De Javier Cercas j'ai vraiment adoré Les Soldats de Salamine , aussi c'est avec plaisir que je me suis plongée dans A la vitesse de la lumière paru aux Editions Actes Sud Babel en 2008.
Le narrateur du roman est un étudiant espagnol déterminé à devenir écrivain; il part à Urbana, dans une université américaine, pour enseigner l'espagnol dans le but de gagner son indépendance financière pour se consacrer à l'écriture. Il rencontre là-bas Rodney Falk, un collègue américain, enseignant en espagnol lui aussi, ancien combattant du Vietnam, qui est en marge de la société et semble détenir un secret. Le jeune homme va s'intéresser à ce personnage qui devient son ami. Revenu en Espagne, l'écrivain (Javier Cercas lui-même ou un autre lui-même?) devient subitement célèbre grâce au succès d'un seul livre, un succès qui va le corrompre, faire de lui un homme médiocre, égoïste, méprisant, un être superficiel et vain qui ne cherche plus qu'à paraître.
Lorsqu'une tragédie survient dans sa vie, empli du dégoût de lui-même, il se lance sur les traces de son ancien ami pour mieux comprendre son passé et écrire son histoire. Ce qu'il va découvrir va être aussi un révélateur de lui-même.
Dans ce roman Javier Cercas explore les zones d'ombre de l'être humain. Il montre comment l'ancien combattant vietnamien - pourtant pacifiste au départ- a été transformé par la guerre, par l'armée, a perdu toute notion de l'Humain pour basculer dans l'horreur. Il a éprouvé la jouissance de tuer impunément, d'avoir un pouvoir de domination absolu sur les autres. Il n'est plus un être moral. Revenu de l'Enfer, il ne sera plus jamais le même. De même le narrateur-écrivain s'est laissé avilir par le succès. Il perd ainsi son âme, devient responsable de la mort des êtres qu'il aime le plus, renie non seulement ses amis mais aussi ce qui fait sa valeur, l'écriture.
Les deux thèmes parallèles qui courent dans le roman -la guerre et l'écriture- semblent donc se rejoindre à la fin dans un constat d'échec : l'ancien soldat et l'écrivain ne pourront jamais récupérer ce qu'ils ont perdu? Pourtant un espoir refait surface en dénouement lorsque le narrateur décide au cours d'une conversation avec son ami Marcos de terminer le livre qu'il a entrepris :
Je le terminerais parce que j'étais écrivain et que je ne pouvais pas être autre chose, parce que écrire était la seule chose qui pouvait me permettre de regarder la réalité sans me détruire ou sans que celle-ci s'abatte sur moi comme une maison en flammes, la seule chose qui pouvait doter la réalité d'un sens ou d'un illusion de sens... la seule chose qui m'avait sorti du sous-sol au grand jour et m'avait permis de voyager plus vite que la lumière et de récupérer une partie de ce que j'avais perdu dans le fracas de l'éboulement...
Si le roman de Cercas est passionnant par sa réflexion sur la littérature, sur la force de l'écriture et la nature de l'écrivain, s'il est fascinant par la dénonciation du Mal que la guerre réveille en chaque individu, je suis, de plus, sensible à la démarche particulière qui est la sienne.
Le lire, c'est embarquer avec lui dans une aventure qui a pour but la découverte d'un homme et, au-delà, de l'Humain. Il procède ici comme dans Les Soldats de Salamine à une investigation qui nous fait pénétrer toujours plus loin dans l'âme humaine, mais peu à peu, patiemment, comme un puzzle qui se reconstituerait devant nos yeux. Et cette enquête peut durer des années, avec des retours en arrière, des avancées dans le temps, des arrêts aussi, soulignés par la souffrance des personnages, par des réflexions lucides et aiguës qui nous frappent de plein fouet; je suis sensible aussi à la beauté de certaines phrases (même si Cercas se défend d'écrire de belles phrases!) qui s'écoulent longuement, se déroulent d'une subordonnée à l'autre, en s'appuyant sur des mots répétitifs, formant une mélodie dont la résonnance nostalgique éveille des échos qui ont du mal à s'éteindre longtemps après avoir refermé le livre.