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jeudi 5 janvier 2023

Je lis donc je suis !

 

 

Aifelle a lancé le jeu annuel et maintenant traditionnel du début d'année : Je pense donc je lis !

Voilà ce qu'écrit Aifelle : "Un titre en forme de déclaration aussi péremptoire me fait rire. Ceux qui ne lisent pas ne seraient donc pas ? allons donc .. mais quelque part, c'est un plus me semble-t-il. Toujours est-il que je me suis livrée au jeu rituel de fin d'année. Je rappelle la règle. Répondre aux questions en utilisant uniquement les titres de livres lus en 2022."  Je vous renvoie à son billet ICI  .

 

Pour souligner le "c'est un plus" d'Aifelle, voici les deux citations mises en exergue sur la page d'accueil de mon blog et toujours tellement vraies.

 


 

 

"Lire c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas". Victor Hugo


Les livres "c'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne






 

 J'ai répondu facilement aux questions et j'ai eu souvent à choisir entre plusieurs titres sauf pour le moyen de transport  dont la réponse est,  je l'avoue, un peu tirée par les cheveux. Mais pourquoi pas ? Marcher sur les ailes du vent... 

 Autrement, je crois que cela fonctionne ? Qu'en pensez-vous ?

Décris-toi ... 

Petite    Edward Carey : Petite

Comment te sens-tu ?

 Celle qui pleurait tous l’eau  Niko Tackian : Celle qui pleurait sous l'eau

Décris où tu vis actuellement ...

L’île sous la mer   Isabelle Allende : L’île sous La mer

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?    

Dans ce jardin qu’on aimait   Pascal Quignard : Dans ce jardin qu'on aimait

Ton moyen de transport préféré ?

 Qui sème le vent : Marieke Lucas Rijneveld : Qui sème le vent

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est ...

La pupille de Thorpe-Combe  Frances Trollope : La pupille de Thorpe-Combe

Toi et tes amis vous êtes ...

A l’ombre des loups  Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups 

ou dans la gueule de l'ours  : Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours

Comment est le temps ?

Un pays de neige et de cendres  Petra Rautianen : Un pays de neige et de cendres

Quel est ton moment préféré de la journée ?

Le tournesol suit toujours la lumière du soleil  Martha Hall Killy : Le tournesol  suit toujours la lumière du soleil

Qu'est la vie pour toi ?

Je refuse  : Per Petterson : Je refuse   

Ta peur ?

L’invention du diable Hubert Haddad : L'invention du diable

Quel est le conseil que tu as à donner ?

Rompre le silence : Mechtild Borrmann : Rompre le silence

La pensée du jour ...

Gagner la guerre Jean-Philippe Jaworsky : Gagner la guerre

Comment aimerais-tu mourir ? 

Au nom du bien Jake Hinkson : Au nom du bien

Les conditions actuelles de ton âme ?

Apaiser les tempêtes   Jean Hagland : Apaiser nos tempêtes

Ton rêve ?

Le royaume de ce monde  Alejo Carpentier : Le royaume de ce monde

 

 

Et vous quelles citations proposez-vous pour décrire tout ce qu'apporte la lecture, "ce plus" dont parle Aifelle et qui nous fait vivre, nous, lecteurs !

Déposez vos citations dans les commentaires et je les noterai dans ce billet pour constituer un petit recueil.



jeudi 24 février 2022

Alejo Carpentier : Le royaume de ce monde


Le hasard des recherches en bibliothèque pour répondre à l’appel du mois de littérature latino-améraine d’Ingammic, m’a amenée à emprunter le même jour deux livres Le royaume de ce monde de Alejo Carpentier, écrivain cubain, et L’île sous La mer d’Isabelle Allende, écrivaine chilienne. Or tous deux traitent de l’esclavage sous le joug des colons français, propriétaires terriens à Saint Domingue, et des révoltes d'esclaves, en particulier celle de  1791 et la révolution qui a amené à l’indépendance de Saint Domingue (1804 ) et la création de la république de Haïti.

L'esclavage à Saint Domingue

Le Royaume de ce monde

Le titre du roman de Carpentier Le Royaume de ce monde semble être en antithèse aux paroles de Jésus dans l’Evangile selon Saint Jean : Mon royaume n'est pas de ce monde, répondit Jésus. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne fusse pas livré aux Juifs.

Le Royaume de ce monde est conquis par la lutte, la violence et les massacres entre esclavagistes et esclaves révoltés. Non le royaume du Ciel mais celui de la Terre ! Alejo Carpentier s’appuie sur l’Histoire pour construire un récit où se mêlent des personnages ayant existé et d’autres issus de l’imagination de l’auteur comme Ti Noël, personnage fictionnel que nous suivons jusqu’à sa mort à travers les évènements qui vont bouleverser le pays. Il est l’esclave de M. Lenormand de Mezy, connu, lui, pour avoir été le maître du Mandingue Mackandal, personnage historique. Ti Noël participe aux révoltes mais finit par suivre son maître à Santiago de Cuba. Quand il reviendra dans son pays, Haïti, en homme libre, il devra alors déchanter.

 Le royaume de ce monde est un roman court qui ne laisse pas place au temps. Divisé en grands chapitres, il survole une période qui s'étend du milieu du XVIII siècle au début du XIX siècle après 1820.  L’auteur ne nous permet pas de nous attacher à un personnage, ni d’être ému par les atrocités, les humiliations, châtiments,  meurtres, des viols, dont sont victimes les africains. Il ne nous épargne pas non plus, celles commises par les esclaves pendant et après la Révolution dans une sorte d’escalade où l’humain n’a plus lieu d’exister. Le  récit pourrait donc paraître assez froid mais agit, en fait, comme un coup de poing en nous faisant découvrir la violence de l’esclavage mais aussi, la manière dont les hommes - qu’ils soient blancs ou noirs- se laissent corrompre par le pouvoir et, de victimes deviennent tourmenteurs. Ceux qui étaient esclaves, hier, se font dictateurs à vie, se proclament empereur ou roi et imposent le travail forcé aux anciens esclaves prétendument devenus libres !
Le roman est éclairé de grandes scènes baroques, de personnages hors du commun et surprenants sur lesquels plane la présence de la Mort. Car ce qui intéresse l’écrivain, c’est la peinture de la démesure, de ce qui échappe aux règles de la raison.
Ainsi évoluent des personnages hauts en couleurs, hors norme, que l’on a peine à croire réels et non issues de l'imagination délirante de leur auteur,  mais qui ont pourtant bel et bien existé !

Ainsi le personnage de Mackandal, l’insurgé noir, auréolé de légendes, maître des plantes vénéneuses, qui empoisonnent le bétail puis les maîtres comme par magie. Reconnu comme un Houngan, (prêtre vaudou), nègre marron, il convoque les dieux africains, les loas, dans les forêts tropicales, il se métamorphose en animal, en insecte, échappant - aux yeux des esclaves- au bûcher sous la forme d’un moustique pendant son exécution, en 1758, au Cap (actuel Cap haïtien). L’auteur décrit la puissance des croyances vaudous, de cette religion animiste auquel les africains sont fortement attachés et qui est une forme de résistance aux colons français qui leur imposent le baptême chrétien.

Pauline Bonaparte

Autre apparition surprenante, celle de Pauline Bonaparte, soeur de Napoléon, blanche statue d’albâtre, qui se fait masser nue par un esclave noir appelée Soliman (celui-ci est aussi un personnage récurrent dans le roman)  tandis que son mari le général Leclerc, chargé de mater la révolution en 1802, agonise de la fièvre jaune,  dans la chambre à côté. 

Le roi Henry Christophe
 

Mais le personnage le plus étonnant lorsque Ti Noël retourne dans son île, en se croyant libre, c’est le roi Henri Christophe dont on pourrait croire qu’il n'a pas  existé jusqu’à preuve du contraire tellement sa destinée est incroyable et son ambition extravagante. Esclave, il participe à la révolution. Après l’assassinat de Jean Jacques Dessalines, son prédécesseur, il prend le pouvoir dans les plaines du Nord,  se proclame roi d’Haïti et rétablit une classe nobiliaire. 

 

Tableau du palais de Sans Souci

La description de son domaine, des palais de Sans-Souci et de la Belle Rivière, et de la construction de la Citadelle Henry (citadelle La Ferrière) au sommet de la montagne est absolument étourdissante ! On y voit ce que sont devenus « les hommes libres » d’après la révolution ! La corruption par le pouvoir prend une dimension incroyable !

 La citadelle Henry ( La Ferrière)

Ti Noël put observer en route que sur tous les flancs de la montagne, par tous les sentiers et chemins de traverse montaient des files compactes de femmes, d’enfants et de vieillards; ils portaient toujours la même brique pour la déposer au pied de la forteresse que l’on construisait telle une termitière, avec ces grains de terre cuite qui sans cesse montaient vers elle, d’une saison à autre, d’un bout de l’année à l’autre. Bientôt Ti Noël apprit que ça durait depuis plus de douze ans, et que toute la population du Nord avait été mobilisée par force afin de travailler à cette oeuvre invraisemblable. Toutes les tentatives de protestation avaient été étouffés dans le sang. Tout en marchant sans arrêt, de haut en bas, de bas en haut, le nègre se prit à penser que les orchestres de Chambre de Sans-Souci, le faste des uniformes et les statues de Blanches nues qui se chauffaient au soleil sur leurs socles ornée d’entrelacs, parmi les buis taillés des parterres, étaient dus à un esclavage aussi abominable que celui qu’il avait connu à l’habitation de M. Lenormand de Mezy.


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Certains passages sont savoureux et comiques. Ainsi la scène où la seconde femme de M. Lenormand de Mezy, artiste parisienne ratée et frustrée, enveloppée dans des voiles transparents, déclame des vers de Racine devant les esclaves médusés  de son mari :
Mes crimes désormais ont comblé la mesure
Je respire à la fois l’inceste et l’imposture
Mes homicides mains, promptes à me venger,
Dans le sang innocent brûlent de se plonger.

Stupéfaits, sans rien comprendre, mais instruits par certains mots, qui, en créole également se rapportaient à des fautes dont le châtiment allait pour eux d’une simple volée à une décapitation, les nègres avaient fini par croire que cette dame avait dû commettre de nombreux délits autrefois et qu’elle se trouvait probablement à la colonie pour fuir la police de Paris, comme tant de prostituées du Cap.

Je publierai rapidement un billet sur le roman d'Isabelle Allende : L'île sous la mer
 


dimanche 7 février 2021

Alejo Carpentier : Le siècle des Lumières

 

Le siècle des Lumières de Alejo Carpentier, écrivain cubain, c’est, la Révolution française et ses répercussions dans les Caraïbes, à Cuba où débute l’action puis à la Guadeloupe, via Paris et Bordeaux, pour arriver en Guyane.
Trois jeunes cubains, personnages fictifs et attachants du roman, Esteban, sa cousine Sofia et son cousin Carlos, vont être les témoins de cette époque tourmentée. Pour Esteban, en particulier, cette période va représenter une initiation cruelle, qui lui fera perdre naïveté, confiance et espérance.


Victor Hugues

Esteban quitte la Havane pour suivre son ami Victor Hugues, personnage historique, ancien négociant, fervent admirateur de Robespierre. Victor devient accusateur public à la Rochelle avant de partir pour la Guadeloupe afin d’y abolir l’esclavage. Moments de réjouissance et de bonheur vite suivis, dans la foulée, par l’utilisation de la guillotine que l’accusateur public a transportée avec lui. Victor Hugues reprend l’île aux britanniques et organise la guerre de course (corsaires) qui va créer une classe de nouveaux riches. A la fin de la Révolution, loin de tomber en disgrâce, Victor Hugues devient gouverneur en Guyane et applique, sans état d’âme, le nouveau décret qui rétablit l’esclavage, opérant ainsi un grand retour en arrière et abolissant tout espoir d’un monde meilleur.  

Tout le pessimisme de Carpentier-Esteban s’exprime ici. C’est comme si la révolution n’avait pas existé, que les  gens étaient morts pour rien, comme si les idées positives de cette période avaient été ensevelis sous les actes de la Terreur, la corruption des esprits, l’ambition et l’avidité humaines, le reniement de soi-même.
Ce vaste panorama de la révolution, magnifique élan des peuples opprimés, qui débute par l’espoir de la liberté et de l’égalité, vire donc peu à peu au cauchemar aux yeux d’Esteban qui perd toutes ses illusions. Pourtant quand il parvient à fuir en Guyane néerlandaise avant de regagner Cuba, et qu’il voit, comme nous l’a montré Voltaire, que l’on coupe les pieds ou les mains des esclaves marron, il comprend l’urgence de la révolution.

En fait, Esteban, disciple de Victor Hugues, fait souvent penser à Candide, disciple de Pangloss, mais s’il subit les mêmes désillusions, il n’aura pas, comme le héros de Voltaire, le temps de cultiver son jardin.
En revenant à La Havane, il ne pourra pas transmettre son expérience désenchantée à Sofia et Carlos, ceux-ci ayant toujours foi dans la révolution des Lumières. La jeune fille devra faire elle-même son expérience.

Jean Nicholas Billaut Varenne

Alejo Carpentier peint avec habileté les changements qui s’opèrent dans l’âme humaine. Victor Hugues quand il fait connaissance des  adolescents, Esteban, Sofia et Carlos, à la Havane, est un jeune homme sympathique, un peu tapageur et suffisant, mais amusant et amical. L’amitié des trois enfants, livrés à eux-mêmes après la mort de leur père, et du jeune homme étranger, français de Marseille, dans le fouillis de cette maison-capharnaüm est un instant de grâce. Un peu comme le jardin de l’Eden avant la chute. C’est un moment de bonheur aussi pour le lecteur. Mais peu à peu Victor Hugues se transforme. Lorsque Esteban le retrouve à La Rochelle où il fait tomber les têtes à un  rythme soutenu, l’homme qu’il est devenu n’a plus rien d’humain. Et il finira par oublier ses idées. Il y aussi des moments très forts quand, en Guyane, nous rencontrons tous les révolutionnaires, sauvés de l’échafaud mais envoyés au bagne. C’est une sorte d’enfer dantesque qui est décrit, avec les différents cercles, tous prêts à renier leurs idées, sauf un, au centre, Billaut-Varenne, membre du comité de salut public, partisan de la terreur, qui a fait tomber la tête de Robespierre ! Des portraits qui marquent !

Un style baroque

Henri Rousseau dit le douanier
 

 Alors certaines créatures végétales d'en bas prenaient des silhouettes nouvelles : les papayers avec leurs mamelles suspendues autour du cou, semblaient s'animer, s'acheminer vers les lointains fumeux de la Soufrière : le fromager "père de tous les arbres" comme disaient certains nègres, prenaient davantage la forme d'un obélisque, d'une colonne rostrale, d'un monument, et sa taille croissait contre les feux du crépuscule. Un manguier mort se transformait en un faisceau de serpents immobilisés dans leur élan pour mordre, ou bien encore, vivant et débordant de sève qui suintait à travers l'écorce et les peaux jaspées de ses fruits, il fleurissait soudain et s'enflammait de jaune. Esteban suivait la vie de ces créatures avec l'intérêt que pouvait lui inspirer le développement d'une existence zoologique.

Si le récit est riche en aventures et en histoire des idées, le style ne l’est pas moins ! Je comprends que l’on parle de style baroque à propos d’Alejo Carpentier, tant le foisonnement de ses descriptions, la profusion des couleurs, des sons, des odeurs, des détails de toutes sortes, l’abondance et la richesse du vocabulaire sont des ornements éblouissants.

 Ce n’est pas sans raison qu’il montre son héros Esteban « jouir de l’euphorie des mots ». 

 « Esteban était rempli d’étonnement quand il remarquait que le langage, en ces îles, avait dû utiliser l’agglutination, l’amalgame verbal et la métaphore, pour traduire l’ambiguïté formelle des choses qui participaient à plusieurs essences. De la même façon que certains arbres étaient appelés, « acacias-bracelets », « ananas-porcelaine », « bois-côte, « balai-dix heures », « cousin-trèfle », « pignon-gargoulette », « tisane-nuée », « bâton-iguane », de nombreuses créatures marines recevaient des noms qui, pour fixer une image, établissaient des confusions de mots, engendrant une zoologie fantaisiste de poissons-chiens, de poissons-boeufs, de poissons-tigres, de poissons ronfleurs, souffleurs, volants, à queue rouge, rayés, tatoués, fauves…. »

Et son érudition couvre tous les domaines, qu’il parle de fonds sous-marins, d’histoire, de philosophie, de musique, d’ethnologie, de géographie, de végétation tropicale,  c’est toujours incroyablement riche, précis, minutieux et pourtant poétique et visionnaire.

Certains matins à l’aube, la mer était si calme et silencieuse que les craquements isochrones des cordes aux tonalités plus aiguës ou plus graves selon qu’elles étaient plus courtes ou plus longues se combinaient de telle sorte que de la poupe à la proue c’étaient des anacrouses et des temps forts, des appoggiatures et des notes piquées, avec le rauque point d’orgue issu d’une harpe formée par des câbleaux tendus, soudain pincés par un alizé.

Un auteur, donc, que je découvre avec admiration et que je veux suivre avec d’autres lectures ! Et oui, encore un !

Alejo Carpentier, écrivain cubain

 
 Alejo Carpentier y Valmont, né 1904 à Lausanne et mort en 1980 dans à Paris, est un écrivain cubain, romancier, essayiste, critique musical, compositeur, qui a profondément influencé la littérature latino-américaine. Il a vécu entre la France, patrie de son père, et Cuba. A Paris, il a rencontré les grands noms du surréalisme, Paul Eluard, Louis Aragon, André Breton et Jacques Prévert. A Cuba il est un fidèle partisan de Castro et il épouse son lutte contre la misère et l'exploitation du peuple cubain. Il est ébloui par le métissage de La Havane et l'indigénisme. Il fera de cet émerveillement l'essence de son oeuvre, qu'il qualifie de "real maravillosa", un réalisme perfectionné par l'émotion et l'enchantement du monde. Le réalisme merveilleux est une notion de critique littéraire ou de critique d’art qui se réfère à des productions artistiques dans lesquelles la représentation du réel est fortement teintée par le merveilleux.
Quelques titres  :  "Le partage des eaux", "Concert baroque", "Le royaume de ce monde"

Art : peinture cubaine

 
Les oeuvres picturales qui évoquent le plus pour moi le "real maravillosa" d'Alejo Carpentier, sont celles du peintre français, le Douanier Rousseau.






Mais l'art du peintre primitif cubain et Ruperto Jay Matamoros m'a paru aussi correspondre aux descriptions enchantées d'Alejo Carpentier.
Non que l'art d'Alejo Carpentier soit naïf mais les paysages colorées qui dévoilent la subjectivité de celui qui les regarde,  appartiennent toujours, au-delà du réel, au domaine du rêve et de la magie.

Ruperto Jay Matamoros ( 1912- 2008)

Le fermier de Ruperto Jay Matamoros
 

Ruperto Jay Matamoros est né en 1912 à Santiago de Cuba. Il est  le plus ancien et le plus grand peintre populaire ou «primitif» de Cuba. Il entre en 1937, à l'atelier de peinture et de sculpture  créé par  le peintre cubain Eduardo Abela.
 
Edouardo Abela

En 1946,  Matamoros crée son propre atelier de décoration et de peinture. En 1963, après la révolution, il rejoint l'UNEAC, l'Union des écrivains et artistes cubains, et commence à travailler sur des commandes de peinture au ministère de la Justice. Depuis les années 1960, Matamoros a exposé dans le monde entier, en Bulgarie, en France, en Hongrie, en Italie, au Mexique, en Suède et en Union soviétique. Il a exposé dans la première Biennale de La Havane, en 1984, ainsi que dans les deuxième et troisième biennales. En 1994, il a reçu l'Ordre Felix Varela, par le Conseil d'État de la République de Cuba.

En 2000, à l'âge de 88 ans, Jay Matamoros a reçu la médaille du 270e anniversaire de l'Université de La Havane et a été honoré du prix national des arts visuels. L'occasion a été présentée par une exposition rétrospective personnelle au Museo Nacional de Bellas Artes, à La Havane.

Jay Matamoros est décédé à l'âge de 95 ans à La Havane en 2008.  (source ici )

 

 La peinture de Ruperto Jay matamoros

 







 


 

jeudi 28 juin 2012

Leonardo Padura : Les brumes du Passé (Citation)



Miro Argenter Jose : Cronicas de la guerra de Cuba (1911)

Un des livres qui compose la bibliothèque idéale des Montes de Oca dans le roman



Dans Les brumes du passé, Cristobal, le vieux bibliothécaire qui a fait découvrir à Mario Condé l'amour de la lecture  part à la retraite dans un pays, Cuba, qui est en crise. Inquiet pour le sort de la bibliothèque après son départ, il se confie à Mario : 

Chacun des livres qui sont là derrière (il indique le magasin du fond) a son âme, sa vie, il a une part de l'âme et de la vie des gamins, qui, comme toi, sont passés par cette bibliothèque et les ont lus au cours de ces trente années. J'ai classé chacun de ces livres, je les ai rangés à leur place, je les ai  nettoyés, recousus, collés, quand c'était nécessaire. Mon petit Conde, j'ai vu beaucoup de folies durant ma vie. Que va-t-il leur arriver?
 Chaque livre, n'importe lequel est irremplaçable, chacun a un mot, une phrase, une idée qui attend son lecteur.

jeudi 21 juin 2012

Leonardo Padura : Les brumes du passé






Les brumes du passé de Léonardo Padura, écrivain cubain, est un très beau livre dont on subit le charme, peu à peu, en entrant dans l'histoire du personnage récurent Mario Conde et d'un pays Cuba.

Mario Conde est entré dans la police par idéal, parce qu'il n'admet pas que les coupables ne soient pas punis pour leurs actes. Mais ce qu'il a vu dans la police, corruption, malhonnêteté, l'a dissuadé d'y rester. Il s'est donc reconverti dans le commerce des livres anciens que les collectionneurs  revendent pour ne pas mourir de faim dans l'île qui subit la crise de plein fouet. Un jour d'été 2003, il découvre une bibliothèque inestimable dans la maison d'un riche propriétaire qui a dû fuir l'île après la révolution cubaine de 1959. Et dans un de ces livres prestigieux, il  trouve la photo d'une ancienne chanteuse de bolero, Violeta del Rio. Sans trop savoir pourquoi l'image et bientôt la voix de cette femme envoûtante vont le hanter. Il part donc à la recherche des brumes du passé, essayant de retrouver les traces de cette artiste qui a brutalement disparu de la scène. Parallèlement,  Dioniso Ferrero, le propriétaire de la bibliothèque découverte par Mario, est assassiné et six livres disparaissent. Ceci suffit à expliquer que Mario Condé et son associé soient considérés comme les premiers suspects. L'ancien policier, pour se disculper, va donc se lancer dans une enquête pour retrouver le meurtrier. Quelque chose lui dit que cette recherche est indissociable de celle qu'il a entreprise à propos de Violeta del Rio.
Le récit est raconté à la troisième personne et suit le personnage de Mario Conde évoluant dans le Cuba contemporain des années 2000. Il est entrecoupé des lettres d'une femme inconnue mais dont on devine vite la personnalité qui sont écrites dans les années post-révolution.

Non, Les brumes du passé, n'est pas un livre policier, même s'il l'est, oui..  C'est aussi un roman noir avec avec Violeta del Rio, La Dame de la nuit, ce personnage de femme fatale qui évolue, dans les années 1950,  dans un univers sinistre où les plus grands bandits sont les hommes qui ont le pouvoir. Mais il est tellement autre chose aussi, tellement riche avec ces thématiques passionnantes et ses personnages qui finissent par être attachants même s'ils ne sont pas exempts de défauts. Représentants de l'humanité moyenne, ils doivent composer avec leur conscience pour s'en sortir dans un pays où les restrictions alimentaires sont terribles depuis la crise, où les tickets d'alimentation ne permettent que de survivre, où l'on n'est pas sûr de pouvoir manger le lendemain.
Ce livre c'est d'abord l'Histoire de Cuba dont le passé s'accumule par strates, expliquant le présent des personnages et du pays. L'écrivain nous présente plusieurs époques , instaurant un va-et-vient  désordonné de l'une à  l'autre au gré du récit, de la présidence de l'immonde dictateur Batista, à la révolution de Fidel Castro, jusqu'à notre époque qui se marque par un constat d'échec.. Ces allers-retours permettent de comprendre ce qu'était Cuba sous Batista avec un gouvernement et des riches qui ne se préoccupaient que de s'enrichir encore plus, organisant eux-mêmes la prostitution de luxe avec des mineures, la vente de la drogue, faisant en sorte que le pays serve de bordel aux Etats-Unis... Face à eux, un peuple affamé et inculte livré à la prostitution, à la drogue, au banditisme.. On comprend pourquoi la révolution a été si bien accueillie par les gens modestes. On comprend pourquoi Mario Condé et ses copains y ont cru et ont sacrifié les meilleures années de leur vie pour parvenir à créer un monde meilleur. On comprend aussi ce qu'ils éprouvent à présent en voyant leur pays à l'agonie, en comprenant qu'ils ont été floués, que leurs idéaux ont été bafoués, qu'une autre caste sociale détenant le pouvoir a remplacé l'autre. La révolution a échoué,  ils doivent renoncer à un rêve qui aurait pu être beau mais qui a été corrompu. Cuba est redevenue aujourd'hui un  lieu de tourisme sexuel pour les étrangers, un immense terrain où la drogue, la corruption, la violence et le vol règnent en maître...  à faire regretter sinon la vie avant la révolution, du moins les lieux d'amusement - comme l'explique un vieux musicien-  les cabarets qui permettaient sous Batista d'oublier la misère, la musique populaire et surtout le bolero, chanson sentimentale cubaine, souveraines dans l'île à cette époque et qui a disparu de nos jours!  Le lecteur ressent avec beaucoup d'acuité le désenchantement, la nostalgie de ces vieux bonhommes, ces personnages qui sont à l'heure du bilan, Mario et ses amis, Flaco et sa mère, Candito, le Paloma..

Car Les Brumes du passé est une belle histoire d'amitié. Quand on est à l'heure des illusions perdues, il n'y a vraiment que les amis qui comptent. C'est ce que pense Mario Conde qui veille sur ses copains comme une mère sur ses enfants, se faisant du souci pour leur santé, partageant avec eux, en beuverie et en ripaille, l'argent qu'il gagne avec la vente de livres.

Et c'est aussi un hymne aux livres. Mario Conde a appris à aimer les livres grâce au vieux bibliothécaire de son lycée qui lui a fait découvrir tous les classiques. Cet amour, il le porte en lui comme la part la plus propre qui compose sa personnalité. Il vend de vieux livres, poussé par la nécessité, certes, avec un brin de culpabilité, mais il les aime, il les protège, il refuse que les grands livres patrimoniaux quittent le territoire de son pays. Et c'est ce que j'ai aimé dans le personnage, cette pureté qu'il parvient à conserver quand il s'agit de tout ce qui lui tient à coeur, les amis, les livres, l'honnêteté.  J'ai aimé qu'il soit "un Martien" comme lui dit son ami Yoyi Palomo,  incorruptible, refusant la cupidité, la prostitution, la drogue, n'ayant même jamais fumé un joint de sa vie.
Un très beau livre. J'ai vraiment découvert un écrivain de talent et j'ai hâte de lire d'autres livres de lui!

Dans le cadre des écrivains latino- américains