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lundi 10 mars 2014

Walter Scott : Le talisman



Le roman de Walter Scott Le talisman se déroule pendant la troisième croisade organisée pour reconquérir la ville sainte de Jérusalem tombée aux mains du sultan Saladin. Richard Coeur de Lion, malade, ne peut combattre et l'armée des croisés est immobilisée dans l'attente d'une amélioration de la santé du souverain anglais. Tandis que les alliés de Richard, avec, entre autres, le roi de France Philippe-Auguste, Gilles Amaury, le grand maître de l'ordre des Templiers, l'archiduc d'Autriche, Léopold V (celui-là même qui retiendra Richard prisonnier lors de son retour en Angleterre), Conrad de Montferrand, complotent, les uns pour abandonner la croisade et repartir chez eux, les autres pour maintenir leur souveraineté sur les terres de Palestine qui leur appartiennent déjà, le sultan Saladin accorde une trêve à Richard et envoie son médecin à son chevet.

Walter Scott avertit le lecteur dès la préface. Certes les personnages sont historiques mais il a pris beaucoup de liberté avec l'Histoire. De plus il a imaginé des personnage fictifs : Kenneth, un chevalier écossais, pauvre mais ardent et courageux, et la cousine du roi, qui n'a jamais existé. Une histoire d'amour chevaleresque va naître entre les deux dans la pure tradition du roman courtois .

Ce qui intéresse peut-être le plus Scott c'est d'imaginer la confrontation entre Richard Coeur de Lion et le sultan Saladin. Si Richard Coeur de Lion a un sens chatouilleux de l'honneur, s'il est présenté comme un valeureux chevalier, imposant, dominateur et grand, le meilleur sur un champ de bataille, Walter Scott se plaît à souligner ses défauts. Son caractère violent, emporté, sa morgue et le mépris qu'il manifeste souvent envers ses alliés, son manque de diplomatie, le rendent incapable de maintenir l'union de la croisade.  Face à lui, Saladin apparaît comme un sage à la culture raffinée, intelligent, réfléchi, un homme de sciences, très versée dans l'art de guérir, un souverain tout puissant qui n'a qu'une parole, mais qui n'en est pas moins un guerrier redoutable. Incontestablement supérieur à Richard!  ce qui est assez étonnant de la part d'un écrivain occidental du XIX siècle!  Il faut peut-être voir dans ces critiques, les sentiments de l'écossais Walter Scott face au souverain d'Angleterre.

Quant au récit romanesque lui-même, il m'a paru assez faible et de peu d'intérêt. L'intrigue est plus un prétexte qu'une véritable histoire en dehors de la rencontre dans le désert de Kenneth et de Saladin et de la grotte de l'ermite. Les personnages sont assez fades. Je me suis peu intéressée à eux et j'avoue que je n'ai pas trop compris l'intérêt du talisman qui donne son titre au roman. Dans l'ensemble, je n'ai pas aimé le roman malgré quelques passages intéressants.

Lecture commune avec : 

 Miriam : A partagé cette lecture commune avec nous et cela lui a donné l'idée de consacrer plusieurs billets à ses lectures sur Jérusalem dont Le talisman fait partie.. Aujourd'hui elle publie un premier volet sur Jérusalem :  la biographie de Montefiore et l'opéra de Jordi Savall

Eeguab ICI

Nathalie ICI

Shelbylee


mardi 17 janvier 2012

Wallace Stegner : La bonne grosse montagne en sucre



La bonne grosse montagne en sucre est un de ces bons gros bouquins qui, une fois commencé, ne peut être interrompu sous peine de dépérissement. Comment, en effet, abandonner en cours de route ces héros si attachants et si imprévisibles qui -et cela à cause du personnage principal Harry Mason (dit Bo Mason)-  se mettent dans des situations inextricables? On souhaiterait tant qu'ils puissent en sortir indemnes, ce qui n'est pas le cas, hélas! La vie, dans ce roman de Stegner, est toujours prête à virer au cauchemar et ne ménage pas ses acteurs.
Pourtant, lorsque, en ce mois de Décembre 1904, la jolie rouquine, Elsa, irritée par le remariage de son père après la mort de sa mère, fuit sa maison de Minnéapolis dans le Minnesota pour aller vers l'Ouest dans le Dakota du Nord, c'est une grande et passionnante histoire qui commence. Là, elle rencontre Bo Mason, un beau gosse extrêmement doué et qui, de plus, tombe fou amoureux d'elle et fait tout gagner son amour. On se croirait transporté dans un western avec cette rencontre de deux jeunes gens idéalement beaux prêts à vivre de merveilleuses aventures. Qu'importe si le père d'Elsa met en garde sa fille contre ce mariage, et tant pis si Bo n'a pas de profession mais beaucoup de rêves et s'il se révèle un brin violent et incapable de se maîtriser!  La vie n'a rien de romantique et la suite, l'on s'en doute, réserve bien des malheurs à Elsa et ses enfants, Chester et Bruce...
Les centres d'intérêt de ce roman sont nombreux. Et d'abord, la présence de la nature, de ces grands espaces de l'Ouest et de ces régions qui exercent un attrait puissant.
Ensuite les personnages riches et tourmentés :
Complexe ce Bo Mason, travailleur acharné, dur à la tâche, d'une force herculéenne, adroit, qui sait tout faire de ses mains,  doté d'une mémoire phénoménale, mais instable, incapable de se fixer, fidèle en amour mais considèrant bien vite sa femme et ses enfants comme des boulets attachés à ses pieds. Un rêveur, un chasseur de mirages qui joue sa  vie comme  à la roulette d'un casino. Ce qu'il veut, c'est faire fortune et vite, se trouver une bonne grosse montagne en sucre, ce lieu d'une inconcevable beauté qui avait attiré toute la nation vers l'ouest, cette contrée ou une terre grasse laissait sourdre la richesse et où des cieux tombaient de la limonade et où, comme le dit la chanson :
Les flics y ont des jambes de bois
L' aumône y pousse dans les fourrés,
Les poules y pondent des oeufs coque,
Les dogues y ont des crocs en caoutchouc..
Pays  mythique dont la recherche jamais interrompue entraîne Bo Mason et sa famille sur les routes, d'un état à l'autre, de déménagements en déménagements. Bo cultive des terres, fait de la contrebande au moment de la prohibition, tient une maison de jeux, achète une concession, soumet sa femme et ses enfants à une angoisse incessante ponctuée par ses crises de rage et de violence. Pays disparu car l'Amérique de cette première moitié du XXème siècle, qui a traversé la guerre de 14-18, malmenée par la crise de 29, n'est plus semblable à la reine des fées dont la chevelure fleurait le vent, l'herbe et les grands espaces...
La musique venue de derrière la lune s'était tue, les sources de limonade avaient tari en même temps que la moitié des  banques  du pays. Les ruisselets d'alcool qui cascadaient naguère entre les rochers avaient été captés et dérivés vers le domicile des riches, les aumônes ne se cueillaient plus sur les buissons, les poules avaient la pépie, les dogues des véritables crocs, les contrôleurs des trains des yeux de lynx et le climat avait changé.
On s'attache aussi au personnage d'Elsa, d'abord rebelle, révoltée, mais qui accepte ensuite tout  de son mari, se consacrant à lui et à ses enfants. Meurtrie, malheureuse, c'est certain. Résignée? Brisée?  Non ! car elle a su conserver sa dignité et rester elle-même malgré l'avilissement de son mari. C'est une belle figure, courageuse, que tous admirent et respectent. Du moins, c'est le point de vue de son fils et des ses voisins. Pourtant, moi, je la préférais lorsqu'elle résistait et cette image de la mère et de l'épouse admirable, stoïque, mais qui subit toutes les humiliations, me fait grincer des dents.  D'autant plus qu'elle accepte beaucoup de compromissions car elle vit des trafics malhonnêtes de son mari. Il semble que ce soit là l'idéal de femme de Wallace Stegner, idéal que je ne partage pas.
Enfin les deux fils, si dissemblables et dont le destin sera marqué définitivement par leur père envers lequel ils éprouvent  amour et haine, attirance et répulsion, admiration et  mépris, peur et pitié.
La  beauté du roman vient  aussi des sentiments éveillés par ces vies brisées, par le passage du temps inéluctable et douloureux, par les changements de cette Amérique devenue sorcière, les transformations d'une société  qui ne peut plus être guidée par le rêve et qui est ramenée aux contraintes prosaïques de la réalité économique.
On a dit de Wallace Stegner qu'il était le maître du désenchantement et c'est bien là ce que ressent le lecteur en fermant le livre :
Le moment  est venu de songer à ce que sera notre séjour dans la basse-fosse et de faire ami-ami avec les rats et les araignées. ô belle dame sans merci, prends-tu donc plaisir à contempler dans la pénombre nos lèvres bleuies? 


Wallace Stegner : La bonne grosse montagne de sucre édit. Phébus en 2002  (804p.)
Wallace Stegner(1904-1993) est un écrivain de l'Ouest américain. Il est né à Lake Mills dans l'Iowa et il grandit à Great Falls dans le Montana ainsi qu'à Salt Lake City dans l'Utah et dans le sud de la Saskatchewan, lieux que l'on retrouve dans La bonne grosse montagne de sucre. Comme ses personnages Bo  et Elsa Mason, Stegner dit qu'il a  vécu dans vingt endroits dans huit états différents et au Canada. Très célèbre aux Etats-Unis, où il est reconnu comme un maître par les écrivains de l'école du Montana tel Jim Harrisson, où il a été récompensé par de grands prix (entre autres le Pulitzer pour Angle d'Equilibre en 1972), il n'est traduit en français que tardivement.2-85940-815-0.1234790447.gif
La bonne vieille montagne de sucre publié en 1943 a cependant fait l'objet d'une traduction en 1946 sous le titre de La Montagne de mes rêves mais il faudra attendre 1998 pour qu'un autre roman de Stegner soit traduit : Vue cavalière.

Publié en 2008 dans mon ancien blog.

lundi 21 novembre 2011

Jack London : Construire un feu



Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.

Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.

Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche. Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme  de Jack London souligne  les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.

              Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite! Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans. Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'Homme et la Nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.
 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.

Chez Folfaerie


Chez Sabbio

dimanche 16 octobre 2011

Un livre, un film : Enigme N°6 : Richard Hughes, Cyclone à la Jamaïque



Merci à tous pour votre participation et félicitations à ceux qui ont trouvé l'énigme un peu plus difficile cette fois :
Le livre et le film Eeguab, Keisha,  Gwenaelle, Lire au jardin.
Le livre : Thérèse

Le Cyclone à la Jamaïque de Richard Hughes (1900-1976) est paru  en 1929.
Le cyclone à la jamaïque de Mackendrick avec Antony Quinn et James Coburne. Voir le billet de Wens
Après un cyclone qui dévaste la Jamaïque, des enfants, envoyés par leurs parents en Angleterre, sont enlevés par des pirates. Le navire devient un terrain de jeu magnifique pour les enfants épris d'aventures mais le voyage va tourner au drame avant qu'ils ne  retrouvent leurs parents.

Quand se passe le récit?

L'histoire se passe à la Jamaïque dans la deuxième partie du XIX siècle.
"Je ne connais rien des méthodes modernes, ni même s'il y en a, n'ayant pas visité l'île depuis 1860, époque aujourd'hui très lointaine..

Le récit est donc fait par un narrateur qui est venu sur l'île en 1860 et raconte, longtemps après les faits, l'histoire de la famille Thornton  à cette époque.

Mais qui est le narrateur?

Cela ne peut être l'écrivain qui est né en 1900, ni un personnage du livre. Il s'agit donc d'un narrateur fictif qui va d'ailleurs s'effacer et cesser de dire "je". Mais il a des idées bien arrêtées sur l'émancipation des esclaves(1833) puisque dès le premier chapitre il y fait allusion pour mieux la déplorer puisque cela a entraîné la ruine des Antilles. Il décrit amplement les propriétés dévastées, les bâtiments de broyage, et de raffinage de la canne à sucre ruinés. Les enfants Thornton vivent là avec leurs parents, des colons anglais, et sont élevés, filles et garçons, avec une liberté que n'aurait jamais pu tolérer la société victorienne en Angleterre. Notons que même vivant comme les petits "nègres" (c'est le terme employé par l'auteur), Emily, petite fille de dix ans, personnage principal à côté de ses frères et soeurs, n'oublie pas la prétendue supériorité de ses origines, cherchant à éduquer les jeunes noirs si ignorants.. En effet, même si les enfants vivent à l'état de nature, ils portent incontestablement la marque de leur civilisation, comme le dit Mrs Thornton après le cyclone qui frappe et dévaste leur propriété : "Songez combien la peur est plus cruelle chez les enfants. Et ils ont été si courageux, si Anglais!"

Un déterminisme religieux

Si le narrateur du premier chapitre s'efface, l'écrivain commente le récit et nous fait part de ses réflexions sur l'enfance qui sont assez surprenantes. En effet, les enfants sont expédiés en Angleterre et enlevés par des pirates, ce qui donne lieu à toutes sortes d'aventures passionnantes.
 Mais le roman n'est pas un roman d'aventures au sens où on l'entend habituellement. Les enfants sont  vus par Hughes comme le seraient des insectes par un entomologiste, épinglés, étudiés, répartis en espèces selon leur âge mais aussi jugés, analysés par un moraliste. Laura, la plus jeune, qui a quatre n'est plus tout à fait un animal mais pas encore un être humain:
Puisqu'elle approchait de ses quatre ans, c'était certainement un enfant; et les enfants sont des "êtres humains" (si l'on accorde au mot humain un sens large) mais elle n'avait pas tout à fait fini d'être un bébé, et les bébés naturellement ne sont pas des hommes, ce sont des animaux qui ont une culture très ancienne, très ramifiée, comme celle des chats, des poissons, et même des serpents.. les bébés sont, après tout, une des espèces les plus développées parmi les les vertébrés inférieurs
 Rachel, 7 ans, possède, elle, "un sens extraordinairement vif et simple du Bien et du Mal, qui s'élevait jusqu'à une sorte de précoce génie éthique."
Quant à Emily : Elle savait... qu'elle était damnée, qu'il n'y avait jamais eu de personne si méchante qu'elle depuis le commencement du monde. Après l'arrestation des pirates, Emily va devenir le principal témoin et collabore avec la justice pour faire accuser les pirates d'un crime - la mort du capitaine hollandais fait prisonnier- qu'elle-même a commis. Même son père a peur d'elle. Hughes semble imprégné par la croyance protestante en la prédestination et  la manière dont il l'interprète est effrayante.

Une condamnation de la société anglo-saxonne

Quant à la société anglo-saxonne tant vantée par Mrs Thornton, loin de sauver Emily, elle participe à la corruption. La bonne société veut obtenir la tête des pirates que l'on vient d'arrêter mais ceux-ci ne peuvent être condamnés à la pendaison que s'ils sont reconnus coupables d'un crime. La  Justice -ou ce qui se présente comme telle- va faire pression sur les enfants et va demander à Emily d'apprendre par coeur ce qu'elle dira au procès.

On comprend pourquoi le roman de Richard Hughes a pu inspirer William Golding pour Sa majesté des mouches.  C'est un roman à la fois passionnant et déroutant. La manière dont l'écrivain parle de l'enfance dérange même de nos jours et l'on peut comprendre pourquoi il a fait scandale en 1929.
 L'excellent film de Mackendrick, tout en restant fidèle aux grandes lignes du roman, offre une interprétation très personnelle du roman.


 Mon nouveau challenge s'imposait :  dans le blog de Will, le Kabaret culturel

dimanche 17 juillet 2011

Amanda Smyth : Black Rock, éditions Phébus


Célia, dont la mère est morte en couches, est recueillie par sa tante Tassi à Black Rock, village de l'île de Tobago dans les Caraïbes. Tassi s'occupe d'elle ainsi que de ses deux filles. Mais lorsqu'elle se remarie avec Roman, un alcoolique vicieux et violent, Célia sait que cet homme lui fera du mal et se méfie de lui. Ceci, d'autant plus, qu'il ne cesse de la dénigrer auprès de Tante Tassi et que celle-ci croit tout ce qu'il lui dit. A seize ans, lorsque la jeune fille est violée par cette brute, elle n'a d'autre solution que de fuir le plus loin possible de Blak Rock et se rend à Port of Spain sur l'île de Trinité. Elle pense rejoindre son autre tante, Sula. Là, elle va entrer comme bonne d'enfants chez le docteur Emmanuel Rodriguez.

L'intrigue du roman est assez attendue et n'offre pas de surprise si ce n'est au dénouement. Dès le départ, l'on sait que Célia sera violée, c'est tellement évident! Mais l'écrivain utilise ce thème du viol comme une ficelle de métier et le traite d'une manière assez superficielle. On sait aussi que, Célia malgré son intelligence brillante, n'ira pas à l'université, qu'elle ne sortira pas de sa condition, que sa beauté ne sera pas un cadeau mais sa perte. On s'attend à ce qu'elle soit séduite par un homme blanc qui la méprisera  en tant que noire et domestique. 

 Pas original, donc!  Mais il faut reconnaître que Amanda Smyth tire son épingle du jeu car elle écrit très bien. Les mésaventures de la jeune fille voire les drames qu'elle vit sont nombreux et maintiennent en éveil l'intérêt du lecteur. Le roman, en effet, se fait récit initiatique, quête de soi-même. Célia est à la recherche de son origine, de ce père anglais qui l'a abandonnée à sa naissance. Elle entretient le culte de sa mère décédée en lui donnant la vie. Elle va apprendre la vérité sur son origine mais aussi sur elle-même. L'analyse de la blessure amoureuse est bien conduite et les personnages que ce soient les tantes, l'épouse bafouée l'amoureux transi, l'amant sont peints avec vérité. L'écrivain place l'action dans un pays qu'elle connaît bien puisqu'elle a des attaches par sa mère native de Trinidad.  L'auteur a des qualités certaines mais on aimerait lire d'elle une oeuvre plus originale, avec une inspiration plus personnelle. Quoi qu'il en soit le roman se lit  avec intérêt et est plaisant.

Lire aussi
Moi, Clara et les mots
Keisha

dimanche 12 juin 2011

Wilkie Collins : Une belle canaille




Les jours se suivent et ne se ressemblent pas! Hier c'était un roman désespérant que je présentais, L'oiseau Bariolé. Aujourd'hui, je passe à un genre plus léger et qui m'a bien amusée!
Le roman Une belle canaille  est paru en 1879 alors qu'il a  été écrit en 1856 dans une période très heureuse de la vie de Wilkie Collins invité alors à Paris par son ami, Charles Dickens. Le ton de ce roman étonnant et même détonant dans la prude Albion de la reine Victoria explique ce retard!
Ce récit gai, insolent, et même iconoclaste, est le reflet de cette insouciance ressentie par Wilkie Collins alors qu'il passait avec Dickens joyeusement ses heures de loisir en compagnie de maints autres amis qui tous avaient à voir avec l'art et la littérature. Tellement désinvolte, d'ailleurs que Collins est très conscient de ce que les pisse-vinaigre (j'espère que vous ne vous reconnaissez pas dans ce termes!)vont en penser!
Francis Softly est un rejeton de bonne famille, petit-fils de lady, et fils de médecin et il a reçu, noblesse oblige, une éducation soignée même si la fortune de son père laisse à désirer. Cependant, s'il écrit pour nous ses confessions, ce n'est pas, surtout pas, dans un but moralisateur mais parce qu'il a eu une vie "hors du commun". Car toutes les turpitudes qu'il nous expose joyeusement, non seulement, il ne s'en repent pas mais encore il s'en vante! Auteur de caricatures qui sont publiées sous un pseudonyme, ne voilà-t-il pas qu'il se laisse aller à caricaturer sa grand mère elle-même et à la représenter en vieille chouette. Et lorsque son père lui enjoint de renoncer à cette activité lucrative, il quitte la maison pour vivre de son art et connaître toutes sortes d'aventures : tour à tour emprisonné pour dettes, faussaire ...  il multiplie les exactions avec une bonne humeur et une drôlerie irrésistible. Et puis, il est amoureux, d'un amour vrai, sincère, et pour les beaux yeux d'Alicia, que ne ferait-il pas? Voilà qui nous le fait juger fort sympathique, ce mauvais garçon! D'ailleurs, le méchant, (car il y a toujours un méchant chez W Collins) ce n'est pas lui! Vous le découvrirez en lisant le livre.
La lecture de ce roman est donc réjouissante d'autant plus que l'humour s'exerce aux dépens d'une société bien pensante, hypocrite et près de ses sous et ceci avec une audace certaine. Jugez plutôt :
A force de tendre ses filets avec beaucoup de dextérité et de patience sous la houlette de ses père et mère ma séduisante soeur Annabella avait réussi à capturer un bon parti en la personne d'un quinquagénaire fané, pingre, au teint bistré, ayant fait fortune aux Antilles.(...) Ce poisson-là avait été très difficile à ferrer et même après qu'Annabella l'eut pris à l'hameçon, mon père et ma mère eurent toutes les peines du monde à le sortir hors de l'eau..
Et voilà pour le mariage, une des institutions les plus sacrées de l'époque victorienne!
Il en est de même pour la Famille considérée comme la valeur la plus noble! Or, notre canaille n'a l'air d'éprouver pour ses parents et sa soeur que de l'indifférence et réciproquement! Le seul qui témoigne un réel intérêt pour sa santé est son beau-frère mais l'on apprend bien vite que c'est parce qu'un héritage est en jeu.
Quant à la leçon de morale que Franck reçoit et respectera toute sa vie -la seule peut-être- elle lui est donnée en prison et à coups de poing par Gentleman Jones, son codétenu :
Il m'a apporté le seul enseignement utile que j'aie jamais reçu; et pour le cas où ceci tomberait sous ses yeux, je le remercie ici d'avoir entrepris et achevé mon éducation en deux soirées et sans qu'il m'en coûtât un sou, à moi ou à ma famille.
Enfin, Francis Softly finira par devenir respectable mais ce n'est que lorsqu'il sera devenu riche; peu importe alors qu'il soit  bagnard et transporté en Australie.
Et Wilkie Collins de conclure avec ce trait d'esprit féroce :
Non, non, mes bons amis! Je ne suis plus intéressant; tout comme vous je suis devenu respectable.



 Voir les billets de Cryssilda et Schlabaya

W. Wilkie Collins : Basil, un roman de la trahison et de la vengeance



   
Basil de Wilkie Collins raconte une histoire qui ne peut avoir lieu qu'à l'époque victorienne, dans ce XIXème siècle austère, qui professe une hypocrisie complète en ce qui concerne la sexualité. Avec tous les interdits qui pèsent sur eux, il n'est pas bon d'être un jeune homme et encore moins une jeune fille dans cette société capable de vous enfermer dans un carcan si rigide qu'il est impossible de s'en libérer.
Basil est un jeune aristocrate sans histoire. Il tient à l'estime de son père, un gentleman fort riche et très fier de ses origines, qui les élève son frère, Edouard, sa soeur, Clara, et lui, dans le sentiment de l'honneur et l'orgueil de sa famille dont les ancêtres remontent au-delà de la Conquête. Si Edouard, l'aîné et l'héritier de la fortune, n'hésite pas à jeter sa gourme en faisant des dettes et en fréquentant les grisettes, Basil, lui, d'un naturel introverti, vit paisiblement entre sa soeur qu'il adore et son père dans la maison familiale. Il veut se consacrer à l'écriture et confie ses écrits à Clara qui est sa confidente et sa première lectrice. C'est peut-être parce qu'il est si ignorant de l'amour qu'il commet une erreur qui va modifier le cours de sa vie à jamais et le conduire au bord de l'abîme.  En effet, lorsqu'il rencontre la jolie Margaret Sherwin, il se jette tête baissée dans le piège que lui tend le père de celle-ci, un marchand de linge, qui a bien compris l'intérêt de sa fille et le sien à ferrer un aussi bon parti! Monsieur Sherwin propose donc le mariage à Basil dans la semaine qui suit sa rencontre avec Margaret et la non-consommation de ce mariage pendant un an. Basil est pris entre deux loyautés : celle due à son père, qui, il le sait, ne supportera pas une mésalliance et celle due à Margaret qu'il vénère et idéalise au plus haut point sans la connaître. cependant, l'amour est le plus fort et le mariage a lieu secrètement. L'année d'attente commence. Comment Basil pourra-t-il avouer à son père ce qu'il a fait? et quel est ce personnage mystérieux,  l'inquiétant Monsieur Mannion, employé de monsieur Sherwin, précepteur de Margaret à ses heures perdues, mais très nettement au-dessus de sa condition par son éducation et son intelligence?
Comme toujours dans les romans de Wilkie Collins, que ce soit dans La dame en blanc, Mari et femme, La robe noire ...  l'intrigue présente un être jeune, fragile et  sans défense (souvent, une femme mais pas obligatoirement ), victime de la société, dans une position de  dépendance financièrement, physique ou morale; celui-ci devient la proie d'un "méchant", un être sans scrupules qui le poursuivra de sa vengeance. Basil n'y échappe pas!
Ce qui rend la lecture du roman passionnante, c'est que nous sommes parti prenante de l'histoire, comme acteurs. Pris comme la victime dans les rets qui se referment sur elle, nous cherchons  les issues et entrevoyons parfois un espoir, une lueur qui s'éteint aussi vite. Si Basil, est ridicule aux yeux de la société  d'avoir accepté les conditions du père de Margaret, il ne l'est pas pour le lecteur tant son caractère probe force le respect. Sa naïveté, sa crédulité puérile, sont à mettre sur le compte d'une éducation mais plus généralement d'un système de valeurs qui étouffe l'individu. La société est  donc toujours très présente dans Collins. Même s'il ne l'attaque pas directement, il montre la marque qu'elle imprime sur les  individus.. On peut  plaindre Basil mais il reste très attachant.
D'autre part, les autres personnages sont d'autant plus forts qu'il sont à la fois bourreaux et victimes. Par leur complexité que le lecteur découvre au fur et à mesure de l'intrigue, ils prennent un relief qui les rend d'autant plus redoutables. Margaret, par exemple, n'est pas la jeune fille insipide qu'elle paraît être. Au fur et mesure que se dévoile son caractère, apparaissent des zones d'ombre, un partage trouble entre peur et désir, soumission et révolte, passion et intérêt. Et bien sûr, tel est le cas de monsieur Mannion qui introduit le thème de la vengeance cher à Wilkie Collins. A partir du moment où nous savons qui il est et quels sont ses mobiles, le personnage du "méchant" atteint une dimension tragique proche de la fatalité et certaines scènes comme la poursuite sur les falaises de Cornouailles sont hallucinantes.
Il faut donc se méfier de l'apparente simplicité de Wilkie Collins. S'il est le maître du suspense, si comme on le dit, il a inventé le "thriller" en littérature, il est aussi maître dans l'art de peindre la psychologie des personnages, de faire faire émerger à la conscience les sentiments intimes, un maître aussi dans la manipulation des lecteurs qu'il tient en haleine jusqu'à la fin.

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Je n'ai pas vu ce film mais j'avoue que j'aimerais bien! Voir les personnages s'incarner ainsi est très plaisant.
Margaret est aussi belle que ce que l'a décrite Wilkie Collins et je ne l'imaginais pas autrement.
Le jeune Basil est  tout mignon et il a l'air aussi pur et naïf que dans le roman. Quant à monsieur Mannion on comprend qu'il puisse exercer une fascination sur sa jeune élève et dominer aisément Basil.

Maintenant la mise en scène de scène de Radha Bharadwaj est-elle à la hauteur du roman? C'est ce que je ne sais pas.
Quelqu'un a-t-il vu le film?

samedi 11 juin 2011

George Sand : Consuelo


Le roman de George Sand Consuelo est un roman fleuve avec lequel on part à l'aventure - à la fois dans le temps et dans l'espace- et où la traversée dure un bon bout de temps!
Consuelo, le personnage éponyme, est bien sûr au centre du récit qui se situe au XVIIIème siècle  et nous la suivons de son enfance à l'âge adulte jusqu'à son mariage. Il y a une suite : La comtesse de Rudolstadt que je je n'ai pas encore lue.

La première partie du roman a lieu à Venise vers 1744. Consuelo, d'origine espagnole, de père inconnu, élevée sur les grands chemins, au hasard des voyages de sa mère, saltimbanque, vit désormais à Venise où sa mère mourante s'est arrêtée. Le grand maître de musique Porpora lui donne des cours et la considère  comme sa meilleure élève. Il faut dire que la fillette est dotée d'une voix exceptionnelle et aime la musique avec passion et, si elle n'était pas d'un physique ingrat, son avenir à l'opéra du comte Zustiniani serait assuré. Consuelo se considère comme la fiancée d'un jeune batelier, Anzoleto, qui possède lui aussi une belle voix et les deux adolescents vivent un amour chaste et platonique. Les années s'écoulent. Anzoleto est engagé par le comte Zustiniani et Consuelo devenue une beauté typiquement espagnole chante, elle aussi, sur la scène. Une expérience qui ne lui apportera que des malheurs, la jalousie de la Corilla, cantatrice célèbre de l'époque, la trahison d'Anzoleto, les avances du comte Zustiniani qu'elle est obligée de fuir.
La deuxième partie se passe en Bohême, à la limite de la Bavière, dans le sinistre château féodal des Géants habité par les seigneurs de Rudolstadt. Consuelo, devenue la Porporina, est introduite dans la famille par  Porpora pour donner des cours de musique à la baronne Amélie. Elle rencontre là le jeune comte Albert atteint d'une grave maladie nerveuse. Sauvé par Consuelo qui va à sa recherche dans les souterrains du château, il tombe amoureux de la jeune fille en qui il voit sa Consolation (Consuelo en espagnol) et la demande en mariage. Il s'agit d'un mésalliance que Consuelo est trop fière pour accepter. Elle s'enfuit du château pour échapper à l'attrait sexuel qu'exerce sur elle Anzoleto qui l'a retrouvée et pour voir clair dans ses sentiments à propos d'Albert.
La troisième partie raconte le vagabondage de Consuelo déguisé en garçon et du jeune Joseph Haydn qu'elle a rencontré en chemin et qui se rend à Vienne comme elle pour rencontrer le maestro Porpora installé dans cette ville. Les aventures des deux jeunes gens sous le signe de la musique, les bonnes et les mauvaises rencontres qu'ils vont faire dans un pays sillonné par les recruteurs du roi de Prusse, Frédéric,(Celui de Voltaire), leur arrivée à Vienne où il découvre un Porpora oublié et misérable, les débuts de Consuelo qui se dévoue entièrement à celui qu'elle considère comme son père et aussi de Joseph Haydn, l'amour contrarié de Consuelo pour Albert, forment la trame riche et complexe de ce passage passionnant, mon préféré.
La quatrième partie raconte le voyage de Consuelo avec Porpora vers Berlin où elle a un engagement pour le théâtre royal jusqu'au moment où arrivant à Prague elle est rappelée d'urgence au château des Géants au chevet d'Albert mourant qui lui demande de l'épouser. Après le mariage et la mort de son époux, Consuelo, devenue comtesse de Rudolstadt, renonce à tous ses droits sur l'héritage et repart librement avec son maître.
Ouf! Résumer un bouquin de 1000 pages n'est pas de tout repos. On pourrait même dire que c'est une gageure tellement cette oeuvre est foisonnante, riche en aventures de toutes sortes, tellement l'écrivain fait preuve d'une imagination sans limites. George Sand, elle-même, jugeait qu'il y avait là, la matière de trois ou quatre bons romans. Consuelo est en fait un feuilleton qu'elle écrivait dans l'urgence et sous la contrainte des dates de parution de la Revue indépendante.  Aussi, écrit-elle, il va souvent à l'aventure(...) dans une sinuosité exagéré d'évènements (...) une absence de plan (...) qui favorise l'inspiration  :
La fièvre est bonne mais la conscience de l'artiste a besoin de passer en revue, à tête reposée, avant de raconter tout haut, les songes qui ont charmé sa divagation libre et solitaire.*
On comprend pourquoi ce roman fleuve, romantique, n'a pas été particulièrement apprécié dans la France de Flaubert, lui-même très critique envers cette oeuvre, dans le monde cartésien de la littérature française.
Moi-même, j'avoue que le passage au château des Géants m'a plutôt laissé perplexe. Si encore il s'agissait d'un roman gothique à la Ann Radcliffe, on pourrait se laisser aller à l'irrationnel -sans y croire vraiment- mais avec un frisson délicieux comme le fait la Catherine de Northanger abbey de Jane Austen. Mais George Sand refuse ces codes et elle le dit nettement. Si bien que le jeune comte Albert qui se croit la réincarnation d'un ancêtre hussite, meurtrier dont il expierait les fautes apparaît comme un fou et semble même dangereux. Toute la spiritualité du jeune homme que Consuelo admire me paraît la confusion d'un esprit en proie au délire. Et comme le mysticisme n'est pas mon fort, j'ai de la peine à croire à l'amour de la jeune fille pour cet homme souvent en proie à une exaltation qui va jusqu'à la violence. Comment penser qu'elle puisse l'aimer alors qu'il lui fait peur et qu'elle le soupçonne de meurtre? Pourtant, au moment où je refuse ce manque de vérité psychologique, je m'aperçois que le comte est pourvu de dons de voyance incontestables, qu'il semble voir le passé réellement, et l'avenir de même. George Sand nous égare donc dans un monde irrationnel qui semble se refuser à lui-même, fidèle à l'esprit des Lumières qui flirte avec le Merveilleux pour mieux le nier. Ce qui peut paraître comme une incohérence devient alors habileté de la part de l'écrivain.
La culture de George Sand au niveau historique et son érudition musicale qui nous transportent d'un pays à l'autre est un des plaisirs du roman. Mises à part quelques longueurs et répétitions dans le récit, j'ai aimé son aspect initiatique et picaresque quand les deux jeunes gens sont sur les routes et gagnent leur vie en chantant et en jouant de la musique. Les personnages qu'ils rencontrent sont bien campés. George Sand a l'art du portrait satirique aussi bien sur le plan physique que moral. Elle sait mettre en avant avec beaucoup d'humour le trait caricatural, les travers, les faiblesses, les vanités de chacun tout en rendant la complexité de l'âme humaine : je pense au chanoine épris de musique, de fleurs et de bonne chère, si lâche quand il risque de perdre ses bénéfices et pourtant capable de courage dans les moments importants; les nobles ne sont pas épargnés ainsi le comte Hodiz qui se pique d'être musicien et offre à son épouse La Margrave une fête grandiose mais absurde et ridicule.
Les  thèmes principaux du roman, étroitement liés, sont celui de la musique ou plus généralement de l'art et celui de l'égalité, de la liberté sociales. Le socialisme de Sand s'exprime ici non sans quelque idéalisme et utopie. Face aux nobles, George Sand peint une héroïne roturière, la plus humble possible mais fière, droite et qui a le sens de sa dignité. Même devant la reine d'Autriche, Marie Thérèse, Consuelo refuse de s'abaisser, de flatter ou de mentir. Que l'on soit roi ou comte ne lui en impose pas. Le ministre Kauniz lui-même, conseiller de Marie Thérèse, lui apparaît comme une vieille commèrepeu préoccupé des affaires de l'Etat.
Je méprise les avantages que l'on n'acquiert pas par son propre mérite déclare-t-elle à Porpora et elle le prouve en refusant le mariage avec Albert :
Je n'étais pas faite pour être la femme du comte Albert pour la seule raison que je ne m'estime inférieure à personne devant Dieu, et que je ne voudrais recevoir de grâce et de faveur de qui que ce soit devant les hommes.
Consuelo est très sensible à l'injustice, à la misère du peuple dont elle est issue. Les accents du socialisme utopique de Sand ne sont jamais aussi forts que lorsque Consuelo et Haydn sont accueillis par des laboureurs  lors de leur voyage vers Vienne. La conception rousseauiste  des bons laboureurs, ces braves gens fatigués par une longue  journée de travail, cède vite la place à la vision de la misère, de la saleté, de la promiscuité dans cette chambre unique où tous vont s'entasser pour la nuit.. Mais c'est en voyant le sort des femmes qu'elle s'émeut le plus :
.. en observant ces pauvres femmes se tenir debout derrière leurs maris, les servir avec respect et manger ensuite leurs restes avec gaieté, (...) elle ne vit plus dans tous ces bons cultivateurs que des sujets de la faim et de la nécessité, les mâles enchaînés à la terre, valets de charrue et de bestiaux, les femelles enchaînées au maître, c'est à dire à l'homme, cloîtrées à la maison, servantes à perpétuité et condamnées à un travail sans relâche au milieu des souffrances et des embarras de la maternité.
Pauvres gens, dit Consuelo à propos de ces paysans. Si j'étais riche, je voudrais tout de suite leur faire bâtir une maison et si j'étais reine, je leur ôterais ces impôts, ces moines et ces juifs qui les dévorent.
Si vous étiez riche vous n'y penseriez pas, et si vous étiez née reine vous ne le voudriez pas! Ainsi va le monde,  lui répond Joseph Haydn.
Elle rencontre en Albert un fervent défenseur de l'égalité qui pour lui est sainte car voulu par Dieu. Albert a sa propre réponse quand il donne sa fortune aux pauvres. Pour Consuelo, la solution à l'inégalité et l'injustice se trouve dans l'art. La musique conçue comme un art exigeant, entier, dévorant et saint, est un don de Dieu qui  permet l'élévation de l'âme et place l'artiste au-dessus de tous car quiconque est né artiste a le sens du beau et du bien, l'antipathie du grossier et du laid.
Face aux seigneurs propriétaires de la terre et aux laboureurs qui en sont esclaves, Consuelo se dit qu'il vaut mieux être artiste ou bohémien que seigneur ou paysan puisque à la morne possession d'une terre comme à celle d'une gerbe de blé s'attachaient où la tyrannie injuste, ou le morne assujettissement  de la cupidité.
C'est la musique qui permet de supporter le mal autour de nous, c'est l'art qui permet aux hommes d'évoluer :
L'art peut donc avoir un but  bien sérieux, bien utile pour les hommes? demande Haydn et Consuelo de répondre :
Si les malheureux avaient tous le sentiment et l'amour de l'art pour poétiser la souffrance et embellir la misère, il n'y aurait plus de malpropreté, ni découragement, ni oubli de soi-même, et alors les riches ne se permettraient pas de tant fouler et mépriser les misérables.
Faire comprendre l'art et le faire aimer  est donc le rêve de Consuelo.

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