Louis Philippe Dalembert, auteur haïtien de langue française et créole, décrit avec Avant que les ombres s’effacent, un épisode peu connu de l’Histoire de la seconde guerre mondiale. En 1939, l’état haïtien accueille les juifs qui en font la demande et leur donne la nationalité haïtienne. En 1941, après Pearl Harbor, le président haïtien, Elie Lescot, déclare la guerre à Hitler.
Le vendredi 12 décembre 1941, par une paisible matinée caraïbe où le
soleil, à cette époque de l'année, caresse la peau plutôt que de la
mordre, la république indépendante, libre et démocratique d'Haïti
déclara les hostilités au IIIe Reich et au Royaume d'Italie. L'annonce
prit de court les citoyens, qui, tournés vers les festivités de Noël,
avaient déjà oublié que, quatre jours plus tôt, incapable d'avaler
l'anaconda de Pearl Harbor, leur bout d'île avait fait une virile entrée
en guerre contre l'Empire nippon. L'information avait déboulé à la
vitesse d'un cyclone force 5 sur la planète ; des centaines de millions
de sceptiques avaient eu du mal à en croire, qui leurs yeux, qui leurs
oreilles, selon qu'ils l'avaient lue dans les gazettes ou captée sur
leur poste tsf. Les têtes couronnées du Japon et leurs fidèles sujets
n'en étaient toujours pas revenus.
Le Saint Louis à Hambourg : 1939 |
Le narrateur est le personnage principal du roman, Ruben Schwarzberg. Il raconte sa vie à sa petite nièce venue d’Israël pour porter secours à la population à l’occasion du séisme qui frappa l’île en 2010.
Né en Pologne en 1913, Ruben Schwarzberg a passé son enfance et son adolescence à Berlin où il devient médecin. Il vit dans une famille juive aimante avec un mère pour qui le fait religieux et les traditions sont très importants. Il décrit la montée du nazisme et l’antisémitisme grandissant dans l’Allemagne des années 30 jusqu’à cette nuit de Cristal en 1938, où des synagogues furent brûlées, des juifs assassinés ou envoyés en camp de concentration. La famille du docteur émigre aux Etats-Unis ou en Palestine mais Ruben et son oncle sont envoyés à Buchenwald. Ils en sortiront sur la recommandation d’un ami mais à condition de quitter le pays. C’est là que se place l’extraordinaire et angoissante équipée du navire le Saint Louis qui partit, en 1939, de Hambourg en direction de Cuba, transportant avec lui un millier de juifs forcés d’émigrer. Cuba, puis les Etats-Unis et le Canada refusant de les recevoir, le Saint Louis dut débarquer ses passagers en Angleterre ou en France. Le docteur se retrouve alors à Paris, partageant la vie de la communauté haïtienne puis, après avoir reçu la nationalité, émigrant à Haïti où il se fixera et fondera une famille. Le roman est un vibrant hommage à son pays de la part de l'écrivain.
Premier pays
de l'Histoire contemporaine à avoir aboli les armes à la main
l'esclavage sur son sol, le tout jeune État avait décidé lors, pour en
finir une bonne fois avec la notion ridicule de race, que les êtres
humains étaient tous des nègres, foutre ! Article gravé à la baïonnette
au numéro 14 de la Constitution. Aussi existe-t-il dans le vocabulaire
des natifs de l'île des nègres noirs, des nègres blancs, des nègres
bleus, des nègres cannelle, des nègres rouges, sous la peau ou tout
court, des nègres jaunes, des nègres chinois aux yeux déchirés... Dans
la foulée, ces nègres polychromes avaient décrété que tout individu
persécuté à cause de son ethnie ou de sa foi peut trouver refuge sur le
territoire sacré de la nation.
Ida Faubert, poétesse haïtienne |
Ce récit est passionnant car nous sommes introduits dans différents pays et milieux pendant les années 30 et plus tard à Haïti. Nous vivons ainsi tour à tour à Berlin dans une époque violente et tourmentée, à Paris dans un milieu mondain et cultivé, militant anti-nazi, mais qui s’amuse et jette ses derniers feux avant l’orage qui menace; enfin à Haïti qui a sauvé des milliers de juifs et qui vit au son des tambours vaudous, au gré des révolutions qui mettent à mal les gouvernants. De plus le roman n’est pas sans nous rappeler notre actualité. En effet, bien que le Saint Louis soit un navire confortable, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les demandeurs d’asile de nos jours qui fuient des pays en guerre, traversant la mer sur des bateaux de fortune, au péril de leur vie, et trouvent les frontières fermées.
"... s'il (Ruben Schwarzberg)
avait accepté de revenir sur cette histoire, c'était pour les
centaines, les millions de réfugiés qui, aujourd'hui encore, arpentent
déserts, forêts et océans à la recherche d'une terre d'asile. Sa petite
histoire personnelle n'était pas, par moments, sans rappeler la leur."
Les personnages du roman sont attachants, le docteur, sa soeur Salomé, sa flamboyante tante Ruth, son oncle Joe… A Paris, Ruben nous fait faire connaissance avec de grands poètes de l’île, Ida Faubert, une grande dame des lettres haïtiennes et Roussan Camille. J’ai aimé le ton du récit, en empathie avec les victimes mais sobre, refusant l’émotion et ne s’interdisant pas l’humour et la dérision. La scène où Ruben est arrêté par les policiers parisiens est à cet égard, une vraie scène de comédie d'où les français ne ressortent pas grandis !
Le livre a obtenu le prix Orange 2017 et le prix France bleu/Page des libraires