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mardi 29 juillet 2014

Festival d'Avignon 2014 : Bilan dans le IN (2) I AM de Lemi Ponifasio/ Intérieur de Maeterlinck-Claude Regy/Notre peur de n'être de Fabrice Murgia


I am de Lemi Ponifasio dans la cour d'Honneur du Palais des Papes

Voici les trois derniers spectacles que j'ai vus dans le festival In d'Avignon 2014 et parmi eux mes deux préférés : I AM de Lemi Ponifasio et Intérieur de Maeterlinck-Claude Régy.
 Voir Bilan N° 1
Voir Bilan dans le OFF
Voir Bilan  avec le discours de Victor  Hugo


I AM de Lemi Ponifasio

I AM de Lemi Ponifasio inspiré par le peintre néo-zélandais Colin McCahon

Lemi Ponifasio est un chorégraphe samoan dont la troupe MAU (mot samoan qui signifie : "affirmation sensorielle de la vérité d'un sujet") est installée en nouvelle Zélande.
 I AM est  dédié aux millions de morts de la guerre de 1914-18, pièce politique car le scandale de la guerre et de ses violences y est dénoncé de même que les riches, les puissants qui en tirent profit sont montrés du doigt.
Mais pièce est mystique aussi car semblable à une  lente cérémonie funèbre elle convoque toutes les religions, image du Christ recrucifié et lapidé sur le mur de scène tandis que s'élève le chant du muezzin, et que les paroles de guerre (?) des guerriers maoris retentissent...
Pour aimer cette pièce il faut d'abord abandonner son cartésianisme et accepter de ne pas comprendre une partie du spectacle qui commence par un long discours en maori (ou samoan?) non traduit et dont les grands textes en anglais écrits en écriture cursive géante sur la façade du palais des Papes sont à peu de chose près illisibles. D'autre part tout ce qui a trait à la culture de la civilisation samoane (je ne sais même pas si ce sont des samoans ou des maoris? je sais que les deux sont proches)) nous est étranger. Beaucoup de manques donc dans cette appréhension du spectacle qui se déroule devant nous comme une grande messe solennelle, un Mystère dans le sens où on l'entendait au Moyen-âge. 

Si vous n'acceptez pas cette part d'ombre, vous vous ennuyez et vous partez! Il y a eu de nombreuses défections ce soir-là dans la cour d'Honneur! Mais si vous vous y abandonnez, vous accédez au sens général, vous assistez à une représentation d'une grande beauté et d'une grande spiritualité. Sur le mur de fond de la scène où se reflètent les ombres comme sur la paroi de la caverne de Platon, défilent les âmes des morts qui traînent avec eux de lourds cercueils. Ils avancent lentement et reviennent sur la scène inlassablement si bien que l'on a l'impression qu'une armée entière défile devant nous par vagues successives, sans s'arrêter jamais. Cette image se renouvelle lorsque celui que j'appelle Le Riche, silhouette ventripotente nourrie de cadavres, pousse les morts alignés par terre de son gros ventre prêt à exploser jusqu'à ce qu'ils disparaissent en tournant sur eux-mêmes dans l'obscurité du néant! Des combats singuliers se déroulent devant nous dans une chorégraphie qui explore la souffrance des corps qui s'affrontent. Apparaît alors l'allégorie de la Guerre, blanche et longue silhouette au crâne rasé, image impressionnante de la Mort en marche, à la fois très belle et très effrayante, à qui les soldats vont tordre le cou avant de défiler devant elle en crachant du sang. Quant à l'homme devant ce carnage il régresse à l'état d'animal, il marche à quatre pattes semblable à un grand primate. Etonnante performance du danseur qui interprète le rôle du singe comme j'ai beaucoup aimé aussi la jeune femme maorie aux yeux exorbités nous tenant un discours (incompréhensible) menaçant et coléreux ou encore le Christ maori tombant de tout son long sur le sol  dans une violence suprême...
Il faut noter aussi l'utilisation du son qui nous enveloppe entièrement paraissant venir de plusieurs sources à la fois, derrière, devant nous, sur les côtés et qui, en nous faisant entendre des explosions, des grondements de machines,  des sifflements d'obus, nous plonge au coeur même de la guerre.



 

Depuis ce spectacle, j'ai cherché qui était Colin McCahon dont les visions plastiques ont  inspiré Lemi Ponafisio. Il s'agit d'un des plus grands peintres de la Nouvelle-Zélande, dont l'oeuvre d'inspiration religieuse est d'une grande intensité spirituelle.
 Il est connu surtout pour sa "peinture de mots"  en 1954  avec son I am. 
Il a ensuite continué ses peintures de mots en écrivant des textes religieux en blanc ou en couleur sur des toiles noires et en lettres cursives à grande échelle.








Intérieur de Maeterlinck mis en scène par Claude Regy

Intérieur, petite pièce pour marionnettes de Maeterlinck parle de la mort. Une jeune fille s'est noyée dans la rivière. Un groupe de personnes, l'étranger qui découvert le corps, les voisins, discutent devant la maison des parents pour savoir comment leur annoncer la terrible nouvelle. A l'intérieur évoluent la mère, le père, les deux soeurs en attente de son retour tandis que le petite frère dort. Ils ne savent pas mais pourtant ils ont la prescience de ce qui s'est passé. Maeterlinck pensait que seuls les mouvements saccadés de marionnettes pourraient traduire la présence de l'inconscient dans la conscience. Pourtant Claude Regy a choisi de faire interpréter la famille par des comédiens. Leur façon de se déplacer, la lenteur des gestes, l'attitude figée rendant compte de ce savoir  font planer l'angoisse sur la scène. Le rythme est lent et ne s'accélère que pour traduire la violence du choc éprouvé par les parents quand ils apprendront. Le texte de Maeterlinck, déjà court, a été réduit par le metteur en scène et ce qu'il en reste, dit par des acteurs japonais, n'est traduit que partiellement. La parole est rare mais belle, évocatrice plutôt que réaliste. Claude Regy ne veut pas que le spectateur soit distrait par la lecture. Il nous demande aussi de rentrer en silence dans la salle de théâtre, car l'action commence avant que nous soyons présents. Ce silence dans l'obscurité crée un sentiment d'insécurité qui ne va cesser de grandir. Pour figurer l'extérieur et l'intérieur, rien, aucun décor mais des jeux de lumière qui délimitent les deux espaces. Et pourtant la maison est là, elle existe, et quand les soeurs s'approchent des fenêtres, nul doute que celles-ci sont là aussi, nous les apercevons comme nous voyons les visages des jeunes filles tournés vers le dehors, vers la nuit qui leur dérobe la vérité..  Rien donc ne vient nous distraire de la présence implacable de la mort, d'ailleurs nous ne verrons jamais la jeune noyée.  Choix du minimalisme dans le décor et la parole car c'est dans le silence que l'on entend le mieux le langage des sentiments. Ici, c'est la magie du théâtre qui sollicite l'imagination, ce que j'aime par dessus tout.
Avec I am de Lemi Ponifasio, Intérieur fait partie de mes pièces préférées.




Notre peur de n'être de Fabrice Murgia
Dans Notre peur de n'être, Fabrice Murgia que j'avais découvert à Avignon avec Le chagrin des ogres, crée une pièce sur la solitude liée aux nouvelles technologies, une mutation de notre société qu'il juge aussi importante que le passage de l'écrit à l'oral puis de l'écrit à la l'imprimerie. Loin de condamner ces technologies, il veut montrer qu'il ne s'agit pas de s'y assujettir mais de  les utiliser avec l'espoir de donner naissance à une contre-culture.  C'est tout au moins le sens affiché par l'auteur qui est aussi le metteur en scène. Personnellement je n'ai ressenti que du désespoir à la fréquentation de ces personnages enfermés dans leur peur, leur chagrin, leur refus de vivre.
La mise en scène qui utilise la voix off et la scénographie avec ses effets de lumière, la vidéo-projection, sont très recherchées et très belles mais je ne suis pas arrivée à vraiment entrer dans la pièce sauf lors de quelques scènes très fortes : la révolte de la mère dont le fils vit en reclus, se coupant volontairement du monde, rôle interprété par une comédienne impressionnante par le désespoir exprimé; et quelques moments qui montrent la fragilité de Sara, une jeune fille qui vit sa vie par l'intermédiaire d'un dictaphone.



Chez Eimelle