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mercredi 26 juillet 2023

Racine : Phèdre mise en scène Laurent Domingos



 

Présentation programme Théâtre Le roi René

Une mise en scène corporelle, sauvage et mystique, par la Minuit44, spécialiste de Racine.

Phèdre, reine d’Athènes, possédée par Vénus, brûle de désir pour Hippolyte, le fils de Thésée, son époux. Mais ce roi que l’on croyait mort, est de retour des Enfers. Le désir honteux de Phèdre se transforme alors en sentence mortelle.

L’ajout du personnage de Vénus, empruntée à "Hippolyte Couronné” d’Euripide, nous interroge sur la notion du libre arbitre. Tantôt acrobate perchée sur son mât, tantôt musicienne dissimulée dans le public, la déesse actionne les rouages de la tragédie, et piège les personnages entre désir, honte, aveu, jalousie et vengeance.


 Mon avis

 Phèdre est ma pièce préférée de Racine, celle dont je connais des passages par coeur, celle dont la langue m'enchante, dont la musicalité me touche le plus "Dieux ! Que ne suis-je assise à l'ombre des forêts"... "Le ciel n'est pas plus pur que le fond de mon coeur ". C'est celle qui nous plonge au plus profond des mythes grecs, qui approche de plus près le monstre que chacun porte en soi, Phèdre, la fille de Minos et de Pasiphaé, entre ombre et lumière, entre le Bien et le Mal. 

C'est la pièce qui, aussi, pose avec le plus d'intensité la question de la liberté de l'Homme et où Racine, le janséniste, nous révèle sa foi en la prédestination : " C'est Vénus toute entière à sa proie attachée". Effectivement, chaque personnage de la pièce paraît avoir le choix :  Thésée quand il appelle la vengeance divine sur la tête de son fils Hippolyte ; Aricie quand elle ne dit pas à Thésée que son fils est innocent et surtout Phèdre lorsqu'elle avoue son amour à son beau-fils puis accuse le jeune homme par l'intermédiaire d'Oenone, sa suivante. Tous ces personnages vont inexorablement à leur perte, tous sont entraînés vers une fin tragique. C'est que Dieu (ici Vénus) ne permet pas qu'ils échappent à leur destin.

C'est pourquoi le metteur en scène, Laurent Domingos, a une très belle idée en introduisant le personnage de Vénus emprunté à Euripide. Il  fait de la déesse - qui arbore tout au long du spectacle un sourire cruel -  un démiurge qui manipule les humains, tire les ficelles comme s'il s'agissait de marionnettes,  et à la fin, ébauche un geste triomphal lorsqu'elle les amène là où elle voulait !

Les comédiens ont tous une diction parfaite, un beau phrasé et une humanité qui touchent le spectateur. La mise en scène dynamique, violente, à la mesure de la tragédie, les costumes et les armures qui rappellent que Thésée et Hippolyte sont des guerriers prompts à tirer l'épée, les jeux d'ombre et de lumière, tout m'a plu dans cette mise en scène de la tragédie.

Un coup de coeur !

  PS : j'ai voulu amener ma petite-fille (13 ans)  voir Phèdre. Comme elle s'était ennuyée ( c'est peu de le dire ) à la représentation de Berénice récemment, j'espérais que Phèdre où il y a plus d'action, de revirements de situations, de coups de théâtre, lui plairait !  Et bien, c'est raté ! Je crois qu'il faut abandonner l'idée de lui faire aimer Racine ! Tant pis ! Elle aime Molière, Beaumarchais, Marivaux, Shakespeare...

 LE ROI RENE

PHEDRE RACINE 

à 17h30

 du 7 au 29 juillet - Relâches : 10, 17, 24 juillet

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Laurent Domingos
  • Interprète(s) : Alexiane Torres, Thomas Silberstein, Laetitia Lebacq, Luna Mitti, Aurélie Cuvelier Favier, Guillaume Blanchard, Laurent Domingos
  • Son/Lumière : Sarah Ancel
  • Scénographie/Costumes : Delphine Ciavaldini

 

Compagnie Minuit44

mardi 11 juillet 2023

Le voyage de Molière mise en scène de Jean-Phlippe Daguerre au Théâtre du chien qui fume

 



Léo, un jeune homme du XXIème siècle qui rêve d’être comédien, amoureux de Molière dont il connaît par coeur la plupart des pièces, se retrouve accidentellement plongé en 1656 au cœur de la troupe de l’Illustre Théâtre de Molière. Commence alors une aventure extraordinaire dans un monde créatif et cruel où la vie et la gloire ne tiennent qu’à un fil.

En 2022, Molière fête ses 400 ans ! Nous avons souhaité lui rendre hommage à travers cette aventure précisément inspirée par la vie de Molière et de sa troupe avant leur arrivée à Versailles.



J'ai assisté à la représentation de la pièce Le voyage de Molière, mise en scène par Jean-Philippe Daguerre, l'année dernière et j'avais regretté de la voir sans ma petite-fille. Aussi, quand j'ai vu que la pièce revenait au Chien qui fume cette année, je me suis empressée de l'y amener. Elle a aimé et moi, je crois que je l'ai encore plus appréciée, si c'est possible, parce que n'ayant plus la surprise de la découverte, j'ai été attentive au moindre détail, sensible à l'émotion, à l'intelligence des dialogues et des situations, et à  l'ingéniosité du décor : une  grande plate-forme ronde, montée sur de grandes roues, que les comédiens font tourner comme s'il s'agissait de la roulotte de l'Illustre théâtre se déplaçant sur les routes du sud de la France et qui devient, tour à tour, scène, château, chambre de Molière, et même un entre-deux temporel entre le passé dans lequel Léo rencontre la troupe et le présent dans lequel il gît sur un lit d'hôpital, enfoncé dans un coma profond.

 De grandes scènes pleines d'humour servis par d'excellents comédiens ont le mérite de nous faire rire par des anachronismes amusants tout en nous introduisant dans l'oeuvre de Molière pour notre plus grande joie car "quand on aime le théâtre, on aime Molière"

Ainsi la scène où Léo reconnaît Molière et tombe à genoux devant lui en lui témoignant sa vénération pour toutes ses grandes pièces (qu'il n'a pas encore écrites), alors que le pauvre homme n'en est encore qu'à ses balbutiement, en proie aux doutes sur son talent, en butte à la mauvaise fortune, dans une région où le fléau de la peste l'empêche de gagner sa vie ! Ou encore la scène où, semblable au bourgeois gentilhomme, Léo apprend la prononciation des voyelles anglaises aux comédiens à partir d'une chanson des Beatles  ! 

Mais le rire n'occulte pas les  angoisses, les drames personnels de chacun des comédiens de la troupe. Quel plaisir d'ailleurs de les rencontrer sur scène comme des amis retrouvés !  Il y a  Gros René éperdu d'amour pour Marquise et qui souffre de se voir trahi, et par sa femme et par son meilleur ami, Madeleine vieillissante qui se sent déjà supplantée par la toute jeune Armande, tout au moins sur la scène, pas encore dans sa vie amoureuse. Et puis l'on assiste aux répétitions du Dépit amoureux et aux leçons que donne Molière à ses  acteurs débutants, leçons qui ont tant de finesse que l'on comprend pourquoi, nous, spectateurs, amoureux du théâtre, nous sommes là, au festival, à courir d'un lieu à un autre dans les rues d'Avignon avec des températures dépassant les 40° !

Décidément ce spectacle est une gourmandise qu'il faut savourer à sa juste valeur et qui a le mérite de toucher les jeunes et les adultes.

Un coup de coeur !

 

Le chien qui fume à 12H35

Le voyage de Molière 

De Pierre-Olivier Scotto et Jean-Philippe Daguerre

Mise en scène Jean-Philippe Daguerre

durée : 1H35

Relâche : les mercredis 12  19  26

vendredi 7 juillet 2023

Molière/Raphaël Callandreau : Le Malade imaginaire en la Majeur Théâtre 3 Soleils-Buffon festival d'Avignon 2023

 


 Le malade imaginaire

On sait que Le malade imaginaire est la dernière pièce de Molière et qu'il est mort à la quatrième représentation. Ainsi pendant que Molière lutte contre la mort, il nous fait rire d'Argan, cet hypocondriaque ridicule et égoïste, qui décide du sort de toute la famille en fonction de ses prétendues maladies. On comprend l'ironie tragique de la pièce. On peut donc mettre en scène la pièce différemment, soit en soulignant la présence de la mort à qui Molière adresse un dernier pied de nez, soit en choisissant carrément l'aspect amusant. Argan a épousé en seconde noce une femme intéressée Béline qui attend la mort de son mari pour récupérer l'héritage en envoyant ses belles-filles au couvent. Argan exige que sa fille Angélique épouse un médecin Thomas Diaforirus, mais celle-ci aime Léante qui veut l'épouser. Or, le jeune homme a un gros défaut : il n'est pas médecin ! Il se fait passer pour un maître de musique pour pouvoir courtiser Angélique. La servante Toinette déguisée en médecin va imaginer un stratagème pour confondre Béline et pour obtenir le consentement d'Argan au mariage des deux tourtereaux. Comme souvent, la satire des médecins tient une place importante dans la comédie.

 

Mon avis

Le metteur en scène, auteur compositeur, Raphaël  Callendreau, a choisi d'adapter Le malade imaginaire en comédie mucicale et cela marche et même fort bien ! Et après tout pourquoi pas ? La pièce n'était-elle pas à l'origine une comédie-ballet mise en musique par Marc-Antoine Charpentier, musicien qui avait remplacé Lully avec qui Molière était brouillé. 

Cette comédie où alterne prose et chanson, façon Jacques Demy, accompagné au piano, est un petit régal où le rire est servi par quatre excellents comédiens très à l'aise dans les personnages différents qu'ils incarnent ! Une  interprétation sans faiblesse quel que soit le rôle incarné et une manière  habile et astucieuse de  faire exister, malgré leur absence, les personnages qui ont été supprimés. Si le tout forme  un spectacle fort gai, si l'on rit d'un Argan absolument ridicule ou d'un Diaforus hilarant, la mise en scène n'occulte pas les angoisses du Malade imaginaire ou pas et, au cours d'un ballet-cauchemar grimaçant, l'omniprésence de la mort !  

Un excellent spectacle agréable, amusant et intelligent que toute la famille a apprécié. Ma petite-fille qui a 13 ans a adoré et des quatre spectacles qu'elle a vus pour l'instant, c'est son préféré.  (3 sur les 4 pièces sont de Molière ou sur la vie de Molière, un autre de Bertold Bretch !)

 

3 SOLEILS - Buffon
4, rue Buffon
 84000 - Avignon -
Le Malade imaginaire en la majeur à 19h45
Durée : 1h20
du 7 au 29 juillet - Relâches : 11, 18, 25 juillet

Interprètes / Intervenants

  • Mise en scène : Raphaël Callandreau
  • Interprète(s) : Cécile Dumoutier, Marion Peronnet, Raphaël Callandreau, Simon Froget-Legendre, Arnaud Schmitt

 

 

 




jeudi 6 juillet 2023

Molière / Anthony Magnier : les Fourberies de Scapin : Théâtre Les Lucioles festival Avignon 2023

 

 La pièce de Molière Les Fourberies de Scapin, a pour personnage central Scapin, valet de la Commedia dell’Arte,  un fieffé coquin, dont on comprend d’ailleurs qu’il a tâté de la prison. Il est au service du jeune Léandre tandis que son compère  Sylvestre est le valet d’Octave.
En l’absence de leur père, Octave, fils d’Argante a épousé sans le consentement paternel une jeune fille, Hyacinthe, sans ressources et dont la mère est malade. Léandre, fils d’Orgonte, un vieil avaricieux, est tombé amoureux de l’égyptienne Zerbinette avec qui il s’est fiancé.
Courroux des pères qui vont tout faire pour rendre nulles ces unions ! Heureusement, il y a Scapin, le rusé, qui va aider les jeunes gens à vivre leur amour. Oui, mais… ce ne sera pas sans quelques petites vengeances et sans en tirer profit ! La pièce est une satire des maîtres et des rapports avec leur valet. C'est aussi un peinture des rapports entre père et fils à une époque où les enfants étaient soumis à leurs parents par la loi et, dans les milieux bourgeois, par la dépendance financière.

Mon avis

J'ai amené ma petite-fille (13 ans) voir Les Fourberies de Scapin dont elle a étudié des extraits en classe. Je ne sais pas si c'est général ou si c'est dans son collège mais j'ai l'impression que l'on n'étudie plus les pièces de Molière entièrement à raison d'une chaque année comme avant ? Et si c'est le cas c'est bien dommage car je vois qu'elle a été réceptive à cette représentation amusante et pleine de bonne humeur de la Compagnie Viva, mise en scène par Anthony Magnier.

Au début de la pièce, j'ai peu aimé, pourtant, le côté parodique un peu trop poussé à mon goût de l'interprétation de Hyacinthe et d'Octave mais, ensuite, tout en soulignant le ridicule de tous  personnages, le ton devient plus modéré.  La mise en scène joue, bien sûr, sur le comique de situation et de caractère mais rappelle en même temps les rapports de force entre les valets et les maîtres, la  brutalité d'une époque où le serviteur pouvait recevoir des châtiments corporels. Anthony Magnier campe à cet égard un Scapin convaincant qui n'oublie pas les affronts reçus, employant toute sa ruse au service des jeunes maîtres mais déployant aussi son talent à exercer sa vengeance. Les grandes scènes de la galère ou du sac sont réussies.

La scénographie est agréable : un plateau nu avec en arrière-plan un rideau laissant apparaître par transparence les silhouettes des personnages modelés par des jeux de lumière. Les costumes pailletés de deux jeunes maîtres rappellent les ridicules des petits marquis du XVII siècle dont Molière raillait les excès de toilette, dentelles, noeuds et falbalas.

Un bon spectacle  !

 La compagnie VIVA

En 2002, Anthony Magnier crée la compagnie Viva et entreprend d'explorer la modernité des grands textes du répertoire, tout en les partageant avec un large public. Au rythme d'une création par an, la compagnie est présente chaque année au Festival d'Avignon et joue près de 150 représentations par an dans toute la France.

Théâtre Les Lucioles 15H30 durée 1H25

 LES FOURBERIES DE SCAPIN

Festival du 07 au 29 juillet / relâches les 12, 19 et 26 juillet

Mise en scène : Anthony Magnier
Auteur : Molière
Interprètes : Elisa Bénizio , Bérénice Coudy, Matthieu Hornuss, Anthony Magnier, Antoine Richard, Ronan Rivière
Costumes : Mélisande de Serres
Lumières : Clément Commien et Marc Augustin-Viguier
Accessoires : Sophie le Carpentier
Administration : Anne Mourotte
Diffusion : Soha Khelifa
La compagnie reçoit le soutien de la Ville de Versailles et régulièrement celui de l'ADAMI, de la SPEDIDAM, du Conseil Général des Yvelines, de la Région Ile de France, du Jeune Théâtre National et de Creat'Yve.

Tout Public- 1H25
Théâtre

 

lundi 3 avril 2023

Jean Racine : Bérénice mise en scène par Robin Renucci


Bérénice est une pièce de Racine que je n'avais jamais vue sur scène avant cette représentation au Chêne noir d'Avignon, dans la mise en scène de Robin Renucci, metteur en scène et directeur de La Criée de Marseille. Vue, non, ni même étudiée mais lue, oui, comme toutes les pièces de Racine. Donc, je n'avais pu qu'imaginer les personnages et avoir un idée personnelle de l'intrigue. C'est loin d'être ma pièce préférée, je la trouve un peu longue, je lui préfère Phèdre. Mais j'ai aimé la lecture proposée par Robin Renucci.

Bérénice, pièce classique en cinq actes, est présentée pour la première fois en 1760 à l'Hôtel de Bourgogne. C'est peut-être la pièce de Racine où il y a le moins d'action et où il ne se passe rien ou presque. Louis XIV a apprécié Bérénice car elle montre une lutte entre le sentiment amoureux et la Raison d'Etat, celle-ci, bien sûr, triomphant !  La pièce semble être à la gloire de la monarchie mais elle est avant tout une analyse du sentiment amoureux. 

 

L'intrigue

 

Jean Racine : Bérénice mise en scène Robin Renucci photo Olivier Pasquier

Bérénice, princesse de Judée, est amenée à la cour de Rome par Titus qui a assiégé Jérusalem et conquis la ville. Le jeune homme aime Bérénice et veut l'épouser mais la mort de l'empereur Vespasien, son père, change tout car Titus est appelé à le remplacer. Or, la loi romaine s'oppose au mariage de l'empereur avec une étrangère. Titus doit lutter entre son devoir et son amour. S'il épouse Bérénice, il sera infidèle aux lois de Rome et comment pourrait-il ensuite en être le garant ?   

Antiochus, lui aussi palestinien, allié à Titus, a suivi Bérénice à la cour de Rome parce qu'il aime la princesse. Désespéré par le futur mariage de celle-ci avec Titus, il décide de lui avouer son amour mais la réponse négative de la jeune femme le décide à partir. Cependant, la nouvelle de la rupture de Titus et de Bérénice change tout.   

La pièce, même si chacun des trois amoureux veut mourir et menace de mettre fin à ses jours, est sans éclat tragique. Chacun se résignera à son sort. Bérénice retournera à Jérusalem, l'amour d'Antiochus ne sera pas récompensé. Titus souffrira mais règnera.

Tout l'intérêt de Bérénice réside donc dans l'étude des sentiments amoureux des personnages, de la souffrance, à la colère, à la résignation. Et ce qui fait la force de cette pièce et fait aussi que l'on ne l'oublie pas, c'est la langue racinienne, la musique, la mélancolie des mots, quelque chose qui ressemble au souffle du vent, très fluide, très léger, qui communique nostalgie et douce tristesse.

Les vers les plus célèbres de Bérénice dans la scène 5 de l'acte IV, illustrent cette musicalité et donnent le ton de la pièce.

 Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?

 

 La mise en  scène de Robin Renucci

 

Jean Racine
 

Et dans la mise en scène de Robert Renucci, c'est d'abord cette maîtrise de l'alexandrin qui touche le spectateur. Pas de déclamation ici, la langue coule avec simplicité, l'alexandrin se fait langue naturelle, simple, quotidienne, et permet de goûter la musique du vers.

Les acteurs ne quittent pas le plateau et s'assoient autour de la scène où se déroulent les entrevues de chacun des personnages, une scène réduite qui représente une pièce du palais de Titus ou comme l'indique Racine : un cabinet qui est entre l’appartement de Titus et celui de Bérénice. Et cette disposition convient parfaitement à la pièce de Racine qui obéit à la règle des trois unités, d'action de temps et de lieu : "Qu'en un lieu, en un jour, un seul fait accompli tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli."(Boileau). J'ai vu des spectacles cet été au festival d'Avignon qui reprenaient ce dispositif mais  gratuitement alors qu'ici je l'ai apprécié.

L'interprétation des personnages 


Julia Bartet (rôle de 1893-1919)
 

Robin Renucci a voulu, dit-il,   "faire ressentir non seulement l'amour impossible de Titus et Bérénice mais aussi le désir fou, irrationnel, que ce premier amour provoque chez Antiochus. Un trio d'amoureux malheureux." C'est pourquoi Antiochus prend de l'ampleur dans la mise en scène de Renucci, passant de personnage secondaire à principal, occupant autant de place que Titus à côté de Bérénice. Et cela, c'est nouveau !

 Alors que ma propre lecture m'avait fait m'imaginer un Titus triomphant, non sans douleur, certes,  mais avec un certain panache dans son renoncement, Robert Renucci souligne ses faiblesses - il pleure,  son confident Paulin doit l'exhorter à être ferme- et sa lâcheté apparaît quand il charge, par exemple, Antiochus de dire à Bérénice sa décision de la quitter, n'osant le faire lui-même. Je ne suis pas sûre que Louis XIV aurait aimé cette interprétation !

Au nom d’une amitié si constante et si belle,
Employer le pouvoir que vous avez sur elle :
Voyez-la de ma part.

D’un amant interdit soulagez le tourment :
Épargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence.
(Acte II scène 2)

Un autre personnage auquel je n'avais pas prêté attention est celui du confident Arsace que le metteur en scène tire vers le comique. Et oui, il nous surprend cet Arsace avec les conseils terre à terre qu'il donne à Antiochus, lui recommandant la patience pour reprendre Bérénice maintenant qu'elle est abandonnée par Titus. Ce bon sens populaire, on a l'impression d'entendre un valet de comédie plutôt qu'un confident de tragédie classique, contraste tellement avec l'exaltation amoureuse d'Antiochus, dans le plus pur style tragique, que l'on ne peut qu'en sourire  !

Et qui peut mieux que vous consoler sa disgrâce ?
Sa fortune, Seigneur, va prendre une autre face :
Titus la quitte. (Acte III scène 2)

Enfin, si les deux amoureux paraissent faibles, il faut bien reconnaître que le beau rôle est donné à Bérénice. Après les premiers moments où elle éprouve incompréhension, colère et désespoir, c'est elle qui se ressaisit la première et par souci de dignité quitte la scène noblement.

Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.


Bien sûr, l'interprétation de certains des personnages surprend le spectateur mais pourtant il y a ici un respect et un amour du texte qui n'excluent pas un lecture personnelle, originale et intéressante de la pièce. Tout ce que j'aime dans la mise en scène théâtrale.


Bérénice de Jean Racine au Chêne noir Mars 2023

Avec Tariq Bettahar, Thomas Fitterer, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Amélie Oranger et Henri Payet 

Mise en scène Robin Renucci

Scénographie et lumières Samuel Poncet

Costumes Jean-Bernard Scotto

Collaborateur pour la dramaturgie Nicolas Kerszenbaum

Assistante à la mise en scène Karine Assathiany


mardi 10 janvier 2023

Lisbonne : Le monastère Sao Vicente de Fora et Jean de la Fontaine

Eglise et monastère de Sao Vicente de Fora vus du belvédère
 

Eglise et monastère de Sao Vicente de Fora

Le monastère de Sao Vicente de Fora domine la colline de l'Alfama et les deux tours de son église se voient de loin. Il a été fondé par Alfonso-Henriques, le roi Alfonso 1er, en 1147, pour honorer le voeu qu'il avait fait de reprendre Lisbonne aux Maures (le siège de Lisbonne). Plus tard, son église a été  remaniée et l'intérieur est d'un style baroque chargé.

 

Eglise du monastère Sao Vicente de Fora
 

Je voulais absolument voir le monastère et son cloître car je me souvenais y avoir vu des azulejos représentant les fables de La Fontaine lors d'un précédent voyage datant  d'il y a quarante ans.


monastère Sao Vicente de Fora extérieur


Des azulejos, il y a en partout et dès la montée d'escalier !


Escalier du monastère Sao Vicente da Fora


Le jeu de paume, l'ancêtre du tennis


le port de Lisbonne


La chasse


Et même là, elles me traquent ! (les araignées)

AU premier étage, le hall d'entrée présente des panneaux en azulejos narrant la bataille qui a permis à Alfonso 1er de reprendre Lisbonne aux Arabes. Le plafond en trompe l'oeil a été réalisé par un peintre italien sous le règne de Joao V.


Hall d'entrée de la sacristie



Hall d'entrée de la sacristie (détail) : azulejos racontant le siège de Lisbonne

C'est au deuxième étage que l'on découvre les azulejos illustrant 38 fables de La Fontaine. Dans mon souvenir, jadis, ils étaient à l'extérieur. Des panneaux explicatifs en français résument les fables et permettent de se souvenir (ou de découvrir ) certaines d'entre elles. Des trois éditions qui parurent au XVIII siècle, la plus fameuse, celle de 1775, a été illustrée par Jean-Baptiste Oudry, retouchée par Charles-Nicolas Cochin. C'est d'après ces illustrations que les azulejos commandés pour le monastère de Sao Vicente de Fora furent réalisés.


Les azulejos des fables de la Fontaine


Le gland et la citrouille ou Dieu fait bien ce qu'il fait

Monastère de Sao Vicente de Fora La Fontaine Le gland et la citrouille


Sans en chercher la preuve
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
          Dans les Citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant
Combien ce fruit est gros, et sa tige menue
A quoi songeait, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là :
          Hé parbleu, je l’aurais pendue
          A l’un des chênes que voilà.

(...)

Tout en eût été mieux ; car pourquoi par exemple
 Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt, 
          Ne pend-il pas en cet endroit ?

(...)

Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe ; le nez du dormeur en pâtit.
II s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde, 
          Et que ce gland eût été gourde ?
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il a raison ;
          J’en vois bien à présent la cause.
          En louant Dieu de toute chose,
          Garo retourne à la maison.

( Livre IX fable 4)


L'ours et l'amateur des jardins

Azulejos de La Fontaine L'ours et l'amateur des jardins


Certain Ours montagnard, Ours à demi léché,
Confiné par le sort dans un bois solitaire,
Nouveau Bellérophon(1) vivait seul et caché :
Il fût devenu fou ; la raison d'ordinaire
N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés (2):
Il est bon de parler, et meilleur de se taire,
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.

(...)

Pendant qu'il se livrait à la mélancolie,
               Non loin de là certain vieillard
               S'ennuyait aussi de sa part.
Il aimait les jardins, était Prêtre de Flore,
               Il l'était de Pomone encore :
Ces deux emplois sont beaux. Mais je voudrais parmi
               Quelque doux et discret ami.
Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre ;
               De façon que, lassé de vivre
Avec des gens muets notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.
               L'Ours porté d'un même dessein
               Venait de quitter sa montagne :
               Tous deux, par un cas surprenant
               Se rencontrent en un tournant. 

(...)

Les voilà bons amis avant que d'arriver.
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble ; 

(...)

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une * allant se placer
Mit l'Ours au désespoir ; il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit ; le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche,
Et non moins bon archer que mauvais raisonneur :
Roide mort étendu sur la place il le couche.
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami ;
               Mieux vaudrait un sage ennemi.

 (Livre VIII fable 10)

*mouche

             L'astrologue qui se laissa tomber dans un puits

L'astrologue qui se laissa tomber dans un puits

Dans le Théétète de Platon, à l'occasion d'une digression sur le difficile statut du philosophe dans la cité, Socrate relate une anecdote devenue célèbre, celle de Thalès contemplant les astres et tombant dans un puits, suscitant le rire d'une servante thrace.

 

Un Astrologue* un jour se laissa choir
        Au fond d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
        Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
        Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
            Il en est peu qui fort souvent
            Ne se plaisent d'entendre dire
Qu'au Livre du Destin les mortels peuvent lire.
Mais ce Livre qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le hasard parmi l'Antiquité,
            Et parmi nous la Providence ?
        Or du hasard il n'est point de science :
            S'il en était, on aurait tort
De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,
            Toutes choses très incertaines.
            Quant aux volontés souveraines
De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul ? Comment lire en son sein ?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles
Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles ?
A quelle utilité ? Pour exercer l'esprit
De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit ?
Pour nous faire éviter des maux inévitables ?
Nous rendre dans les biens de plaisir incapables ?
Et causant du dégoût pour ces biens prévenus ,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus ?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut ; les astres font leur cours,
            Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers ?
            Charlatans, faiseurs d'horoscope,
        Quittez les Cours des Princes de l'Europe ;
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps.
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop ; revenons à l'histoire
De ce Spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est l'image de ceux qui bâillent aux chimères
            Cependant qu'ils sont en danger,
            Soit pour eux, soit pour leurs affaires. 
 
Livre II fable13

*La Fontaine critique l'astrologie et non l'astronomie; L'astrologue est celui  qui utilise les sciences pour faire des prédictions sur l'avenir. Pour La Fontaine l'astrologue un "spéculateur", une "pauvre bête".


Démocrite et les Abderitains

Démocrite et les Abdéritains

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !
Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,
Mettant de faux milieux entre la chose et lui,
Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui !
Le maître d'Épicure  en fit l'apprentissage.
Son pays le crut fou : Petits esprits ! mais quoi ?
               Aucun n'est prophète chez soi.
Ces gens étaient les fous, Démocrite, le sage.
L'erreur alla si loin qu'Abdère* députa
               Vers Hippocrate , et l'invita
               Par lettres et par ambassade,
A venir rétablir la raison du malade.
Notre concitoyen, disaient-ils en pleurant,
Perd l'esprit : la lecture a gâté Démocrite.
Nous l'estimerions plus s'il était ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
               Peut-être même ils sont remplis
               De Démocrites infinis. 
Non content de ce songe, il y joint les atomes,
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,
Il connaît l'univers, et ne se connaît pas.
Un temps fut qu'il savait accorder les débats :
               Maintenant il parle à lui-même.
Venez, divin mortel ; sa folie est extrême. 
Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens ;
Cependant il partit. Et voyez, je vous prie,
               Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hippocrate arriva dans le temps
Que celui qu'on disait n'avoir raison ni sens
               Cherchait dans l'homme et dans la bête
Quel siège a la raison, soit le cœur, soit la tête. 

 


Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau,
                Les labyrinthes d'un cerveau
L'occupaient. Il avait à ses pieds maint volume,
Et ne vit presque pas son ami s'avancer,
                Attaché selon sa coutume.
Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis à part les entretiens frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit,
                Ils tombèrent sur la morale.
                Il n'est pas besoin que j'étale
                Tout ce que l'un et l'autre dit.
                Le récit précédent suffit
Pour montrer que le peuple est juge récusable.
                En quel sens est donc véritable
                Ce que j'ai lu dans certain lieu,
                Que sa voix est la voix de Dieu ?*

Livre VIII fable 26

* Abdère : colonie grecque de Thrace, patrie de Démocrite, maître d'Epicure,  fondateur avec Leucippe de la théorie des atomes.

*La Fontaine récuse Vox populi, vox Dei
 


Le pot de terre et le pot de fer


Le Pot de fer proposa
Au Pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,
Disant qu'il ferait que sage
De garder le coin du feu ;
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris serait cause.
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le Pot de fer.
Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure,
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.
Mes gens s'en vont à trois pieds,
Clopin-clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés,
Au moindre hoquet qu'ils treuvent.
Le pot de terre en souffre ; il n'eut pas fait cent pas
Que par son Compagnon il fut mis en éclats,
            Sans qu'il eût lieu de se plaindre .
Ne nous associons qu'avecque nos égaux ;
            Ou bien il nous faudra craindre
            Le destin d'un de ces Pots .


La mort et le malheureux


   Un Malheureux appelait tous les jours
              La mort à son secours;
    Ô Mort, lui disait-il, que tu me sembles belle !
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle.
La mort crut en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
    Que vois-je ! cria-t-il, ôtez-moi cet objet;
         Qu'il est hideux ! que sa rencontre
         Me cause d'horreur et d'effroi !
N'approche pas, ô Mort ; ô Mort, retire- toi.
         Mécénas * fut un galant homme :
Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort ; on t'en dit tout autant.

*Mécénas = Mécène chevalier romain, proche d'Auguste, protecteur des arts et des lettres ; Il s'entoura de Virgile et d'Horace. Son nom est resté synonyme de protecteur des arts.

Livre I fable 15 et fable 16  

Mais ma fable préférée est la deuxième version plus proche de celle d'Esope 

La mort et le bûcheron

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
Gémissant et courbé, marchait à pas pesants,
Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
          Le créancier et la corvée
Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder,
          Lui demande ce qu'il faut faire.
          C'est, dit-il, afin de m'aider
A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère .
          Le trépas vient tout guérir ;
          Mais ne bougeons d'où nous sommes :
          Plutôt souffrir que mourir,
          C'est la devise des hommes.


Les médecins


Le médecin Tant-Pis allait voir un Malade
Que visitait aussi son Confrère Tant-Mieux.
Ce dernier espérait, quoique son Camarade
Soutînt que le Gisant irait voir ses aïeux.
Tous deux s'étant trouvés différents pour la cure,
Leur Malade paya le tribut à Nature,
Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.
Ils triomphaient encor sur cette maladie.
L'un disait : Il est mort, je l'avais bien prévu.
S'il m'eût cru, disait l'autre, il serait plein de vie. 

(Livre V fable 12)



Un de deux cloîtres


Cloître et toit en terrasse avec une vue à couper le souffle (selon le guide)


La citerne souterraine que l'on trouve en entrant  date de l'époque des Maures avant le XII siècle.

Citerne :  monastère de Sao Vicente de Fora

samedi 26 novembre 2022

Marie-Christine Helgerson : Louison et monsieur Molière

 

Louison et Monsieur Molière de Marie-Christine Helgerson est un livre paru aux éditions Flammarion jeunesse dans la collection Les plus belles lectures du collège (à partir de 11 ans) .
Ma petite-fille doit le lire pour sa classe, elle est en cinquième. C’est un livre court (126 pages) d’un niveau facile. Il me semble qu’il pourrait être aussi présenté en primaire, CM1 ou CM2. Il est suivi d’un dossier sur Molière et le théâtre de son temps. 

Jeanne-Olivier Bourguignon épouse de Jean Beauval


Louison est la fille de Jean Pitel de Beauval et Jeanne Beauval, tous deux acteurs dans la troupe de Molière au Palais Royal devenu depuis la Comédie française ou La Maison de Molière. (voir le site de le Comédie française ICI
Louison n’est pas jolie et sa mère, belle comédienne remarquée par le roi, ne l’aime pas et la tient à l’écart. Mais la fillette rêve de monter sur scène et de jouer dans la troupe de Molière qu’elle admire et qui mange souvent à la table de ses parents. C’est pourquoi elle est très motivée pour apprendre à lire et très vite avec sa nourrice Frosine comme complice, elle connaît par coeur toutes les répliques des pièces du dramaturge. Un jour, elle joue à faire la morte pour attirer l’attention ses parents, et c’est si convaincant que Molière décide d’écrire un rôle pour elle. Ce sera celui de Louison, l’adorable et espiègle petite fille menacée du fouet par son papa, dans Le malade imaginaire

 (extrait scène 2 acte II)

ARGAN.— N’avez-vous rien à me dire?

LOUISON.— Je vous dirai, si vous voulez, pour vous désennuyer, le conte de Peau d’âne, ou bien la fable du Corbeau et du renard, qu’on m’a apprise depuis peu.

ARGAN.— Ce n’est pas là ce que je demande.

LOUISON.— Quoi donc?

ARGAN.— Ah! rusée, vous savez bien ce que je veux dire.

LOUISON.— Pardonnez-moi, mon papa.

ARGAN.— Est-ce là comme vous m’obéissez?

LOUISON.— Quoi?

ARGAN.— Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d’abord tout ce que vous voyez?

LOUISON.— Oui, mon papa.

ARGAN.— L’avez-vous fait?

LOUISON.— Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j’ai vu.

ARGAN.— Et n’avez-vous rien vu aujourd’hui?

LOUISON.— Non, mon papa.

ARGAN.— Non?

LOUISON.— Non, mon papa.

ARGAN.— Assurément?

LOUISON.— Assurément.

ARGAN.— Oh çà, je m’en vais vous faire voir quelque chose, moi.

Il va prendre une poignée de verges.

LOUISON.— Ah! mon papa.

ARGAN.— Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre sœur?

LOUISON.— Mon papa.

ARGAN.— Voici qui vous apprendra à mentir.

LOUISON se jette à genoux.— Ah! mon papa, je vous demande pardon. C’est que ma sœur m’avait dit de ne pas vous le dire; mais je m’en vais vous dire tout.

ARGAN.— Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste.

LOUISON.— Pardon, mon papa.

ARGAN.— Non, non.

LOUISON.— Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet.

ARGAN.— Vous l’aurez.

LOUISON.— Au nom de Dieu, mon papa, que je ne l’aie pas.

ARGAN, la prenant pour la fouetter.— Allons, allons.

LOUISON.— Ah! mon papa, vous m’avez blessée. Attendez, je suis morte.

Elle contrefait la morte.

ARGAN.— Holà. Qu’est-ce là? Louison, Louison. Ah! mon Dieu! Louison. Ah! ma fille! Ah! malheureux, ma pauvre fille est morte. Qu’ai-je fait, misérable? Ah! chiennes de verges. La peste soit des verges! Ah! ma pauvre fille; ma pauvre petite Louison.

LOUISON.— Là, là, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait.

ARGAN.— Voyez-vous la petite rusée? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout.

LOUISON.— Ho, oui, mon papa.

ARGAN.— Prenez-y bien garde au moins, car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez.

LOUISON.— Mais, mon papa, ne dites pas à ma sœur que je vous l’ai dit.

ARGAN.— Non, non.

LOUISON.— C’est, mon papa, qu’il est venu un homme dans la chambre de ma sœur comme j’y étais.

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Je lui ai demandé ce qu’il demandait, et il m’a dit qu’il était son maître à chanter.

ARGAN.— Hon, hon. Voilà l’affaire. Hé bien?

LOUISON.— Ma sœur est venue après.

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Elle lui a dit: «sortez, sortez, sortez, mon Dieu sortez, vous me mettez au désespoir».

ARGAN.— Hé bien?

LOUISON.— Et lui, il ne voulait pas sortir.

ARGAN.— Qu’est-ce qu’il lui disait?

LOUISON.— Il lui disait je ne sais combien de choses.

ARGAN.— Et quoi encore?

LOUISON.— Il lui disait tout ci, tout çà, qu’il l’aimait bien, et qu’elle était la plus belle du monde. (...)

Louison aura donc le privilège d’interpréter le rôle qui porte son nom et de donner la réplique à Molière lui-même ! Mais, comme on le sait, Molière mourra à la quatrième représentation de la pièce et la carrière de Louison s’arrête jusqu’à ce que….

Louison Beauval Pitel épouse Beaubour Ici
 

Ce roman a le mérite de présenter  le Paris du XVII siècle, le théâtre et Molière à travers la vision d’une enfant qui vit une passion. On y voit Jean-Baptiste Poquelin à un stade avancé de sa maladie, crachant le sang, entouré par Madeleine Béjart qui est au petit soin pour lui mais qui disparaît avant lui, alors qu’Armande, son épouse, indifférente, le fait souffrir. On le voit attristé par la mort de son fils s’attacher à la petite Louison et écrire pour une enfant un rôle étonnant de vérité, et rare dans le théâtre français. On y apprend que les comédiens ont mauvaise réputation et sont excommuniés par l’église, ne pouvant être enterrés en terre consacrée.  

Bref! une présentation du XVII siècle et du théâtre de Molière dans un style simple, direct à la portée de jeunes lecteurs qui pourront s’identifier à Louison tout en découvrant l’homme et l’oeuvre à travers le personnage de Molière.

Jean Baptiste Poquelin


vendredi 6 août 2021

Philippe Froget : Aime comme Marquise

  

 Aime comme Marquise de Philippe Froget

Marquise-Thérèse Gorla

Paris, 1668. Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. Marquise se prépare à jouer Andromaque de Racine, lorsque le Lieutenant Général de la police entre dans sa loge pour l’interroger, sur ordre du Roi. Dès lors, cette enquête nous dévoile l’extraordinaire parcours de cette fille du peuple qui a fasciné les hommes les plus illustres de son temps, de Molière à D’Artagnan en passant par Corneille, Racine; Un texte hybride, en vers et en prose, nous entraînant de Pézenas à Rouen, puis du Louvre au Château de Vaux-Le-Vicomte. L'incroyable destin de Thérèse du Parc, dite Marquise, comédienne de la troupe de Molière
 : « J’avais envie d’écrire sur les petites gens aux grands destins. Un texte en alexandrins, pour leur musique,
 leur rythme lancinant, leur noblesse. Raconter la vie de Marquise, c’était réunir ces éléments à travers le vrai destin d’une jeune femme sidérante » 

J'aime bien Marquise du Parc. C'est un personnage que j'ai souvent rencontré dans mes études sur le théâtre du XVII siècle, Molière, bien sûr, mais aussi Corneille et son amour de vieillard pour la belle comédienne, le poème qu'il écrit pour elle : "Marquise si mon visage a quelques traits un peu vieux...". Donc, c'est avec plaisir que je suis allée la rencontrer à L'espace Roseau, dans cette pièce Aime comme Marquise de Philippe Froget. 

Marquise est interprétée par deux comédiennes, l'une (Chloé Froget qui est aussi metteur en scène de la pièce) interprète la jeune Thérèse de Gorla, fille du peuple. Elle  va commencer sa carrière dans la troupe de Molière grâce à Gros René ( René Berthelot du Parc) comédien spécialisé dans le rôle de valet. Celui-ci deviendra son mari et lui donne son surnom. L'autre (Aurélie Noblesse), plus âgée et désormais célèbre, s'apprête à créer le rôle d'Andromaque. Elle raconte sa vie au Lieutenant-Général de police venu lui demander, au nom du roi, si c'est Corneille qui écrit les pièces de Molière. Bien entendu, nous n'aurons pas la réponse à cette question (que je déteste!*) et qui n'est pas ce qui a de plus intéressant dans la pièce. J'ai aimé voir vivre Marquise par l'intermédiaire de ces deux bonnes comédiennes et d'une mise en scène enlevée. Un agréable moment de théâtre !

* Comme pour Shakespeare, cette question à propos de Corneille et Molière, me dérange. On la doit au poète Pierre Louys qui restera célèbre au moins pour cela ! Elle est vaine puisque l'on n'aura jamais la réponse et surtout elle n'apporte rien si ce n'est de discréditer le talent de Molière et dans quel but ? On peut se le demander ? Bien sûr, la langue des deux auteurs a obligatoirement des ressemblances lexicales et syntaxiques puisqu'elle est celle du XVII. Les thèmes sont communs, d'actualité ou à la mode, traduisant la mentalité, les codes sociaux, la sensibilité, les préoccupations de leur siècle. D'autre part, à cette époque il était courant que les auteurs s'inspirent les uns des autres. Plagiat ? Pas s'ils en faisaient une oeuvre personnelle. La Fontaine en est un bel exemple. Montaigne déjà écrivait : "Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont  joue l'un l'autre, mais l'un la place mieux". Bien sûr aussi, les "grandes" comédies de Molière ont des accents tragiques que l'on pourrait attribuer à Corneille en admettant que Molière soit incapable d'écrire ainsi. Il faut remarquer aussi que toutes les "petites" pièces de Molière ( qu'on accepte de lui attribuer) contiennent déjà en germe tous les thèmes qu'il lui sont chers et qu'il développera plus tard quand il aura atteint sa maturité. D'ailleurs, Corneille a aussi écrit des comédies et si l'on compare les deux écrivains dans ce genre comique, ils présentent bien des différences malgré les ressemblances. Ce sont des personnalités différentes qui ont écrit L'Illusion comique ou le Dom Juan ! C'est ce que je crois ! Ceci dit, je ne prétends pas avoir raison, les plus grands savants se sont penchés sur la question et continuent à se déchirer sans pouvoir acquérir une certitude. Mais mon amour pour Molière est tel ( et pour Corneille aussi ) que  je préfère admirer ces deux grands monuments de la littérature française plutôt qu'un seul !


                                       Stances adressées à mademoiselle du Parc par Corneille, envoi de Tristan Bernard, 

                                                                                                  interprétées par Georges Brassens

Aime comme Marquise
 de Philippe Froget
 10H Espace Roseau

Mise en scène : Chloé Froget – avec la complicité de Louiza Bentoumi


Avec : Aurélie Noblesse, Xavier Girard, Christophe Charrier, Chloé Froget


Production : Compagnie Le Jeu du Hasard et Atelier Théâtre Actuel
Soutien(s) : Théâtre Nouvelle-France et Théâtre Le Mas

Voir la critique d'Eimelle