du village de Mala Starogradovtich située en « zone grise », c’est à dire ni en terre russe, ni en terre ukrainienne, dans l’oblast du Donetsk, région du Donbass, ont une position très inconfortable ! Nous sommes dans les années 2014. Les séparatistes russes épaulés par les Russes et les nationalistes ukrainiens s’affrontent. Au-dessus de la tête des deux hommes, les obus volent de part et d’autre de la frontière et tombent parfois bien près de leur maison. Les villageois sont partis, les maisons sont fermées, l’électricité est coupée, l’approvisionnement difficile, et les deux «meilleurs ennemis » d’enfance sont bien obligés de s’entendre et de coopérer pour survivre. L’un Pachka, pro-séparatiste, l’autre, Sergueï, pro-ukrainien, mais tous les deux dans la même situation. Force est de constater que Kourkov nous conte, de la part des deux « ennemis », et tant bien que mal, une histoire d’amitié.

Serguei Serguievtich est apiculteur. Son épouse et sa fille l’ont quitté pour vivre, il y a plusieurs années de cela, dans la grande ville. Après avoir assuré la sécurité dans les mines de ce pays houiller, Serguei a été réformé pour silicose. Ses abeilles, il les aiment et c’est pourquoi, au printemps, il les amène loin de la zone grise pour qu’elles trouvent la tranquillité et les fleurs pour butiner en paix. Un voyage vers l’Ouest de l’Ukraine où il est considéré, venant du Donetstk, comme suspect par les Ukrainiens de l’Ouest, puis vers la Crimée où il se lie d’amitié avec les Tatars mais est suspecté par les Russes. Des tatars, il s'en aperçoit, qui ne sont pas acceptés par le reste de la population et lui-même, il lui faut bien vite s'en retourner, pressé par les autorités russes.  Décidément, ou qu’il soit, Serguei est toujours en zone grise ! Même ces abeilles deviennent grises ! C'est la couleur du récit, c'est aussi la couleur des êtres humains, ni blanc, ni tout à fait noir, gris !

Le livre d’Andreï Kourkov est un beau roman, d’une tristesse égayée par des situations inédites voire burlesques, comme cette fameuse nuit où Sergueï intervertit les noms des rues du village pour ne plus vivre rue Lénine mais dans la rue d'un poète ukrainien ! Une tristesse pleine de tendresse. Sergueï est, en effet, à priori, un homme un peu fruste, avec toutes ses faiblesses, mais capable d’une certaine délicatesse et d’attention vis à vis des autres. On le découvre, à plusieurs reprises, plein d’humanité lorsqu’il va recouvrir de neige, au péril de sa vie, le cadavre d’un soldat ukrainien, ou lorsqu’il intervient en Crimée, auprès des autorités russes, et ceci malgré sa peur, pour découvrir ce qu’est devenu Athem, un tatar, apiculteur comme lui, disparu depuis deux ans. Grâce à ses abeilles, Serguei est proche de la nature même s’il leur reproche parfois de trop ressembler aux hommes d’où une petite musique poétique et nostalgique, mi-optimiste, mi-pessimiste, une musique qui ne cesse pas complètement de croire en l'humain,  bref !  en demi-teinte, qui baigne le roman. Une belle lecture.
 

Sergueï recueille une abeille sans ruche et cherche à la faire accepter dans une autre :

Allez, monte ! " dit-il à l'abeille.

Celle-ci, comme si elle l'avait entendu, se glissa gaillardement dans l'ouverture.

Sergueï n'eut pas le temps de cligner de l'oeil que l'insecte retomba en arrière sur la planchette, aussitôt suivi par trois ou quatre abeilles de la ruche qui entreprirent de le repousser loin de l'entrée, jusqu'à le culbuter dans le vide.

- "Voyez-moi ça !"soupira Serigueïtch en se penchant. Il ramassa l'abeille par terre, comme pour lui offrir de bâtir une petite ruche dans l'interstice.

Il tourna les yeux vers la planche d'envol.

" Eh bien, vous êtes donc comme les humains ? demanda-t-il aux abeilles avec amertume.

lundi 25 novembre 2024

Eleanor Shearer : La liberté est une île lointaine

  

1834. L’esclavage vient d’être aboli à La Barbade. C’est ce que le maître de la plantation La Providence, annonce à ses esclaves mais il ajoute qu’ils ont l’obligation de travailler comme apprentis chez lui pendant six ans. Ils sont libres mais ne peuvent s’en aller, travail harassant dans le champ de cannes à sucre, le contremaître, fusil en bandoulière, les sifflets, le fouet, les coupas, la fatigue, le chagrin :  « Liberté est le nom de la vie qu’ils avaient toujours connue. ».

C’est alors que Rachel décide de fuir. Elle veut retrouver ses enfants qui ont été vendus les uns après les autres, à des âges différents, et dont elle conserve le souvenir précieusement dans son coeur : Micah, Mary Grace, Mercy, Cherry Jane, Thomas Augustus sans compter ceux qui sont morts en bas âge. Rachel n’ignore pas le sort que l’on réserve aux esclaves fugitifs, les risques qu’elle encourt si on la rattrape et le fait qu’elle soit libre n’y changera rien.  

Cette longue route semée de dangers à la recherche de ses enfants est jalonnée par de belles rencontres, comme celle de Mama B, une vieille femme, généreuse et forte, qui la conduit à Bridgetown, la capitale de la Barbade où elle retrouve Mary Grace. Mais sa recherche l’amène plus loin encore en Guyane Britannique et à Trinidad. Les descriptions des paysages donnent une idée de la grandeur de la nature sauvage que cette mère courage doit affronter.

 Dès qu'ils furent sur l'eau, Rachel eut l'impression qu'ils avaient perdu le contrôle des choses. Elle en avait senti les prémices à Georgetown et les plantations - cette sensation que les arbres, le fleuve, les buissons, les oiseaux, les insectes, et même le ciel commençaient à reprendre le pouvoir. Mais lorsqu'ils se furent éloignés de la berge et commencèrent à dériver, Rachel comprit qu'il étaient à la merci de la nature."

 Les retrouvailles avec ses joies mais aussi ses peines, de nouvelles séparations, les enfants adultes ayant choisi une autre direction, le deuil aussi, accompagnent Rachel dans ce roman qui tout en décrivant l’horreur de l’esclavage, les souffrances physiques et morales infligées, montrent la profondeur des séquelles que la privation de liberté laissent dans l’âme. Pourtant la fin porte un message d’espoir. 

Avec La liberté est une île lointaine Eleanor Shearer écrit un premier roman intéressant et plein d'émotion.
 

Eleanor Shearer est une écrivaine britannique, petite-fille d'immigrants caribéens venus au Royaume Uni en 1948.

Issue de la génération Windrush, Eleanor Shearer a toujours été fascinée par l’histoire des Caraïbes et s'est rendue à Sainte Lucie et à la Barbade pour interviewer des militants, des historiens et des membres de sa famille.

La liberté est une île lointaine, son premier roman, est le fruit de ses recherches.

Eleanor est diplômée en sciences politiques de l'Université d'Oxford.
Elle partage son temps entre Londres et Ramsgate sur la côte du Kent.


Sur la génération windrush lire cet article ICI


jeudi 21 novembre 2024

Maria Turstschaninoff : Nevabacka, terre des promesses


"Au loin, de l'autre côté de la tourbière, il distingua une créature à longues pattes et au cou interminable, comme un serpent. A y regarder de plus près, elles étaient plusieurs. Grises et noires, elles s'envolaient, leurs ailes déployées et leurs pattes oscillant dans les airs.
Les grues cendrées dansaient sur la tourbière. Les ailes tendues les unes vers les autres, le cou courbé, elles criaient et approchaient, le garçon ne fit aucun bruit, retenant son souffle. Jamais il n'avait vu un tel spectacle."

Nevabacka formé de deux mots, l’un finlandais neva, les marais, l’autre en suédois backa, la colline, désigne la ferme et la forêt où se déroule l’action du roman de Maria Turstschaninoff, en Ostrobotnie, à l’est de la Finlande.

Maria Turstschaninoff, finlandaise de langue suédoise, écrit un roman historique puisqu’il commence au XVII siècle et se termine de nos jours, mais qui est aussi un conte nourri de légendes traditionnelles, un poème en prose amoureux de la nature, des forêts et des animaux et qui plonge le lecteur au coeur même de la vie et de la beauté mystérieuse et sauvage.

Un soldat, Matts Rak, reçoit du roi, comme récompense de ses bons services militaires, une terre éloignée et sauvage qu’il appellera Nevabacka et qu'il s’efforcera de défricher, de labourer et de rendre fertile en bon fermier qu’il jamais cessé d’être malgré la guerre qui avait fait de lui un soldat. Sur son domaine s’étend une grande tourbière et des marais que le jeune paysan se propose d’assécher. Mais dans ces lieux se cache le peuple des forêts, celui qui échappe au christianisme et que le peuple révère et craint. La fée de la Tourbière - manifestation des croyances populaires, allégorie de la forêt et plus généralement de la nature toute puissante ? -  lui interdit de toucher à la tourbière et lui donne un fils en cadeau comme une compensation pour son obéissance. Nous suivons les différents membres de la famille issus de ces deux ancêtres, au cours d’une longue remontée dans les siècles où l’on passe de croyances primitives en des éléments surnaturels qui imposent le respect, à un monde où L’Eglise combat le surnaturel, punit ceux qui y croient et, à notre monde contemporain qui maltraite la nature et l’exploite au nom d’une économie efficace et productive.

Le réalisme du récit nous amène à partager la dure vie de ces paysans dans la ferme Nevabacka, qui, pour être la plus grande et la plus riche de la région, n’en exige pas moins un travail pénible mais la présence de la nature, de sa beauté majestueuse, baigne le roman d’une aura magique.

"Je me suis installée sur un arbre couché et, ma chère Charlotte, j'ai été saisie par la beauté de ce moment. D'abord, le ciel est devenu rouge, presque écarlate, avec des tâches roses et jaunes. Puis le soleil s'est levé à l'horizon et les rayons ont traversé la forêt, ornant les ombres des arbres de gravures dorées. Je n'ai jamais écrit de poèmes, mais à ce moment-là, mon âme en est devenu un."

 Les personnages se succèdent dans des récits qui semblent  indépendants les uns des autres mais qui sont reliés par des liens de parenté. L’existence éphémère de chacun forme un grand Tout, à la fois au niveau familial mais aussi à la dimension du pays, célébrant ainsi l’âpre beauté de la Finlande. Les personnages attachants et le style de l’auteure, poétique, font de ce roman une belle lecture.

mardi 26 mars 2024

Emma Stonex : Les gardiens du phare


 Dans son roman Les gardiens du Phare, Emma Stonex s’appuie sur un fait divers réel qui est toujours demeuré un mystère.
En 1895, sur les îles Flannan, au large de l’Ecosse, au coeur de l’archipel des Hébrides, la construction d’un phare dans cette zone pleine de récifs, réputée dangereuse, commence. C’est en décembre 1899 que le phare d’Eilean Mor, qui se dresse sur un rocher inhospitalier, inhabité, battu par les vagues et le vent,  s’illumine pour la première fois
Pour assurer sa maintenance, il faut quatre hommes, dont trois doivent rester en permanence sur l’île, le quatrième  partant en congé sur la terre ferme toutes les six semaines.  En Décembre 1900, un capitaine de navire signale que le phare est resté éteint. Quand on envoie des secours, les trois gardiens restés sur place, James Ducat, Thomas Marshall et Donald MacArthur, ont disparu sans laisser de traces. 

L’enquête a conclu que les gardiens avaient dû s’approcher trop près du bord pour sécuriser une grue et avaient été emportés par une vague géante. Mais cette conclusion est restée à l’état d’hypothèse n’ayant jamais pu être confirmée.

Les trois gardiens disparus d'Eilean Mor
 

C’est cette histoire que raconte Emma Stonex dans Les gardiens du phare en la transposant en 1972  et en situant le phare sur les îles Maidens, au nord de l’Irlande.
Les trois hommes, Arthur Black, le gardien-chef de la Maiden, Bill Walker son second et Vince dont c’est le premier poste - et à qui l’on essaiera de faire porter le chapeau parce qu’il a fait de la prison - disparaissent. La société des phares cherchent rapidement  à clore l’enquête, refusant de creuser plus avant, de crainte de détruire la bonne réputation de la Société, plutôt paternaliste, qui exige la fidélité et la bonne conduite de ses employés dont elle veut donner une image héroïque et qui prend soin de leur famille en retour.

L'île Flannan : Eilenn Mor

C’est l’occasion pour l’écrivaine de présenter la vie dans le phare et la dureté du métier de gardien qui exige des nerfs solides, une bonne santé mentale et une entente entre les trois personnes qui sont obligés de vivre ensemble de jour comme de nuit. Si l’une de ces conditions n'est pas réunie, les agacements deviennent vite antipathies, les tensions naissent, les risques d’affrontement s’exacerbent. La journée est rythmée par les travaux d’entretien du phare et de l’optique de la lanterne, les nuits exigent des quarts de veille pour assurer le bon fonctionnement de la lumière. Il faut imaginer la monotonie de la nourriture et des occupations, la solitude qui ébranle le moral, la séparation d’avec la famille, les tempêtes, effrayantes, avec des vagues gigantesques qui se brisent sur le phare dans un vacarme  incessant, la responsabilité des vies humaines qui pèse sur les gardiens s’il y a un dysfonctionnement.

Dans le roman,  Emma Stonex imagine que vingt ans après, un journaliste décide d’écrire sur cette histoire et demande à rencontrer les  femmes des disparus, Helen, Jenny et Michelle. Car ce qui intéresse aussi l'écrivaine, c’est de donner une explication à ces disparitions ou tout au moins d’avancer une autre hypothèse que celle retenue officiellement. Les femmes parlent, en effet, et se dessinent des secrets de couple, des mésententes, des jalousies, des non-dits… Une analyse psychologique assez fine qui fait apparaître les caractères et les sentiments de chacun, sous laquelle, en filigane, se dessine une réponse au mystère et à la tragédie ! Un roman intéressant !

 Tout seul

 

Je vous signale la magnifique BD  intitulée Tout Seul de Christophe Chabouté sur les gardiens de phare.

Voilà ce que j'en écrivais : "Tout seul, bande dessinée de Chabouté, est un petit bijou d'émotion, de poésie, de beauté, de tendresse, d'espoir. .. Si vous n'avez pas encore lu cette BD, faites-le vite ! Et si vous ne deviez en lire qu'une dans votre vie, que ce soit celle-là!

Cet album est presque sans paroles, les personnages qui y vivent sont soit des marins taciturnes, soit un solitaire, séparé de la civilisation, prisonnier volontaire dans un phare en pleine mer. Le dessin en noir et blanc, jouant sur le lumières de la nuit et du jour,  prend alors toute son importance, c'est lui qui raconte tout ce qui n'est pas dit, c'est pourquoi il faut être attentif aux moindres détails, et il est fantastique. Les variations des points de vue nous permet une approche toujours renouvelée de l'histoire. Nous sommes oiseaux et nous nous laissons porter par le vent pour nous poser sur la lanterne du phare, poisson dans un bocal nous contemplons la solitude d'un autre être, solitude qui n'a d'égale que la nôtre, marin, nous essayons de percer le mystère du phare..  A cela s'ajoutent les variations des cadrages, d'un gros plan qui éveille en nous la curiosité à un plan d'ensemble qui nous révèle la réalité…  Le dessinateur joue ainsi sur le mystère, éveille notre imagination. Chabouté suggère aussi le mouvement par le procédé cinématographique  d'un plan fixe qui permet de voir s'éloigner le bateau ou au contraire de le voir se rapprocher, venant droit sur nous, pour créer l'impression de durée dans le temps. Car l'histoire a un rythme, celui de la lenteur, de l'égalité des jours qui se traînent et se ressemblent, sauf quand survient un évènement, quand il y a irruption de la vie dans le quotidien."
VOIR la suite ICI

 

La Tour d'amour

 
 
"La tour d'amour de la "sulfureuse" Rachilde est un roman qui sidère, qui laisse pantelant. Jamais en ouvrant le livre de quelqu'un qui était pour moi une inconnue, jamais je n'aurais pensé découvrir un texte d'une telle force, servi pas un style puissant aux images hallucinatoires. Je comprends, bien sûr, que le récit ait fait scandale et je ne suis pas sûre qu'il ne choque pas, même de nos jours, les lecteurs sensibles tant il est morbide et nous entraîne dans la spirale d'une folie qui tient de la perversion. Si vous êtes de ceux-là, tant pis, mais ne dites pas que Rachilde est un médiocre écrivain" Voir Ici


 Le gardien du feu


J'ai aimé aussi :  Le gardien du Feu de l'écrivain breton Antoine Le Braz

"Je vous l'ai dit à propos du roman de Rachilde La Tour d'amour, les phares bretons inspirent aux écrivains des romans sombres et tourmentés tout comme le sont les personnages qui y vivent! Dans Le gardien du Feu d'Anatole Le Braz, c'est le phare de Gorlébella en plein Raz qui sert de décor pour cette histoire d'amour et de jalousie proche de la folie." Voir  Ici

 

 Les disparus du phare

 

J'ai moins aimé Les disparus du phare de Peter May mais lisez  le premier volet de la trilogie L'île des chasseurs d'oiseaux !

"Peter May, je l’ai découvert avec sa trilogie écossaise qui se situe dans l'archipel des Hébrides, dans l’île Lewis, et c’est de loin L’île des chasseurs d’oiseaux, le premier, qui demeure mon préféré. Il offre des pages d’une force étonnante qui raconte le quotidien des hommes de cette île et décrit leur mentalité ancrée dans le passé, si loin de la civilisation urbaine actuelle.
 Avec Les disparus du Phare, Peter May retourne dans les Hébrides, plus précisément dans les îles Flannan à une vingtaine de kilomètres de l’île Lewis. L’auteur s’empare d’un fait divers réel, survenu en 1900 : la disparition jamais élucidée des trois gardiens du phare d’Eilean Mor." 
Voir Ici


Tadloidu ciné chez Dasola conseille aussi les titres suivants et Je lis Je blogue une BD. Merci à eux  ! Je ne les ai pas encore lus mais cela me donne envie de les découvrir.

 

Robert Louis Stevenson : Journal de la construction d'un phare

Au large de l’Écosse, en mer du Nord, à la croisée de plusieurs routes maritimes, se trouve un récif meurtrier, où les navires s’abîment par dizaines. En 1807, un homme décide de mettre fin à cette malédiction. Ingénieur pour la Compagnie des Phares du Nord, Robert Stevenson se lance dans une entreprise périlleuse : ériger un phare sur un récif immergé vingt heures par jour. Trois années durant, dans des conditions chaotiques, il coordonne le chantier de Bell Rock. Animés par la volonté de rendre la mer plus sûre, ses hommes et lui luttent contre vents et marées pour mener à bien ce projet ambitieux.

En racontant l’histoire de sa famille et en publiant les carnets de son grand-père, Robert Louis Stevenson rend non seulement hommage à la dynastie de pionniers et de bâtisseurs dont il est issu, mais il révèle aussi au public une formidable aventure collective. (quatrième de couverture)  

 

Jules Verne : Le Phare du bout du monde


L’île des États : un îlot désertique au large de la Terre de Feu, à plusieurs dizaines de milles de tout espace civilisé. Les autorités argentines viennent d’y inaugurer un phare, pour permettre aux navires de franchir le cap Horn par une route plus rapide et plus sûre. Trois gardiens de phare sont déposés sur l’îlot pour y séjourner, seuls, durant les trois mois de l’hiver austral. Seuls ?... (quatrième de couverture) 

 

Emmanuel Lepage :  Ar -Men  BD


Au large de l’île de Sein, à la pointe Finistère, Ar-Men émerge des flots. Construit en 1867, on surnomme ce phare mythique «L’enfer des enfers». Sa lumière veille les navires, et les protège des récifs menaçants. Les hommes se sont succédés pour l’entretenir, sentinelles d'une côte déchiquetée que les marins redoutent. Germain, dans les années 1960, est l’un de ces gardiens téméraires et solitaires. Dans l'édifice isolé, contre vents et marées, il a trouvé son exacte place, emportant là ses blessures et son abandon d’une vie sur terre, avec les autres hommes. ( quatrième de couverture ) Editions Futuropolis




lundi 18 mars 2024

Yan Lespoux : Pour mourir, le monde


Dans Pour Mourir, le monde, Yan Lespoux, historien, universitaire spécialiste de la civilisation occitane, s’appuie sur un fait historique, le plus grand naufrage de l’histoire de la marine portugaise en janvier 1627 sur les côtes françaises de Saint-Jean-de-Luz et d'Arcachon jusqu’au Médoc à la suite de tempêtes violentes. 
 
 
Francisco Manuel de Melo ,, écrivain portugais et marin

 
 
Yan lespoux s'inspire des mémoires du capitaine-mor dom Manuel de Meneses, qui publia un mémoire, de dom Francisco Manuel de Melo, écrivain et marin, qui raconta son histoire trente ans après, et du livre de Jean-Yves Blot et Patrick Lizé qui ont réuni de nombreux documents retrouvés dans les archives espagnoles, portugaises et françaises.
Voilà quel est le bilan de ces naufrages d'après ces études  : «  7 navires coulés, deux énormes caraques des Indes de 1800 tonneaux, chargées de pierres précieuses et d'épices, escortées par cinq galions de guerre portant la fine fleur de l'aristocratie portugaise, 2000 morts, 300 rescapés. Tout cela donna lieu à un imbroglio diplomatique entre la France et le Portugal, qui impliqua le duc d'Epernon, Richelieu, Louis XIII, l'Eglise et les grandes familles du Médoc. Car si les " bourgeois " de Saint-Jean-de-Luz recueillirent des naufragés, plus au nord, sur les côtes des Landes et du Médoc, les Français pillèrent les épaves et massacrèrent les survivants. »
 
 
 
 Une caraque

 
 De Gao :  Le roman débute avec le naufrage, sur la côte du Médoc, à Lacanau, de la caraque Sao Bartolomeu, avec à sa tête, le capitaine-mor Vincente de Brito, navire revenant des Indes.  ll y avait à bord cinq cents voyageurs et un chargement d’une valeur inestimable, épices, pierres précieuses, étoffes. Il n’y eut que douze survivants. Fernando Teixeira, jeune portugais, personnage fictif du roman est l’un des leurs. Pauvre, orphelin, il a été recruté de force dans l’armée portugaise et amené aux Indes où il eut une vie aventureuse qui finit par le conduire dans les geôles de la Sainte Inquisition à Goa. Gracié, il embarque pour un retour au Portugal sur le Saint Bartolomeu et projette de voler les diamants transportés à bord, avec l’intention de sortir de sa condition car « naître petit et mourir grand est l’accomplissement d’un homme » dit le poème d’Antonio Vieira, mis en exergue du roman :  « Pour naître le Portugal; pour mourir le Monde. »

Dans le Médoc :  Fernando va rencontrer Marie. Cette dernière, une fille qui sait se défendre, a blessé un fils de famille qui l’agressait et doit se cacher des autorités dans les landes sauvages du Médoc, chez son oncle Louis, un homme brutal, pilleur d’épaves. Celui-ci qui règne par la terreur sur un peuple de travailleurs primitifs et misérables. Ces hommes vont non seulement piller les richesses de la nef mais aussi achever les rares rescapés.


Piet Heyn, le commandant de la flotte hollandaise occupe Bahia

De Salvador de Bahia :  Au Brésil, vit Diogo, dont les parents ont été brûlés vifs pendant le siège mené par la marine Hollandaise pour enlever la ville aux Portugais. Ces derniers, avec à sa tête Dom Manuel de Meneses secondé par les espagnols, vont reprendre Bahia. A cette époque le Portugal, au grand dam des nobles portugais, était alors réuni à la couronne d’Espagne. Au cours de cette guerre Diogo et son ami, un indien Tupinamba, Ignacio, deviennent les aides de camp de Dom Manuel Meneses et partiront avec lui vers le Portugal. Plus tard, sommés par le roi d’escorter les caraques venues de l’Inde, leur galion le Santo Antonio et Sao Diogo fera naufrage devant Saint Jean de Luz.

C’est ainsi que Yan Lespoux mène ses trois personnages principaux à travers les océans et de points de l’horizon diamétralement opposés jusqu’aux côtes françaises où ils se rencontreront, une navigation houleuse et tumultueuse qui se double d’une traversée de l’enfance à l’âge adulte, tout au long de ce roman initiatique.

Le roman de Yan Lespoux est très enlevé et bien écrit ! Les descriptions sont à la hauteur des éléments déchaînés, des pays exotiques. De plus, l’écrivain se révèle un bon conteur et nous plonge dans un récit mouvementé et aventureux, agréable à lire par un effet proportionnellement contradictoire aux émotions rencontrées, plus j’ai peur, mieux c’est !  Oui, je sais ! Je dois avoir gardé mon âme d’enfant parce qu’après les romans qui parlent du froid, de la neige et de la survie dans le Grand Nord, juste après, j’adore toujours les récits de mers démontées et de bateaux en détresse, voire d’îles désertes.

 Découvrir la vie au bord d’une caraque ou d’un galion, braver les tempêtes, souffrir du scorbut, faire naufrage deux fois, échapper à l’inquisition, commercer avec les Indes, découvrir la misère et la sauvagerie des résiniers, des costejaires et des bergers des Landes dans notre France du XVII siècle, mesurer la misère des peuples, qu’ils soient colonisés, esclaves ou nés, comme Fernando, « au mauvais endroit », du mauvais côté de la barrière sociale, tout est passionnant !
 Le sérieux de la documentation nous permet de découvrir des faits historiques que je ne connaissais pas , ce naufrage, la reconquête de Bahia, la colonisation des Indes et la présence de l'Inquisition jusque là-bas,  et ceci, comme si on le vivait en même temps que les personnages. 

 

Dom Manuel de Meneses capitaine-mor du Sao Juilao et du Bartolemeu

De plus, le texte ne manque pas d’humour. J’ai aimé le personnage du noble portugais, le Fidalgo, Dom Manuel de Meneses, dont l’écrivain fait un portrait réjouissant par exemple lorsqu'il refuse d’échapper à la flotte anglaise plus nombreuse et mieux armée que lui à la faveur de la nuit. Il fait attacher un fanal à la poupe de son navire pour ne pas avoir l’air de fuir … d’où un premier naufrage quand il se fait canarder le lendemain matin  ! Ou encore en 1627 quand il discute de figures de style dans un texte de Lope de Vega avec Dom Manuel de Melo alors que son navire est en train de sombrer, malmené par les vagues de l’océan déchaîné. On rit de son sens de l’honneur qui n’a d’égal que sa stupidité mais qui finit par forcer l’admiration, porté à un degré tel que la démesure l’empêche d’être ridicule !  De plus sous ses airs de grand seigneur impassible, l’écrivain nous fait toucher l’homme, celui qui éprouve de la peur et trahit parfois ses faiblesses, un être humain, pas des meilleurs, mais humain, en quelque sorte ! Une personnalité historique que Yan Lespoux traite comme l'un de ses personnages et à qui il donne une complexité.
 

Donc un bon roman ! N'hésitez pas à embarquer ! A lire pour le plaisir de l’aventure et de la rencontre avec l’Histoire !  

Et puis, quand vous l'aurez lu, venez nous voir Fanja et moi,  pour nous dire ce que vous avez pensé de la fin ouverte du roman, l'écrivain ne précisant pas vraiment ce que ses personnages sont devenus !

Enfin, j'ajoute que j'aime ce livre parus aux éditions Agullo. Je trouve que c'est un bel objet  (conception de la couverture par Cyril Favory) avec la carte jaquette d'après Jan Huygen van Linschoten et les images de la première et quatrième de couverture d'Alfredo Roque Gameiro.

Fanja ICI 

Keisha ICI 

Je lis je blogue

Première de couverture

Quatrième de couverture
 


Chez Fanja

                    

mardi 12 mars 2024

Jules Verne : Les forceurs de blocus

 


 

Les forceurs de blocus est une longue nouvelle de Jules Verne parue en 1871. La guerre de Sécession ou guerre civile américaine (1861 à 1865) eut de graves répercussions en Ecosse sur l’économie du textile. Pendant La famine du coton, six-cent vingt cinq mille métiers s’arrêtèrent, des milliers d’ouvriers sans travail furent réduits à la misère, les patrons subissant des revers de fortune importants. En effet, les Etats du Sud pourvoyeur du coton cultivé par les esclaves noirs subissaient un blocus de la part des fédérés et ne pouvait ni exporter leur coton, ni recevoir de l’aide extérieure.
Le jeune capitaine James Playfer dont l’oncle,Vincent Playfer, est un riche négociant de Glascow, décide de partir en mer avec un navire à vapeur d’une rapidité exceptionnelle, The Delphin, pour forcer le blocus de Charleston. Il partira chargé d’armes et, après avoir forcé le blocus il les échangera avec du coton.

Il embarque à son bord, en plus de l’équipage, un nommé Crockston, un homme qui se dit excellent marin et son jeune neveu. Or, dès le début du voyage, Crockston se révèle complètement ignorant des choses de la marine et James Playfer comprend tout de suite que le jeune neveu est, en fait, une fille. Je pense que l’on peut le révéler tout de suite car l’intérêt du récit n’est pas là et il ne s’agit en aucune mesure d’une surprise ! En effet, si le lecteur, se doute tout de suite du travestissement, le capitaine n’est pas dupe non plus et traite avec beaucoup d’égard sa jeune et jolie passagère, Jenny Halliburtt.  
Celle-ci a embarqué avec son domestique pour rejoindre son père, journaliste des Etats du Nord, anti-esclavagiste convaincu, retenu prisonnier dans le Fort de Charleston pas les confédérés.
Et c’est là que réside l’intérêt de ce récit :  Le capitaine est avant tout un commerçant et il voit les fédérés et leur cause, l’abolition de l’esclavage, d’un mauvais oeil. Tout ce qui est néfaste au commerce attire son courroux. Face à ce matérialisme, la jeune fille, idéaliste, va plaider pour les Etats du Nord, montrer que la question de  l’esclavage prime dans cette lutte entre le Sud et le Nord,  et mettre en valeur la noblesse de la cause défendue par son père. Le jeune homme, d’abord commerçant dans l’âme, se laisse peu à peu gagner par les idéaux de la jeune fille. Les idéaux? ou les beaux yeux ? Un peu des deux mais les beaux yeux surtout ! 

Les forceurs de blocus est donc un récit d’aventure mais aussi d’amour et ne manque pas d’humour comme on le voit dans la chute de la nouvelle ! Comment les héros forceront-ils le blocus ? Echapperont-ils aux dangers de l’aventure ? Parviendront-ils à libérer le père de Jenny ? C’est ce que je vous laisse découvrir !
Un petite oeuvre peu connue de Jules Verne mais très agréable à lire et qui présente une vue originale de la guerre de Sécession vue du côté européen et des idées de Jules Verne opposé à l'esclavage.

LC  avec Violette ICI

 LC avec Fanja ICI


Chez Fanja
 


 

Chez Nathalie

jeudi 7 mars 2024

David Grann : La note américaine

 

J’ai découvert David Grann avec Les Naufragés du Wager (ICI) que j’ai vraiment beaucoup aimé. Il me restait donc à lire La note américaine dont les échos sont élogieux dans les blogs.

Nous sommes en 1921 chez les Osages. Cette tribu indienne a été chassée de ses terres du Kansas pour y installer les colons blancs au XIX siècle, dans les années 1870, et a été reléguée sur les territoires les plus rocailleux, les plus déshérités de l’Oklahoma. Mais le découverte de gisements de pétroles va changer la donne et faire des Osages l’un  des peuples les plus riches du monde. Scandaleux ! Non seulement ils sont millionnaires mais, en plus, ils se font servir par des domestiques… blancs ! Le monde renversé ! Tout va être mis en place pour les dépouiller de leur fortune, les spolier de leurs biens, par tous les moyens légaux ou non, y compris le meurtre, et ceci avec la complicité des pouvoirs politiques, financiers et juridiques des Etat-Unis.

Le livre se divise en trois parties :

Première Chronique : La femme marquée

 

Mollie Buckhart et son interprète dans le film de Scorcese
 

C’est à travers le personnage de Mollie Burkhart, une indienne osage, que l’écrivain va présenter cette période qui  commence en 1921, période que l’on a appelée le règne de la terreur et dont la durée officielle est de quatre ans. Mais l'enquête révèle que les meurtres ont commencé certainement plus tôt et ont continué au-delà. Cette première partie nous éclaire aussi sur la vie des indiens osages par le passé et maintenant qu’ils sont devenus riches, la perte de leurs traditions, de leurs croyances. Leurs enfants leur sont enlevés pour être éduqués dans des internats religieux. Le gouvernement les déclare inaptes (ce sont des indiens donc incapables! ) à gérer leur fortune et les met sous tutelle. Les curateurs, des blancs, leur refusent toute dépense, chipotent sur leurs besoins et les dépouillent peu à peu de leurs biens.

« …par exemple le cas d’une veuve dont le curateur avait disparu en emportant presque tous ses biens, avant de l’informer qu’elle n’avait plus un sou, et l’avait laissée élever ses deux enfants en bas âge dans la misère. Quand l’un des enfants tomba malade, le curateur refusa de lui octroyer le moindre centime. Dépourvu d’une nourriture suffisante et de soins médicaux, l’enfant décéda. »

Mollie, mariée à un blanc Ernest Buchart, a vu disparaître sa soeur Minnie et sa mère Lizzie, toutes deux empoisonnées, sa soeur Anna tuée d’un balle est retrouvée dans un ravin. Plus tard c’est sa soeur Rita et son mari qui disparaissent dans un attentat contre leur maison. D’autres meurtres font régner la terreur dans tout le comté osage. La police et la justice bâclent les enquêtes, peu soucieuses de trouver les coupables dont on pressent qu’ils bénéficient de protections occultes. Devant la mauvaise volonté des autorités, les familles touchées par ces meurtres engagent des détectives privés qui engrangent de nombreux renseignements, ouvrent de nombreuses pistes mais en vain. W W. Vaughan, un avocat honnête, semble avoir élucidé les crimes, mais au moment où il va révéler la vérité, il meurt assassiné. Mollie, désespérée, se barricade dans sa maison mais on apprend qu’elle est en train de mourir, elle aussi empoisonnée.


Deuxième chronique : L’homme d’indices



Dès 1908 Roosevelt avait créé le Bureau of investigation (Le BOI)  qui deviendra le FBI. En 1925, le nouveau patron du BOI, J. Edgar Hoover va le diriger de manière dictatoriale et le moderniser. Il demande à l’ancien ranger, Tom White, de prendre l’affaire en main et lui envoie des agents infiltrés. Le groupe parvient à établir la culpabilité de certains, en particulier d’un personnage haut placé. Cette seconde partie nous révèle les dessous de l’enquête et décrit le procès difficile et tumultueux. Mollie qui a survécu y assiste.

« Mais White savait que le système judiciaire américain, au même titre que ses services de police, était gangréné par la corruption. Il y avait beaucoup de juges et d’avocats véreux. Les témoins étaient menacés et le jury acheté. »


Troisième chronique : Le journaliste


Ernest Buckhart et son Interprète Di caprio

Au-delà de l’enquête, le journaliste, David Grann donc, continue ses recherches. Il rencontre les petits-enfants des Osages qui ont connu le règne de la terreur. Ces descendants gardent en mémoire cette horrible période et les meurtres de leurs grands-parents qui n’ont pas obtenu justice. Les coupables ont bénéficié de remises peine, d’amnistie, ou n’ont tout simplement pas été poursuivis. Le journaliste  découvre qu’il y a de nombreux meurtres restés impunis ou qui n’ont été ni reconnus comme tels, ni fait l’objet d’une enquête.

Les Osages vivent dans le souvenir et l’amertume : «  Cette terre est gorgée de sang » commenta Mary Jo  (Marie Jo Webb petite-fille de Paul Pearce assassiné pendant la terreur ). Elle se tut un instant et nous entendîmes les feuilles des chênes bruisser dans le vent. Puis elle me rappela ce que Dieu avait dit à Caïn après le meurtre d’Abel : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. ».

Le livre de David Grann se révèle une enquête complexe qui tient en haleine, éclairant les manquements de la justice face à la disparition violente de nombreux membres de la tribu, révélant les zones d’ombre, les complicités, les mensonges et les non-dits. Les personnages prennent vie et nous assistons, révoltés et désemparés, à leurs souffrances. Grâce au dépouillement d'archives, de mémoires, et de la presse de l’époque et à la rencontre des descendants des Osages disparus, David Grann mène une investigation passionnante que l'on ressent aussi comme un cri d'indignation et un appel à la justice.