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dimanche 23 septembre 2018

Richard Wagamese : Les étoiles s’éteignent à l’aube


Les étoiles s’éteignent à l’aube de Richard Wagamese éditions ZOE
Franklin Starlight a seize ans lorsqu'Eldon, son père, vieil homme alcoolique en fin de vie, le convoque à son chevet et lui demande de l'emmener au coeur de la montagne, là où les Indiens enterrent leurs guerriers. S'ensuit un saisissant périple à travers l'arrière-pays, où Eldon découvre le fils qu'il avait abandonné en totale symbiose avec la nature sauvage, et libère sa parole progressivement, lui restituant enfin son histoire familiale, et leurs origines indiennes. (quatrième de couverture)

Richard Wagemese est un écrivain canadien d’origine amérindienne. J’avais peur en commençant ce livre sur le thème de la nature et des origines indiennes d’éprouver l’impression d’un déjà vu ou plutôt d’un déjà lu tant l’histoire paraît classique ... et effectivement elle est l’est, la nature jouant ici le rôle de lien entre le père et le fils, sorte de catharsis pour le père et voyage d’initiation pour le fils. C’était sans compter sur le talent de l’auteur, la force de ses descriptions, la beauté de la nature et l’humanité qu’il insuffle à ses personnages, qui font de ce roman une oeuvre personnelle et émouvante.

Si le voyage est initiatique pour Franklin car il s’agit d’un cheminement vers la mort, il y a un renversement de la situation habituelle. C’est le fils qui possède le savoir, la sagesse. Pendant ce périple dans la montagne, c’est le jeune homme qui nourrit son père en tirant parti des richesses de la forêt et de la rivière, lui qui le soigne, le protège, l’assiste dans la douleur et la mort. Franklin est un beau personnage, à l’image de Vieil Homme qui l’a élevé. En l’absence d'Eldon, en effet, le Vieil Homme lui a tout appris de la vie en milieu sauvage, respectant ses origines indiennes, mais aussi du travail de la ferme et de la sérénité que procurent le respect de la nature et l’accomplissement du travail bien fait. 

Le vieil homme lui avait fait le don de la terre à partir du moment où il avait été capable de s’en souvenir, et il lui avait montré comment la traiter et l’honorer, disait-il, et le garçon avait senti l’importance de ces enseignements et il avait appris à les écouter et à bien les reproduire.

  J’ai aimé cet aspect du roman qui nous introduit dans les secrets de la nature, dans le monde des plantes, des herbes médicinales, des bêtes sauvages. On sent que Richard Wagemesse, lui-même amérindien ojibwée comme ses personnages, en a une profonde connaissance.

Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable… Dire qu’il l’aimait, était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir des odeurs du Camp Coffee, des cordes de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait partout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un noeud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre.

Quant au personnage d’Elton, alcoolique, il fait osciller le lecteur entre rejet et compassion. Mauvais fils, mauvais mari, mauvais ami, mauvais père, selon les critères moraux habituels, ses actes peuvent inspirer l’horreur. Le récit qu’il fait à son fils permet de le connaître et le rend plus humain. Sa souffrance morale qui est aussi intense que les affres de la maladie, le sentiment de culpabilité qu’il éprouve, son désir de régénération, témoignent de la complexité de l’être humain. Rien n’est jamais tout noir ni tout blanc et l’on voit que cet homme en fin de vie, à jamais marqué par son enfance misérable et douloureuse, avait des capacités d’amour sincère, mais possédait en lui le germe de son autodestruction.

Des fois les choses tournent mal, explique le Vieil Homme à Franklin. Quand elles arrivent dans la vie, on peut presque toujours les régler.  Mais quand elles arrivent à l’intérieur d’une personne, elles sont plus difficiles à réparer. Eldon a été pas mal cassé, au fond de lui…

Peut-être le drame vient-il pour Elton, comme pour les amérindiens du Canada, du fait qu’il a été éloigné de sa culture et privé des valeurs qui auraient donné un sens à sa vie. C’est ce que semble penser l’auteur.
Dès que j’ai commencé ce livre, je n’ai pas pu le lâcher et l’ai lu d’une traite, d’un souffle, devrais-je dire. C’est un beau roman qui  redonne confiance en la nature humaine au-delà de ses défauts et ses noirceurs. Une lecture passionnante !


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