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mercredi 7 mars 2012

Darren Aronofsky : Black Swann


Natalie Portman Black Swann


Black Swann est un film de Darren Aronofsky qui explore le milieu de la danse. Nina (Natalie Portman) est danseuse dans le prestigieux corps de ballet de New York City. Une chance extraordinaire s'ouvre à elle lorsque le chorégraphe, Thomas, (Vincent Cassel) la choisit pour le rôle du Cygne. Mais pour cela elle évince la danseuse étoile titulaire du rôle, vieillissante, et elle entre en rivalité avec une autre ballerine extrêmement douée, Lily (Mila Kuni).

L'histoire pourrait être une variation de plus sur le thème de la rivalité entre danseurs au sein d'un corps de ballet et les difficultés de ce métier difficile où il faut tout sacrifier pour réussir. Et bien sûr, c'est vrai qu'il est question de cela et même que de cela! Mais... L'originalité vient de l'intérêt du réalisateur pour l'exploration de ce qui se passe dans un cerveau malade de la danseuse et la folie qui en découle.

Pour bien comprendre l'enjeu du rôle il faut se débarrasser de l'image romantique du tutu et des jolies danseuses évoluant sur une musique dite "facile" et sentimentale, celle de Tchaïkovsky. Le Lac des cygnes est un conte cruel tiré d'une légende allemande qui parle d'amour, certes, mais aussi d'envoûtement. Un mauvais génie  retient prisonnières des jeunes filles sous la forme de cygnes. Odette, le cygne blanc, rencontre l'amour lorsqu'elle redevient femme, la nuit, avec le prince Siegfried. Mais le cygne noir, Odile, fille du magicien, va prendre sa place au bal et c'est elle qu'il choisira comme épouse. Il s'agit donc d'un combat entre le Bien et le Mal et dans de nombreuses versions de l'oeuvre, c'est le Mal qui l'emporte.

La difficulté du rôle pour Nina est qu'elle doit incarner à la fois le cygne blanc et le noir, donc la pure jeune fille et la femme fatale, le Bien et le Mal. Or Nina est une jeune femme fragile sur le plan psychologique, elle n'est jamais sortie de l'enfance,  surprotégée par sa mère et elle n'a jamais connu la passion. Passons sur l'invraisemblance du scénario un peu lourd qui fait d'une danseuse étoile d'un des plus grands ballets du monde, une petite fille "neuneu"jamais sortie de sa chambre et de ses peluches roses! Comme si elle n'était jamais partie en tournée internationale, comme si elle n'avait jamais interprété d'autres grands rôles avant celui-ci! Passons donc et l'on comprendra qu'il est facile à Nina d'incarner le cygne blanc mais pas le noir! Il faut donc que Nina cherche en elle, au plus profond d'elle-même son côté ténébreux, les pulsions qu'elle a jusqu'alors refoulées.
Et cette recherche va fortement ébranler la raison de la jeune fille faisant surgir devant elle des hallucinations dont elle ne sait plus (et nous non plus spectateur) si elles sont réalités ou fantasmes:   par exemple, la scène où elle broie la main de sa mère en refermant la porte sur elle, ou celles où l'on assiste à ses ébats sexuels avec Lily, dans sa chambre de jeune fille, ou encore le meurtre dans sa loge... Cette perte de conscience de la réalité, ce dédoublement de la personnalité exigé par le rôle sont savamment orchestrés par le véritable cygne noir, Lily, sa rivale, intrigante et perverse, qui joue une jeu trouble avec Nina.
Le cygne est, en effet, dans la mythologie, un symbole androgyne représentant à la fois la lumière solaire et lunaire, c'est à dire à la fois mâle et femelle, symbole de la sexualité refoulée. L'on sait aussi que Tchaïkovski a cherché à exprimer avec ce ballet son homosexualité inavouée, vécue à son époque comme une honte, en faisant du prince Siegfried un homme à qui les amours féminines sont interdites.  On comprend mieux la réaction primitive de Lily qui mord violemment les lèvres du chorégraphe quand celui-ci cherche à l'embrasser et pourquoi aucun homme ne l'a jamais approchée. 
Ainsi ce que découvre Nina sur elle-même, son attirance pour Lily, la violence  et la haine qui habitent en elle, l'épouvante. La pression exercée par ce rôle qu'elle ne se sent pas capable d'assumer -et qui est pourtant la consécration suprême pour toute ballerine-  explique cette descente vers la folie et vers la mort.
Le film est donc d'une étude sur la folie. On ne voit pas pourquoi il a été qualifié de thriller psychologique si ce n'est dans un but publicitaire ou peut-être parce que la mise en scène esthétise un peu trop la violence pour en faire un spectacle!

Piotr Illitch Tchaïkovsky

Le ballet  en quatre acte de Piotr Illitch Tchaïkossky de Tchaïkowsy est composé en 1871 à une époque où l'on ne peut plus parler du mouvement romantique. Mais Vladimir Begichev, le librettiste, inspiré d'une légende  allemande tirée  d'un recueil de conte populaires allemands de Johann Karl August Musäus (1735-1787) mais le thème du lac des cygnes existe aussi dans de nombreux récits romantiques russes et présente tous les thèmes du romantisme : le fantastique, le rêve, l'amour fidèle, la fatalité, la nuit, le bien opposé au mal....


Le Lac des cygnes ballet de tchaïkosky



Ce film est présenté dans le cadre du challenge des fous de L'Ogresse de Paris.




mercredi 4 janvier 2012

Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky : Le double



Dans Le double, Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevsky conte l'histoire de Jacob Pietrovitch Goliadkine, conseiller titulaire, petit fonctionnaire aux manières assez étranges et incohérentes. Celui-ci rencontre dans la rue, un soir de mauvais temps, un passant qui lui est familier. Lorsqu'il entre chez lui, l'homme qu'il a croisé en chemin est là et l'attend. M Goliadkine découvre avec stupéfaction que ce personnage est un autre lui-même, parfaitement identique, son double! Quand il se rend à son travail, au Ministère, le lendemain matin, son double est encore là qui s'attire les compliments de ses supérieurs en exploitant le travail du "vrai" M Goliadkine. Désormais, ce dernier ne pourra plus se débarrasser de son double qui le suit partout, se concilie les bonnes grâces de tous à son détriment et n'aura de cesse de l'évincer!
Contrairement à ce que l'on peut croire Le double n'est pas une nouvelle qui fait intervenir le surnaturel. Cette rencontre  hallucinante et angoissante du double dans la nuit glaciale, est, en fait, la description des troubles psychiatriques dont souffre le personnage. Dostoïevsky s'est largement documenté auprès d'un médecin spécialiste, il a consulté de nombreux traités de médecine pour analyser cette maladie : dédoublement de la personnalité, paranoïa ( Goliadkine croit à l'existence d'un complot contre lui). Son intuition, d'autre part, fait pressentir à l'écrivain, des années à l'avance, les découvertes du docteur Freud. Mais le manière de traiter le récit brouille les pistes si bien que le lecteur ne sait pas toujours s'il est dans la réalité ou dans le surnaturel. Dès le début, pourtant, l'écrivain nous décrit les bizarreries du personnage qui le conduisent à visiter un médecin psychiatre. Nous sommes dans une réalité clinique qui mènera le malade à l'asile. Mais le lecteur est désorienté car l'entourage de Goliadkine, son serviteur, ses collègues, voient le double qui semble prendre alors une réalité concrète comme dans un conte fantastique.

En écrivant ce livre, Dostoïevsky voulait faire un roman social. Et même si son sujet a largement débordé de ce projet, il n'en reste pas moins que la description de cette société strictement hiérarchisée, guindée, enfermée dans des codes rigides, où les gens sont jugés selon la place qu'ils occupent, renforce ce sentiment d'aliénation qui est celui du personnage. Cette déshumanisation contribue à créer l'angoisse qui jette le malade dans la plus profonde  détresse.
Le sous-titre de ce roman est Poème pétersbourgeois en hommage à Gogol auquel Dostoïesvky vouait une profonde admiration et qu'il s'efforçait d'égaler.  Ecrit en 1845, Le double est le second roman de l'écrivain. L'imitation est telle que l'on a un peu l'impression de lire le Gogol des Nouvelles pétersbourgeoises et pour ma part, je préfère le Dostoievsky des grands romans comme L'idiot. Pourtant, le sous-titre n'est pas gratuit et Saint Pétersbourg est un personnage à part entière. Les lieux et les itinéraires empruntés par Goliadkine sont très précis. La description de la ville, grise, froide, menacée par l'inondation, avec ses neiges et le vent glacial est un cadre parfait pour l'analyse du personnage dont la ville reflète l'état d'esprit. Dostoievsky décrit l'angoisse de Goliadkine avec un art qui plonge le lecteur dans un profond malaise. Quand il est chassé de la maison par son supérieur hiérarchique, Olsoufii Ivanovitch Berendiiev, qu'il considère comme un père, et qu'il erre dans la nuit, écoutant les rumeurs de la rivière en crue, au milieu des éléments qui se déchaînent, la détresse du personnage, son désir d'anéantissement sont si violents qu'ils le mènent au bord du suicide : 

Non seulement notre héros cherchait de toutes ses forces à se fuir lui-même mais encore il aurait donné cher pour pouvoir s’anéantir d’une façon définitive, pour être, sur-le-champ, réduit en cendres. Pour l’instant,il ne prêtait attention à rien, ne se rendait compte de rien : il semblait absolument indifférent à tous les obstacles que dressait devant lui cette nuit funeste ; indifférent à la longueur  du chemin, à la rigueur du temps, à la pluie, à la neige, au vent. Sur le trottoir du quai de la Fontanka, la galoche qui recouvrait son soulier droit se détacha et resta là, plantée dans la boue et la neige. Il ne s’en aperçut même pas, ne songea pas un instant à revenir sur ses pas pour la retrouver. Il était si préoccupé, qu’à plusieurs reprises, en dépit de la tourmente, il s’arrêta et resta sur le bord du trottoir, planté comme un poteau, pétrifié, se remémorant tous les détails de sa récente et atroce déchéance. Il se sentait mourir.

Ce roman malgré ses qualités certaines a été une lecture difficile pour moi parce qu'il m'a procuré un sentiment extrêmement pénible de rejet, preuve qu'il atteint son but!. Jacob Goliadkine, en effet, éveille en moi des sentiments contradictoires, empathie devant l'intensité de ses souffrances mais aussi répulsion car le personnage est trop souvent dérisoire, ridicule, ennuyeux et pas obligatoirement sympathique...
Le double de Dostoievsky est le premier roman que je lis dans le cadre du Challenge des Fous initié par L 'Ogresse de Paris