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mercredi 23 mars 2016

Guy de Maupassant : Coco, nouvelle du recueil Contes du jour et de la nuit


J’ai retrouvé des notes que j’avais prises à propos d’une nouvelle de Maupassant : Coco extraite des Contes du jour et de la nuit parue en 1884. Cela m’a donné envie de relire ce texte que j’ai toujours trouvé cruel et qui révèle le pessimisme profond de Maupassant vis à vis de l’humanité.

Henri de Toulouse-Lautrec (1881) cheval blanc Gazelle
Toulouse-Lautrec (1881)

Coco est un cheval blanc que sa maîtresse garde malgré sa vieillesse parce qu’il lui rappelle des souvenirs. Elle confie le soin de l’animal à un goujat (valet) de quinze ans, Isidore Duval dit Zidore. Celui-ci conçoit une forte aversion pour Coco à qui il reproche sa laideur, son âge et son inutilité. Il ne supporte pas qu’il lui attire les moqueries des garnements du village. Il décide de se venger du vieux cheval et le laisse mourir de faim en l’empêchant d’atteindre l’herbe verte presque à sa portée. La pauvre bête va dépérir peu à peu.
Maupassant décrit ici l’angoisse de la vieillesse liée à la décrépitude, à la solitude et à l’abandon. Pendant toute la nouvelle la mort plane autour du cheval, la mort qui hante l’écrivain en proie depuis 1884 à des hallucinations, lui qui mène un combat contre la folie. Parallèlement, il s’intéresse à l’exploration de l’âme primitive du valet révélant au lecteur ce qui, dans l’être humain, est au niveau de la bête.

Le cheval blanc de Rosa Bonheur 1879 collection privée
Le cheval blanc de Rosa Bonheur

La confrontation entre le goujat et le cheval est hallucinante d’autant plus que l’on connaît l’issue fatale, la victime ne pouvant lutter contre son tourmenteur. Il s’agit presque d’un huis-clos car le Isidore a pris soin d’amener le cheval « là-bas », dans « la ravine », « derrière le bois » toujours plus loin, dans un endroit où personne ne passe jamais. Ce face à face met en présence deux êtres qui se ressemblent physiquement et qui sont pourtant chacun le contraire de ce qu’ils paraissent car l’animal est humain et l’homme est bestial.
 Le vieux cheval, en effet, perclus, aux genoux gonflés, a une apparence humaine avec ses poils emmêlés qui ressemblent à des cheveux et ses yeux tristes. Cette description humanise l’animal, procédé déjà employé  par Maupassant dans La Peur à des fins fantastiques alors qu’il a, ici, une valeur symbolique : Il permet de mieux saisir le drame de la vieillesse impuissante, exclue de la société mais affreusement consciente et lucide.

Adriaen  Brouwer  paysan endormi
Adriaen  Brouwer  peintre flamand

Le goujat aux « cheveux épais et durs et hérissés » , peu doué pour la parole, avec « son âme épaisse et brute » est plus proche, lui, de  l’état de bête que de l’humain. Maupassant emploie ce terme de goujat intentionnellement. S’il n’a pas encore  la nuance qu’il possède de nos jours : « Homme manquant de savoir-vivre et d’humanité », il a évolué de son sens ancien « valet d’armée », au sens de « valet, subalterne » et a pris déjà au XIX siècle une coloration nettement péjorative.
Le garçon, en effet, est un être frustre et brutal qui ne conçoit les relations avec les autres qu’en terme d’utilité : « pourquoi nourrir ce cheval qui ne faisait plus rien ». Il est aussi le reflet du pessimisme de Maupassant qui nous montre une humanité semblable , en cela, aux civilisations « du cocotier » où le vieillard inutile, relégué et méprisé n’a plus qu’à attendre la mort.
Pis encore Zidore fait durer le plaisir : « il savoure sa vengeance », éloignant d’abord l’animal de la ferme, puis l’attachant solidement hors de portée de l’herbe, prenant goût au raffinement de la vengeance, à la torture par l'espérance : « même il fit mine de le changer de place », substituant à la souffrance physique (les coups), la souffrance morale plus exaltante pour le bourreau. La mise à mort se fait par étapes, rythmée par ces trois mots introduisant une gradation  : « la vieille rosse/ La misérable rosse/ la carcasse. Quant à l'action, elle se déroule en trois jours, comme une division en actes dans une tragédie dont le rythme s'accélère crescendo de la première à la dernière partie beaucoup plus brève. Le goujat jouit de la souffrance de sa victime avec sadisme, car ce n’est pas seulement la mort du cheval qu’il souhaite. Il cherche aussi à affirmer son pouvoir, lui qui n’est rien dans cette ferme, qui est peu considéré et subit des humiliations quotidiennes. 

Maupassant a saisi avec une lucidité amère les ressorts intérieurs qui peuvent transformer les hommes en bourreaux. La déshumanisation du valet apparaît complète : à la fin du récit, il s’assoit sur sa victime comme prenant possession du vaincu et l'humiliant au-delà de la mort  puis il «  resta là les yeux fixés dans l’herbe sans penser à rien ». Ces mots de conclusion donnent la mesure du pessimisme de Maupassant car le plus terrible, en effet, n’est-ce pas ce manque d'empathie, cette insensibilité à la souffrance d’autrui, cette sottise apathique qui font un monstre d’un être humain? Je pense aux écrivains comme Semprun, Merle, Lévi, qui ont tous souligné ces traits caractéristiques dans la description des bourreaux des camps de concentration. Car bien évidemment le conte de Maupassant dépasse l'anecdote d'un valet torturant un animal, il décrit les rapports de domination entre les hommes et la négation de toute morale.