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jeudi 23 janvier 2025

David Park : Voyage en territoire inconnu

 

Dans Voyage en territoire inconnu de l'écrivain irlandais David Park, Tom part de Belfast pour aller chercher Luke, son fils, en Angleterre, à l’université de Sunderland, car le trafic aérien est paralysé par une vague de froid polaire à trois jours de Noël. Il est hors de question de laisser Luke seul et malade dans sa colocation déserte. Sa femme Lorna et sa fille l’attendront à la maison. C’est sur des routes enneigées et verglacées que Tom se lance dans ce long périple, traversée en ferry jusqu’à l’Ecosse puis direction vers l’Est jusqu’en Angleterre. Ce voyage à travers des régions rendues méconnaissables par la neige, territoire inconnu qui semble tout droit sorti d’un cauchemar, est aussi un voyage intérieur, où Tom resté seul face à ses pensées et ses regrets.

"Je pénètre en territoire gelé, bien que je ne puisse dire à quel pays il appartient. (…) Tout est caché même les secrets que je serre fort pour les empêcher de trouver la lumière; le monde s’étend si loin à l’infini que je ne peux le réduire à un seul cadre, et si je plisse les yeux, c’est seulement pour me protéger des rafales de neige." 

 
 Tom affronte une fois encore ses angoisses de père, ressasse ses défaillances, tourne et retourne son sentiment de culpabilité, "the strange land » de la paternité, avec toutes ses questions angoissantes, qu’ai je-fait, qu’aurais-je dû faire ?  Pourquoi ? Où est mon erreur ?, les relations de père à fils mais aussi du fils qu’il a été envers son père. Et dans ces longues heures de route, se joue tout simplement la question du courage nécessaire pour affronter la vie, de la tentation de céder,  la question de la vie et de la mort. Où trouver la force de continuer quand l’ordre des choses a été rompue ?

"Toute chose doit avoir un but et je dois découvrir le mien, ou alors céder aux exhortations de ce territoire gelé, m’abandonner à la fatigue et poser la tête sur son doux oreiller de neige."

Quelques rencontres viennent rompre la solitude et apporter une touche humaine, chaleureuse bien qu’éphèmère, Agnès, la vieille dame partie faire des courses, qu’il raccompagne et qui lui donne un chocolat pour son fils, Rosemary, victime d’un accident qu’il assiste en attendant les secours. Et peu à peu au cours du voyage, par bribes, se dévoile la tragédie qui a frappé la famille.
Si l’ensemble baigne dans une sorte de tristesse voilée, étouffée, semblable aux paysages estompés par la neige, il y a ces moments de bonheur partagés quand les enfants sont tout petits et cette idée, si vraie, si juste, que tout parent doit avoir un jour expérimenté, « cette impression  de voir le monde pour la première fois. Le voir à travers des yeux d’enfants. » Et il n'est pas étonnant qu'il soit souvent question de regard dans le roman puisque Tom est photographe.

 

L'ange du Nord de Antony Gormley à Gateshead

Il y a de très beaux passages qui apportent du réconfort, comme la visite à l’ange dominant la ville de ses grandes ailes déployées, qui, pour Tom et bien qu’il ait perdu la foi, est une promesse d’espoir, de rédemption.

 « … photographier l’ange. Je veux saisir sa dimension, sa puissance, l’envergure des ses ailes, je veux emporter cette image partout où j’irai dans l’avenir. ». 

Et si son métier, en dehors de la photographie alimentaire qui parfois l'ennuie, est pour lui un moyen de s’exprimer, la somme de tout ce qu’il a vu, qu’il a lu, qu’il a éprouvé, il faut pourtant comme le lui demande Lorna à la naissance de son fils, qu’il accepte de regarder son fils avec ses yeux, non à travers un appareil photographique : « Avec mes yeux. Uniquement avec les yeux. Un petit garçon qui franchit les pierres du guet, les paupières fermées. Un garçon qui manque me bousculer dans sa hâte à entrer dans le salon le matin de Noël. Ses cadeaux pour sa mère et son père, emballés n’importe comment- une paire de gants en laine pour moi, du parfum pour Lorna… ». C'est le regard de l'amour enfin dépouillé de  culpabilité.

Un très beau livre, à la fois sobre et plein d’émotion. 


Voir Kathel : ICI

mardi 21 janvier 2025

Sarah Penner : La petite boutique aux poisons

 

 

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Voilà le genre de lecture facile destinée aux esprits fatigués et qui ont envie de se divertir avec ce polar historique. Divertir ? Ouep ! En un  sens … mais je conseille tout de même à ces messieurs de se méfier ! Car nous allons rencontrer une empoisonneuse Nella  bientôt secondée par une admiratrice et disciple Eliza (12 ans). Une femme bien sous tout rapports puisque sa loi n° 1 est de ne jamais s’attaquer aux femmes et d’aider celles-ci à se débarrasser des maris gênants, croqueurs de dot,  infidèles, violents, désagréables ! Bref ! Une entreprise qui travaille pour le bien public et féminin ! Nous sommes en 1791 dans l'arrière-boutique obscure d’un quartier de Londres non moins obscur en train de manipuler de mystérieuses fioles gravées d’un écusson représentant un ours et avis aux maris ! Tenez-vous bien !

De nos jours, à Londres, Caroline venue des Etats-Unis est désemparée. Elle et son mari s’apprêtaient à faire ce voyage pour célébrer leur anniversaire de mariage lorsque Caroline apprend qu’il lui est infidèle. Elle part seule et se retrouve dans la capitale sans grande envie de visiter la ville, trop malheureuse pour cela. C’est le moment de faire le point et de s’apercevoir qu’elle a sacrifié tout ce qui était important pour elle en se mariant !
C’est alors qu’un homme l’aborde pour lui proposer une séance de mudlarking dans les boues de la Tamise à marée basse :
« Il fut un temps où les fouilleurs qu'on appelle mudlarks, récoltaient les pièces, des bijoux, des céramiques, pour ensuite les vendre. C'est de ça que parlent les romans de l'époque victorienne. Les gamins des rues récupéraient ce qu'ils pouvaient pour essayer d'acheter un bout de pain. Mais aujourd'hui, nous ne sommes là que pour le plaisir. Vous pouvez conserver ce que vous trouvez, c'est la règle.

Et Caroline trouve… devinez ? Et oui, une fiole avec un petit ours gravé. Dès lors elle mène une enquête qui lui permet de remonter dans le temps sur les traces de l’empoisonneuse et de découvrir son histoire. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est que, non, Caroline n’empoisonnera pas son mari, il est assez bête pour s’empoisonner tout seul !

Un livre agréable  et divertissant  qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux ! 

lundi 20 janvier 2025

Sally Page : La collectionneuse de secrets

 


 

Je me méfie toujours un peu des romans qualifiés (en bon français) de « Feel good », aussi, c’est avec un peu de méfiance que j’ai abordé ce livre, La collectionneuse de secrets de Sally Page.  Et finalement ce livre ne manque pas d’intérêt. Alors après la lecture du dernier volume de Proust, un roman facile, optimiste, pourquoi pas ? C'est ce que je me suis dit !
 

Le personnage principal, Janice, un petit bout de bonne femme, active, intelligente et curieuse, est femme de ménage. Sa vie, pense-t-elle n’est pas intéressante, elle se considère comme une petite souris sans importance. D’ailleurs, son mari ne cesse de lui renvoyer cette image dévalorisante d’elle-même, lui qui n’est pas capable de conserver un travail et a honte que son épouse fasse du ménage !

 Aussi collectionne-t-elle la vie des autres, celle de ses clients, des gens croisés dans la rue, du chauffeur de bus … Et les histoires qu’elle nous raconte font vivre toutes sortes de personnages avec leurs difficultés, leurs chagrins, leurs inquiétudes. Ces femmes et ces hommes pris dans leur vie quotidienne sont vrais et  attachants. Un jour, une de des clientes, lui demande de faire des ménages chez Madame B, sa belle-mère, âgée de 92 ans.  La rencontre avec cette vieille dame peu commode est assez épique mais peu à peu les deux femmes s’apprivoisent et s’apprécient grâce à une histoire que madame B raconte à notre collectionneuse.

La lecture de ce roman qui présente des qualités est agréable même si je n’ai pas tout aimé : le côté résolument optimiste qui aplanit toutes les difficultés rencontrées par Janice me paraît trop loin de la réalité. Si une femme de ménage sans le sou, à la rue, pouvait s’émanciper aussi facilement, en rencontrant autant de gens prêts à l’aider, un patron prêt à lui prêter un appartement, un chevalier servant sans peur et sans reproche prêt à la défendre et à l’aimer… Bref ! si c’était aussi facile, la vie serait bien faite !  Je n’ai pas aimé, non plus, l’histoire racontée par Madame B  qui a été inspirée par une femme qui a réellement existé et a eu une liaison avec Edward III alors futur roi d’Angleterre. Je lui ai préféré les récits des personnages fictifs, plus simples, qui sont paradoxalement plus justes et plus intéressants que le personnage  réel.

Cependant, c’est un roman que j’ai eu plaisir à lire même s’il n’est pas parfait. Je suppose qu’il faut le lire un peu comme un conte et retenir ce que veut dire l’auteur : que tout être, même le plus humble en apparence, mérite d’être reconnu en tant que personne et respecté, que la vie serait plus facile avec plus de solidarité et d’amitié... 

samedi 18 janvier 2025

Fanny Abadie : Les insoumis du Blizzard

 


Les insoumis du Blizzard de Fanny Abadie est un livre de SF pour les adolescents ( à partir de 14 ans) présentant un monde post-apocalyptique. « La population mondiale, aux deux tiers anéantie, s’est réfugiée sur le continent africain». Nous sommes en 2330 et nous nous intéressons à une petite communauté qui a refusé l’exil climatique et vit à Lille, dans un grand bâtiment, la vieille bourse, au milieu d’un univers gelé, submergé par la neige et glace.
 
Le groupe, composé de 5 adultes et de six adolescents âgés de 10 à 16 ans, tente de survivre sous la direction du chef Kelsang et d’Hélène - la mère de Mirren (10 ans) et Babak (16 ans)- , qui font régner une discipline de fer avec l’aide des autres adultes dont Tamund, médecin-cuisinier. Josh (15 ans) est le dénicheur, celui qui sillonne la ville, s’introduit dans les maisons désertes à la recherche de tout ce qui peut aider la communauté, Nedja, 15 ans et sa soeur Liv (14 ans) sont proches l’une de l’autre mais un incident vient perturber leur complicité et il y a  aussi Afick que le chef considère comme son disciple. La vie des adolescents est rude, remplie de corvées, soumise à une discipline brutale, sans affection et sans joie, dans une communauté qui fonctionne un peu comme une secte.

Le monde antérieur est peu décrit et ce que l’on en apprend, c’est que la reproduction naturelle n’existaient plus, les bébés étaient conçus en éprouvettes. Cependant, étant donné les circonstances et pour la survie de la communauté, les adultes vont encourager les jeunes couples à la reproduction, après les avoir sélectionnés d’après leur génétique. Or, lorsqu’il s’agit de faire l’amour, les sentiments s’en mêlent, tout ne se passe pas comme prévu. Les adolescents se rebellent et décident de s’enfuir :
« Les patins du traîneau crissèrent et ce bruit décupla leur assurance. Les jeunes échangèrent des encouragements qui claquèrent comme des fouets.
Au-delà des immeubles défoncés par le blizzard, l’horizon, blanchi par la tempête, leur parut tout à la fois sombre et exaltant. »

Où vont-ils pouvoir se réfugier ? Quels dangers vont-ils affronter ? Parviendront-ils à s’entendre ?  Que va-t-il arriver ? C’est ce que vous ne saurez pas !  Et le lecteur reste le bec dans l’eau car, au moment où cela devient le plus intéressant, le livre s’arrête ! J’ai cherché, en vain, un deuxième tome. Mais non ! C’est fini et on reste sur sa faim ! 

jeudi 16 janvier 2025

Marcel Proust : Bilan final : livre 6 : Albertine disparue et livre 7 : Le temps retrouvé

 



Nous avons enfin terminé notre défi commun, nous, Miriam et Claudialucia : Lire les sept volumes de La Recherche du Temps perdu l’un après l’autre, dans la foulée… Le challenge lancé le 23 Mars 2024, commencé au mois d’Avril, s’est achevé en Décembre 2024. Une longue marche d’endurance.

Non, cette lecture n'a pas été facile pendant ces 9 mois, contrairement à ce que nous disent les inconditionnels de Proust, en tout cas pour moi !

 Ce que je n'ai pas aimé dans Proust

 Pourquoi la lecture m'a été parfois difficile ?

Plusieurs aspects de l'oeuvre m'ont déstabilisée, non pas la longueur de la phrase, - on s'y habitue très vite-, non pas tant le nombre de pages (plus de 3000), - je suis habituée à beaucoup lire et j'aime les gros livres bien épais dans lesquels on s'embarque pour un long voyage-, que cette impression de répétition d'un livre à l'autre ou d'un paragraphe à l'autre. Répétitions, redondances ? On a parfois envie de dire à l'écrivain : mais c'est déjà dit, on le sait, on n'est pas idiot, on a compris ! Oui, souvent je me suis ennuyée !

Ensuite il faut bien avouer que les personnages dont il parle sont odieux, que ce soit la grande noblesse ou la riche bourgeoisie, les Guermantes ou les Verdurin. Je les trouve vides, snobs, égoïstes, souvent même inintelligents et ridicules.  C'est d'ailleurs ce que dénonce Marcel Proust qui n'épargne pas la critique de ce milieu qu'il admire d'abord pour ensuite en constater la superficialité même s'il conserve malgré tout une certaine connivence avec eux  ! Après tout, c'est son milieu et quand il fréquente des gens du peuple, cela ne peut-être que ses chauffeur, cuisinière ou valet pour qui il a une certaine condescendance.  Quand vous passez des heures et des heures à lire Proust comme nous l'avons fait, cela signifie que vous passez des heures et des heures en compagnie de gens peu fréquentables, terriblement déplaisants ! Et cela ne paraît jamais finir !

Et puis même les personnages principaux ne sont pas tous sympathiques. Marcel, en particulier,  avec son mépris des femmes, ses caprices d'enfant gâté odieux envers sa mère (à Venise); le sentiment qu'il a de sa supériorité (envers Albertine), son incapacité à aimer les autres, sa manière de décrier l'amitié et l'amour. Il n'aime et il ne s'intéresse qu'à lui-même ! Et que dire de Charlus ou de Saint Loup qui, imbus de leur noblesse, satisfont leur sexualité avec des enfants des classes pauvres  !


Ce que j'ai aimé dans Proust

 Ceci dit, je suis bien heureuse de les connaître tous ces personnages même si cela peut paraître paradoxal par rapport à ce qui précède. Ils sont tellement célèbres qu'ils font partie de notre patrimoine littéraire, si je puis dire, et même de notre quotidien. L'autre jour, en regardant une photographie prise par ma fille d'un mineur péruvien au regard fier et au port de tête hautain, je me suis dit spontanément : "Le duc de Guermantes  ne pourrait avoir un air plus altier ! ". Les personnages de Proust comme référence !

 Et puis j'aime Tante Léonie et "ce grand renoncement de la vieillesse qui se prépare à la mort", Françoise,  le Michel Ange de notre cuisine et son boeuf aux carottes en gelée, son franc parler, la grand-mère si aimante, si dévouée et son grand amour pour Madame de Sévigné, Albertine, l'enfant orpheline et pauvre et pour cela jeune fille méprisée qui a le désir d'apprendre, qui lit, se cultive, prisonnière d'un homme malade, jaloux, égoïste,  incapable d'aimer ! Et, bien sûr, je me suis sentie concernée, touchée par ces personnages qui nous font éprouver des émotions et nous renvoient à nous-mêmes.

 Ce que j'aime dans Proust ? C'est aussi le témoin de son temps, l'électricité, le téléphone, l'aviation, le train, la vogue des bains de mer,  l'impressionnisme, l'affaire Dreyfus, la guerre de 14 à Paris...

 Proust et la  nature, la mer, les fleurs et ces magnifiques descriptions de Combray, de Balbec. Proust l'écrivain des fleurs et ses fameuses aubépines : "leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d’un air distrait son étincelant bouquet d’étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l’église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s’épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. "

J'adore lorsque Marcel Proust parle de l'art, la peinture, la musique et la littérature. J'aime que certaines scènes ou certains personnages soient décrits comme des oeuvres d'art, que Swann voit  Odette  comme une fresque de Boticelli, que le docteur ressemble à un Tintoret , que Bloch soit un Gentile Bellini, ou que "sous les couleurs d’un Ghirlandajo" soit peint le nez de M. de Palancy.

Proust et l'humour :  A de nombreuses reprises j'ai noté l'humour de Proust avec, par exemple, la vieille madame de Cambremer si mélomane qu'elle bat la mesure "avec sa tête transformée en métronome"; la première rencontre avec Bloch et les parents de Marcel m'ont bien fait rire, de même le baron Charlus et ses ruses pour retenir l'attention de Morel, ou encore les tics de madame Verdurin... pour ne citer que ceux-là.

La Recherche offre des pages admirables au style splendide, au thème fort, qui marquent à la fois par leur beauté et par leur sens, des pages entières qui se détachent des autres et que l'on peut lire à part tant elles ont de force :  "Longtemps, je me suis couché de bonne heure", la page des madeleines et de la tisane, celle des pavés inégaux, de l'aquarium à Balbec, de la robe et des chaussures rouges, du petit pan de mur jaune lors de la mort de Bergotte et bien d'autres encore.

Enfin, j'ai aimé cette recherche sur le temps, sur la mémoire et le souvenir qui est notre quête à tous. Et je pense que nous avons tous éprouvé cette remontée du passé grâce à une impression sensorielle, sensation olfactive, auditive... c'est le goût de la madeleine pour Proust, la triste petite phrase musicale de Vinteuil pour Swann, le chant de la grive pour Chateaubriand, l'odeur du pays qui est dans une pomme...

Nous publions ici la récapitulation des deux derniers livres : Albertine disparue et Le temps retrouvé.


BILAN 7


Miriam


Le temps retrouvé Tansonville

Le temps retrouvé : Monsieur de Charlus pendant la guerre

Le temps retrouvé : Dans la bibliothèque du prince de Guermantes, méditation sur la mémoire et littérature



Claudialucia


Le temps retrouvé (1) Proust, Cendrars et Céline

Marcel Proust : Le temps retrouvé (2)



BILAN 6


Miriam

Marcel Proust : Albertine disparue

 une lecture annexe : Le Lièvre aux yeux d'ambre d'Emund de Waal où j'ai trouvé un personnage ayant peut être inspiré Swann
 


Claudialucia

Marcel Proust :  Albertine disparue


 Bilan 5 : La prisonnière 

 


 claudialucia

La prisonnière : Marcel (1)

La prisonnière Albertine (2)

La prisonnière : Le mythe de Pygmalion

Normandie Calvados Caen : Exposition : Le spectacle de la marchandise, Ville, art et commerce avec Zola et Proust (2)

Marcel Proust et la mode : Mariano Fortuny et Jacques Doucet

Miriam  

 La prisonnière : Emprise, jalousie et mensonges

La prisonnière : mais qui est donc Albertine ?

La prisonnière :  Une soirée musicale chez madame Verdurin

  

  Bilan 4  Sodome et Gomorrhe

 


Claudialucia


Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe : Le Baron Charlus et l’homosexualité (1)

Marcel Proust: Sodome et Gomorrhe : Albertine et l’homosexualité (2)

Marcel Proust : Sodome et Gomorrhe l’humour (3)

 

Keisha 

 Marcel Proust : lettres à sa voisine

Keisha a déniché une correspondance rare de Proust


Miriam
 

Sodome et Gomorrhe : Le baron Charlus et Jupien

Sodome et Gomorrhe : La soirée chez la princesse de Guermantes

Sodome et Gomorrhe : Autour de Balbec et les noms des villages normands

Miriam est partie à Balbec découvrir les lieux qui ont inspiré Marcel Proust
le Grand Hôtel, la promenade sur la digue et la plage

La villa du Temps retrouvé : Marcel Proust (l'écrivain) et Marcel, le narrateur, n'ont jamais vécu dans la belle villa du Temps Retrouvé transformé en musée Belle Epoque qui contient des autographes et des tableaux des personnes ayant inspiré Proust.


Si vous avez fait d'autres lectures vous pouvez coller les liens en commentaires ici.


 Marcel Proust Bilan 3  Le côté de Guermantes

Claudialucia

Proust Le côté de Guermantes :  lucidité et pessimisme

Miriam

Proust Le côté de Guermantes :(1ère partie) Le téléphone

Proust Le Côté de Guermantes :(2ème partie) L’Affaire Dreyfus dans le salon de madame de Villeparisis

Proust Le côté de Guermantes :  (3ème partie) Un dîner chez la Duchesse de Guermantes

La Maison de tante Léonie (Musée Proust) à Illiers-Combray

 

 Marcel Proust Bilan 2 : A l'ombre des jeunes filles en fleurs

 

 

Nathalie :

Chloé Cruchaudet, d'après Céleste Albaret, « Bien sûr, monsieur Proust », 2022, édité chez Noctambule.

Chloé Cruchaudet, Céleste, tome 2 Il est temps Monsieur Proust

Laure Murat : Proust, roman familial


Marcel Proust : Bilan 1 Du côté de chez Swann

 




Aifelle


Claudialucia

 
 
Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Combray
 
 
 
 

Le jeudi avec Marcel Proust :  billets sur Un amour de Swann

Evelyne Bloch Dano une jeunesse de Proust

Céleste Albaret : Monsieur Proust

Laure Murat : Proust roman familial


Dominique

Laure Murat, roman familial

Bribes et conseils aux réfractaires


Fanja

Céleste : Bien sûr, monsieur Proust BD  Chloé Cruchaudet


Keisha

Laure Murat : Proust roman familial

Brassaï : Marcel Proust sous l’emprise de la photographie


Luocine

Laure Murat, roman familial


Miriam

Présentation du challenge Marcel Proust

Du côté de chez Swann : Marcel Proust lecture gourmande

Du côté de chez Swann : l’amour de la lecture/écriture

Du côté de chez Swann :  Combray En famille

Un amour de Swann Marcel Proust


Sandrine

Du côté de chez Swann






 

dimanche 12 janvier 2025

Marcel Proust , Blaise Cendrars, Céline et le temps retrouvé (1)

 

 

Enfin, j’ai terminé le septième volume de La Recherche du temps perdu en Décembre. C'est fini ! Le défi  que nous nous étions lancé, Miriam et moi, est terminé et gagné ! Il me reste à en rendre compte maintenant !

Ce dernier volume Le temps retrouvé est celui où Proust formule une synthèse de tous les moments qui ont marqué sa Recherche, ce qui le conduit à clarifier et exposer sa vision de l’art et de la littérature. Retrouver le temps perdu par le biais des impressions sensorielles, est, pour Marcel Proust, le seul moyen possible pour l'écrivain d'accéder à son art, d'exprimer sa vérité.

"L’impression est pour l’écrivain ce qu’est l’expérimentation pour le savant, avec cette différence que chez le savant le travail de l’intelligence précède et chez l’écrivain vient après. Ce que nous n’avons pas eu à déchiffrer, à éclaircir par notre effort personnel, ce qui était clair avant nous, n’est pas à nous. Ne vient de nous-même que ce que nous tirons de l’obscurité qui est en nous et que ne connaissent pas les autres. Et comme l’art recompose exactement la vie, autour de ces vérités qu’on a atteintes en soi-même flotte une atmosphère de poésie, la douceur d’un mystère qui n’est que la pénombre que nous avons traversée. " (Partie III matinée chez la Princesse de Guermantes)


Le Temps retrouvé est divise en trois grandes parties :


I) Tansonville

Marcel est invité à Tansonville chez Gilberte dans la demeure de son père, Swann, à Combray. Celle-ci a épousé Robert de Saint Loup et est ainsi devenue une Guermantes. Robert est absent et Gilberte se plaint d’être délaissée. Saint Loup, après son amour fou pour Rachel, s’est révélé homosexuel mais il soigne sa réputation d’homme à femmes pour mieux se consacrer à ses amants. Toujours cette nécessité du mensonge pour être accepté en société. En fait, il a une liaison avec l’affreux Morel, dont on se souvient qu’il a joué un rôle peu reluisant auprès de baron Charlus.
On pourrait penser que Marcel en retournant sur le  lieux de son enfance va retrouver le passé mais il n’en est rien. Il ne va même pas revoir l’église de Combray qu’il a tant aimée.

Marcel renonce à la littérature pour laquelle, dit-il, il n’a aucun don et va se faire soigner hors de Paris dans un maison de santé qu’il quittera au commencement de l’année 1916 pour rentrer à Paris.


II) Monsieur de Charlus pendant la guerre, ses opinions, ses plaisirs.

Elégantes pendant de la guerre de 14_18

Nous sommes en 1916 et Marcel Proust n’est pas tendre envers les « planqués » de l’arrière, comme dirait Céline. Le récit des années de guerre telle que Marcel la voit à Paris ne manque pas, en effet, d’une ironie mordante.
Qu’en est-il des femmes ?  Dans ces pages, Marcel pastiche un journal de mode, et décrit comment les grands couturiers et les femmes du monde "participent" à  " l’effort de guerre" :

« Les tristesses de l’heure, il est vrai, pourraient avoir raison des énergies féminines si nous n’avions tant de hauts exemples de courage et d’endurance à méditer. Aussi en pensant à nos combattants qui au fond de leur tranchée rêvent de plus de confort et de coquetterie pour la chère absente laissée au foyer, ne cesserons-nous pas d’apporter toujours plus de recherche dans la création de robes répondant aux nécessités du moment. La vogue, cela se conçoit, est surtout aux maisons anglaises, donc alliées, et on raffole cette année de la robe-tonneau dont le joli abandon nous donne à toutes un amusant petit cachet de rare distinction. »
« Quant à la charité, en pensant à toutes les misères nées de l’invasion, à tant de mutilés, il était bien naturel qu’elle fût obligée de se faire plus « ingénieuse encore », ce qui obligeait les dames à haut turbans à passer la fin de l’après-midi dans les thés autour d’une table de bridge, en commentant les nouvelles du « front » tandis qu’à leur porte les attendaient leurs automobiles ayant sur le siège un beau militaire qui bavardait avec le chasseur. »

Voilà pour les femmes. C’est assez méchant, non ? et assez juste !

Quant aux hommes ? Ils ne sont pas épargnés ! Bloch se montre patriote ardent et même chauvin tant qu’il pense être réformée pour myopie mais lorsqu’il comprend que cela ne lui épargnera pas la mobilisation, il se découvre soudain des idées antimilitaristes. Françoise cherche des appuis pour faire exempter son neveu. Saint Loup au contraire fait tout pour être incorporé et trouvera la mort sur le front. C’est l’occasion pour Marcel de rendre hommage aux poilus et même aux socialistes ( Quand on s’appelle Proust, il faut le faire!). Il croit encore à la noblesse de la guerre.

« Les jeunes socialistes qu’il pouvait y avoir à Doncières quand j’y étais, mais que je ne connaissais pas parce qu’ils ne fréquentaient pas le milieu de Saint-Loup, purent se rendre compte que les officiers de ce milieu n’étaient nullement des « aristos » dans l’acception hautainement fière et bassement jouisseuse que le « populo », les officiers sortis des rangs, les francs-maçons donnaient à ce surnom. Et pareillement d’ailleurs, ce même patriotisme, les officiers nobles le rencontrèrent pleinement chez les socialistes que je les avais entendu accuser, pendant que j’étais à Doncières, en pleine affaire Dreyfus, d’être des sans-patrie. »

La guerre de Proust, Céline et  Cendrars  

L'enterrement du comte d'Orgaz du Greco

 Je ne peux m'empêcher de comparer la guerre vue par Marcel Proust, Cendrars ou Céline. Quels contrastes !

Saint Loup est convaincu que la guerre est un art et que celle-ci obéit aux lois subtiles des stratèges. C'est ce qu'il explique à son ami Marcel alors que dans La main coupée Blaise Cendrars écrit : 

 Je m’empresse de dire que la guerre ça n’est pas beau et que, surtout ce qu’on en voit quand on y est mêlé comme exécutant, un homme perdu dans le rang, un matricule parmi des millions d’autres, est par trop bête et ne semble obéir à aucun plan d’ensemble mais au hasard. A la formule marche ou crève on peut ajouter cet autre axiome : va comme je te pousse ! Et c’est bien ça, on va, on pousse, on tombe, on crève, on se relève, on marche et on recommence. De tous les tableaux des batailles auxquelles j’ai assisté je n’ai rapporté qu’une image de pagaïe. Je me demande où les types vont chercher ça quand ils racontent qu’ils ont vécu des heures historiques ou sublimes.

Marcel juge la guerre en intellectuel, en artiste, sensible à la beauté des ombres et des lumières qu'il compare à un tableau du Gréco. Il ne peut s'empêcher aussi de souligner le côté vaudevillesque de cette scène de bombardement qui - pourtant, sème la panique et la mort - parce qu'elle lui a permis de voir la duchesse de Guermantes en chemise de nuit dans la cour et le duc en pyjama rose ! Il peut encore rire de la guerre, peut-être parce qu'il n'est pas dans les tranchées !

La ville semblait une masse informe et noire qui tout d’un coup passait des profondeurs de la nuit dans la lumière et dans le ciel où un à un les aviateurs s’élevaient à l’appel déchirant des sirènes, cependant que d’un mouvement plus lent, mais plus insidieux, plus alarmant, car ce regard faisait penser à l’objet invisible encore et peut-être déjà proche qu’il cherchait, les projecteurs se remuaient sans cesse, flairaient l’ennemi, le cernaient dans leurs lumières jusqu’au moment où les avions aiguillés bondiraient en chasse pour le saisir. Et escadrille après escadrille chaque aviateur s’élançait ainsi de la ville, transporté maintenant dans le ciel, pareil à une Walkyrie. Pourtant des coins de la terre, au ras des maisons, s’éclairaient et je dis à Saint-Loup que s’il avait été à la maison la veille, il aurait pu, tout en contemplant l’apocalypse dans le ciel, voir sur la terre, comme dans l’enterrement du comte d’Orgaz du Greco où ces différents plans sont parallèles, un vrai vaudeville joué par des personnages en chemise de nuit ...

C’est évidemment la différence, et par la style et par les idées, entre un Proust et un Céline qui a été au première loge, engagé volontaire à dix-huit ans. Dans Le voyage au bout de la nuit, il écrit :

Serais-je donc le seul lâche sur la terre? pensais-je. Et avec quel effroi !... Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu'aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflant, tirailleurs, comploteurs, volant, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Allemagne, France et continents, tout ce qui respire, détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m'étais embarqué dans une croisade apocalyptique.

On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu… Ça venait des profondeurs et c’était arrivé."

 Quant à Blaise Cendrars, c'est encore un cri du coeur qu'il pousse dans La main coupée :

"Quand on a vécu ça, on ne croit plus aux slogans des stratèges. On est initié. L'art militaire est affaire des culottes de peau. Une sale routine. Marche ou crève.

Et nous marchions. Et nous crevions."

Marcel Proust décrit aussi une époque où les parvenues et parvenus se mêlent à la haute société, tout un milieu interlope, qui, profitant des désastres et des bouleversements amenés par la guerre,  signe le glas d’une certains noblesse imbue de ses privilèges et qui sera bien vite remplacée par d’autres profiteurs. L’heure n’est plus au dreyfusisme mais au patriotisme et les libéraux antifreyfusards de jadis deviennent les conservateurs d'aujourd’hui (Clémenceau).

Quant au Baron Charlus, ses racines allemandes et ces propos pro- germanistes lui font du tort. Il est désormais bien vieux, malade, diminuée mais cela ne l’empêche pas d’être vu par Marcel dans une maison de passe tenue par Jupien où l’on pratique des jeux sado-masochistes.


Suite : Le temps retrouvé (2) lundi

3ième partie :   Matinée chez la princesse de Guermantes




samedi 14 décembre 2024

AndreÏ Kourkov : Les abeilles grises

 

 

Serguei Sergueïtch et Pachka, les deux derniers habitants du village de Mala Starogradovtich située en « zone grise », c’est à dire ni en terre russe, ni en terre ukrainienne, dans l’oblast du Donetsk, région du Donbass, ont une position très inconfortable ! Nous sommes dans les années 2014. Les séparatistes russes épaulés par les Russes et les nationalistes ukrainiens s’affrontent. Au-dessus de la tête des deux hommes, les obus volent de part et d’autre de la frontière et tombent parfois bien près de leur maison. Les villageois sont partis, les maisons sont fermées, l’électricité est coupée, l’approvisionnement difficile, et les deux «meilleurs ennemis » d’enfance sont bien obligés de s’entendre et de coopérer pour survivre. L’un Pachka, pro-séparatiste, l’autre, Sergueï, pro-ukrainien, mais tous les deux dans la même situation. Force est de constater que Kourkov nous conte, de la part des deux « ennemis », et tant bien que mal, une histoire d’amitié.

Serguei Serguievtich est apiculteur. Son épouse et sa fille l’ont quitté pour vivre, il y a plusieurs années de cela, dans la grande ville. Après avoir assuré la sécurité dans les mines de ce pays houiller, Serguei a été réformé pour silicose. Ses abeilles, il les aiment et c’est pourquoi, au printemps, il les amène loin de la zone grise pour qu’elles trouvent la tranquillité et les fleurs pour butiner en paix. Un voyage vers l’Ouest de l’Ukraine où il est considéré, venant du Donetstk, comme suspect par les Ukrainiens de l’Ouest, puis vers la Crimée où il se lie d’amitié avec les Tatars mais est suspecté par les Russes. Des tatars, il s'en aperçoit, qui ne sont pas acceptés par le reste de la population et lui-même, il lui faut bien vite s'en retourner, pressé par les autorités russes.  Décidément, ou qu’il soit, Serguei est toujours en zone grise ! Même ces abeilles deviennent grises ! C'est la couleur du récit, c'est aussi la couleur des êtres humains, ni blanc, ni tout à fait noir, gris !

Le livre d’Andreï Kourkov est un beau roman, d’une tristesse égayée par des situations inédites voire burlesques, comme cette fameuse nuit où Sergueï intervertit les noms des rues du village pour ne plus vivre rue Lénine mais dans la rue d'un poète ukrainien ! Une tristesse pleine de tendresse. Sergueï est, en effet, à priori, un homme un peu fruste, avec toutes ses faiblesses, mais capable d’une certaine délicatesse et d’attention vis à vis des autres. On le découvre, à plusieurs reprises, plein d’humanité lorsqu’il va recouvrir de neige, au péril de sa vie, le cadavre d’un soldat ukrainien, ou lorsqu’il intervient en Crimée, auprès des autorités russes, et ceci malgré sa peur, pour découvrir ce qu’est devenu Athem, un tatar, apiculteur comme lui, disparu depuis deux ans. Grâce à ses abeilles, Serguei est proche de la nature même s’il leur reproche parfois de trop ressembler aux hommes d’où une petite musique poétique et nostalgique, mi-optimiste, mi-pessimiste, une musique qui ne cesse pas complètement de croire en l'humain,  bref !  en demi-teinte, qui baigne le roman. Une belle lecture.
 

Sergueï recueille une abeille sans ruche et cherche à la faire accepter dans une autre :

Allez, monte ! " dit-il à l'abeille.

Celle-ci, comme si elle l'avait entendu, se glissa gaillardement dans l'ouverture.

Sergueï n'eut pas le temps de cligner de l'oeil que l'insecte retomba en arrière sur la planchette, aussitôt suivi par trois ou quatre abeilles de la ruche qui entreprirent de le repousser loin de l'entrée, jusqu'à le culbuter dans le vide.

- "Voyez-moi ça !"soupira Serigueïtch en se penchant. Il ramassa l'abeille par terre, comme pour lui offrir de bâtir une petite ruche dans l'interstice.

Il tourna les yeux vers la planche d'envol.

" Eh bien, vous êtes donc comme les humains ? demanda-t-il aux abeilles avec amertume.

lundi 2 décembre 2024

Katja Schönherr : Marta et Arthur

 


Marta et Arthur de Katja Schönherr

Quand  Marta se réveille cette nuit-là et qu’elle constate la mort d'Artur, son non-époux ( car il ne voulait « surtout pas l’épouser »  ), le lecteur a quelques raisons de s’étonner. Non seulement Marta diffère le moment d’appeler son fils au téléphone mais elle a l’air de ne pas trop croire à cette mort et de souvent la remettre en cause. La voilà qui essaie de recouvrir son mari allongé dans le lit sous une couche de sable et de le déguiser en dieu de la mer en le munissant d’un trident. L’on apprendra qu’il déteste le contact du sable. Et pendant la journée et les deux nuits qui suit cette mort, se déroule le récit de cette haine qui unit le couple depuis quarante ans, et de toutes les cruautés mesquines qui ont jalonné leur vie.

Marta est une jeune fille bien malheureuse. Elle n’a pas connu son père. Sa mère boit, reçoit ses amants, la brutalise et la jette dehors le jour de ses dix-huit ans. C’est peut-être pour cela que Marta, flattée qu'un adulte s'intéresse à elle, a une relation sexuelle avec Artur, ce professeur plus vieux qu’elle, qu’elle a connu sur les bancs du lycée, lui, stagiaire-professeur et elle élève en dernière année. Outre que cet homme, froid, tatillon, étroit d’esprit, sans chaleur humaine, s’intéresse de trop près aux très jeunes filles, elle n’en est même pas amoureuse ! C’est contraint et forcé qu’il l’accueille chez lui quand elle est à la rue, puis qu’il est acculé à la vie commune lorsqu’il lui fait un enfant.

On ressent d’abord beaucoup d’empathie envers cette jeune femme dont le mari ne se dérange même pas pour aller la chercher à la maternité, elle et leur bébé, après son accouchement et semble préférer ses poissons à son fils. 

"Les deux mains appuyées sur les genoux, Artur fixait les poissons d'un air absent. Cette odeur inhabituelle montait à la tête de Marta. Elle s'assit quand même à côté d'Artur, avec son ventre évidé. Elle retira sa veste, ouvrit son chemisier et essaya d'allaiter. Le bébé ouvrit une bouche vorace. Artur ne faisait pas attention à eux. On aurait dit un personnage en cire."

Artur témoigne d'une méchanceté qui fait mouche, l'indifférence et les mots faisant plus mal que les coups. D’autre part, quand  l’enfant grandit, il paraît, lui aussi, aussi dur que son père à qui il ressemble. Pourtant, l’attitude de la mère envers lui quand il est plus grand, est dérangeante. Et quand Michaël, prévenu de la mort de son père arrive chez Marta, il apporte un autre éclairage au personnage. Est-elle vraiment une victime ?  Et l’on finit par se poser la question de savoir si Marta a glissé vers la  démence et à quel moment. N’a-t-elle pas aussi un peu « aidé » à la mort « naturelle » d’Artur ?

Ce premier roman est extrêmement maîtrisé. L’écrivaine manifeste beaucoup d’habileté dans la conduite du récit. Elle nous englue dans la grisaille de l’âme humaine, dans le désespoir sans révolte, et la non-existence. Elle nous aiguille aussi sur des voies différentes qui nous obligent à revenir sur nos certitudes.  C’est extrêmement dur et cette lecture m’a fait souffrir même si je reconnais le talent de Katja Schönherr et, peut-être, justement à cause de ce talent !

 

Voir le billet de Kathel ICI

mercredi 27 novembre 2024

Julie Zeh : Décompression


Le titre du roman de Juli Zeh Décompression est un terme de plongée sous-marine qui fait allusion aux étapes nécessaires que doit observer le plongeur lorsqu’il remonte des profondeurs pour éliminer l’azote accumulé dans le sang sous l’effet de la pression. Mais peut-être désigne-t-il aussi ce que va vivre Sven lorsqu’il accueille Jola, actrice d'une série télé et Theo, écrivain en panne d’écriture, un couple que l’on peut qualifier de toxique et qui va le prendre dans ses filets. Echappera-t-il aux vertiges des profondeurs … Saura-t-il échapper à la pression psychique, respecter les étapes de la survie ?


Sven est l’un des narrateurs du récit. Allemand, il a fui son pays pour échapper à une société nocive et factice à ses yeux, qui ne cesse de juger, de condamner son semblable. Il est professeur de plongée sur l’île Lanzarote. Il vit avec sa compagne Antje et ne s’autorise pas l’émotion et surtout pas la passion. Il pratique dans sa vie les vertus exigées par la plongée, maîtrise de soi, méthode et concentration, existence bien réglée où sa compagne et lui-même ont chacun une tâche bien définie, ce qui assure sa tranquillité d’esprit. Il va devoir se mettre au service de Jola et de Theo, non seulement pour la plongée mais pour leur faire découvrir l’île. Mais Jola est d’une beauté renversante et lui fait des avances. Théo est un mari complaisant parfois…  et jaloux toujours. Le couple se déchire et se hait, les égos s’affrontent dans leur échec respectif, la cruauté, les provocations et les coups pleuvent. Ils ont parfois  un comportement dangereux en plongée et même dans la vie courante. Sven résiste mais semble perdre pied. La trop séduisante et richissime Jola est-elle une femme innocente, victime, ou allumeuse, perverse et manipulatrice ? Quel est son but ? Jusqu’où Sven va-t-il se laisser entraîner ? Nous serions (presque) de tout coeur avec Sven si ce n’était la froideur du personnage, sa dureté, son manque d’attention envers sa compagne qu’il utilise sans l’aimer. Il donne l’impression de ne pas s’intéresser aux autres et d’avoir seulement de l’affection pour son gecko, petit animal affectueux qu’il a appelé Emil. C’est un être qui refuse de vivre.

Oui, mais… Jola  ? Elle aussi tient son journal au jour le jour. Voilà une narratrice qui raconte les évènements mais en prenant le contre-pied de ce qu’affirme Sven. Lequel des deux dit la vérité ? Le doute s’installe et il faut noter le talent de l’écrivaine pour brouiller les pistes, nous inquiéter, nous faire côtoyer le précipice qui, s’il est bien réel quand il s’agit de la plongée, n’en est pas moins psychologique. Et puis, de temps en temps, survient une échappée sur ce que pensent les autres, le ressenti de Theo, d’Antje, des habitants de l’île, qui n’éclaire pourtant pas mais complexifie.
J’avoue que j’ai été absolument fascinée par ce roman même si le suspense est angoissant. Aucun des personnages n’est vraiment sympathique mais ils ont tous une présence et une force qui nous entraînent et nous prennent au piège d’une lecture au suspense haletant.

 

Lanzarote, île des Canaries


L’île Lanzarote, archipel des Canaries, est un personnage à part entière : C’est un île volcanique austère, sans végétation, dépouillée, au relief volcanique et accidenté qui ne permet pas de circuler librement sans danger.  Elle isole, elle coupe du monde. C’est ce que veut Sven désireux de ne plus avoir ce contact avec son pays et qui se fait une règle de ne plus juger autrui, de ne jamais participer à la médisance. En même temps, elle emprisonne. Les trois personnages principaux ne peuvent se libérer les uns des autres mais ils n’échappent pas au regard d’autrui et, de ce fait, au jugement de la société.
D’ailleurs quand le Yacht du multimillionnaire Bittmann entre au port avec sa « cargaison » de personnalités, c’est tout le microcosme de la société allemande que Sven retrouve et que Julie Zeh croque sous sa dent :  frivolité, intellectualisme prétentieux, malveillance, ragots… La question est posée avec le critique littéraire que Julie Zeh n’épargne pas  : Quand on n’est pas capable d’écrire un livre, peut-on être à même de le juger ? Mais c’est vrai aussi pour toutes les formes d’art.
Enfin, il y a les plongées, les promenades sous la mer avec ses beautés et ses dangers : la scène du poisson torpille, entre autres, est remarquable et puis la découverte de l’épave qui émerveille Sven avec la descente à cent mètres de profondeur.

"Le vaisseau fantôme que je surplombais était de la longueur d’un terrain de football et gisait en deux morceaux. L’étrave se trouvait séparée du reste de la coque. La nef centrale semblait bien conservée, mise à part une grue qui s’était effondrée et barrait la passerelle.
Mon regard plongea dans un abîme opaque assez large pour avaler une vache. Un immense banc de sardines tournait autour de la cheminée, souple comme une étoffe, vif comme une créature dotée d’une volonté unique. Une grande assemblée de barracudas s’attardait à l’étage d’en dessous, trop repue pour la chasse. J’appuyai sur le déclencheur. L’île entière m’envierait  cette photo."


Enfin la lente remontée au suspense si réussi et sa surprise finale!

Keisha Ici

 

Fanja


lundi 25 novembre 2024

Eleanor Shearer : La liberté est une île lointaine

  

1834. L’esclavage vient d’être aboli à La Barbade. C’est ce que le maître de la plantation La Providence, annonce à ses esclaves mais il ajoute qu’ils ont l’obligation de travailler comme apprentis chez lui pendant six ans. Ils sont libres mais ne peuvent s’en aller, travail harassant dans le champ de cannes à sucre, le contremaître, fusil en bandoulière, les sifflets, le fouet, les coupas, la fatigue, le chagrin :  « Liberté est le nom de la vie qu’ils avaient toujours connue. ».

C’est alors que Rachel décide de fuir. Elle veut retrouver ses enfants qui ont été vendus les uns après les autres, à des âges différents, et dont elle conserve le souvenir précieusement dans son coeur : Micah, Mary Grace, Mercy, Cherry Jane, Thomas Augustus sans compter ceux qui sont morts en bas âge. Rachel n’ignore pas le sort que l’on réserve aux esclaves fugitifs, les risques qu’elle encourt si on la rattrape et le fait qu’elle soit libre n’y changera rien.  

Cette longue route semée de dangers à la recherche de ses enfants est jalonnée par de belles rencontres, comme celle de Mama B, une vieille femme, généreuse et forte, qui la conduit à Bridgetown, la capitale de la Barbade où elle retrouve Mary Grace. Mais sa recherche l’amène plus loin encore en Guyane Britannique et à Trinidad. Les descriptions des paysages donnent une idée de la grandeur de la nature sauvage que cette mère courage doit affronter.

 Dès qu'ils furent sur l'eau, Rachel eut l'impression qu'ils avaient perdu le contrôle des choses. Elle en avait senti les prémices à Georgetown et les plantations - cette sensation que les arbres, le fleuve, les buissons, les oiseaux, les insectes, et même le ciel commençaient à reprendre le pouvoir. Mais lorsqu'ils se furent éloignés de la berge et commencèrent à dériver, Rachel comprit qu'il étaient à la merci de la nature."

 Les retrouvailles avec ses joies mais aussi ses peines, de nouvelles séparations, les enfants adultes ayant choisi une autre direction, le deuil aussi, accompagnent Rachel dans ce roman qui tout en décrivant l’horreur de l’esclavage, les souffrances physiques et morales infligées, montrent la profondeur des séquelles que la privation de liberté laissent dans l’âme. Pourtant la fin porte un message d’espoir. 

Avec La liberté est une île lointaine Eleanor Shearer écrit un premier roman intéressant et plein d'émotion.
 

Eleanor Shearer est une écrivaine britannique, petite-fille d'immigrants caribéens venus au Royaume Uni en 1948.

Issue de la génération Windrush, Eleanor Shearer a toujours été fascinée par l’histoire des Caraïbes et s'est rendue à Sainte Lucie et à la Barbade pour interviewer des militants, des historiens et des membres de sa famille.

La liberté est une île lointaine, son premier roman, est le fruit de ses recherches.

Eleanor est diplômée en sciences politiques de l'Université d'Oxford.
Elle partage son temps entre Londres et Ramsgate sur la côte du Kent.


Sur la génération windrush lire cet article ICI


samedi 23 novembre 2024

Camilla Grebe : L'énigme de la stuga


 

Le récit commence lorsque Lykke Andersen inculpée d’homicide volontaire déclare dans la salle d’interrogatoire qu’elle ne parlera à personne d’autre qu’à Manfred Olsson, enquêteur de la brigade criminelle. Ce qui nous ramène huit années en arrière. Désormais le récit se fera en alternance entre aujourd’hui et hier.  
Que s'est-il passé il y a huit ans ? Lykke Andersen est éditrice. Son mari, Gabriel écrivain, ses jumeaux sont deux grands jeunes hommes et, si Harry a un complexe d’infériorité par rapport à son frère David, ils sont tous deux des jeunes gens sympathiques. Une vie aisée, brillante. Lykke se considère comme chanceuse. Mais...

« La catastrophe est un oiseau rare, un visiteur inconcevable sous nos latitudes. Une nouvelle espèce dont personne ne connaît l'existence
L’impensable ne l’est que jusqu’à ce qu’il advienne, jusqu’à ce que cet étrange petit oiseau se pose  devant votre fenêtre - le vent dans les plumes, les griffes plantées sur le rebord, le vide dans ses petits yeux noirs »

Ce soir-là, c’est la fête de l’Ecrevisse, fête suédoise traditionnelle, et la famille reçoit dans leur belle maison au bord de l’eau. Les parents habitent la maison principale. La stuga, petite maison de bois située à côté, a été aménagée pour les garçons qui ont invité leur amie d’enfance, Bonnie. Tous trois y ont chacun leur chambre.
Les amis arrivent, la fête bat son plein et finit assez alcoolisée et le lendemain quand Lykke se réveille et va voir ses enfants, elle découvre le corps sans vie de la jeune fille.  L'officier de police, Manfred Olsson, mène l'enquête. La stuga était fermée à clef, les fenêtres closes de l’intérieur ; et oui, cela vous rappelle quelque chose ? Le mystère de la chambre jaune ! Force est de constater que l’un des jumeaux est coupable ! Mais lequel ?

Je ne vous en dis pas plus ! Le récit est intéressant et donne lieu à une analyse psychologique des personnages bien menée. Un polar dont la lecture est plaisante !