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samedi 7 décembre 2019

Arto Paasilinna : La douce empoisonneuse et Le cantique de l'apocalypse joyeuse

La douce empoisonneuse

Et c’est vrai qu’elle est douce cette empoisonneuse et, d’ailleurs, elle ne le fait même pas exprès d’empoisonner et à la limite… peut-être n’a-t-elle pas le choix, à la différence d’Hamlet, entre empoisonner ou ne pas empoisonner !
Je voudrais vous y voir ! Si comme Linnea, veuve du colonel Rabvaska, amoureuse de son jardin et de son chat, vous aviez chaque mois la visite de votre voyou de neveu flanqué de ses sinistres amis et que ceux-ci en profitaient pour racketter votre modeste retraite, vider votre garde à manger, vous insulter, sinistrer votre maison, abimer votre jardin, s’attaquer violemment à votre chat … Que feriez-vous ? Porter plainte ? Oui, c’est ce qu’elle finit pas faire après des années de patience. Mais la police a bien autre chose à faire (ou à ne pas faire) et désormais vous êtes poursuivie par la bande qui veut vous tuer !
Tel est le thème du livre au cours duquel Arto Paasilinna se plaît, comme d’habitude, à distribuer des coups de griffe à la police, l’armée, la société, qui assiste, indifférente, au martyre de la vieille dame et, bien sûr, à tous ceux qui, en âge de travailler, préfèrent vivre au dépens d’autrui. Avec son humour noir habituel, il met en scène sa douce héroïne (qui sème les cadavres sur son passage) avec une candeur et une probité qui attirent la sympathie ! Et oui, le livre est amusant, on rit avec l’empoisonneuse et l’on se révolte contre les voyous qui attaquent ainsi une pauvre vieille dame sans défense ! (sans défense… ?)  Un livre réussi !


Le cantique de l’apocalypse joyeuse

Le roman Le cantique de l'apocalypse joyeuse commence bien et Arto Paasilinna, en bon anar, se fait un plaisir de nous raconter la fin du « grand brûleur d’églises » Asser Toropâinen, vieux coco entrant dans sa quatre-vingt dixième année.  Sur son lit de mort, ce dernier demande à son petit-fils de devenir président d’une fondation qui aura pour but de construire une grande église en bois sur les terrains qu’il lui a légués. Conversion tardive ?  Peur de l'enfer ?  Désir d'expiation ? Non ! Le grand père a juste un sens particulier de l'humour !
Le roman qui commence à notre époque deviendra ensuite une oeuvre de science-fiction décrivant la troisième guerre mondiale et la fin de notre civilisation. Plus de gouvernement, le chaos s’installe, des hordes de miséreux errent de pays en pays. Seule la communauté fondée autour de l’église en bois va réussir à survivre grâce à une gestion économique saine basée sur le travail dans la nature et sur le partage et la solidarité.
 J’ai moins aimé ce livre. S’il y a de bons moments assez savoureux, j’ai trouvé qu’il tournait un peu trop à l’utopie, à la démonstration écologique, c’est à dire au sérieux. On comprend assez vite ou l’auteur veut en venir et les longueurs finissent par lasser..

vendredi 1 décembre 2017

Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie



Dans les forêts de Sibérie -qui a obtenu le prix Fémina 2011 - est le journal tenu par Sylvain Tesson pendant six mois passés dans une cabane au bord du lac Baïkal. De Février au mois de juillet, six mois dont quatre sous la neige, près du lac gelé, au milieu des tempêtes, à 35 kilomètres de son premier voisin et 130 km du second.
On se dit au départ que ces mois vont être passés dans la solitude la plus totale et vont correspondre à une recherche spirituelle, à une quête de la paix et de la beauté. C’est du moins ce qu’il annonce dès le début  :

"Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j’ai vécu une existence  resserrée autour de gestes simples. j’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et but de la vodka."

J’avoue que j’ai eu une crainte en lisant ce préambule, c’est que le livre soit une leçon de morale sur l’iniquité de la civilisation urbaine, l’imbécillité de notre vie non-contemplative, et tout cela assaisonné de compassion pour nous, pauvres mortels, entassés dans nos HLM.
Les tirades sur l’horreur de la vie moderne, elles y sont d’ailleurs, la contemplation de la nature, les gestes simples aussi. Quant à la vodka, ne vous imaginez pas l’auteur sirotant en épicurien un petit verre au coin du feu. Non, la solitude est noyée dans l’alcool, des litres de vodka et bière ingurgités seul ou avec des amis russes de passage, des beuveries renouvelées qui le laissent ivre mort.
D’où ma surprise ! Non que je pose en moraliste, mais parce que sa « vie sobre et belle » me paraît plutôt en contradiction avec cette rage auto-destructrice. Ceci dit, il est tout à fait libre de se suicider de cette manière. Il revendique ce droit, d’ailleurs, puisqu’il ne veut pas « mourir en bonne santé ».
Peu à peu, le portrait de Sylvain Tesson qui se dessine en creux est celui d’un homme plein de contradictions. Ces mois vécus en solitaire avec la nature, le laisse seul avec ses « fantômes». C’est un homme tourmenté qui dans son « cercueil de bois »,  c’est à dire sa cabane, compte sur la vodka et ses cigarillos pour « combattre ses démons » ; un homme qui refuse la civilisation, qui ne veut vivre que de ce qu’il pêche et ne se chauffer que du bois qu'il coupe, mais qui utilise les pires productions de cette civilisation, l’alcool et le tabac.. 
Enfin, en proie au doute, il parvient à une conclusion qui est contraire à tout ce qu’il avait affirmé au début  :  

 « Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. La nostalgie, la mélancolie, la rêverie, donnent aux âmes romantiques l’illusion d’une échappée vertueuse. Elles passent pour d’esthétiques moyens de résistance à la laideur mais ne sont que le cache-sexe de la lâcheté. Que suis-je ? Un pleutre, affolé par le monde, reclus dans une cabane, au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d’assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève. »

C’est à partir de ce moment, quand il perd ses certitudes, que je me suis vraiment intéressé à lui. L’auteur a parfois montré le sourd travail de la solitude, du face à face avec lui-même, de l’inhumanité de la nature si belle mais qui n’est pas à échelle humaine. Ainsi, il décrit la cabane secouée par le vent d’une terrible violence, les craquements sinistres du lac dont les glaces s’entrechoquent. Il raconte qu’une main surgit du lac et lui attrape la cheville. Parfois il note au passage l’ennui, la longueur du temps, le manque d’amour. Mais hélas, c’est toujours d’une manière trop allusive puisqu’il veut prouver le contraire,  que la nature est apaisante.
Elle l’est aussi, bien sûr. Il décrit le bonheur d’être là dans cette cabane bien chauffée, les lectures qu’il partage avec nous, les longues heures de patinage sur la glace et les courses en montagne. Et puis, il y a ses mésanges familières qui arrivent dès qu’elles entendent le son de sa flûte; ses petits chiens qui lui font la fête, des moments de bonheur qui provoquent chez lui une réflexion sur le rôle que jouent les animaux et leur amour sans calcul, comme remède à la solitude. La beauté du lac gelé et ses couleurs changeantes, son immensité. Enfin l’arrivé du printemps qui donne lieu à des pages pittoresques.
Il dresse aussi les portraits des gens qui le visitent et qui ressemblent parfois à des personnages de Dostoievsky. C’est surtout chez les autres d’ailleurs qu’il parvient à cerner combien la Sibérie modèle le caractère des gens et les transforme.  On a un peu l’impression qu’il refuse de s’analyser et qu’il est bien plus libre et perspicace quand il s’agit des autres. Puis, après un « cataclysme » personnel et sentimental qui vient bouleverser sa vie, on assiste à une rupture des digues qu’il maintenait autour de lui pour ne pas se livrer.  Il accepte de reconnaître que sa thèse de départ sur la civilisation n'est pas entièrement juste, ce qui n'enlève rien d'ailleurs à son amour de la nature et son respect des êtres qui y vivent.

« Ce n’est pas l’entassement dans le parc urbain qui rend méchant, ni le stress provoqué par la pression marchande qui transforme l’homme en rat hargneux, ni la rivalité mimétique de la promiscuité qui commande « aux frères de se haïr «  (Coupar dans Tiqqun). Au Baïkal, séparés par des dizaines de kilomètres de côtes, vivant dans la splendeur des bois, les hommes se déchirent comme des voisins de palier d’une vulgaire métropole. Changez le cadre, la nature des « frères » restera la même. L’harmonie des lieux n’y fera rien. L’homme ne se refait pas. »


Il y a donc bien des pensées intéressantes dans ce journal de Sylvain Tesson, et aussi des passages très bien écrits ou le style nous remue mais… ils alternent parfois avec quelques pages banales et sans grand intérêt. Et c’est dommage car l’on sent que ce journal aurait pu être plus riche.

Voir le film-vidéo de Sylvain Tesson ici :

Les avis sont très différents selon les participantes. Je vous invite à aller voir les organisatrices du blogoclub :  Amandine et Florence et toutes les autres lectrices.
 

Lecture commune  du Blogoclub



et Sylire ; Titine ; Gambadou;  Itzamna

Hélène Ici  nous a accompagnées  avec un autre livre de voyage : L'usage du monde de Nicolas Bouvier

mercredi 29 novembre 2017

Sylvain Tesson : L'homme libre possède le temps

Lac Baïkal (source)
Vendredi 1er décembre la lecture commune du blogoclub porte sur le livre de Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie. L'auteur a passé six mois dans une cabane au bord du lac Baïkal. Voici un extrait du texte en avant-goût.


L'homme libre possède le temps. L'homme qui maîtrise l'espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elle coule de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait même plus qu'il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.


lundi 16 octobre 2017

Victor Hugo : La forêt mouillée



La forêt mouillée  de Victro Hugo appartient au recueil de Théâtre en liberté. C’est une comédie en un acte écrit en 1854 pendant l'exil de Hugo à Guernesey et qu'il n'a pas jugé assez bonne à publier ! J'avoue  que je suis assez d'accord avec lui ; j’ai du mal à en voir l’intérêt si bien que je n’ai pas grand chose à en dire !
 Hugo montre ici un homme ridicule que la nature accable de sarcasmes. Le personnage Denarius (qui signifie denier et rime avec niais) «sous des apparences de contemplateur, est à l’évidence un grotesque qui se méprend entièrement sur la réalité de la vie naturelle.»  Son lyrisme est entaché de pédantisme et la nature n’a de cesse de se moquer de lui.

et cela donne ceci  :

Denarius :
Yeux purs qui vous ouvrez dans l’ombre au bleu  matin,
Douces fleurs, je ne veux aimer que vous.

Choeur des fleurs
Crétin !

Une pierre
Fossile !

L’âne
Âne !

Une grenouille
Crapaud !

Les fleurs
Porte ailleurs tes semelles !

Je sais bien que Hugo voulait écrire une comédie à la Shakespeare et que ces papillons et fleurettes qui parlent peuvent rappeler Le songe d'une nuit d'été mais on est loin de la poésie du Songe et la réflexion ne va pas aussi loin.
Le thème traité est léger, presque inexistant : Denarius n’a jamais été amoureux et a horreur des femmes qu’il accable de sarcasmes. Apparaît dans la forêt Balminette accompagnée de madame Antioche qui discutent de leur protecteur respectif. Balminette a trouvé « un vieux », riche, qui lui promet une vie somptueuse. Elle est décidé à abandonner son amant en titre Monsieur Oscar qui est pauvre.
Denarius s’amourache d’elle au premier regard. Ainsi, lui qui méprisait les femmes tombe amoureux à première vue d’une grisette vénale et sans coeur. Il s'agit donc d'une satire de ce genre d'homme qui feint d'aimer la Nature mais ne la comprend pas et qui affirme ne pas s'intéresser aux femmes mais ne les connaît pas ! Evidemment, il s'agit d'une réminiscence transposée du Songe de la nuit d'été, pièce dans laquelle la reine des Fées, Titania, tombe amoureuse d'un homme à tête d'âne.

Peut-être la pièce aurait-elle dû avoir une suite ? Telle qu’elle est, elle s’arrête là. Et il me semble que c’est bien mince pour y trouver un grand intérêt !

La pièce n’a été mise en scène pour la première fois qu’en 1930 et l’on comprend pourquoi !

 Lecture commune avec : Margotte, Nathalie






lundi 2 octobre 2017

Hans Christian Andersen : Les contes

Symbole de Copenhague : La petite sirène (source)

Pour cette Lecture commune du challenge Littérature nordique de Margotte, Hans Christian Andersen est à l’honneur avec ces contes qui, disait-il, ne s’adressent pas qu’aux enfants.
C’est dans la sélection réalisée par Garnier Flammarion que je vous présente ces textes choisis parmi les plus célèbres. Il y en a douze dans cette édition mais l’auteur en a écrit 136 en tout si bien que j’en connais fort peu finalement. Une vingtaine peut-être ? De même les romans d’Andersen sont peu lus en France bien que traduits dans notre langue et j’espère que le beau Challenge nordique de Margotte va nous permettre de combler ces lacunes.

Le petite Poucette

Quant à moi, j’avais déjà une prédilection pour les contes d’Andersen quand j’étais enfant, de La petite sirène, cette histoire d’amour triste et idéalisée, au Vilain petit canard, récit autobiographique de l’auteur, dont je trouvais la fin si consolante lorsqu’il devenait un beau cygne. Et puis, il y avait la quête onirique et poétique de la courageuse petite Gerda pour arracher Kay au baiser mortel de la Reine des neiges… Voilà pour les trois contes que je préférais. Mais j’aimais aussi beaucoup La petite fille aux allumettes dont j’ai appris, plus tard, qu’elle était un hommage d’Andersen à sa grand-mère, petite fille pauvre qui souffrait de la faim dans les rues de la grande ville, et La petite Poucette dont les épreuves finissent lorsqu’elle devient la reine des fleurs.
Enfin, je viens de lire pour la première fois pour ce challenge La Vierge des glaciers qui entre désormais dans mes coups de coeur. Ce sont les oeuvres dont je vais parler ici.

 Je laisserai de côté les autres textes car si La princesse au petit pois m’amusait, j’appréciais moins Le Briquet, La Malle volante, tirés des Mille et une nuits et les Habits de l’Empereur qui sont d’une autre veine..

La poésie du Grand Nord 

 

La reine des neiges illustration  Elena Ringo

C’est assez facile pour moi de répondre à la question :  pourquoi j’aimais tant ces contes quand j’étais enfant ? Oui, pourquoi ? J'éprouve toujours les mêmes impressions en les relisant adulte et je peux maintenant les analyser.

Dans tous mes contes préférés, je suis sensible à la poésie de l’écriture. La nature joue un si grand rôle qu’elle fait partie du récit, non seulement en lui servant de cadre mais aussi en le façonnant, en agissant sur le cours des évènements. Elle porte souvent le sens du texte.
C’est une poésie venue du Nord, faite de neige et de glace, de grands forêts et d’étendues d’eau gelée. La description du froid, de la glace et de la neige est à la fois réaliste mais aussi transfigurée, magnifiée, et se révèle symboliste comme celles des tableaux de Gustav Faejstad, peintre suédois.

Gustav Faejstad

Andersen choisit parfois de peindre le monde vue du haut, de très loin, et la vision prend une dimension cosmique : 

Ils passèrent par dessus les bois, les lacs, la mer et les continents. Il entendirent au-dessus d’eux hurler les loups, souffler les ouragans, rouler les avalanches. Au-dessus volaient les corneilles aux cris discordants. Mais plus loin brillait la lune dans sa splendide clarté. Kay admirait les beautés de la  longue nuit d’hiver. Le jour venu, il s’endormit aux pieds de la Reine des neiges.  La Reine des neiges

ou bien il décrit les choses comme vues au microscope et tout devient d’une irréelle et magique beauté.

Près de la forêt se trouvait un  grand champ de blé, mais on n’y voyait que le chaume hérissant la terre gelée. Ce fut pour la pauvre petite comme une nouvelle forêt à parcourir.  La petite Poucette

Les flocons tombaient de plus en plus drus; ils devenaient des poules blanches aux plumes hérissées.  La Reine des neiges

La neige resplendissait sous les regards; elle faisait étinceler des milliers de diamants aux reflets blancs et bleus. La Vierge des glaciers

Et oui, l’univers d’Andersen est d’une grande beauté et parle à l’imagination mais il se révèle impitoyable aux hommes. La Nature leur rappelle leur fragilité, leur petitesse et souvent leur outrecuidance quand ils osent la défier. C’est particulièrement vrai dans La Vierge des glaciers où tous les éléments de la nature, l’eau du lac, le vent de la montagne, le terrible Foehn, les avalanches, la glace, la neige sont autant de pièges tendus à l’homme.

Les Forces de la nature : des êtres immatériels

 

La petite sirène et la sorcière

Les Forces de la nature sont à l’oeuvre dans les contes d’Andersen sous forme d’entités féériques. Qu’elles représentent le Mal ou le Bien, elles sont le reflet de l’imagination du conteur nourri de contes mais aussi de sa foi dans l’au-delà et l’âme immortelle.

Les plus puissantes, les plus terrifiantes de ces incarnations de la Nature mais aussi les plus belles sont celles du froid  : la Reine des neiges et la Vierge des glaciers. Il est vain, semble-t-il de vouloir les défier, encore plus de croire leur échapper.

Dans l’intérieur du glacier, il y a des cavernes immenses, des crevasses qui pénètrent jusqu’au coeur des Alpes. C’est un merveilleux palais. Là, demeure la Vierge des glaciers, reine de ce sombre domaine. Elle se plaît à détruire, à écraser, à broyer.

Tout d’un coup le traîneau tourna de côté et s’arrêta. La personne qui le conduisait se leva : ces épaisses fourrures qui la couvraient étaient toutes de neige d’une blancheur éclatante. Cette personne était une très grande dame : c’était la Reine des Neiges.

Toutes deux sont très séduisantes et il est difficile de leur résister. Le petit Kay qui reçoit les baisers de la Reine n’est pas de taille à lutter :
Le baiser était plus froid que la glace et lui pénétra le coeur déjà à moitié glacé.

Quant à Rudy, le montagnard de La Vierge des glaciers, chasseur de chamois, capable d’escalader les pics les plus hauts, insensible au vertige et à la peur, il est capable de lui tenir tête à plusieurs reprises. Il est prêt à succomber  lorsqu’elle cherche à le séduire :

Elle était fraîche et blanche, comme la neige qui vient de tomber du ciel; elle était gracieuse comme un bouquet de roses des Alpes, svelte et légère comme un jeune chamois.

Mais il ne sera vaincu finalement que par un force supérieure, Dieu, qui se sert de la Vierge pour servir ses desseins.

Dans La petite sirène, les forces du Mal sont incarnées par la sirène sorcière qui la pousse au crime.

Mais il y a aussi des esprits légers, joyeux ou compatissants, qui aident et encouragent et permettent aux héros de surmonter leurs épreuves :

Les filles de l’air de la petite sirène, les filles du soleil qui veillent sur Rudy et Babette, le génie des fleurs qui accueille Poucette dans son royaume, les petit anges nés de la vapeur qui sort de la bouche de Gerda et se transforment en guerriers pour lutter contre la Reine des neiges.

Fantastique et réalisme

 

La petite Gerda, la petite brigande et le renne

Hans Christian Andersen est un écrivain romantique, il aime le conte fantastique, le merveilleux. Mais contrairement à la plupart des romantiques français, son style n’est ni grandiloquent, ni lyrique. Au contraire il aime les phases courtes et sobres. Sous la simplicité apparente, sous l’élégance de la phrase se cache pourtant un art savant. Ce qui fait le charme et l’originalité de son écriture, c’est le mélange entre le fantastique et le réalisme des décors.
On sait que Hans Christian Andersen qui était un grand voyageur s’est rendu célèbre pour ses récits de voyage. Or, il place l’histoire de La Vierge des glaciers dans les Alpes suisses. Les lieux sont décrits avec une grande précision. Nul doute que c’est un pays qu’il connaît bien puisque de 1850 à 1860 il se rend presque chaque année en Suisse ou en Allemagne. Et pourtant les sortilèges de la Vierge des glaciers parent ces montagnes d’une aura fantastique.


La Vierge des glaciers et ses sortilèges

Dans La Reine des neiges l’auteur nous amène jusqu’au coeur du Finnmark chez les finlandais et les lapons et si le renne est un personnage magique, il appartient malgré tout à la réalité économique du pays. De même le vilain petit canard se meut dans un paysage  nordique réel, (le Danemark peut-être ? ) et  la scène avec les enfants dans la cabane des paysans  quand il renverse le lait et se réfugie dans la baratte pourrait figurer dans une scène de la vie quotidienne. Ainsi coexistent le réel et l’imaginaire. Andersen va encore plus loin lorsqu’il utilise les objets, les plantes, les animaux familiers de la ferme ou du ciel, en les faisant parler et en les dotant de pouvoirs magiques. Le chat de Rudy lui enseigne à ne jamais avoir peur du vide; le hanneton, l’hirondelle, le crapaud, la taupe jouent un grand rôle dans la vie de Poucette, les fleurs racontent leur histoire à la petite Gerda…



Le sens des contes

 

L'amour sincère de Gerda et Kay illustration de Arthur Rackam
Quand j’étais enfant, ce que je voulais, bien sûr, c’est que les contes d’Andersen "finissent bien". C'était le cas avec Le vilain petit canard,  la Reine des neiges, la petite Poucette. Par contre, La Petite sirène, la petite fille aux allumettes "finissaient mal" et je ressentais violemment la tristesse et la mélancolie qui s’en dégageaient. J’aurais pensé la même chose de La Vierge des glaciers si je l’avais lu alors. Il y avait les contes joyeux et les contes tristes mais je les aimais tous.
A présent je me rends compte que  les réponses de Christian Andersen sont de deux sortes, l’une laïque, l’autre spirituelle mais toutes sont positives à ses yeux.

 Une réponse laïque :

Ainsi La Reine des neiges propose un dénouement heureux possible grâce à l’amour et au dévouement de la petite Gerda et à la solidarité des personnages qui lui viennent en aide. L’amour, la pureté, la sincérité des sentiments sont donc la réponse possible au Mal, encore que Gerda ait bien besoin de temps en temps d'un coup de pouce de Dieu.
Dans Le vilain petit canard, c’est l’endurance et le courage du petit canard qui rendent possible sa transformation en cygne. Ce conte initiatique sur la différence et le rejet dit aux enfants qu’il faut savoir affronter les chagrins et les difficultés de la vie et qu’ils en obtiendront un jour une récompense. Poucette, elle, est récompensée des soins qu’elle a prodiguées à l’hirondelle. Telle Perséphone enlevée à sa mère, sommée d’épouser la Taupe, créature souterraine de la nuit, elle se retrouve, après avoir séjourné aux Enfers, sur la terre, au printemps, au milieu des fleurs. 

Une réponse spirituelle

La petite sirène, La Vierge des glaciers et La petite fille aux allumettes se terminent par la mort du personnage. Et pourtant ces textes pour le religieux Andersen, fort dans sa foi en Dieu et dans sa croyance en une vie après la mort, se révèlent pleins d'espoir.
La petite sirène meurt après avoir renoncé, pour se sauver, à tuer son bien-aimé, le prince. C’est un acte d’amour. Sa récompense n’est pas sur terre mais dans les cieux. C’est pourquoi les filles de l’air viennent la chercher pour l’amener avec elles. Elle gagnera ainsi une âme immortelle, à la différence des sirènes qui n’en ont pas ! Il en est de même de la petite fille aux allumettes qui voit, avant de mourir, toutes sortes de visions merveilleuses dont celle de sa grand-mère qui vient la chercher. Promesse d’un autre monde où règne la paix et la douceur.
Mais la foi de l’auteur et l’espoir d’une autre vie sont encore plus explicitement formulés dans le conte de La Vierge :

N’est-ce pas un bonheur que de passer ainsi de l’amour sur terre aux pures joies du ciel, comme d’un seule bond ? Le baiser glacé de la mort avait anéanti une enveloppe périssable: un être immortel en sortit, prêt à la vie véritable qui l’attendait. La dissonance de la mort se résolvait en une harmonie céleste.
Appelez-vous cela une histoire triste ?

Pour tout vous dire, ma réponse est oui ! oui, c’est un histoire triste ! En bonne athée, j’ai peu changé depuis l’enfance ! Mais je suppose qu’un croyant doit avoir une autre opinion ! C’est le cas d’Andersen !

Voilà! Je finis sur ces mots !  Je ne voulais écrire que quelques lignes sur ces contes mais ils sont tellement envoûtants que je me suis laissée entraîner. Ma lecture d’adulte rejoint celle de mon enfance. On peut aimer les contes d’Andersen à n’importe quel âge, quelle que soit l’époque. Ils sont des  chefs d’oeuvre de la littérature universelle.






vendredi 16 juin 2017

Victor Hugo : Mille francs de récompense



Mille francs de récompense de Victor Hugo appartient  au recueil de pièces intitulé  Théâtre en liberté, pièces que l’auteur n’a jamais vues sur scène avant sa mort.
Ce mot de liberté appliqué au théâtre a deux sens. Il correspond d’abord au manifeste romantique de Hugo dans la préface de Cromwelll ou de Hernani qui prône la liberté dans l’art. Ainsi au théâtre, Hugo met à mal les règles classiques des trois unités et prône le mélange des genres : ni comédie, ni tragédie, il invente le drame, tout en se réclamant de Shakespeare. Le second sens est à prendre au sens propre. Hugo, exilé, jugé dangereux, sait que la censure n’autorisera jamais ses pièces à être jouées. Par contre, elles peuvent être publiées. C’est ce qu’il fait. Le théâtre est l’art de la parole et doit déjouer les pièges de ceux qui veulent la museler.

Mille francs de récompense : Théâtre national de Strasbourg 1969

Mille francs de récompense est un « drame » typiquement  romantique, c’est à dire que la pièce présente ce mélange des genres voulu par Victor Hugo :  tragique et comique, grotesque et sublime s’y côtoient.
La noirceur est là, représentée par Rousseline, cet homme horrible, dont la richesse est fondée sur des malversations, des intrigues et des trahisons. Il est l’ogre qui veut manger les petites filles, en l’occurence Cyprienne, la charmante jeune fille qui est en son pouvoir. Mais ce voleur est respecté par la société qui le comble d’honneurs.
Glapieu, lui représente le « bon » voleur. C’est la misère qui l’a amené à voler, c’est en prison qu’il a appris les ficelles du « métier » et depuis c’est en vain qu’il veut s’amender. Il est poursuivi par le police qui veut le jeter en prison. Il est honni par la société, celle-là même qui est responsable de ce qu’il est devenu.

Le personnage de Glapieu, mélange de grotesque et de sublime, qui nous fait rire et que l’on admire, ridicule mais bon et courageux, est une constante chez Hugo. On le retrouve dans L’homme qui rit à la fois sous les traits de Gwinplaine défiguré par son affreux sourire mais porteur d’un idéal et sous les traits de Ursus, le philosophe, bourru au grand coeur, qui analyse la société aristocratique avec une lucidité implacable. Glapieu ressemble aussi au voleur Aïrolo qui prend le parti de la liberté contre le despotisme religieux et royal et vole au secours des amoureux dans Mangeront-ils ? Et l’on pense aussi à Jean Valjean, Hernani, à tous les marginaux et proscrits de l’oeuvre de Victor Hugo. Glapieu, enfant, n'est-ce pas aussi Gavroche que l’inégalité sociale maintient dans la misère et l'ignorance et amène au vol ? Le dramaturge condamne le rôle des prisons qui loin d’éduquer, pervertissent ceux qui y entrent, sans espoir de retour. Un thème d’actualité ?  Cela n'a pas beaucoup changé, n’est-ce pas ?

A travers la saisie dont sont victimes Etiennette et Cyprienne dépossédées de leur bien en plein hiver alors qu’elles ont été spoliées par Rousseline, c’est la justice sociale que Hugo remet en cause. Une justice qui n’a aucune compassion envers un vieil homme gravement malade et qui poursuit son travail au risque de provoquer sa mort. 
L’amoureux de Cyprienne, Edgar Marc, représente aussi un aspect du sublime romantique. Son geste pour sauver le grand père de sa bien-aimée est noble mais paradoxalement le déshonore. Il veut réparer sa faute dans la mort.
Pourtant si cette situation est tragique, l’humour est toujours présent surtout par l’intermédiaire de Glapieu et la fin de la pièce est heureuse. Pour cela Victor Hugo utilise un procédé facile et courant de la comédie (Molière) : celui de la reconnaissance d’un père et de son enfant.

Mille francs de récompense : mis en scène de Laurent Pelly

On voit ainsi que le propos de Hugo, épris de liberté (il faut lire ce beau passage émouvant où il explique le sens de La Marseillaise) est subversif et que toutes les idées qu’il développera dans ses grandes oeuvres sont présentées dans cette pièce. 

Quand on referme le recueil des pièces de Théâtre en liberté, on se dit que cette lecture de Mille Francs de récompense a été plaisante, pleine d’humour mais aussi pleine d’émotion - j’aime les textes qui font vibrer, qui dénonce l’injustice, qui plaide pour la liberté et l’égalité-  car l’on y retrouve Hugo et son amour de ceux qui sont les victimes d’une société inhumaine. Et l’on n’a plus qu’une envie, celle de voir cette pièce sur scène avec une mise scène et des comédiens sensibles et intelligents. Un rêve ?


LC dans le cadre du challenge Victor Hugo et  romantique avec  : 




mercredi 14 juin 2017

Alan Bennett : La Reine des lectrices


Dans La reine des lectrices Alan Bennett imagine que la reine Elizabeth découvre la lecture et..  en devient « accro » ! Quelle affreuse maladie ! C’est ce que pense ses conseillers, son premier ministre, sa famille, car elle ne fait plus son travail de reine avec autant de sérieux. La voilà souvent en retard, distraite ou de mauvaise humeur quand on l’arrache à ses livres bien aimés. Et puis, quand elle prétend parler littérature avec ses ministres qui n’ont jamais ouvert un livre, quand elle entame une discussion sur Jean Genêt avec l’ignare président de la République française, la reine est vraiment de mauvais goût. Son entourage va tout faire pour la détourner d’une passion aussi néfaste.  Heureusement, il y a Norman, son petit commis de cuisine, épris de lecture, dont elle fera son « tabellion » qui la comprend et la ravitaille.

Savez-vous que la reine, dans son carrosse, a un livre sur les genoux, Elle salue la foule, ce qui ne l’empêche pas de poursuivre sa lecture ! On l’a compris avec ce court roman, Alan Benett nous offre un échantillon de l’humour british qui, sans avoir l’air d’y toucher, peut se révéler corrosif.
Coups de griffe au fonctionnement des institutions, aux rapports entre la reine et son premier ministre mais aussi mise en scène d’un milieu où règne l’inculture et où tout est dans le paraître, le superficiel ou tout, même les plaisanteries, sont réglées à l’avance. S’ils doivent parler littérature, les hommes politiques se font « briefer » sur l’écrivain qui doit être au centre de la discussion. Quant à la monarchie, elle est enfermée dans sa tour d’ivoire, coupée de toute réalité. Les écrivains ne sont pas épargnés, qu’ils soient paralysés devant le pouvoir, face à la reine, ou réunis, qu’ils se révèlent médiocres dans des combats d’ego et des chicaneries.

Mais une reine qui lit, c’est une femme qui s’ouvre au monde, qui comprend les sentiments des autres, même s’ils sont ses subalternes.
« Je crois que je me suis mise à lire par devoir dit-elle un jour à Norman. Il fallait que je découvre de quoi les gens ont l’air, pour de bon. »
Le livre bouleverse sa conception de la hiérarchie, de l’ordre social. Peu à peu, elle fait fi du carcan des convenances liés à son statut et à sa fonction, peu à peu elle perd ses certitudes et devient plus humaine.
« Les livres ne se souciaient pas de leurs lecteurs, ni même de savoir s'ils étaient lus. Tout le monde était égal devant eux, y compris elle ».
Alan Benett montre ici l’immense pouvoir de la littérature qui amène la reine à se remettre en question, à porter un autre regard sur le monde qui nous entoure. La lecture l’amène aussi à découvrir son corollaire, l’écriture, au grand dam des ministres de sa majesté qui se demandent si cette nouvelle passion n’est pas encore pire.

Si on lui avait demandé : «  les livres ont-ils enrichi votre vie? », elle se serait sentie obligée de répondre : « oui, sans l’ombre d’un doute » - tout en ajoutant avec la même conviction qu’ils l’avaient également vidée de tout sens. Avant de se lancer dans ces lectures, elle était une femme droite et sûre d’elle-même, sachant où résidait son devoir et bien décidé à l’accomplir, dans la mesure de ses moyens. Maintenant, elle se sentait trop souvent partagée. Lire n’était pas agir, c’était toujours le problème. Et malgré son grand âge, elle restait une femme d’action.
Elle ralluma sa lampe de chevet, saisit son carnet et nota rapidement
: «   on n’écrit pas pour rapporter sa vie dans ses livres, mais pour la découvrir. »

Ce petit roman a eu beaucoup de succès au moment de sa parution en 2009. Léger, plein d’un humour souvent caustique, il amène à une réflexion sur une passion qui nous est commune, à nous autres blogueuses, la lecture, et en parle en nous amusant mais avec beaucoup de justesse et de profondeur.

jeudi 16 janvier 2014

Léon Tostoï et Alexandre Pouchkine : La tempête de neige




Dans le cadre de la semaine Russe de Marilyne de Lire et Merveilles, nous avons décidé d'une lecture commune sur Léon Tolstoï ce jeudi 16 Janvier. Maryline à choisi Les cosaques et moi La tempête de neige et autres récits.


Troïka Nicolas Vassiliev

Cette lecture de Tolstoï m'a amené par curiosité à lire aussi la nouvelle de Alexandre Pouchckine qui porte le même titre et elle est si différente de celle de Léon Tolstoï que j'ai eu envie de présenter les deux dans ce billet.

Léon Tolstoï : Ilya Femorovitch Répine (1887)

Dans La tempête de neige publié en 1856, Tolstoï évoque le  souvenir d'un voyage nocturne entrepris pendant l'hiver 1854-1855 dans l'immense steppe balayée par le vent et la neige alors qu'il revenait en Russie après son service comme officier dans le Caucase. La tempête de neige fait rage, le froid devient plus intense et le conducteur de la troïka perd son chemin. Son maître lui ordonne de retourner au relais mais après avoir rencontré un groupe de trois traîneaux du courrier postal, il décide de les suivre, se fiant à leur grande expérience. C'est ce voyage dans la neige, en aveugle, qui paraît durer une éternité, que nous raconte l'écrivain.

Hiver : Alexis Savrasov

Au niveau de l'action, on pourrait dire qu'il ne se passe rien, aucun événement,  si ce n'est le voyage qui est en lui-même une aventure! Tolsoï refuse de jouer sur le sensationnel, sur les émotions, les sentiments d'angoisse et de peur et pourtant lui et les cochers risquent leur vie.
Le paysage qui défile est longuement décrit dans sa monotonie et sa beauté inhospitalière et les efforts du conducteur de tête pour retrouver le chemin sont rapportés avec précision mais sans effet particulier.  L'écrivain observe, donne des détails précis, sur l'attelage d'une troïka, par exemple, les différents sons de ses clochettes.
 Trois clochettes- une grande au milieu, au son de framboise, comme on dit, et deux petites, accordées en tierce. Le son de cette tierce de de cette quinte chevrotante qui résonnait dans l'air était extrêmement  frappant et étrangement agréable dans cette steppe déserte et inhabitée.

Ce qui intéresse l'écrivain, ce n'est pas l'aspect insolite, dangereux, aléatoire de ce qu'il est en train de vivre mais l'analyse des sentiments, l'étude psychologique qu'il mène en observant des personnages qu'il décrit minutieusement, moujiks frustes, durs à la tâche, habitués à la souffrance et endurants.
Cette description, plus que des émotions, fait naître des sensations. Nous entendons le crissement des patins sur la glace, le hurlement frénétique du vent. Nous nous sentons englués dans un monde qui paraît sans frontière, à la limite du réel, engourdis par le froid intense, perdus dans un univers qui semble être aux confins des mondes habités.
Le vent paraît changer de direction : tantôt il vous souffle en plein visage  et vous colle les yeux avec la neige, tantôt il joue à vous agacer en vous couvrant la tête du col de votre pelisse puis, l'air de se moquer, vous frappe le visage, tantôt il vient de derrière en s'engouffrant dans une crevasse. On entend sans arrêt le crissement léger des sabots et des patins sur la neige et le tintement des clochettes qui faiblit lorsque la neige est profonde.

Le récit présente aussi une particularité curieuse due à l'immense talent de l'écrivain, c'est  cette faculté de glisser du présent au passé, de ressusciter, au milieu de la steppe glaciale, une belle journée d'été à Iasnaïa Poliana, la propriété où Tolstoï a passé sa jeunesse, élevé par sa tante Tatiana. Au personnage du cocher, se substitue celui du vieil intendant, à la neige, la vision de fleurs odorantes et du soleil brûlant. Et le drame d'une noyade survient dans ce paysage lumineux brusquement assombri. Si bien que l'évènement surgit là où on l'attend, dans la steppe désolée, mais par cette journée paisible chaude. Comme le voyageur blotti dans son traîneau, caché sous sa pelisse, nous oublions la neige, le froid et glissons dans un autre monde loin dans l'espace et dans le temps.

Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Alexandre Pouchkine; Orest  Kiprensky (wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)
Orest Kiprensky. (Photo wikipedia.org)

La tempête de neige de Pouchkine est tout autre. Jugez plutôt :

Maria Gravrilovna a dix-sept ans. Elle est la fille d'un riche propriétaire et passe pour un très bon parti; mais elle tombe amoureuse et réciproquement d'un jeune homme pauvre, Vladimir Nikolaïevitch. Le père s'oppose à leur union. Les deux amoureux décident alors de fuir. Ils doivent partir chacun de chez eux pendant la nuit et se retrouver dans une petite église de campagne pour se marier en secret. Mais une tempête de neige se lève. Le jeune homme perd son chemin au milieu de la tourmente et n'arrive à l'église que le matin. Celle-ci est fermée. La jeune fille est retournée chez elle et tombe gravement malade. Vladimir désespéré s'engage dans l'armée et se fait tuer dans un combat contre les troupes de Napoléon. Mais que s'est-il passé dans l'église pendant la nuit où la fiancée l'attendait. Quel est l'homme avec qui le pope a célébré son mariage?

La Tempête de neige dans le recueil Les récits de Belkine est publiée en 1831. Nous sommes en pleine période romantique. Si Pouchkine a un style classique, plein de retenue, qui refuse aussi bien l'épanchement que les grandes envolées lyriques ou le grossissement épique, il écrit pourtant une histoire romantique avec une héroïne qui obéit aux codes du genre et cela même si l'auteur manifeste pourtant une certaine ironie envers elle, un peu comme Flaubert avec Emma Bovary.

Maria Gravilovna était nourrie de romans français et par conséquent était amoureuse.

Vassili Pukirev: le mariage forcé(wikipedia.org)

Il n'en reste pas moins vrai que le récit présente une conception romantique de l'intrigue : enlèvement, séparation des amants, désespoir d'amour qui mène à la mort, mariage mystérieux et une fin pour le moins surprenante et peut-être pas tout à fait vraisemblable mais... qu'importe!. 
 Je sautai sans rien dire hors du traîneau et entrai dans l'église qu'éclairaient faiblement deux ou trois cierges. Une jeune fille était assise sur une banquette, dans un coin obscur de l'église. Une autre lui frictionnait les tempes. " Dieu soit loué, dit celle-ci, vous voilà enfin! Vous avez failli faire mourir mademoiselle." Un vieux prêtre s'approcha de moi et me demanda : "vous plaît-il que je commence?"
- Commencez, commencez, mon père", répondis-je distraitement. On soutint la jeune fille. Elle me parut jolie... Légèreté impardonnable, incompréhensible, impardonnable. Je me plaçai à côté d'elle devant le lutrin...

La différence saute aux yeux : dans Tolstoï la tempête de neige est le sujet même du récit, dans Pouckine, elle est la cause qui provoque l'aventure et le malheur des deux amants.
Contrairement à Tolstoï qui s'intéresse à l'analyse des sentiments, le récit de Pouchkine  peint un évènement extraordinaire.
Tolstoï lui-même remarquait en relisant l'écrivain qu'il avait tant admiré : " Hélas! Je dois reconnaître que la prose de Pouchkine a vieilli -non par le style mais par la manière d'exposer. Aujourd'hui, à juste titre, dans la nouvelle tendance, l'intérêt des détails du sentiment a remplacé l'intérêt des évènements eux-mêmes. (préface Folio classique)
C'est que vingt-cinq ans sépare ces récits et le goût du réalisme a remplacé le romantisme.Pour tout vous dire, moi, j'aime les deux même s'il s'agit dans les deux cas, d'une oeuvre mineure!

La fuite de Maria Gravilovna




Lecture commune sur Toltoï avec Marylin :  voir ICI
Voir aussi Seth sur Léon TolstoÏ 

dimanche 5 janvier 2014

Hemingway : En avoir ou pas




En avoir ou pas de Ernest Hemingway raconte l'histoire de Harry Morgan. Pendant la saison de pêche à la Havane, dans les années 30, il essaie de gagner de quoi faire vivre sa famille, sa femme et ses deux filles en amenant des milliardaires à la pêche aux gros poissons. Mais Johnson, son client part sans le payer après lui avoir abimé son matériel. Pour ne pas revenir sans argent chez lui, Harry accepte à contre coeur de transporter illégalement des chinois pour les déposer sur l'île Key West, la pointe la plus au sud des Etats-Unis, la dernière île à l'ouest de la Floride. Mais il tue le trafiquant avec lequel il est en affaire et débarque les autres passagers sur la côte. Plus tard, nous le retrouvons en train de faire de la contrebande d'alcool, ce qui lui coûte un bras. Enfin, il embarque des révolutionnaires cubains pour un voyage en sens inverse vers Cuba mais ses aventures vont s'arrêter là!

Marlin (source)

Le roman est divisé en trois parties qui relatent des moments différents de la vie de Henry Morgan :
la première partie s'intitule Printemps, la deuxième partie, la plus courte, Automne et la troisième, Hiver.


Key West à l'extrémité de la Floride source


Le titre peut recevoir deux sens qui expliquent le roman :

En avoir ou pas, il s'agit d'abord de l'argent. Harry, Eddie, son copain poivrot, Albert un ouvrier qui travaille toute la journée pour un salaire de misère et ne parvient pas à faire vivre sa famille, sont du côté de ceux qui n'en ont pas! Pour mieux souligner l'injustice sociale, Hemingway fait évoluer à côté de ces misérables qui ont faim, ceux qui ne savent plus quoi faire de leur argent, propriétaires de yatchs, capitalistes aux dents longues qui veulent toujours gagner plus, spéculent, trichent sur l'impôt, et poussent au suicide, en les ruinant, ceux qu'ils considèrent comme des faibles, écrivains en mal d'écrire, à l'ego surdimensionné. C'est la loi de la jungle et du plus fort, c'est à dire de celui qui a le plus d'argent et le moins de scrupules.

Demeure de Hemingway à Key West (source)

Ce qui nous amène au deuxième sens du titre : en avoir ou pas, il s'agit alors des cojones et Harry pour ça il en a! C'est le mot employé par Hemingway, pas de traduction française mais vous aurez compris. Et puisqu'il ne pourra jamais être celui qui a de l'argent, il sera un homme, un vrai, celui qui ose prendre des risques, accomplir des choses dangereuses et illégales pour gagner de quoi faire vivre sa famille. Car il veut que sa femme et ses filles ne meurent pas de faim et il méprise des gens comme Albert qui ont peur de passer dans l'illégalité.  On le comprend Harry a déjà un lourd passé derrière lui. Il sait manier les armes, il a beaucoup de sang froid devant le danger et n'hésite pas à tuer s'il le faut sans état d'âme. On sait qu'il a été militaire, on comprend qu'il eu une vie de baroudeur avant de se marier, de s'acheter un bateau et de devenir pêcheur. 

Ce que Hemingway veut nous faire comprendre, c'est que ce sont les riches qui sont malhonnêtes! Ce sont eux qui attribuent des salaires très bas aux ouvriers pour les maintenir dans la misère afin de les chasser de la côte de la Floride et y installer des stations balnéaires, des ports de plaisance qui rapporteront beaucoup d'argent. Ce en quoi ils ont totalement réussi. C'est un riche, Johnson, qui en volant Harry le force à tremper dans des affaires douteuses. Et entre eux, ces hommes et ces femmes ne cessent de se livrer à une guerre froide, cruelle et impitoyable.

Key West, l'ancien port des pêcheurs

On pourrait penser que cet état des choses et la lucidité dont il fait preuve pousseraient Harry du côté des révolutionnaires mais non! Il se défend à plusieurs reprises d'être un rouge. Hemingway n'est pas le Steinbeck de Les raisins de la colère. Sa réponse est individuelle et non collective. On y voit aussi se dessiner, mais en négatif, la morale d'un autre de ses romans Le vieil homme et la mer publié en 1952. Alors que le vieil homme se montrait un homme digne de ce nom en se battant contre le poisson sans faiblir et en réaffirmant ainsi la liberté et la dignité de l'homme, la morale de En avoir ou pas me paraît bien douteuse! D'abord, j'y vois un relent de machisme car sa conception du courage réaffirme une suprématie de la virilité brutale et sans honneur et de l'arme à feu pour régler les problèmes. La solution trouvée par Harry, celle du vol et du meurtre (même lorsqu'il s'agit de tuer des êtres qui ne sont pas ses ennemis) est assez repoussante. J'aurais trouvé honorable la réponse révolutionnaire.


Le film de Howard Hawks Le port de l'angoisse est très différent. Le scénario change d'époque et de lieu. Nous sommes à la Martinique en 1940, territoire dirigé par le régime de Vichy : atteinte à la liberté, arbitraire, arrestations, brutalité, délation. Dans ce contexte, les américains sont neutres mais lorsque Harry (Humphrey Boggart) est sommé de choisir il le fait en se mettant du côté des opposants à Vichy et au nazisme; ainsi Harry s'affirme comme un héros qui en a mais pour la bonne cause. 

Slim (Lauren baccal) et Harry Morgan (Humphrey Bogart)

D'autre part, Hawks introduit le personnage fascinant de Slim (Lauren Baccal) et une histoire d'amour glamour où s'affrontent à armes égales dans un duo plein d'humour et de charme, cette femme et cet homme tous les deux courageux et qui n'ont pas froid aux yeux. Les acteurs sont sublimes. Le rôle du poivrot Eddie (Walter Brennan) explore le thème cher à Howard Hawks de l'amitié virile et de la solidarité. Vous dire lequel du livre et du film j'ai préféré? C'est évident, non?

 Réponse à l'énigme n°80 : Un livre/un jeu


Ont attrapé leur marlin :

Aifelle, Dasola, Eeeguab, Gwenaelle, Keisha, Miriam, Somaja, Thérèse..
Félicitations et merci à tous!

La semaine prochaine l'énigme a lieu chez Eeguab.

dimanche 8 décembre 2013

Alexandre Dumas : La Reine Margot



Avec La Reine Margot,  publié en 1845, Alexandre Dumas  se plonge dans l'histoire tourmentée et sanglante du XVIème siècle entre 1572 et 1574 en pleine guerre de religion.
La Reine Margot est le premier volume d'une trilogie sur les guerres de religion : le second sera La dame de Monsoreau et le troisième : Les quarante-cinq.

Marguerite de Valois

La reine Margot, héroïne éponyme du roman, est Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis et de Henri II, soeur de trois rois de France : François II, Charles IX et Henri III. Sa mère la contraint à épouser son cousin Henri de Navarre, protestant, dans le but de réconcilier les factions religieuses qui se déchirent le royaume. Le mariage a lieu à Paris le 18 août 1572 où sont réunis pour l'occasion tous les chefs huguenots du royaume.  Cette union est mal acceptée par le parti catholique  dont la famille de Guise et le pape. L'amiral Coligny, l'un des chefs  de la réforme protestante, subit alors une tentative d'assassinat  qui met le feu aux poudres.

L'amiral Gaspard Coligny, chef de la Réforme

 Catherine de Médicis et son fils Charles IX ordonnent  le massacre des protestants : c'est la Saint Barthélémy dans la nuit du 23 au 24 août 1572. L'amiral Coligny, défenestré, y  est assassiné. La Saint Bathélemy se poursuit pendant plusieurs jours dans  Paris  malgré les tentatives du roi pour l'arrêter. Le peuple fanatisé par le clergé  poursuit le massacre qui s'étend  à plus d'une vingtaine de villes de Province.


Le massacre de la Saint Barthélémy par François Dubois

Le livre de Dumas est un histoire de violence et de sang, terrible, tumultueuse, ou complots, trahisons,  assassinats, se succèdent mais Alexandre Dumas n'est certainement pas en dessus de la vérité. L'époque est fanatique, les grandes familles catholiques ou protestantes comme les Guise ou les Coligny, au-delà des croyances  religieuses,  poursuivent des buts politiques, se disputent le pouvoir et peuvent tout se permettre. La très Catholique et redoutable Catherine de Médicis  exerce une influence pernicieuse sur ses fils. Les personnages sont animés par la haine,  le fanatisme, l'ambition,  le jeu du pouvoir y est sans retenue, le sang coule à flots.

Catherine de Médicis



 Dans le roman de Dumas,  Marguerite de Valois et Henri de Navarre ne s'aiment pas mais conclut un pacte politique. Marguerite de Valois sauve la vie à son époux. Parallèlement à l'intrigue politique Dumas concocte une histoire d'amour  qui finit tragiquement entre  Marguerite et  le jeune comte de la Mole, protestant, accusé de complot qui finira décapité.

Film de Patrice Chéreau : La Reine Margot et le comte de la Mole
Si Dumas a pris des libertés avec l'histoire, c'est paraît-il avec Marguerite de Valois dont il a, nous dit-on, contribué à l'image de femme dépravée qu'elle est à nos yeux. Sous le joug absolu de sa mère (son père Henri II est mort quand elle avait 6 ans) elle est surtout une victime, un pion politique entre les mains de sa mère et de ses frères. Elle a eu des amants  -  tout comme son mari Henri IV-  mais ce  qui était admis chez un homme ne l'étais pas chez un femme, d'où sa réputation. C'était surtout une femme lettrée, connue pour sa grande culture : elle tenu  a tenu une cours littéraire, écrit de la poésie et est l'auteur de Mémoires, et d'une belle correspondance.

Le roman d'Alexandre Dumas plein d 'aventures, de rebondissements, est agréable à lire. Comme d'habitude, Alexandre Dumas sait ménager le suspense, relancer l'intérêt mais l'ouvrage  est plus sombre, plus grave que certains des ces autres romans comme Les Trois mousquetaires, par exemple. La période historique est trop trouble et les personnages historiques trop marqués par un destin impitoyable. Le film de Patrice Chéreau met en scène d'une manière somptueuse ces événements tragiques qu'Alexandre Dumas, en son temps a porté lui-même sur scène, au théâtre.




Réponse à l'Enigme n°77


La bonne réponse : Aifelle, Asphodèle, Dasola, Eeguab, Keisha, Miriam , Pierrot bâton, Shelbylee


Le roman : La reine Margot : Alexandre Dumas
Le film : La reine Margot : Patrice Chéreau