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jeudi 30 octobre 2025

Récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même

Frederick Douglass
 


Frederick Douglass, né Frederick Augustus Washington Bailey en 1817 ou 1818, et mort le 20 février 1895 à Washington, est un orateur, abolitionniste, écrivain et éditeur américain. Esclave depuis sa naissance, il réussit à s'instruire et s'enfuit dans le Nord à l'âge de 20 ans. Là, les abolitionnistes le prennent sous leur protection. Il refuse de porter le nom de son maître et prend un nom tiré de La Dame du lac de Walter Scott. Quand  son livre est sur le point d’être publié en 1845, on l’envoie en Angleterre car sa liberté n’est pas acquise et il court le risque d’être repris et ramené en esclavage. Il y est reçu avec beaucoup d’égards et peut faire, grâce à ses prises de paroles, progresser la cause abolitionniste. Il reste deux ans là-bas; ses amis anglais le rachètent à son maître et lorsqu’il repart aux Etats-Unis, c’est en homme libre.

Sa naissance

L'esclavage noir 

Frederick Douglass est né dans le comté de Talbot dans le Maryland. Sa mère, Henriette Bailey, était esclave et son père blanc, vraisemblablement son propriétaire. Ce qui était assez courant, les maîtres, écrit Douglass, satisfaisant ainsi  "leurs désirs immoraux" et y trouvant "à la fois un profit et un plaisir" en augmentant ainsi le nombre de leurs esclaves.
Frederick a été séparé de sa mère dès la naissance et ne l’a rencontrée que peu de fois, la nuit, quand elle pouvait s’échapper de la plantation voisine pour venir endormir son enfant mais elle devait repartir pour prendre son travail au champ au lever du soleil sous peine d’être fouettée. Frederik n’a pu aller la voir quand elle était malade ni assister à son enterrement. 
« Il était fort commun dans la partie du Maryland d’où je me suis échappé d’enlever les enfants à leur mère à un âge très tendre. »
C’était une politique menée par les esclavagistes pour éviter que des liens trop forts puissent se tisser dans les familles noires. Il ne connaît pas sa date de naissance et pense qu’en 1835 il avait à peu près dix-sept ans.
"La grande majorité des esclaves connaissaient aussi peu leur âge que les chevaux» «  Mon ignorance sur ce point fut pour moi un sujet de chagrin dès ma plus tendre enfance. Les petits blancs savaient leur âge. Je ne pouvais imaginer pourquoi je devais être privé d’un pareil privilège."

La maltraitance, la cruauté de l’esclavage

Cette photo a dénoncé la cruauté de l'esclavage, interdite par Trump


Au cours de sa vie d’esclave Fredrick Douglass change de maîtres plusieurs fois. A la mort du capitaine Antoine, ses biens sont partagés entre sa fille Lucrèce et son fils André. Douglass est cédé à Lucrèce comme l’un des  « objets de succession », une humiliation difficile à supporter pour le jeune homme. Douglass décrit avec horreur ces scènes où les esclaves sont séparés de leur famille, les mères de leurs enfants :
« Un seul mot prononcé par un blanc suffisait pour séparer à jamais, contrairement à tous nos désirs, à nos prières, à nos supplications, les amis les plus tendres, les parents les plus chers, pour briser les liens les plus forts… »

Au cours de ce partage, les esclaves sont traités comme du bétail, « mélangés pêle-mêle avec les chevaux, les brebis, les cochons, comme si tous eussent occupé le même rang sur l’échelle des êtres », examinés de manière dégradante, sans respect pour la pudeur et l’intimité des femmes et des jeunes filles. Ces humiliations sont le quotidien des esclaves qui doivent comprendre qu’il ne faut jamais dire la vérité aux maîtres et se plaindre, jamais essayé de se justifier même si l’on est innocent, jamais regarder le maître ou une femme blanche dans les yeux. 
A ces souffrances morales s’ajoutent les sévices physiques, le fouet, le viol, le manque de nourriture. Tant que les enfants ne sont pas en âge de travailler, ils sont nus hiver comme été, les adultes ont deux tenues par an quelle que soit l’usure du vêtement. Ils dorment par terre, souffrent du froid. Certains blancs manifestent un sadisme évident, éprouvant du plaisir à fouetter un esclave, à le blesser, l’estropier ou le tuer. Il ne sera jamais poursuivi. Par exemple, chez son  maître le capitaine Antoine, le surveillant Mr Plummer « était toujours armé d’un fouet fait de peau de vache et d’un gros et lourd bâton. Je l’ai vu couper et balafrer si horriblement le visage des femmes que mon maître même se mettait en colère à cause de sa cruauté. ». Pourtant, ajoute Douglass, son maître n’était pas « un propriétaire humain » et il semblait prendre lui aussi un réel plaisir à fouetter ses esclaves. L’enfant assiste, dès son plus jeune âge, au martyre de sa tante Esther accrochée par les mains à un crochet planté dans une solive, le dos ruisselant de sang, un spectacle qu’il ne pourra jamais oublier. Le maître reproche à la jeune fille d’avoir rejoint un jeune noir qui lui faisait la cour. On comprend que c’est parce qu’il convoite la jeune femme pour lui.
"Plus elle criait haut, plus il fouettait fort, et c’était à l’endroit où le sang coulait le plus abondamment qu’il fouettait le plus longtemps ».« S’il avait été de bonnes moeurs, on l’aurait cru intéresser à protéger l’innocence de ma tante, mais ceux qui le connaissaient ne le soupçonneront pas de posséder une pareille vertu."

Dans le domaine de la cruauté ceux qui, comme le révérend Daniel Weeden et le révérend Mr Hopkins qui étalent leur foi et leurs principes moraux et  religieux,  sont les pires.  
De Mr Hopkins, il affirme : « Le trait principal qui caractérisait son gouvernement était de fouetter les esclaves avant qu’ils le méritassent. »
« Un regard, un mot, une mouvement, une méprise, un accident, un manque de force physique, toutes ces choses là peuvent en tout temps servir de prétexte pour infliger un châtiment. »

 
 Douglass va très loin dans l’accusation  puisqu’il affirme  que « la religion du sud ne sert qu’à cacher les crimes les plus horribles, qu’à justifier les atrocités les plus affreuses, qu’à sanctifier les fraudes les plus détestables. ». 

A la fin de son livre, il se sentira d’ailleurs obligé d’ajouter qu’il ne vise pas la vraie religion et les chrétiens sincères qui suivent la doctrine du Christ, mais l’hypocrisie religieuse de ceux qui se servent de la religion pour dominer, contraindre et justifier l'esclavage.


La lecture comme moyen d’émancipation

 


Quand Frederick est transféré à Baltimore, il a la chance d’avoir pour maître Mr Auld  chez qui il est bien traité et bien nourri, et surtout sa femme, Mme Auld qui considère les esclaves comme des êtres humains. Elle apprend l’alphabet au petit garçon qui commence à épeler mais son mari lui explique qu’il est interdit et dangereux d’apprendre à lire aux esclaves : 

« Plus on donne à un esclave, dit-il, plus il veut avoir.
Un nègre ne doit rien savoir, si ce n’est obéir à son maître, et faire ce qu’on lui commande.
Or si vous enseignez à lire à ce nègre (ajouta-t-il en parlant de moi) il n’y aurait plus moyen de le maîtriser. Il ne serait plus propre à être esclave. »


Dès lors l’enfant prend conscience de l’importance de l’instruction et puisque Sophia Auld refuse de continuer ses leçons, il se lie d’amitié avec des petits blancs pauvres qui lui apprennent à lire en échange de nourriture. Douglass comprend alors le mot abolition et décide qu’il ne veut pas rester esclave toute sa vie. En attendant, il acquiert de bonnes compétences au niveau de la lecture et  apprend aussi à écrire. Il lit The Columbian Orator, un ouvrage anti-esclavagiste, et commence à comprendre que l’esclave doit jouer un rôle important dans la lutte pour la liberté. Douglass est marqué par un dialogue entre un esclave et son maître. Dans ce passage, le maître présente à l'esclave des justifications de l'esclavage, que ce dernier réfute, jusqu'à ce que le maître soit convaincu du caractère immoral de cette servitude. Le dialogue s'achève par la victoire de l'esclave et, et par l'obtention de sa liberté. Douglass doit certainement ses talents d'orateur à ce livre. 


« Plus je lisais, plus je ne sentais porté à haïr ceux qui me retenaient dans les fers. Je ne pouvais les  regarder que comme une troupe de voleurs favorisés par la fortune, qui avaient quitté leur patrie pour aller en Afrique, nous avaient volés de force, entraînés loin des lieux de notre naissance et réduits en esclavage sur une terre étrangère. »

L’instruction agit pour lui comme une révélation, une fulgurance qui, malgré des moments de découragement où il cède au désespoir, ne le quittera pas. Il décide de s'enfuir vers le Nord dès qu’il le pourra.

« Je reconnus que pour rendre un esclave content, il faut l’empêcher de penser, obscurcir ses facultés morales et intellectuelles, et autant que possible anéantir en lui le pouvoir de raisonner. 
Il faut l’amener à croire que l’esclavage est une chose juste; et on ne peut le réduire à cet état de dégradation que lorsqu’il a cessé d’être un homme. »


Douglass souligne aussi que si l’esclavage est nocif pour l’esclave et sape ses qualités morales, il ne l’est pas moins pour le maître. Ainsi Sophia Auld, pleine de bonté et de gaîté, sous l’influence de l’esclavage perd ses qualités humaines : « Hélas! Ce bon coeur ne devait pas rester longtemps ce qu’il était »
Après une tentative ratée d’évasion, Frederick Douglass va s’enfuir mais il ne racontera pas comment il a pu réussir car le récit, à l'époque, aurait pu nuire à ceux qui l’avaient aidé et compromettre les chances d’autres fugitifs.

Le récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même a été publié le 1er mai 1845 et, dans les quatre mois suivant cette publication, cinq mille exemplaires ont été vendus. En 1860, près de 30.000 exemplaires ont suivi. Il a été lu par Harriet Beecher-Stowe, abolitionniste qui écrit La Case de l'oncle Tom en 1852, roman qui a bien contribué à servir la cause antiesclavagiste même si, de nos jours, on lui reproche son paternalisme.

lundi 27 octobre 2025

Jacques Prévert : La chanson des sardinières


Dans son blog Miriam raconte sa visite à Douarnenez et elle note que la ville s'est construite autour de la richesse locale, la sardine. Richesse mais pas pour tout le monde ! C'est là qu'a eu lieu la première grève féminine des Penn Sardin, surnom donné aux ouvrières qui travaillaient dans les usines de sardines. 

 Lire le billet de Miriam Ici 

 En écho au billet de Miriam, Aifelle publie dans son Bon Dimanche, la chanson des Penn Sardin,  chantée pendant la grève de 1924-25 et qui a été reprise pendant la célébration du centenaire de la grève : "Pemp real a vo !" ( "cinq réaux ce sera")

 A écouter dans le blog Aifelle Ici 

Les Sardinières ont aussi chanté une chanson anarchiste de la Belle époque  qui est restée comme La chanson de sardinières et dont le refrain est : 

 Saluez, riches heureux,
Ces pauvres en haillons
Saluez, ce sont eux
Qui gagnent vos millions.

Des ouvrières furent licenciées après l'avoir chantée à l'usine en 1924. Cette chanson interdite est une sorte "d'hymne national" douarneniste.

La chanson de sardinières Voir ici

En  1905, il y avait eu une première grève des Penn Sardin pour obtenir d'être payées à l'heure et non au cent de sardines. En 1924, l'exploitation de ces ouvrières est telle qu'éclate la grande grève des sardinières qui a eu un écho national, entraînant la solidarité des travailleurs, partout en Bretagne et dans le reste de la France. 

Quel que soit l'âge, de 12 ans à 80 ans, ces femmes travaillent dans les conserveries à raison de 10 heures par jour et de 72 heures d'affilée. La loi de 1919 sur les 8 heures de travail n'est pas respectée. Elles réclament (entre autres) vingt centimes d'augmentation. Les heures passées à l'usine dans l'attente du poisson ne sont pas payées, les  heures supplémentaires ne sont pas majorées, les heures de travail de nuit (en principe interdit pour les femmes) ne sont pas majorées. Les revendications vont porter sur tous ces points. 

Enfin Ingammic a rédigé un billet sur un livre : Un belle grève de femmes d'Anne Grignon.

 Lire son billet Ici du 15 mars 2024   

"Elles sont ouvrières dès l’enfance, pour certaines à partir de huit ans -on contourne, quand le manque d’argent se fait trop criant, la loi qui impose d’en avoir au moins douze- dans des conditions difficiles. Le travail se fait debout et à un rythme infernal, dans des structures exhaussant l’inconfort des chaleurs estivales comme des froids hivernaux, chargées d’odeurs de saumure et d’entrailles. Et leurs journées se prolongent avec l’entretien de la maison -qui comme leurs tenues, se doit d’être impeccable-, le linge à laver (sans machine) mais aussi les tâches administratives comme la tenue des comptes dont elles s’occupent généralement, car la plupart maîtrisent mieux le français que leurs époux." Ingammic

 

Douarnenez : la grève de sardinières

"La grève, soutenue par le maire Daniel Le Flanchec, animée par un comité de grève et supportée entre autres par Lucie Colliard et Charles Tillon  pour la CGTU, commence le 21 novembre 2024 dans une fabrique des boîtes. Elle s'étend le 25 à toutes les usines du port. Les 1600 femmes (sur 2 100 grévistes), sont chaque jour en première ligne des manifestations, au cri de « Pemp real a vo ! » (« Cinq réaux ce sera , c'est-à-dire 25 sous, ou 1,25 franc). Les patrons sont intraitables. Et les choses s'enveniment dans la deuxième quinzaine de décembre lorsqu'ils font appel à seize "jaunes" (briseurs de grève), recrutés dans une officine spécialisée de la  rue Bonaparte à Paris. Le préfet destitue le maire communiste, Daniel Le Flanchec. La grève déborde Douarnenez.  Elle devient un enjeu national. Le , au débit  de L'Aurore, les jaunes tirent plusieurs coups de feu sur Le Flanchec, l'atteignant à la gorge, blessant grièvement son neveu et touchant quatre autres personnes.

On apprend que deux conserveurs, Béziers et Jacq, ont remis aux jaunes la somme de 20 000 francs (l'équivalent de 25 000 heures de travail de leurs ouvrières). Ils risquent la cour d'assises. Le préfet menace de porter plainte contre le syndicat des usiniers. Le 7 janvier, ce dernier pousse à la démission ses membres les plus durs. Le 8 janvier, après 46 jours de grève, des accords sont signés : toutes les heures de présence à l'usine sont désormais payées, les femmes obtiennent un relèvement de leur salaire horaire à un franc, une majoration de 50 % des heures supplémentaires et de 50 % pour le travail de nuit.  La grève est victorieusement terminée le alors que des briseurs de grève ont tiré sur le maire Daniel Le Flanchec le ." (wikipédia)



Quant à moi, j'ai tout de suite pensé à ce poème de Jacques Prévert que j'aime depuis longtemps :  une sorte de valse triste et lancinante qui raconte un conte de fées inversé avec le refrain qui revient en début et à la fin du poème comme s'il ne pouvait y avoir de fin à la misère des ouvrières. A tel point que cette danse avec la répétition de "tournez, tournez", évoquant un manège d'enfants plein de joie et d'insouciance, dépeint, au contraire, l'éternelle continuation du malheur.

 

Jacques Prévert, Chanson des Sardinières 

 

Paul Gruyer : conserverie de sardinières

Ce poème fut écrit par Jacques Prévert en 1935 à l'occasion d'une fête bretonne à Saint-Cyr, localité de Seine-et-Oise. Il a été publié en 1949 dans un recueil intitulé Spectacles.

 

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans


Les fées qui sont venues
autour de vos berceaux
les fées étaient payées
par les gens du château
elles vous ont dit l’avenir
et il n’était pas beau


Vous vivrez malheureuses
et vous aurez beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
qui vivront malheureux
et qui auront beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants
beaucoup d’enfants...
 

Tournez tournez
petites filles
tournez autour des fabriques
bientôt vous serez dedans
tournez tournez
filles des pêcheurs
filles des paysans 

 

 Joséphine Pencalet

 

Première femme a être élue conseillère municpale
 

 

Joséphine Pencalet est l’un des visages de cette lutte victorieuse. En 1925, elle est élue conseillère municipale sur la liste présentée par le Parti communiste français. Election rapidement invalidée par le Conseil d'État, puisque les femmes n'ayant pas le droit de vote, elles ne sont pas considérées comme éligibles. Elle s'insurge contre cette annulation, mais le PC, qui avait pourtant fortement médiatisé sa candidature et son élection, ne la suit pas. Amère, s'estimant "utilisée", Joséphine Pencalet refusera de voter jusqu’à sa mort, en 1972. La petite sardinière bretonne reste cependant l'une des premières élues municipales en France." ( TV5 Ici

 

 Une autre chanson : Ecoutez le bruit de leurs sabots

 


 

Et même une BD : le choeur des sardinières

 


 
 
 Une autre BD : les Chasseurs d'écume
 
 

 
Ta loi du ciné signale une autre BD, Les chasseurs d'écume (Debois/Fino), qui raconte l'histoire de la sardine à Douarnenez et dans un des tomes la grève des Penn Sardin.

lundi 6 octobre 2025

Carys Davies : Eclaircie

 

Le roman de Carys Davies, Eclaircie, se déroule en 1843 dans une île isolée au nord de l’Ecosse. C’est l’année, nous explique l’auteure, de la Great Disruption, le schisme qui a eu lieu au sein de l’église  presbytérienne écossaise et qui vit de nombreux pasteurs la quitter pour fonder la nouvelle église libre d’Ecosse. Ils protestaient contre le droit que détenaient les grands propriétaires terriens de choisir eux-mêmes les pasteurs. Un autre fait historique d’importance qui préside à ce récit est ce que l’on a appelé en Ecosse : les Clearances. Ce sont des déplacements forcés des populations rurales vivant sur des territoires reculés qui ont commencé dès le milieu du XVIII siècle et se poursuivent jusqu’à la seconde moitié du XIX siècle. Des paysans pauvres furent ainsi chassés de chez eux, allant rejoindre sur le continent une population miséreuse, sans aucune ressource, corvéable à merci, pour laisser aux grand propriétaires, en quête de profit, la possibilité de faire à moindre frais l’élevage intensif de moutons.

C’est là qu’intervient John Ferguson, pasteur prebytérien de la nouvelle église libre à laquelle il a adhéré pour être en accord avec sa foi et sa conscience. Désormais sans paroisse et sans le sou, il est pourtant obligé d’assurer sa subsistance et celle de sa femme. C’est pourquoi il accepte un travail. Il doit se rendre dans une île au nord des Shetlands où vit Ivar, le seul habitant du lieu, pour lui signifier qu’il doit quitter son foyer. Mary a beau démontrer à John les dangers de cette mission ainsi que la responsabilité morale qui sera la sienne, John est dans le déni et se persuade qu’il agit pour le bien de cet homme puisque celui-ci pourra désormais vivre avec ses semblables. Une des difficultés et non des moindres est qu'Ivar parle une langue en voie de disparition, la langue norne, et qu’il lui sera bien difficile de se faire comprendre ! 

Mais voilà que rien ne se passe comme prévu ! John Ferguson blessé est recueilli par Ivar et le roman décrit la construction d’une amitié entre les deux hommes autour de l’apprentissage de cette langue norne, riche et passionnante, qui est en elle-même une aventure. 

«  D’autres termes étaient plus ardus tant il en existait pour désigner les moindres variations du climat et du vent, du comportement de la mer aussi, qui semblaient parfaitement distinctes aux yeux d’Ivar mais que John Ferguson peinait à définir avec certitude et qui le laissaient tout bonnement perplexe - des mots tels que gilgal et skreul et yog, fester et dreetslengi - qui semblaient tous avoir un sens précis et bien particulier, lequel dépassait son expérience personnelle et ses pouvoirs d’observation; autant de termes qu’avec un léger sentiment de défaite, il traduisait collectivement par « une mer agitée ». »

Les personnages sont très réussies : l’austérité du pasteur dont le visage peint le caractère en deux mots : «osseux et presbytérien », caractère qui se précise encore quand John entend sa belle-soeur demander à Mary  « si elle regrettait de ne pas avoir épousé un homme moins sérieux, adjectif qui dans sa bouche, il en était persuadé, signifiait strict et sans humour, ennuyeux et, plus généralement presbytérien. ». 
Pour cet homme, corseté dans ses principes, danser représente un péché, et si, par amour, il pardonne à sa femme d’avoir remplacé ses dents tombées par des fausses, suprême vanité que la communauté lui reproche, il ne le ferait jamais pour lui-même. Scrupuleux à l’extrême dès qu’il s’agit de l’indépendance spirituelle de son église, il néglige ce qui est temporel comme l’injustice sociale. Pourtant, peu à peu, au contact d’Ivar, des scrupules naissent et il se sent honteux du rôle qu’il doit jouer.  

Ivar, lui, est un taiseux. La solitude façonne un homme surtout dans un environnement dur, hostile, où il est à la merci de la maladie qui l’a laissé très affaibli. ll file la laine de ses quelques moutons et tricote ses vêtements. Il vit de peu et mène une vie simple qui ressemblerait au bonheur si ce n’était le manque de compagnie.

« Il resta planté sous la pluie douce qui tombait maintenant et, au bout d’un long moment se parla dans sa tête :
 J’ai les falaises et les récifs et les oiseaux. J’ai la colline blanche et la colline ronde et la colline pointue. J’ai l’eau claire de la source et la bonne pâture riche posée comme une couverture sur les hauteurs perchées de l’île. J’ai la vieille vache noire et l’herbe goûteuse qui pousse au milieu des rochers, j’ai mon grand fauteuil et ma maison robuste. j’ai mon rouet et ma théïère, j’ai Pegi ( son cheval) et, maintenant, miracle, j’ai John Ferguson. »
 

La beauté de la nature dans cette île est toujours présente, décrite par petites touches, même si cela n’occulte pas la difficulté de la vie lorsque commence l’hiver et que le moral est en berne au fur et à mesure que les nuits s’allongent.

Ce roman est juste au niveau des caractères, conté sobrement et les descriptions, les moments de vie, la présence constante de la mer avec les tempêtes, la pêche, les oiseaux, mais aussi la présence chaleureuse des animaux domestiques, le partage entre les deux hommes, la personnalité affirmée du personnage féminin, tout suscite beaucoup d’intérêt. 

C’est pourquoi j’ai été très déçue par le dénouement. Je comprends que Carys Davies veuille montrer l’évolution du pasteur mais la fin qu’elle imagine est contraire à la mentalité, aux croyances profondes d’un austère presbytérien et même de sa femme aussi évoluée soit-elle !  On ne peut y croire un seul instant !  L'écrivaine se trompe de siècle. Je trouve qu’elle cède à la facilité, voire à la mode (?) en écrivant une fin recevable au XXI siècle mais pas au XIXième, époque ou se déroule l’histoire ( et encore si vous vous renseignez sur les presbytériens américains à l'heure actuelle, vous verrez qu’ils n’en sont pas là  même si l'on n'en est plus à la Lettre écarlate ! )
Je ne peux en dire plus pour ne pas divulguer la fin mais je m’étonne d’être la seule à avoir noté cette incohérence psychologique et historique pour ce roman nominé à plusieurs prix littéraires.

Voir le billet d'Alexandra ICI

 

 

Chez Fanja


 

samedi 4 octobre 2025

Percival Everett : James

 

Je n’ai pas relu Huckleberry Finn avant de découvrir James de Percival Everett. C’est peut-être un tort bien que rien n’oblige finalement à connaître le premier pour apprécier celui-ci. J’ai tellement aimé le livre de Mark Twain que j’avais peur d’être déçue surtout si on le relit à l’aune du XXI siècle. C’est facile de rejeter avec horreur l’esclavage de nos jours, cela ne l’était pas pour un jeune garçon, Hucklberry Finn, juste avant la guerre de Sécession. Le livre de Mark Twain analysait justement l’évolution du personnage, les problèmes moraux que lui posait le fait de ne pas dénoncer un esclave en fuite, alors que toute la société et l’église, en particulier, lui affirmaient que c’était son devoir et qu’il y allait du salut de son âme !

Dans son roman Percival Everett imagine que Jim a appris à lire et écrire à une époque où un esclave risquait sa vie à transgresser cet interdit. Une scène montre comment on peut être fouetté au sang et mourir pour le vol d’un crayon ! 
 
« George Junior trouva mon visage dans le fourré. J’avais le crayon, il était dans ma poche. On le frappa de nouveau et je me crispai. Nous nous regardâmes fixement. Il parut sourire jusqu’à ce que le fouet s’abatte encore. Le sang lui dégoulinait le long des jambes. Il chercha mes yeux et articula le mot "pars". Ce que je fis. »

Jim a, de plus, complété sa culture en se cachant dans la bibliothèque du Juge Thatcher, ce qui lui a permis d’accéder aux grands écrivains qui reviennent souvent d’une manière surprenante dans ses rêves avec, parfois leurs propres limites ou contradictions. L’esclave en fuite est donc un intellectuel qui utilise deux langages, celui que l’on attend d’un esclave et celui du maître. Et de tous les défis lancés par Jim, ce qui étonne le plus les blancs, ce qui les touche le plus, les indigne, leur fait peur, les épouvante même, c’est lorsqu’il s'exprime comme eux. En s’appropriant leur manière de parler, il fait naître une pensée dérangeante pour eux : Serait-il un homme lui aussi ? Percival Everett met ainsi le doigt sur ce qui assoit la domination des esclavagistes et sur l’importance pour eux de maintenir la soumission par l’ignorance ! Et c’est pourquoi lorsque Jim s’affranchira totalement de l’emprise des blancs, il revendiquera son vrai nom : James.

Les aventures des deux héros ressemblent fort à celles racontées par Mark Twain : Jim s’enfuit pour ne pas être vendu et se cache sur une île. Huck, lui, fuit son père, un ivrogne violent et haineux. Il fait croire à son propre meurtre pour éviter qu’on le recherche. Evidemment, Jim sera considéré comme son meurtrier. Tous deux s’embarquent sur un radeau et sur le Mississipi qui leur réserve tout un lot de surprises et de dangers. Ils deviennent au cours de leurs aventures épiques des amis et plus encore un père et son fils. 

Mais bien sûr, au-delà des aventures, le sujet de Percival Everett reste l’esclavage dont il décrit toutes les horreurs, l’exploitation au travail, les corrections physiques, la séparation des membres d'une même famille, les condamnations arbitraires, les lynchages, les viols, les humiliations, et plus que tout le fait de ne pas être considéré comme un être humain à part entière. Il montre que la colère est l’un des principaux sentiments qui guide Jim et l’anime, le submerge. Il choisit de se défendre et ne recule pas devant la violence. Quand il s’introduit chez le juge Thatcher et le menace pour savoir où sont sa femme et sa fille,  vendues pendant son absence, celui-ci lui dit : 

« -Toi, tu vas avoir de sérieux ennuis; tu ne t’imagines pas à quel point.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que je n’imagine pas le genre d’ennuis qui m’attendent ? Après m’avoir torturé, éviscéré, émasculé, laissé me consumer lentement jusqu’à ce que mort s’en suive, vous allez me faire subir autre chose encore ? Dites-moi juge Thatcher, qu’y a-t-il que je ne puisse imaginer ? »

On peut se demander si le parti pris de Percival Everett de prendre pour personnage un  homme instruit est crédible. L’écrivain répond à cette question en montrant James en train de lire un livre volé au Juge Thatcher : c’est  le récit de William Brown paru en 1847, esclave dans le Missouri, qui s’enfuit et gagna le Canada; mais il n’est pas le seul.  Je vous renvoie  à l’article Ici 

 


 

 
Dès la fin du XVIII siècle l’autobiographie d’Olaudah Equiano, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African  est publiée en Angleterre en 1789. 
 

 


Le contemporain de William Brown, Frederick Douglass écrit lui aussi une autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, Written by Himself). Je l’ai trouvée en français et j’ai l’intention de la lire.


 
 

samedi 13 septembre 2025

Odon Von Horvath : Un fils de notre temps


 

  

 Odön Von Horvath

Nationalité : Hongrie 
Né(e) à : Fiume, Autriche-Hongrie , le 09/12/1901
Mort(e) à : Paris , le 01/07/1938
Biographie : 

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. 

Détenteur d'un passeport hongrois, Odön von Horvath se défend toute sa vie d'une appartenance à une nation :"Le concept de partie falsifié par la nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple."

En 1933 il ajoute :  « Notre pays, c’est l’esprit. » 

Fils d'un diplomate austro-hongrois, il grandit dans différentes villes : de Belgrad à Budapest en passant par Vienne, Presbourg et enfin Munich, où il décide de poursuivre des études de germanistique.

Il quitte la ville, sans diplôme, pour s'installer à Murnau et se consacrer entièrement à l'écriture. Près d'un an plus tard, il part pour Berlin où une maison d'édition lui offre un contrat qui lui permet de vivre de sa plume. En 1931, il obtient le prix Kleist pour sa pièce 'Légendes de la forêt viennoise'. Il rejoint Vienne qu'il quittera à son tour pour échapper aux représailles du national-socialisme

Horváth a su en particulier renouveler la tradition du théâtre populaire pour en développer une veine critique, qui n’a rien perdu de son actualité. Von Horváth se réfugie à Paris le 26 mai 1938 avec son amie Wera Liessem pour rencontrer Robert Siodmak et discuter de l'adaptation cinéma de « Jeunesse sans Dieu.» 

Le 1er juin, alors qu'il se promène sur les Champs-Élysées, une tempête déracine un marronnier et une des branches le tue devant le théâtre Marigny

Auteur de dix-sept pièces de théâtre et de trois romans, Odön von Horvath dénonce le fascisme dans ses dernières œuvres. (Wikipédia)

Un fils de notre temps

Comment peut-on adhérer à l’idéal nazi ? Comment un jeune homme né libre peut-il accepter de perdre sa liberté, d’adhérer à une discipline qui ressemble plutôt à un lavage de cerveau? Comment peut-il être amené à tuer ceux qui, hier, lui ressemblaient, comme lui, pauvres, chômeurs, sans avenir, désespérés ?

C’est avec une grande lucidité que, devant la montée du nazisme, Odon Von Horvath écrit  Un fils de notre temps, un livre qui "urge" qui urge"
Van Horvath y décrit la société allemande dont l'économie va très mal après la défaite et le traité de Versailles de 1918, et où le sentiment de la revanche à prendre sur l’humiliation ressentie ne cesse de grandir.

Le chômage touche une grande partie de la population, avec tous ses maux, la faim, la pénurie de logement, le manque de vêtements, le froid, la misère et par dessus tout la perte de l’estime de soi. A force de pointer à la soupe populaire, de vivre d’aumônes, de voler pour manger, le personnage qui parle à la première personne dans ce roman, ne veut plus. Il refuse de continuer ainsi :

«  Je suis un homme honnête, pourtant, et ce n’est que le désespoir de ma situation qui m’a fait bailler ainsi, comme un roseau sous le vent, six sombres années durant. Le chemin penchait toujours plus et mon coeur était toujours plus triste. Oui, j’étais devenu amer. »

Le voilà donc soldat et heureux : il n’a plus faim,  il a un uniforme neuf,  un capitaine qui lui tient lieu de père (le sien, il ne l’apprécie guère !) et surtout il  est est fier de lui-même, de sa vie où tout est réglée, où l’ordre règne, de ses capacités de tireur. Il est prêt  à remplir le rôle qu’on lui demande de tenir car « la patrie ne va bien que si elle se fait craindre c’est à dire quand elle possède une arme affûtée. Et cette arme, c’est nous.  ». 
« Mais un soldat n’est pas un assassin »
leur lance leur capitaine horrifié par les crimes commis par cette armée transformée à machine à tuer et qui ne respecte pas la  déontologie. Quand on est soldat, il faut bien apprendre à tuer ! Quand on est soldat, il faut perdre son bras… pour rien et être exclu comme un chien. Bien vite, le désenchantement s’installe. Et le soldat exhorte un enfant qui le regarde mourir : 

« Et quand tu sera grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin - alors, ne m’insulte pas aussi.
Comprends donc : il ne savait pas que faire d’autre, il était un fils de son temps. »


Ce court roman écrit dans un style dépouillé, tranchant, résonne comme un cri en 1940 face à la montée des violences et de l'idéologie nazie mais il est toujours aussi actuel et nous éclaire aussi sur nous-mêmes et sur notre époque, celle de toutes les intolérances, des génocides et des guerres d’expansion qui ravagent le monde.
 

dimanche 11 mai 2025

Bulgarie : Le poète et révolutionnaire Hristo Botev et les héros bulgares : Hajdi Dimitar et Vassil Levski

 

Vassil Levski et Hristo Botev en exil  de Vassil Goranov

 Parmi les héros nationaux que je rencontre depuis que je lis pour ma visite en Bulgarie, il y a des noms qui reviennent toujours, célébrés comme des héros qui ont fait l’histoire et ont oeuvré pour la liberté de la Bulgarie sous la domination de l'empire ottoman. J’ai cherché à mieux les connaître. Or, les articles sur le net sont nombreux.


 Le poète et révolutionnaire Hristo Botev ( 1848-1876)

 

Hristo Botev

Chaque 2 Juin, la mémoire de Hristo Botev est célébré dans le pays  ainsi que de tous ceux qui sont morts pour la Liberté. Les sirènes retentissent  pendant trois minutes et l’on observe le silence quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Cette année ce sera l'anniversaire de la 149 ième année de sa mort.

Hristo Botev est né à Kalofer en 1848 et est mort à Okolchitsa (près de Vratsa, dans les montagnes du nord-ouest de la Bulgarie) en combattant contre les Turcs à la tête d'une troupe de volontaires bulgares venus de Roumanie qui était alors un grand centre d’émigrés bulgares chassés hors de leur pays par les Turcs. Botev s’y était réfugié en 1867.  

Le 16 Mai 1876, après l’échec de l'insurrection mal préparée qui eut lieu en Avril 1876 et qui fut impitoyablement écrasée par les Ottomans (lire le très beau Sous le joug de Ivan Vazov), le voïvode Hristo Botev s’illustre par un coup d’éclat. A la tête d’une petite troupe, il embarque avec les siens sur le bateau Radetsky. Ils feignent d'être des ouvriers et cachent leurs uniformes et leurs armes dans de grandes caisses censées contenir leurs outils de travail. Le 17 mai,  Botev dévoile son identité au capitaine et se fait débarquer sur les côtes bulgares du Danube à Kozlodouï. Il pense que lui et sa troupe vont être rejoints pas des centaines de paysans révolutionnaires mais il n’en est rien. Aucun renfort ne vient les épauler au cours de leur marche à travers les villages bulgares. Réfugiés sur le Mont Okolchitsa, ils combattent les Turcs, un combat démesuré quant aux effectifs. Le 20 mai du calendrier Julien, c’est à dire le 2 Juin du calendrier grégorien, Botev est tué par une balle.

 Ivan Vazov recevant la nouvelle de la traversée du Danube sur le Radetsky effectuée par Botev écrit le poème qui a pour titre « Radetzki » à un moment où l'espoir est encore possible. Ce poème mis en musique est connu de tous les Bulgares comme « Le doux Danube blanc s’agite… ». 

 




"RADETZKI" de Ivan Vazov  (extraits)

Le doux Danube blanc s'agite,
      

bruit gaiement et fort


et "Radetzki" fier va vite
      

sur les ondes d'or.

 

Mais sitôt que l’on entendit :
      

"Kozlodoui lа-bas !",
 

l 'écho de corne retentit,
     

 un drapeau flotta.
 

Des jeunes bulgares vaillants
    

 y paraissent ardents 

-
au front - signes de lion brillants,
  

   les yeux éclatants.
 

Le bateau approche vite
      

la rive espérée,


le Danube blanc s'agite -
     

 les flots jouent, très gais.
 

Il y avait beaucoup de temps
     

 qu'il n'avait porté


de tels braves hommes luttant
      

pour la liberté.
 

 (…)

Mes frères! - Botev déclara
     

 D’une voix de tonnerre 

-
le peuple nous accueillera
      

d'une joie fière!
 

Bientôt d'un tir nous saluerons
      

notre grand Balkan

 -
une bataille de sang ferons
      

contre les tyrans!
 

Nous ne sommes point une armée,
    

  experts militaires,


mais nos âmes sont enflammées
      

pour mener la guerre.
 

Bientôt le Turc éprouvera
      

notre force noire,


et le lion brave guidera
    

  nos plus grands espoirs.
 

Et partout retentit un cri
      

vers le grand Balkan:


"Que vive notre Bulgarie,
      

à mort les tyrans!"

 

Hadji Dimitar

 

Hajdi Dimitar

 

Je n’ai  pu lire que des extraits de la poésie de Botev qui célèbre les exploits et la mort des héros nationaux. Les poésies les plus populaires de Botev sont celles dédiées à  Hadji Dimitǎr et Vassil Levski (La Pendaison de Vassil Levski). 

" L'aigle, le faucon, les bêtes sauvages s'approchent fraternellement de Hadji Dimitǎr gisant dans son sang, et des sylphides de blanc vêtues viennent panser la plaie et baiser les lèvres du jeune voïvode, qui entre dans l'immortalité. Car, écrit Botev, « celui qui meurt en combattant pour la liberté, celui-là ne meurt pas »".

Dimitar Nikolov Asenov est né le   à Sliven dans une famille marchande. Âgé de 2 ans sa famille l’emmène en pèlerinage à Jérusalem. C’est pour cette raison qu’on le surnomme hajdi (titre aussi octroyé aux chrétiens orthodoxes de l'Est ayant fait le pèlerinage à Jérusalem). Il meurt  le ,  mortellement blessé pendant les combats.  Plus connu sous le nom de Hadji Dimitar il est l'un des plus importants voïvodes bulgares, ainsi qu'un révolutionnaire combattant la domination turque.

 

-bas dans le Balkan, il est toujours vivant.
 

Mais il gît et gémit,

 il est couvert de sang ;


Sa poitrine est percée d'une affreuse blessure.


Frappé dans sa jeunesse, il vit, notre héros.



Vassil Levski : l'apôtre de la liberté

 

 

Vassil Levski est considéré comme "l'apôtre de la libération bulgare", le plus grand de tous les héros bulgares.

Vassil Ivanov Kountchev, plus connu sous le nom de Vassil Levski,  (Levski : semblable au Lion) est né le 18 juillet 1837 à Karlovo et meurt le 18 février 1873 à Sofia. Il fut un révolutionnaire et idéologue de la révolution nationale bulgare dans la lutte nationale contre l'occupant ottoman. C'est un ami de Hristo Botev avec lequel il a partagé une vie d'exil et de misère en Roumanie en 1868.

 Il organise la révolution et incite toutes les couches de la Il fut arrêté en 1872 par les autorités ottomanes et condamné à la peine de mort par pendaison. Cinq ans après sa pendaison et après l'Insurrection d'la  guerre russo-turque de 1877-1878 permit la libération de la Bulgarie du joug ottoman. Le traité de San Stefano le mit en place un État bulgare autonome.

La pendaison de Vassil Levski de Hristo Botev

 

Vassil Levski de  Detchko Uzunov (peintre bulgare)

Oh, ma mère, chère patrie,     
 pourquoi pleures-tu si pitoyablement, si doucement ?      
Corbeau, et toi, oiseau maudit,      
sur la tombe de qui croasses-tu si laidement ?  



 Oh, je sais, je sais, tu pleures, mère,
parce que tu es une esclave noire,      
parce que ta voix sacrée, mère,      
est une voix sans aide, une voix dans le désert.  


 

 Pleurer ! Là, près de la ville de Sofia,
j'ai vu une potence noire,      
et l'un de vos fils, Bulgarie,      
y est pendu avec une force terrible.  



Le corbeau croasse de façon hideuse et menaçante,

les chiens et les loups hurlent dans les champs,      
les vieillards prient Dieu avec ferveur,     
les femmes pleurent, les enfants hurlent.  


     

L'hiver chante sa chanson maléfique,      

les tourbillons chassent les épines à travers le champ,      
et le froid, le gel et les pleurs sans espoir      
apportent du chagrin à votre cœur. 






mardi 6 mai 2025

Anton Dontchev : Les cent frères de Manol

 

 

Les cents frères de Manol est un roman dans lequel Anton Dontchev décrit l’islamisation forcée des populations chrétiennes en Bulgarie, dans les montagnes des Rhodopes, à la fin du XVII siècle. 

Ce roman est aussi un hommage à la Nature, une ode à ces montagnes à la fois sauvages et protectrices pour ceux qui la connaissent et lui appartiennent, au plus près de la grotte d’Orphée où l’on jette les chiens errants qui hurlent à la mort de manière lancinante. Le printemps et surtout l’automne, somptueux, avec ses couleurs rougeoyantes que les femmes imitent pour tisser leurs tapis et teindre leurs vêtements, sont d’une beauté toujours renouvelée.

« La vallée d’Elindenya faisait penser à ces parures de verre coloré enrobé de cristal. L’air était si pur que j’avais l’impression de toucher la montagne en tendant la main. Là où il n’y avait que deux couleurs, on en voyait à présent flamboyer des dizaines… Sur la masse d’acier bleu noir des forêts de sapin apparaissaient çà et là les taches de rouille des hêtres aux feuilles rougissantes, mais seulement au bas des versants. Sur les hauteurs, la muraille sombre se dressait vers le ciel, réfractaire à l’automne et au pourrissement. Le soleil ne se levant plus assez haut pour éclairer les versants abrupts au nord, les forêts couvrant ceux-ci ne se départaient plus de la robe violette et noire de l’ombre. »

 Nous sommes à l’époque du siège de Candie (La Crète, ville Héraclion) commencé en 1648  qui oppose les Turcs aux Vénitiens et aux français venus leur prêter main forte. Le grand Vizir Ahmed Pasha Kropulu prend la ville de Candie en 1669 à la grande satisfaction du sultan Mehmed IV, portant l’empire ottoman à son apogée. Pour briser toute résistance extérieure, les chrétiens des montagnes des Rhodopes en Bulgarie, alors sous le joug turc, sont islamisés de force.

Dans Les cents frères de Manol, Anton Dontchev offre un récit à deux voix qui propose deux points de vue opposés. D’une part, celle du pope Aligorko qui raconte ce qui se passe dans la population bulgare. D’autre part, la vision de celui que l’on appelle le Vénitien qui accompagne l’armée turque venue convertir les bulgares. Le Vénitien est en fait un noble français islamisé, fait prisonnier par les Turcs au siège de Candie. Il a dû choisir lui aussi entre la mort et la conversion si bien que même s'il est du côté des Turcs, les sentiments que lui inspirent les chrétiens martyrisés transparaissent car rien, dit-il, n’a pu éradiquer la foi ancienne.
Le roman commence avec l’enfance de Manol, comme une légende issue pourtant d’une triste réalité   : de jeunes bulgares sont amenés par les Turcs loin de leur pays, les garçons pour devenir des janissaires, les filles pour servir dans les harems. Parmi elles, une jeune épousée avec son bébé qu’elle ne peut plus nourrir. Elle le dépose sur une branche d’arbres pour qu’une biche le nourrisse. C’est Karamanol, le Haïdouk*, traqué par les Turcs, qui le trouve et l’emporte  à travers les forêts : « Toujours est-il que Karamanol descendit en cent villages et cent mères nourrirent son petit protégé ». Karamanol, avant de mourir, confie l’enfant au père Galouschko qui « l’appela  Manol du nom de son père nourricier, et lorsque l’enfant eut grandi on commença à l’appeler Manol aux cent frères ». Une légende qui prend une dimension épique et dont les héros, nobles et courageux, Manol en tête, sont des bergers qui tiennent tête à l’oppression turque, choisissant le supplice et la mort plutôt que de trahir leur foi, certains se cachant dans les montagnes et échappant  à leurs  poursuivants. L’emprisonnement des chrétiens dans le Kanak*, leur résistance héroïque, les supplices qui leur sont réservés, donnent au roman un caractère dramatique grandiose mais les peurs et les défaillances des autres, la faim qui vrille les ventres, le froid qui transperce, la mort qui rôde autour d’eux, soulignent leur fragilité et nous touchent d’autant plus. 

 
Les cent frères de Manol compte un grand nombre de personnages que ce soit du côté bulgare, Manol et ses fils, le jeune Mirtcho  et Momtchil qui finira par incarner aux yeux des Turcs et à lui seul la résistance, la farouche et altière Elitza, Sveda séductrice et fourbe, le père Galouschko dont le fils est devenu janissaire … que ce soit du côté turc. Ainsi le Bey Karaïbrahim, complexe et tourmenté, à la tête d’une armée de cent cavaliers est, lui aussi, face à Manol, un homme hors du commun, et de même l’aga Suleyman, maître du Konak* de la vallée,  pragmatique et retors, qui comprend que, pris entre deux feux, les bergers et l’armée de Karaïbrahim, son temps est fini.  Ce sont des personnages pleins de vie, parfois de fureur, de cruauté, de doute,  de souffrance, mais aussi de joies, d’amour, des êtres humains que nous sentons proches de nous malgré leur dimension héroïque. Mais ce sont aussi des symboles. A travers eux, à travers les « cent frères », Anton Dontchev décrit tout un peuple attaché à sa culture, à ses racines, à ce qui fait son identité, tout un peuple résistant pour rester lui-même et conquérir la liberté mais qui n’est pas encore parvenu à mâturité pour y accéder.

« Karaïbrahim disait qu’être seul, c’est être fort. Selon moi, il aurait dû dire : c’est devenir une bête féroce. L’homme ne vit pas seul. Il lui faut choisir : vivre seul ou vivre avec son prochain. Karaïbrahim voulait être seul et rompre tous les liens avec les autres. Alors que les bergers faisaient tout pour rester ensemble. » La solidarité comme preuve d'humanité.

Un très beau livre, magnifiquement écrit !


*Haïdou : un hors-la-loi, ici, dans ce contexte, vu du côté bulgare, un rebelle, révolté contre les Turcs
 

*Konak : palais, résidence des riches turcs

 


 

vendredi 14 mars 2025

Challenge Bulgarie


 


 


Claudialucia

 Challenge Bulgarie : Littérature Histoire Art qui se joint à moi ?

 Les peintres bulgares : Vladimir Dimitrov Le Maître et Radi Nedelchev 

Les Héros nationaux bulgares : Hristov Botev, Vassil Levski, Hadji Dimitar

Elena Alexieva : Le prix Nobel  

Anton Dontchev : Les cent frères de Manol

 Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer

Kapka Kassabova : Elixir 

Victor Paskov : Ballade pour Georg Hanig

Yordan Raditchkov  : Le poirier/ Les noms

Yordan Raditchkov : les récits de Tcherkaski

Ivan Vazov : sous le joug

Jules Verne : Le pilote du Danube

Yordan Yolkov Un compagnon mon billet 

Yordan Yolkov Soirée étoilée mon billet


Fanja

Le pays du passé de Gueorgui Gospodinov 

 

Je lis je blogue
 

Elitza Guieorgieva : Les cosmonautes ne font que passer 

Viktor Paskov Ballade pour Georg Henig 


Miriam :

Theodora Dimova : Les dévastés

Kapka Kassabova Elixir ou la vallée de la fin des temps

Kapka Kassabova : L'esprit du lac 

Kapka Kassabova : Lisière 

Kapka Kassabova : Anima 

Marie Kassimova-Moisset :  Rhapsodie balkanique 

Angel Wagenstein :  Adieu Shangaï

Angel Wagenstein : Le pentateuque ou les cinq livres d'Israel

Jules Verne : Kereban le têtu 

Jules Verne : Le pilote du Danube 



Rappel du challenge :

Je pars en voyage en Bulgarie au mois de mai et je commence à lire des livres d'auteurs bulgares fort intéressants.  Qui veut me rejoindre pour découvrir la littérature bulgare ? 

Il s'agit d'une littérature peu connue. Personnellement, je n'avais rien lu jusqu'à maintenant. J'ai commencé avec quelques titres, c'est pourquoi je publierai dès le mois de Mars. Mais la date du début du challenge sera au Mois d'Avril pour vous permettre de trouver des titres. j'ai pioché, en particulier dans les nombreuses lectures de Miriam.

Donc, à partir du mois de Mars ou Avril jusqu'à la fin septembre, je propose que l'on découvre la littérature bulgare mais aussi l'histoire du pays et les arts, peintures, icônes, fresques, architecture...

 Laissez vos liens ici.