Mehmed II : Gentile Bellini (1429-15O7) |
Gentile Bellini peintre vénitien est le frère de Giovanni Bellini, ce dernier étant l'un des grands peintres de Venise, un de mes peintres vénitiens préférés.
Gentile se rend à Contantinople en 1479 à la cour du sultan Mehmed II. L'histoire dit que le souverain admirant une oeuvre du peintre représentant la décollation de Saint Jean-Baptiste, veut lui signaler une erreur. Il tire son sabre et décapite un serviteur qui passait par là : "Vous voyez, lui dit-il, les organes ne sortent pas du cou comme vous les avez représentées mais se rétractent ".
C'est ce même Mehmed II dont Proust écrira dans Un amour de Swann : "Puis il (Swann) sentait bien près de son cœur ce Mahomet II dont il aimait le portrait par Bellini et qui, ayant senti qu’il était devenu amoureux fou d’une de ses femmes, la poignarda afin, dit naïvement son biographe vénitien, de retrouver sa liberté d’esprit. "
Albert Bloch
Le descendant de Mehmed II à notre époque |
35 générations séparent ces deux portraits. D'après Swann, Bloch devait ressembler à ces deux portraits en plus jeune.
Il y a dans A la recherche des passages qui sont de vraies scènes de comédie : celles avec Albert Bloch en font partie.
Albert Bloch est un camarade d'école du narrateur. Il est un peu plus âgé et exerce une grande influence sur lui en lui conseillant la lecture de Bergotte, l'un des grands écrivains de A la Recherche, et en lui parlant de poésie. Swann dont c'est l'habitude de s'entourer de personnages descendus de leur tableau affirme que Bloch est le portrait de Mehmed II de Gentile Bellini.
Bloch est un personnage secondaire de A la Recherche mais il m'a tellement amusée que j'ai noté les passages où il apparaît dans cette première partie de Du côté de chez Swann Cambray
J’avais entendu parler de Bergotte pour la première fois par un de mes camarades plus âgé que moi et pour qui j’avais une grande admiration, Bloch. En m’entendant lui avouer mon admiration pour la Nuit d’Octobre, il avait fait éclater un rire bruyant comme une trompette et m’avait dit : « Défie-toi de ta dilection assez basse pour le sieur de Musset. C’est un coco des plus malfaisants et une assez sinistre brute. Je dois confesser d’ailleurs, que lui et même le nommé Racine, ont fait chacun dans leur vie un vers assez bien rythmé, et qui a pour lui, ce qui est selon moi le mérite suprême, de ne signifier absolument rien. C’est : « La blanche Oloossone et la blanche Camire » et « La fille de Minos et de Pasiphaé ». Ils m’ont été signalés à la décharge de ces deux malandrins par un article de mon très cher maître, le Père Lecomte, agréable aux Dieux immortels. À propos voici un livre que je n’ai pas le temps de lire en ce moment qui est recommandé, paraît-il, par cet immense bonhomme. Il tient, m’a-t-on dit, l’auteur, le sieur Bergotte, pour un coco des plus subtils ; et bien qu’il fasse preuve, des fois, de mansuétudes assez mal explicables, sa parole est pour moi oracle delphique. (...)
Le comique naît de l'alliance disparate de mots, certains tirés de l'argot des potaches " C'est un coco " (j'ai lu un article qui suggère que ce terme pourrait correspondre dans l'argot des lycéens d'aujourd'hui à "mec") mêlés à des mots savants "dilection" "mansuétude", à des expressions ampoulées, hyperboliques "agréable aux Dieux immortels" "cet immense bonhomme" "oracles delphiques" ou à des archaïsmes comme "le Sieur" "Malandrins". Toujours est-il que l'effet est comique et nous renseigne aussi sur le caractère de Bloch, intelligent ? peut-être ? cultivé, c'est certain, mais pédant, sentencieux, donneur de leçon ! Autrement dit un drôle de coco lui-même ! Mais ce n'est pas fini ! Et ce qui suit est encore plus hilarant si possible !
Jeanne Weil, madame Proust, mère de Marcel d' Anaïs Beauvais |
Albert Bloch est juif dans une société de la fin du XIX siècle et début du XX ième gangrénée par l'antisémitisme. L'affaire Dreyfus qui divise les familles se situe, en effet, entre 1894 et 1906. Il ne faut pas oublier que Marcel Proust appartient à une famille juive par sa mère, Jeanne Weil, même si l'écrivain est catholique comme son père. Bloch est donc accueilli dans la famille du jeune Marcel avec bienveillance mais...
Mais Bloch avait déplu à mes parents pour d’autres raisons. Il avait commencé par agacer mon père qui, le voyant mouillé, lui avait dit avec intérêt :
— Mais, monsieur Bloch, quel temps fait-il donc ? Est-ce qu’il a plu ? Je n’y comprends rien, le baromètre était excellent.
Il n’en avait tiré que cette réponse :
— Monsieur, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier.
— Mais, mon pauvre fils, il est idiot ton ami, m’avait dit mon père quand Bloch fut parti. Comment ! il ne peut même pas me dire le temps qu’il fait ! Mais il n’y a rien de plus intéressant ! C’est un imbécile.
Puis Bloch avait déplu à ma grand’mère parce que, après le déjeuner comme elle disait qu’elle était un peu souffrante, il avait étouffé un sanglot et essuyé des larmes.
— Comment veux-tu que ça soit sincère, me dit-elle, puisqu’il ne me connaît pas ; ou bien alors il est fou.
Et enfin il avait mécontenté tout le monde parce que, étant venu déjeuner une heure et demie en retard et couvert de boue, au lieu de s’excuser, il avait dit :
— Je ne me laisse jamais influencer par les perturbations de l’atmosphère ni par les divisions conventionnelles du temps. Je réhabiliterais volontiers l’usage de la pipe d’opium et du kriss malais, mais j’ignore celui de ces instruments infiniment plus pernicieux et d’ailleurs platement bourgeois, la montre et le parapluie.
Voici la verte Écosse et la brune Italie,
Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,
Et le front chevelu du Pélion changeant ;
Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent
Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire,
La blanche Oloossone à la blanche Camyre.
Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ?
D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ?
Oloossone est une ville située dans les terres de Thessalie, et non près de la mer.