Dans Les Disparus, Daniel Mendelsohn explique que sa curiosité sur le sort de son grand-oncle Shmiel, son épouse, Rachel, et leurs quatre « superbes » filles, restés en Pologne pendant la guerre, commence dès l’enfance. Tout jeune, en effet, Daniel - qui ressemble à Shmiel, à en faire pleurer ceux qui l’ont connu - pose des questions à son grand-père Abraham puis aux autres membres de la famille. Il sait que ce frère d’Abraham n’a pas voulu émigrer et est resté en Pologne dans la ville de ses ancêtres, nommée Bolechow, autrichienne à l’époque, devenue ukrainienne par la suite sous le nom de Bolekhiv. Il a lu les lettres désespérées, restées sans réponse, que le grand-oncle a écrit à sa famille américaine pour le faire sortir de Pologne, sa famille et lui ; il sait que tous ont été tués par les nazis. Longtemps après la mort de son grand père, et alors que beaucoup de ceux qui ont été des témoins visuels ont disparu, Daniel Mendelsohn reprend son enquête et part d’abord à Buchalow, puis dans les pays où restent des survivants, Israel, Australie, Suède, Danemark, Etats-Unis. Une véritable épopée qui l’amènera à retrouver le souvenir des disparus, à cerner leur personnalité, à savoir comment ils ont vécu et comment ils sont morts.
Ce qui est passionnant dans cette démarche et très émouvant, c’est la découverte, au fur et à mesure des voyages et des rencontres, de petites parcelles de vie qui finissent par prendre corps, former une image, raconter une histoire, comme un puzzle qui se construirait devant nous. Nous partageons l’émotion de l’écrivain lorsqu’il découvre, en Ukraine, pour la première fois, quelqu’un qui a connu réellement l’oncle Shmiel. Sa déception, son découragement, parfois, quand il semble ne pas pouvoir aller au-delà, puis son émotion mêlée de douleur quand le dernier lambeau, arraché à l’histoire de ce passé violent et douloureux, le conduit là où sont morts Shmiel et sa fille Fridka .
C’est aussi la démarche de Xavier Cercas quand il enquête sur son oncle, mort au cours d’une autre tragédie, celle de la guerre civile espagnole, forme de récit qui me touche toujours beaucoup car l’enquêteur, historien et narrateur, est aussi personnage du récit. Dans Les disparus, nous sommes dans l'intimité de l'écrivain, partageons jusqu’à ses pensées intérieures. A la recherche de sa famille perdue, il retrouve aussi l’amitié et la complicité de son frère Matt dont il s’était éloigné. Ce dernier réalise les photographies de leur voyage commun.
Les Disparus, au-delà, bien sûr, de la recherche de la famille perdue, les six parmi six millions, fait revivre l’holocauste et nous fait entrer dans l’horreur de ce qu’ont été ces exterminations massives pas seulement dans les camps mais dans les villages où la population juive conduite devant des fosses communes était massacrée après avoir été torturée. Le livre Les Bienveillantes de J. Littell m’avait déjà prise aux tripes avec la description de cette folie meurtrière si bien que je n’avais pu aller jusqu’au bout. Celui de Daniel Mendelsohn, lui aussi, fait douter de la nature humaine. L’écrivain s’interroge sur la culpabilité des uns et des autres. Mais si les ukrainiens sont, de l’aveu même des derniers survivants, « les pires », il faut bien reconnaître que les juifs qui ont été sauvés, l’ont été grâce à des ukrainiens qui ont risqué leur vie pour eux. Parmi les juifs aussi, il y avait ceux qui entraient dans la police créée par les nazis pour dénoncer et arrêter leurs voisins. L’homme est décidément capable du pire et du meilleur! Daniel Mendelsohn se refuse de juger. A partir du moment où l'on n'a jamais connu quelque chose d'aussi horrible, comment peut-on savoir ce que l'on aurait fait !
Daniel Mendelsohn |
Dans son livre Une Odyssée qui a été écrit après Les disparus mais que j’ai lu en premier, le commentaire de l’oeuvre d’Homère et l’étude de la langue grecque servent de contrepoint à l’histoire du père et du fils, Jay et Daniel. Ici, le linguiste Mendelsohn s’empare de la Torah. Les grands moments du récit biblique rythment alors le récit de la quête des disparus et se développent en parallèle avec une évidente correspondance : Caïen et Abel, le conflit entre frères et soeurs expliquent les dissensions à l’intérieur de sa famille, ce qui le renvoie à lui-même face à ses frères ; le déluge, l’annihilation totale des hommes voulue par Dieu, est semblable à celle voulue par Hitler car elle n’épargne même pas les innocents, les enfants. Dieu serait-il cruel ? Le récit de la Terre Promise est un rappel de l’immigration et des compromissions, des sacrifices qu’elle engendre. Le choix entre le Mal et le Bien, est le conflit qui agite Abraham qui doit sacrifier un innocent, son fils Isaac …
Ce livre est donc un récit complexe, une enquête à la recherche du passé, menée de main de maître par un écrivain qui sait donner forme au chaos. C’est un récit cruel qui nous touche, nous révolte. Mais Daniel Mendelsohn éprouve envers les personnes qu’il rencontre des sentiments de respect, de tendresse qu'il nous transmet et qui laissent passer un sentiment d’humanité réconfortant. On en a besoin après la lecture de ce livre à la fois terrible et riche !
Voir myriam
Dasola
Kathel
Voir myriam
Dasola
Kathel