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mardi 21 mars 2023

Alexandre Pouchkine : Сказка о царе Салтане : Le conte du tsar Saltan

Illustration Ivan Bilibine : Conte du tsar Saltan : La princesse cygne et l'île Bouaïana
   

"Le Conte du tsar Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidon Saltanovitch et de la très-belle princesse-cygne " : voici le titre complet du conte merveilleux  d'Alexandre Pouchkine qu'il a publié en 1832.  Il  s'agit d'un conte traditionnel issu du folklore russe mais de nombreux contes dans le monde reprennent le thème des deux soeurs jalouses qui cherchent à se venger de la troisième plus chanceuse, épouse du prince.

Le conte du tsar Saltan de Pouchkine est l'un des contes les plus célèbres en Russie. Nicolaï Rimski Korsakov et son librettiste Bielski ont adapté l'oeuvre de Pouchkine pour créer un opéra  Сказка о царе Салтане portant le même titre.

 

Ivan Bilibine :  le tsar choisit Militrissa pour épouse, les deux autres comme cuisinière et tisseuse

Trois sœurs rêvent à leur avenir dans une modeste isba  : que ferait chacune d'elle si elle était tsarine ?   L'une dit qu'elle préparerait un grand festin, l'autre qu'elle tisserait des vêtements somptueux, la troisième, la belle Militrissa, qu'elle donnerait un bogatyr (preux-chevalier) à son tsar bien-aimé. Le tsar Saltan qui passait près de chez elles les entend. Il décide d'épouser la troisième et engage les deux autres comme cuisinière et tisserande.

 


Mais le tsar doit partir à la guerre. Il laisse son épouse enceinte. Celle-ci accouche bientôt d'un beau petit garçon, le tsarévitch, Guidon, qui grandit à une vitesse prodigieuse. Les deux sœurs, jalouses, avec l'aide de leur mère Babarikha, envoient un message à Saltan pour lui dire que sa femme a accouché d’un monstre. 

La Babarikha est la mère des trois soeurs, mais elle tient le rôle de la marâtre des contes de fées quand elle devient complice de ses deux filles pour faire obstacle à la troisième. Elle est aussi une femme- marieuse. Le tsar répond en demandant qu'on attende son retour pour décider du sort de l'enfant mais les méchantes femmes substituent le message du tsar à un autre qui ordonne d'enfermer la tsarine avec son enfant dans un tonneau et de les jeter à la mer. La mer a pitié de l'enfant et la mère et le tonneau échoue sur une île lointaine nommée Bouïana ... 

 

Ivan Bilibine : la ville merveilleuse sur l'île Bouïana

Le tsarévitch Guidon devenu un beau jeune homme sauve un cygne poursuivi par un vautour. Le cygne lui explique qu'elle est une princesse et que le vautour qu'il vient de tuer est un sorcier. En signe de reconnaissance, la princesse-cygne fait surgir une ville magnifique sur l'île. Le bogatyr Gvidon en devient le roi puis comme il languit de son père, elle le transforme en moustique ou en bourdon pour qu'il puisse voyager caché dans un navire de marchands jusqu'à sa patrie natale.  

 

Bilibine :  Le prince Gvidon transformé en moustique

Par trois fois le tsar entendant vanter les merveilles du royaume merveilleux et de son roi Gvidon par les marchands veut se rendre dans l'île mais Babarikha et les deux sœurs le dissuadent.

La première fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville sur une île lointaine mais un écureuil enchanteur qui croque des noisettes d'or au coeur d'émeraude.

La seconde fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais trente trois bogatyrs- frères, des géants jeunes et braves,  issus des vagues de l'océan.

La troisième fois  en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais une princesse si belle que

Le jour, elle éclipse le soleil

 La nuit elle éclaire toute la terre

Le croissant brille sous sa tresse

Et une étoile illumine sa jeunesse

traduction Tetyana Popova-Bonnal

Chaque fois le cygne réalisera le voeu du prince pour obtenir l'écureuil, les trente trois guerriers,  mais pour la princesse, ce ne sera possible que par un véritable amour.

 

Bilibine :  Arrivée du tsar et la méchante mère Babarikha

La quatrième fois, quand il entend vanter les merveilles de l'île et apprend le mariage du Gvidon avec une belle princesse, le tsar décide de partir. Lorsqu'il arrive sur l'île, il reconnaît son épouse, la belle Militrissa, fait connaissance de son fils Guidon marié à la  princesse qui se cachait sous l’apparence du cygne. Le conte se termine dans la joie. 

 

 Une oeuvre en vers musicale

Le tsar Saltan et les trois soeurs :  miniature de Palekh

 

Cette oeuvre est une petite merveille, un bijou brillamment ciselé,  un récit vivant, animé, poétique, amusant. Le poète l'a rédigé en vers de sept ou huit syllabes dans une langue populaire, savoureuse, joyeuse, avec des personnages proches du folklore russe. On a l'impression que les vers sont chantés.

Le rythme des  heptasyllabes accentués sur les syllabes impairs  (1/3/5/7 ) est, en effet, très musical, et le retour des mêmes vers dans les situations qui se répètent créent un rythme interne que l'on attend comme un refrain. Ce qui nous rappelle que le conte est destiné à être oral,  un conte que l'on lit aux enfants et dont les répétitions sont attendues avec joie.

 

 Un conte merveilleux

Peintres de Palekh :  Dans son palais de cristal, L'écureuil croque une noix/ une noix d'or par ma foi

 

Le conte est une belle histoire d'amour, celle du prince Gvidon et de la princesse-cygne, un récit qui fait intervenir le rêve, la magie, le fantastique. Il obéit au schéma classique du conte traditionnel : à partir d'une situation initiale perturbée par des méchants, le héros ou l'héroïne devra rétablir l'équilibre, aidé en cela par des adjuvants magiques, humains, animaux, ou objets. Il s'agit de contes initiatiques qui permettent au personnage principal (auquel l'enfant s'identifie) de passer de l'enfance à l'âge adulte. La magie ne suffit pas et il faut faire preuve de courage, de débrouillardise, d'intelligence, de bonté.

Dans ce conte tout est en double. Il y a deux couples le Tsar et Mélitrissa et Gvidon et la princesse-cygne  dont l'équilibre est  pareillement  détruit par l'intervention d'éléments déclencheurs qui viennent rompre l'équilibre :  

Militrissa et le tsar Saltan séparés par la guerre vont être victimes de la jalousie des deux soeurs et de la mère. C'est le tsarevitch Gvidon qui les réunira.

Comme dans de nombreux contes, la princesse est transformée en animal, ici en cygne : Gvidon tue le magicien qui la poursuivait métamorphosé en vautour. Il aide la princesse-cygne qui l'aidera à son tour.

 Le cygne va se poser

Sur les bords dans un fourré.

Il s'ébroue et se secoue,

en princesse se dénoue :

Une étoile entre les yeux,

Un croissant d'or aux cheveux (...) 

Traduction Ivan Mignot

Le prince doit prouver sa bravoure mais a besoin pour réussir d'adjuvants magiques : Le cygne réalise ses voeux pour le récompenser. Ils sont au nombre de trois, l'écureuil qui assure la richesse de tous les habitants de l'île; les trente bogatyrs qui assurent la sécurité de l'île et la princesse-cygne qui permet à l'amour de triompher.


Peintres de Palekh : La princesse est majestueuse et bonne

 Un conte plein d'humour

Peintres de Palekh: la fête de retrouvailles

Mais le Merveilleux est étroitement mêlé à l'humour qui tient à des personnages burlesques dont la fonction est double :  semer des embûches sur le chemin des héros et héroïnes mais aussi faire rire telles les deux soeurs et la mère Babarikha et aussi, parfois, le tsar lui-même !  

Enfin,  autre source de comique, le moustique. Ainsi lorsque  les méchantes soeurs se font piquer par le moustique ou bourdon et deviennent borgnes, l'une de l'oeil droit, l'autre de la gauche ou quand il s'agit de la Babarikha :

Il bourdonne et fait des rondes, 

 Il se pose sur son nez bien rond.

Notre héros pique le nez 

Et une ampoule y apparaît.

Là encore l'alerte commence 

En mettant la défiance

AU secours ! Attrapez-le !

Ecrasez la bête féroce ! 

 Traduction De Tatyana Popovna -Bonnal  Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue  ou une autre traduction

Il va tourner autour d'elle

se met sur le nez d'icelle

Une cloque vient marquer

 aussitôt le nez piqué.

De nouveau c'est la panique 

 Et puis la chasse héroïque : 

Au secours, attrapez-le,

Dieu du ciel, écrasez-le,

Tu vas voir, attends, vil traître (...)

 Traduction de Ivan  Mignot  Les contes de Pouckine  Le tsar Saltan peinture de Palekh

Comique aussi dans l'agitation qui suit les piqûres de l'insecte car la scène est traitée avec un grossissement épique que les deux traductions préservent bien "La bête féroce !" "Vil traître !"  "chasse héroïque", "Panique ", "alerte" ...  qui contraste dérisoirement avec  la taille de la bête féroce.

Le dénouement aussi est joyeux et enlevé  : l'on y voit le tsar fêter dignement ses  retrouvailles  avec la Tsarine et son Tsarevitch (pas de punition pour les méchantes)  mais on doit porter au lit le tsar  à moitié ivre.

 денъ прошел - царя салтана

 уложили спать вполньяна

я там был ; мед, пиво пил 

 усы лищь обмовил

 La traduction mot à mot dit ceci : 

 Le jour passe - le tsar Saltan

Est mis au lit à moitié ivre

 J'étais là;  j'ai bu du miel, de la bière (hydromel ?)

 Mes moustaches seules j'ai mouillées.  

 

 Quelles traductions choisir ?

Je vous propose deux traductions  qui s'opposent et témoignent de deux positions très divergentes face au fait de traduire. Laquelle préférez-vous ? 

Doit-on rester  proche du texte et, dans la cas où il s'agit de vers, ne pas respecter la métrique ? celle de  Tetyana Popovna-Bonnal

La journée passe et Saltan énivré

 fut tout de suite couché.

J'y étais, j'ai bu l'hydromel 

 Seule ma moustache fut mouillée.

Traduction Popova-Bonnal dans Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue

  Ou la traduction d'Ivan Mignot qui s'éloigne du texte (tout en respectant l'esprit)  mais garde la versification et utilise l'heptasyllabe comme le vers pouchkinien et la rime.

Le soir, il fut sur sa couche 

Ivre comme une vraie souche

J'y étais et j'ai bien bu

Ne m'en demandez pas plus.

Traduction Ivan Mignot Les contes de Pouchkine  Le tsar Saltan peinture de Palekh   


Les éditions  et les illustrations

 


1) Traduction en vers proche du texte et juxtalinéaire de Popova-Bonnal Les contes de  fée de Pouchkine Edition bilingue    

Illustration couverture Ivan Vanestiv :  Ivan Tsarevitch chevauche le loup gris 1889


 


 2) Traduction Ivan Mignot en vers heptasyllabes Les contes de Pouchkine  Le tsar Saltan  ma traduction préférée.

Peinture de Palekh  Editions медный всадник : Le cavalier de bronze.  J'ai acheté ce livre à Saint Pétersbourg. Je ne sais pas si on le trouve en France.

Palekh :  Les illustrations, splendides,  sont des peintures d'icônes sur bois laqué, provenant de la ville de Palekh devenue centre de la miniature sur laque. Collections privées ou musée russe de Saint Petersbourg, ou musée Pouchkine.

 


3) Vous pouvez aussi lire ces contes aux Editions Albin Michel  jeunesse illustrés par Ivan Bilibine  d'après une réédition de 1906. traduction en vers de  Henri Abril. Je n'ai pas lu cette traduction mais les illustrations de Bilibine sont enchanteresses.

 Ivan Bilibine est né en 1876.  Il est peintre et illustrateur. Formé sous la direction  du grand maître Ilia Répine, il réalise en 1899 ses premiers travaux graphiques et ses premières illustrations de contes populaires russes : il trouve là son domaine de prédilection, dont il ne se départira plus et qui caractérise son oeuvre. Ivan Bilibine s'est fait aussi connaître comme décorateur d'opéra. 

 


4) Keisha  a lu ces contes aux éditions Ginkgo  ICI


 Et bien sûr l'auteur de ces  contes

 Alexandre Pouchkine

Peinture de Palekh : Pouchkine  quatrième de couverture Editions le cavalier de bronze


 

                                                       Le Tsar Saltan :  Opéra de Rimski Korsakov le vol du bourdon





lundi 13 mars 2023

Mikhaïl Lermontov : Смерть поэта : La mort du Poète

La mort du poète : duel de Alexandre Pouchkine et de Georges d'Anthes
 

En 1837, Alexandre Pouchkine le grand poète russe se bat en duel contre un officier français de l’armée du tsar, alsacien, Georges-Charles Heeckeren d’Anthès qui courtise sa femme Natalia Gontcharova. Celle-ci, coquette, suscite la jalousie du poète mais rien ne semble indiquer qu’elle ait eu réellement une liaison avec l’officier. Cependant la rumeur circule, des lettres anonymes sont envoyées à Pouchkine, les affronts, les provocations, les railleries contre le mari trompé se succèdent. Pouchkine provoque d’Anthes en duel. Celui-ci est militaire, il sort de l'école de Saint Cyr. Il est le premier à tirer et ne rate pas sa cible. Il l'atteint au ventre. Pouchkine ne mourra qu'au bout de deux jours dans d’atroces souffrances. 

 

Natalia Gontcharova : belle et frivole


La lettre anonyme abjecte envoyée à Pouchkine


Quand Alexandre Pouckine meurt, Mikhail Lermontov a 23 ans.  Il ne lui reste plus que quatre ans à vivre et l’émotion qu’il éprouve à l’annonce de la mort de Pouchkine est si violente qu’il prend sa plume et écrit dans l’urgence et la fièvre les 56 premiers vers de ce beau poème intitulé La mort d’un poète qu’il adresse au tsar Nicolas 1er en hommage au poète assassiné. Il réclame vengeance auprès du tsar.

Vengeance souverain, vengeance !
Que la supplique monte jusqu’à toi
Soutiens le droit et punis l’assassin
Fais que son châtiment de siècle en siècle
Proclame la justice en l’avenir
Et fasse la frayeur des criminels

 

Alexandre Pouchkine

Tout en rendant compte de la grandeur du poète, il déplore que les commérages malveillants sur son honneur l'ait poussé à la mort. Il accuse l'hypocrisie de ceux qui, responsables de la fin du poète, feignent de s'en émouvoir. Mais il affirme aussi que Pouchkine a été humilié, persécuté "dès ses débuts" et on verra pourquoi.

Le poète est tombé, prisonnier de l’honneur,
Tombé calomnié par l’ignoble rumeur,
Du plomb dans la poitrine, assoiffé de vengeance ;
Sa tête est retombé en un mortel silence.
 Hélas ! sous le poids des offenses,
     L’aède élu s’est affaissé,
     Comme avant, contre l’arrogance
     Des préjugés, il s’est dressé.
     Le chœur des louanges confuses
     Est vain comme sont vains les pleurs
     Et les pitoyables excuses.
     Le sort a voulu ce malheur...
     Or, c’est vous qui, dès ses débuts,
     Persécutiez son pur génie,
     Pour en rire, attisant sans but
     La flamme où couvait l’incendie.
     Il n’endura pas le dernier
     Cruel outrage à sa personne.

     Son flambeau, hélas ! s’éteignait
     Flétrie son illustre couronne...

dans la traduction de Katia Granoff (Editions Gallimard (Poésie), 1993)

ou  dans la traduction de la poétesse Marina Tsvetaïeva

Sous une vile calomnie
Tombé, l’esclave de l’honneur!
Plein de vengeance inassouvie,
Du plomb au sein, la haine au cœur.
Ne put souffrir ce cœur unique
Les viles trames d’ici-bas,
Il se dressa contre la clique.
Seul il vécut – seul il tomba.
Tué! Ni larmes, ni louanges
Ne ressuscitent du tombeau.
Tous vos regrets – plus rien n’y change,
Pour lui le grand débat est clos.
Un noble don vous pourchassâtes –
Unique sous le firmament,
Incendiaires qui soufflâtes
Sans trêve sur le feu dormant.
Tu as vaincu, humaine lie!
Triomphe! Ton succès est beau.
A terre le divin génie,
A terre le divin flambeau!

Par la suite, j'utilise la traduction de Katia Granoff parce que je la préfère.


Georges d'Anthes, l'assassin de Pouckine

Dans le passage suivant, Lermontov réclame la punition du coupable. Il  accuse tous les étrangers venus en Russie pour briguer les honneurs et faire une carrière militaire de mépriser la Russie, et, dans le cas de d'Anthes, de ne pas même avoir conscience qu'il vient de tuer le Génie russe en la personne d’Alexandre Pouchkine. 
       
      Son meurtrier a froidement
     Braqué sur lui l’arme fatale.
     Un coeur vide bat calmement,
     N’a pas tremblé la main brutale.
     Quoi d’étonnant ? Venu d’ailleurs,
     Il trouvait chez nous un refuge
     Pour capter titres et bonheur,
     Comme d’autres nombreux transfuges.
     Il raillait, en les méprisant
     La voix, l’esprit de notre terre ;
     Sa gloire, il ne la prisait guère
     Et dans ce funeste moment,
     Ni lui, ni d’autres ne savaient
     Sur qui sa main s’était levée...

Pour comprendre ceci, il faut savoir que Pouchkine est considéré comme "le père" de la littérature russe. C’est le premier écrivain moderne à écrire en langue russe en employant la langue populaire, vivante, riche,  savoureuse, (beaucoup écrivait en français, la langue à la mode à l’époque ou en russe en imitant les écrivains étrangers), en remettant à l’honneur les coutumes du peuple russe, en donnant la parole aux paysans, aux "nianias", les nourrices des enfants nobles, qui perpétuent les contes, les croyances et les chants traditionnels russes. Tous les grands écrivains russes, en particulier Tolstoï et Dostoeivsky, lui sont redevables. Il redonne sa dignité et sa grandeur non seulement à la langue mais aussi à tout un peuple en révélant sa beauté et sa vitalité alors dédaignées.
 

Les vers de Lermontov sont aussitôt repris par les amis de Pouchkine,  Ivan Tourgueniev, Vassilisi Joukovsky et tant d'autres … et font grand bruit dans la société où ils provoquent une vive émotion. Ils sont aussitôt recopiés par dizaines de milliers d’exemplaires, et circulent de main en main et sur toutes les lèvres. Les milliers de personnes qui se pressent devant la demeure du poète mourant, défilent devant son cercueil et assistent à son enterrement, les connaissent par coeur.

Mikhaïl Lermontov

C’est donc ce poème qui fait connaître Lermontov et le rend célèbre mais c’est la deuxième partie rédigée plus tardivement, dans un moment de rage véhémente, qui va lui attirer de graves ennuis.
Dans la première partie, on l'a vu, Lermontov accusait déjà les hypocrites qui avaient poussé Pouchkine au duel, en faisant circuler le bruit que sa femme Natalia Gontcharova lui était infidèle mais il ne les nommait pas.


Arrachant sa couronne à ce génie altier,
Ils mirent sur son front la couronne fantôme,
Où l’épine acérée est unie au laurier,
Et qui blessait sa tête à des pointes d’acier ;
Et ses derniers instants, ils les empoisonnèrent
De murmures moqueurs, ô railleurs ignorants !
Il mourut assoiffé de vengeance exemplaire
Et cachant le dépit d’un espoir décevant.

Mais dans les vers qu’il ajoute, non seulement il accuse les ennemis de Pouckine mais il les nomme : ce sont les courtisans proches du tsar, sinon le tsar lui-même, la noblesse et ses rejetons dégénérés qui ne sachant pas reconnaître le Génie, le poursuivent de leur haine, de leurs mesquineries, bafouent son honneur, se moquent de lui et lui rendent la vie impossible.  Et il appelle sur eux la vengeance divine puisqu’il semble que l’on ne peut pas l’attendre du pouvoir ! Il va plus loin encore puisqu’il les accuse d’attenter à la liberté.
Or, il faut savoir que Pouchkine, dès les débuts, a été victime de la dictature tsariste. Alexandre 1er le condamne pour des écrits « séditieux » et il évite de justesse la Sibérie. Exilé, il voyage pendant six ans entre le Caucase et la Crimée avant d’obtenir sa grâce en 1826. N’étant pas dans la capitale, il évite ainsi d’être compromis dans l’insurrection de Décembre 1825 menée par ses amis Décembristes dont il se sent proche. Mais il tombe sous la censure directe du tsar Nicolas 1er qui surveille personnellement tous ses écrits et lui donne même des conseils d’écriture ! Il doit justifier tous ses déplacements auprès des autorités.  Il n'a pas le choix, sa docilité ou l'exil en Sibérie ! La société liée au pouvoir tsariste est donc bien telle que la décrit Lermontov ! C’est ce qu'il décrit dans le Bal masqué et aussi dans son chef d’oeuvre Un héros de notre temps.

Ô vous, ô descendants des ancêtres fameux,

Fameux par leur bassesse et par leur infamie,
Vous foulez à vos pieds les restes des familles
Que la chance offensa dans ses joies et ses jeux.
Le trône est entouré de votre cercle avide,
Bourreaux des libertés, du génie, ô perfides,
Vous qui vous abritez à l’ombre de la loi,
Devant vous tout se tait, la justice et le droit ;
Il est un tribunal, ô favoris du vice,
Vous n’échapperez pas à l’ultime justice !

La médisance et l’or, cette fois, seront vains,
Dieu connaît la pensée et les pas des humains,
Et tout votre sang vil ne pourrait effacer
Le sang pur du poète, injustement versé.

 
Traduit du russe par Katia Granoff

J'ai souligné quelques vers ci-dessus pour mettre en relief l'audace (et l'imprudence) de ces déclarations ! On peut imaginer l’effet que firent ces derniers vers sur le Tsar et son entourage immédiat directement visés par le mépris de Lermontov dans un pays où la liberté est fortement réprimée depuis l’insurrection de Décembre 1825, où les privations des libertés sont étouffantes, la censure toujours présente, la répression sévère réduisant la noblesse à l’oisiveté et l’ennui.

 Lermontov et son ami, Sviatloslav Raievski, qui a diffusé largement ces vers, furent jugés. 

Raievski est exilé en Carélie. Officier dans l’armée russe, Lermontov est expédié au Caucase pour la seconde fois. Un duel l’y avait déjà envoyé une première fois. Là, il se battit contre les tchétchènes pendant les combats qui opposent la Russie expansionniste aux peuples caucasiens.
 

Peinture de Mikhail Lermontov * : Piatigorsk

Mais c’est en vain désormais qu’il demande l’autorisation de quitter l’armée, c’est en vain que sa grand-mère qui l’a élevé, riche aristocrate, implore son retour à Saint Petersbourg. Le tsar ne lui pardonna jamais et refusa même de reconnaître les décorations gagnés au combat, de plus le succès de Un héros de notre temps écrit pendant son séjour au Caucase l’irritait profondément. Lorsque Lermontov mourut à Piatigorsk, tué en duel par Nikolai Martynov, en 1841, le tsar exprima sa satisfaction : « A un chien, une mort de chien » déclara-t-il en privé. 

Nikolai Martinez défia Lermontov en duel parce que celui-ci  se moquait  de lui en le caricaturant.  Mais il semble qu'il ait été aussi encouragé par la noblesse proche du tsar qui voulait régler son compte au poète. Lermontov tirait toujours en l'air lors de ses duels. Nikolai Martinov, lui, a tiré pour tuer.  C'est ce que j'ai lu mais je ne sais pas si c'est avéré.

 *Lermontov était un dessinateur, caricaturiste et peintre amateur de talent. Il est bon musicien et joue du piano et du violon. Il a une érudition qui le rend supérieur à tous ceux qu'il fréquente. On imagine sans peine par la valeur de ses premières oeuvres quelle place il aurait eu dans la littérature russe s'il avait vécu.  Mais il a aussi un caractère épouvantable, il a la satire mordante, caricature ceux qu'il n'aime pas et ils sont nombreux ! Ombrageux, il est prompt à chercher querelle et ne transige pas sur ce qui a trait à l'honneur !  Il se sent profondément décalé par rapport à la société et non seulement il n'a pas peur de la mort mais il la recherche. C'est un homme en souffrance. En fait comme Arbenine et Petchorine, les personnages de sa pièce et de son roman, il méprise cette société vide, inactive, arrogante et cruelle, avide de ragots et qui se nourrit de scandales,  mais il ne peut s'en passer !


Peinture de Mikhail Lermontov *: Caucase

 

*Georges d'Anthès fut jugé mais ne fut pas inquiété. Il rentra en France. Plus tard, il soutint le coup d'état de Napoléon III et en bon valet de son maître, il fit une carrière politique florissante et devint sénateur. Encore un de ceux qui ont envoyé Hugo en exil ! Il a tout pour me plaire, cet homme !


Georges d'Anthès sénateur





lundi 5 octobre 2015

Saint Pétersbourg : la maison de Pouchkine et Le nègre de Pierre le Grand

Saint Pétersbourg Alexandre Pouchkine : statue dans la cour  de l'Hôtel particulier du N°12 canal Moïka devenu le  musée Pouchkine
Alexandre Pouchkine : statue dans la cour  de la maison
Alexandre Pouchkine est considéré comme le père de la littérature russe. Il est le premier, en effet, à avoir abandonné le français qui était la langue de l'aristocratie où le russe littéraire, celui utilisé dans la liturgie, pour raconter des histoires dans la langue du peuple, le russe du quotidien; Il est le poète, le romancier, le dramaturge, qui a remis à l'honneur l'Histoire de son pays, les contes, les légendes, les chansons du peuple, leurs croyances, leurs manières de vivre, leur mentalité. Dans les écrits de Pouchkine, j'adore ces personnages du peuple : les "niania" (les nourrices), les fidèles serviteurs qui n'ont pas la langue dans la poche, à la fois superstitieux et pragmatiques et dans tous les cas savoureux!.

Pouchkine est si vénéré en Russie que la cour de l'hôtel particulier où il a loué son dernier appartement, est paraît-il couverte de fleurs chaque année à la date de sa naissance et à celle de sa mort.

 La dernière maison de l'écrivain à Saint Pétersbourg

Saint Pétersbourg :  le musée-appartement Alexandre Pouchkine
Saint Pétersbourg :  Hôtel particulier N°12 canal Moïka devenu le  musée Alexandre Pouchkine 
C'est là, au n° 12 (tout près de l'endroit où j'habitais!) que se dresse le bel hôtel particulier appartenant jadis  au prince Volkonsky. C'est là qu'Alexandre Pouchkine a loué un appartement au premier étage.
On pénètre d'abord dans la cour où se dresse sa statue.

Saint Pétersbourg :  cour du musée-appartement d'Alexandre Pouchkine, jadis hôtel appartenant au prince Volkonsky
Saint Pétersbourg :  cour du musée-appartement d'Alexandre Pouchkine 
La pièce la plus extraordinaire de l'appartement de Pouchkine est la bibliothèque qui contient 4000 ouvrages en 14 langues différentes. Il appelait ses livres "mes amis". De nombreux souvenirs sont restés dans cette pièce :  des écrits, des lettres, sa canne, son fauteuil, le gilet qu'il portait le jour où il a été tué; le petit buste d'un Ethiopien qui lui rappelait son  arrière grand père Hannibal qui était noir.

Saint Pétersbourg : musée-appartement d'Alexandre Pouchkine son fauteuil
Derrière le fauteuil, on aperçoit le canapé où on l'a transporté au moment de sa mort.

Saint Pétersbourg : musée-appartement d'Alexandre Pouchkine sa canne

 Natalia Goncharova Pouchkine

Saint Pétersbourg : portrait de  la belle  Natalia Goncharova l'épouse de Pouchkine
Saint Pétersbourg : musée-appartement d'Alexandre Pouchkine :  La belle Natalia Goncharova

Le piano de Natalia
Natalia Nicolaievna Goncharova  a épousé Alexandre Pouchkine en 1831. Ils ont quatre enfants  et vivent tous dans cet appartement avec les deux soeurs de Natalia entre 1836 et 183. Natalia est courtisée d'une manière qui suscite les commérages et la colère de Pouchkine par le baron George d'Anthès. Bien que français, celui-ci à pu entrer dans le régiment des Gardes de l'Impératrice en tant que sous-lieutenant. Il s'est fait adopter par Jacob Burchard van Heeckeren, ambassadeur des Pays-Bas à Saint Pétersbourg. Pour arrêter les médisances, d'Anthès demande la soeur aînée de Natalia, Ekaterina, en mariage et l'épouse. Il devient le beau-frère de Pouchkine mais il continue ses assiduités auprès de Natalia Goncharova.

Le salon où vivaient ses deux soeurs

Le duel

Je lis dans une note biographique (source) sur George d'Anthès que, s'il est pratiquement inconnu en Alsace, (il est né à Colmar en 1812) il est le français le plus connu de toute la Russie!
La lettre anonyme
Pouchkine reçoit alors une lettre anonyme - en français- le nommant "coadjuteur du grand Maître de l'Ordre des cocus". Est-ce une lettre écrite par d'Anthès pour se venger d'avoir été éconduit par Natalia Goncharova comme l'ont pensé certains? Mais à l'époque tous les nobles parlaient le français et auraient pu écrire cette lettre.  
Pouchkine furieux, écrit au père adoptif de d'Anthès et l'injurie. Sommé de retirer ses insultes, il refuse. Le duel, dès lors inévitable, a lieu le 8 Février 1837 à 4 kilomètres de Saint Pétersbourg. Pouchkine est atteint à l'aine; il tire à son tour et touche d'Anthès au bras. Le poète est ramené à son appartement. Une foule immense se rassemble chez lui en apprenant sa blessure, ses amis sont là, ses pairs, mais aussi les gens du peuple, tous ceux qui veulent lui témoigner un dernier hommage. Il mettra deux jours à mourir dans d'atroces souffrances. Il avait 34 ans!
 George d'Anthès est jugé mais gracié à cause de la gravité de l'insulte faite par Pouchkine à son père adoptif mais il est sommé de quitter la Russie et reconduit à la frontière.
 Et voilà! J'en ai en terminé avec le courrier du coeur mais je vous fais une confidence, moi aussi je hais d'Anthès!

Saint Pétersbourg : Maison-musée de Pouchkine pistolets de duel de l'époque de Pouchkine


George d'Anthès

Le nègre de Pierre le Grand

Hannibal, l'aïeul de Alexandre Pouchkine héros du roman inachevé de Pouchkine Le nègre de Pierre le Grand
Hannibal, l'aïeul de Alexandre Pouchkine

Et je le hais d'autant plus que, à cause de lui, Pouchkine n'a pu terminer le roman dont je vais vous parler : Le nègre de Pierre le Grand. Alexandre Pouchkine raconte l'histoire Ibrahim Hannibal son arrière-arrière-grand père, un esclave noir vendu à Pierre le Grand qui devient son parrain et le prend en amitié. Il l'envoie faire des études dans une académie militaire à Paris. Le jeune homme  rentre ensuite à Saint Pétersbourg où le tsar le reçoit à bras ouverts. Pierre le Grand décide alors de le marier à la fille d'une grande famille qui doit se plier aux désirs du tsar.
Le roman s'achève là pour notre plus grande déconvenue, au moment où l'on commence vraiment à entrer à la cour de Pierre Le Grand, foisonnante de murmures et d'intrigues et à découvrir le Saint Pétersbourg du XVIII siècle.. C'est l'époque où Pierre le Grand, pour punir les nobles moscovites coupables de s'être révoltés contre lui, les oblige à vivre à Saint Pétersbourg, à abandonner leurs vêtements traditionnels qu'il juge archaïques et à adopter des manières de penser et de vivre à l'européenne!

Entre temps, ils* avaient atteint le palais. Un grand nombre de traîneaux longs, calèches démodées et carrosses dorés étaient déjà stationnés sur l’herbe devant l’entrée. Sur les marches se hâtaient des cochers en livrée et à moustaches ; des laquais pressés et rutilants avec des plumes et portant des masses; des hussards, des pages, des heiduques maladroits, embarrassés par les pelisses et les manchons de leurs maîtres, toute une suite indispensable aux yeux des nobles de l’époque. À la vue d’Ibrahim, un murmure général s’éleva de leurs rangs : « Le nègre, le nègre, le nègre du tsar ! » Il conduisit rapidement Korsakof à travers cette foule bigarrée. Un laquais du palais ouvrit toutes grandes les portes pour eux et ils pénétrèrent dans le grand vestibule. Korsakof fut frappé de stupeur... Dans la grande salle éclairée par des chandelles de suif qui brûlaient d’une lueur blafarde dans la fumée du tabac, des hauts dignitaires, les épaules ornées de rubans bleus, des ambassadeurs, des marchands étrangers, des officiers de la Garde dans leurs uniformes verts, des constructeurs maritimes en jaquette et pantalons rayés, allaient et venaient au son ininterrompu de la musique d’instruments à vent. Les dames étaient assises le long des murs, les plus jeunes d’entre elles parées avec toutes les splendeurs de la mode. Leurs robes étincelaient d’or et d’argent ; leurs sveltes silhouettes s’élevaient de leurs monstrueuses crinolines, telles des fleurs au bout de leur tige ; des diamants scintillaient à leurs oreilles, dans leurs longues chevelures et autour de leur cou. Elles jetaient des coups d’œil à droite et à gauche en attendant leurs cavaliers et le début de la danse. Les dames plus âgées avaient fait des prodiges d’ingéniosité pour combiner la mode nouvelle au style du passé désormais interdit : leurs bonnets ressemblaient à la coiffure de zibeline de la tsarine Natalia Kirilovna et leurs robes et mantilles rappelaient dans une certaine mesure les sarafanes et les douchégréïky. Elles semblaient éprouver plus d’étonnement que de plaisir en présence de ces divertissements nouveaux et regardaient avec dépit les femmes et les filles des capitaines hollandais, avec leurs jupes empesées et leurs corsages rouges, qui tricotaient leurs bas, tout en riant et bavardant entre elles, comme si elles étaient chez elles.

*Ils = Ibrahim Hannibal et son ami Korsakof

 

 

jeudi 24 septembre 2015

Saint-Pétersbourg : Alexandre Pouchkine Le cavalier de bronze

Saint pétersbourg Le cavalier de bronze statue de Falconet sur la place des décembristes
Le cavalier de bronze statue de Falconet

Le cavalier de bronze (Медный всадник)) est un long poème lyrique de Pouchkine (1833) que j'ai beaucoup aimé quand je l'ai étudié au lycée. Il conte l'histoire d'un jeune homme pauvre, Eugène, qui vit à Saint Pétersbourg sur les bords de la Néva. Le fleuve est en crue et ravage la ville, emportant des  maisons, voire des quartiers entiers. C'est ainsi que la fiancée d'Eugène, la belle Prascovie, disparaît dans les flots. Le jeune homme sombre dans la folie.
 C'est avec impatience que j'ai attendu le moment de voir enfin, sur la place des Décembristes, cette célèbre statue représentant Pierre Le Grand. Le tsar y est représenté, altier, sur son cheval cabré. Il est le cavalier de bronze qui, dans le texte fantastique de Pouchkine, va s'animer pour poursuivre de sa vindicte l'humble insensé qui a cru pouvoir lui tenir tête.
Sous l’ample front quelle pensée, et quelle force ramassée en ses membres, et dans son coursier quelle ardeur ! Où ton galop te porte-t-il, cheval superbe ? Où ton sabot ira-t-il s’abattre?
O maître puissant du destin, n’est-ce pas ainsi qu’au-dessus de l’abîme, tout en haut, sous le frein d’acier, tu fis cabrer la Russie?
 

Pierre le Grand 

Pierre Le Grand

Pierre 1er dit le Grand (1672-1725), souverain réformateur tourné vers l'Occident, a pratiqué une politique expansionniste, en particulier contre les Suédois. Il voulait aussi doter son pays d'une façade sur la mer Baltique et l'élever au niveau des autres grandes puissances européennes. Enfin, il détestait Moscou et les boyards, ces nobles fiers et arrogants qui lui tenaient tête, c'est pourquoi il fit de Saint Pétersbourg sa capitale.
Dans ce grand poème Pouchkine exalte la grandeur du tsar qui a créé la ville de Saint Pétersbourg au milieu des marécages, faisant de cette ville ouverte sur l'Europe une capitale moderne dont la magnificence va bien vite dépasser Moscou.

Il était là, debout sur le rivage d’une mer déserte et, plein de ses grandes pensées, il regardait au loin. À ses pieds, le fleuve roulait ses larges eaux que seule remontait péniblement une embarcation. Çà et là des chaumières, asiles du Finnois indigent, se dressaient noirâtres sur ces bords envahis par la mousse et la vase. Et la forêt impénétrable aux rayons d’un soleil voilé de brume étendait sa rumeur alentour.
Il se disait : « D’ici, nous menacerons le Suédois. Une ville y sera bâtie malgré nos orgueilleux voisins. La nature a voulu qu’ici nous percions une fenêtre sur l’Europe et que nous demeurions le pied ferme au bord de la mer. »

Saint Pétersbourg

Les palais de la Néva (le palais d'Hiver)

Il s’écoula cent ans et la cité nouvelle, émerveillement et prodige du pays des nuits blanches, issue des forêts obscures, des profondeurs du marécage, s’élève dans toute sa pompe et sa magnificence. Là même où jadis le pêcheur finnois, triste rejeton de la nature,seul près de ces bords plats jetait son antique filet au sein des eaux inexplorées, c’est là qu’au long des quais animés se pressent aujourd’hui les nobles masses des palais et des tours.
Les navires de tous les coins de la terre accourent en foule à ces riches bassins. La Néva s’est revêtue de granit, les ponts enjambent les canaux, de verts jardins ombragent ses îles, et devant la nouvelle capitale, Moscou l’ancienne s’est effacée comme une veuve en deuil devant la jeune souveraine.Je t’aime, ô création du génie de Pierre, j’aime ton profil noble et sévère, le cours majestueux de la Néva, le granit des quais, les grilles de fer de tes jardins, le clair-obscur de tes nuits méditatives, cette lumineuse absence de lune, alors que dans ma chambre j’écris sans lampe et que les maisons endormies des avenues désertes sont visibles, et claire l’aiguille de l’Amirauté et que, répudiant toute ombre au ciel doré, le crépuscule du matin a vite fait de remplacer l’autre et n’accorde qu’une demi-heure à la nuit. J’aime l’air immobile et le gel de ton cruel hiver, les courses en traîneau le long de cette ample Néva, les joues des jeunes filles plus roses que les roses et le faste, la rumeur, le caquet de tels bals et, dans les dîners de garçons, le vin mousseux qui pétille dans les verres, et la flamme bleue du punch. J’aime la vive allure des parades militaires sur notre Champ de Mars, la monotone beauté des fantassins et de la cavalerie alignés. 

Alexandre Pouchkine dans le parc Mikhaïlovsky

La statue de Pierre Le Grand

Saint Pétersbourg Le cavalier de bronze  statue de Falconet sur la place des Décembristes
Le cavalier de bronze  statue de Falconet

Commandé par la tsarine Catherine II en hommage à Pierre le Grand, le cavalier de bronze est une oeuvre monumentale du sculpteur français Falconet, ami de Diderot.  Eugène devenu fou après avoir vécu les terreurs de l'inondation qui a emporté sa bien-aimée Prascovie s'adresse à la statue de Pierre le Grand qu'il considère comme responsable de son malheur et le menace. Mais il est vain de défier le Tsar, il vous poursuivra au-delà de la mort.
On voit ici les sentiments ambivalents que Pouchkine entretient avec le pouvoir tsariste et en particulier avec Pierre le Grand. Il est partagé entre l'admiration qu'il éprouve pour ce souverain éclairé, qui a parcouru l'Europe, incognito, travaillant comme charpentier, artisan, exerçant plusieurs métiers, ouvert à toute nouveauté. Mais il sait quel despote implacable et cruel il peut être, comment il a arrêté dans le sang le complot fomenté contre lui.  Il sait comment Pierre le Grand, manquant de matériaux pour réaliser la construction de cette ville qui a coûté la vie à des milliers d'ouvriers, a levé un impôt. Chaque marchand qui pénétrait dans la cité était obligé d'apporter son lot de pierres. Il a aussi ordonné aux nobles de venir vivre à Saint Pétersbourg et d'y élever leur palais en amenant leurs pierres! L'écrivain a été lui-même persécuté toute sa vie par le tsar Nicolas 1er qui contrôlait tous ses gestes et ses écrits. Et si Pouchkine n'a pas participé au complot des décembristes qui voulaient renverser le despote, c'est parce qu'il était déjà exilé.

Le pauvre dément, devant le piédestal de l’idole, contemplait hagard le souverain de la moitié du globe. La poitrine oppressée, heurtant du front les barreaux, ses yeux fouillaient l’obscurité. Un froid circula dans ses veines, il frémit et d’un air tragique s’arrêta devant la hautaine idole. Grinçant des dents et le poing levé, comme en proie à son funeste ressentiment, il murmura d’une voix qui tremblait de fureur : « À nous deux, faiseur de prodiges, c’est moi qui... ». Et tout à coup il s’élança dans une fuite éperdue. Il lui avait semblé que le visage du terrible despote, enflammé de colère, s’était retourné lentement... Et de courir à travers la place déserte, entendant sur ses pas — ou serait-ce le bruit du tonnerre ? —un lourd galop qui martèle les pavés ébranlés. Sous un blême rayon de lune, allongeant le bras tout là-haut, le cavalier de bronze est à ses trousses dans une chevauchée retentissante. Et toute la nuit, où que l’insensé dirige ses pas, derrière lui, partout, le cavalier de bronze est là qui le poursuit de ses pesantes foulées.



Saint Pétersbourg : Champ de Mars

Saint Pétersbourg Le champ de Mars une place immense où avait lieu les défilés militaires jadis.
Saint Pétersbourg Le champ de Mars

Saint Pétersbourg : Rivière Moïka un des canaux qui font de Saint Pétersbourg la Venise du Nord
Canal Moïka
Les canaux font de Saint Pétersbourg la Venise du Nord.
Pour l'anecdote, nous logeons dans le deuxième immeuble, façade rose, à droite. En pleine centre, tout près de l'Ermitage, la place des Décembristes, les bords de la Néva, la perspective Nevsky, l'église Saint Sauveur , l'église Saint Isaac ...