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mercredi 1 février 2023

Mario Vargas Llosa : Le rêve du celte

Roger Casement

Le rêve du celte de l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa raconte l’histoire de Roger Cassement, né à Dublin et dont le berceau familial se trouvait dans le comté d’Atrim, au coeur de l’Ulster. Surnommé « Le Celte », converti au catholicisme, religion de sa mère, il a personnifié la révolte des indépendantistes  irlandais.
Emprisonné pour avoir coopéré avec les Allemands sur lesquels il voulait s’appuyer pour mener à bien l’indépendance de l’Irlande, il  est accusé de complot contre l’Angleterre et n’échappe pas à la vague de répression qui a eu lieu, après l'insurrection d'Avril 1916, une répression si féroce que les irlandais ont appelé cette terrible période « les Pâques sanglantes ».
Roger Casement sera-t-il lui aussi condamné à mort ? La campagne de dénigrement menée contre lui après la découverte de ses carnets intimes cherchant à salir  sa vie privée fera-t-elle pencher la balance du côté de ceux qui réclament sa mort ?

Ce sont les questions qui se posent en début de roman, et pendant que la Grande-Bretagne statue sur son sort, nous faisons un bond en arrière dans le passé de Roger Casement.  Une première partie est intitulée Congo.

Congo

Léopold II roi de Belgique

Roger Casement était consul de la Grande-Bretagne quand il entreprit en 1903, mandaté par son gouvernement, la remontée du Congo pour aller enquêter sur la situation des indigènes dans les régions reculées du Congo belge que l’Europe avait attribué à Léopold II, roi de Belgique.

Henry Shelton Stanley

Avant cette mission, Roger Casement avait travaillé huit ans en Afrique, à partir de 1884 dans l’expédition de Henry Morton Stanley* puis de Henry Shelton Sanford en 1886, ce qu’il regrettera toute sa vie. Lui qui était un fervent partisan de la colonisation, pensant sincèrement, que celle-ci apporterait la civilisation et la prospérité aux autochtones « par le biais du commerce, du christianisme et des institutions sociales et politiques de l’Occident » , « il voulait oeuvrer à l’émancipation des africains et en finir avec leur retard, leurs maladies et leur ignorance » ; lui qui, dans son enfance éprise d’aventures et de grandeur, avait admiré Stanley qu’il considérait comme un bienfaiteur des indigènes, déchante en découvrant qui est réellement cet aventurier !

Les choses que ces hommes rudes et déshumanisés racontaient de l’expédition* de 1871-1872  faisaient se dresser les cheveux sur la tête. Des bourgs décimés, des chefs de tribus décapités, leurs femmes et leurs enfants fusillés s’ils refusaient de nourrir les expéditionnaires ou de leur céder porteurs, guides et machettiers pour ouvrir des voies de passage dans la forêt. »

* première expédition de Henry Stanley

Son idéalisme va s’effondrer devant la réalité. En signant des contrats qu’ils ne savent pas lire, les chefs de tribus cèdent les terres à la Belgique, offrant sans le savoir une main d’œuvre gratuite, corvéable, que l’on fait marcher à la chicotte, cet « emblème de la colonisation », ce fouet fabriqué avec la peau de l’hippopotame, « capable de produire plus de brûlure, de sang, de cicatrices et de douleur que n’importe quel autre fouet…. »

Roger Casement, malade, épuisé par la malaria, enquête avec opiniâtreté sur les conditions de vie de ses travailleurs forcés et l’horreur qu’il ressent lui interdit, malgré sa mauvaise santé, de renoncer à collecter les témoignages qui prouvent les crimes, les sévices corporels, le travail épuisant, la misère, la faim car la population n’a pas le temps de cultiver la terre pour elle-même, la maladie, qui déciment la population autochtone. Et si les hommes ainsi réduits à l’esclavage cherchent à fuir, leurs femmes retenues comme otages subissent viols, tortures, et mises à mort. Chacun prélève, à des degrés divers, sa part d’une fortune basée sur l’exploitation de l’hévéa, l’or noir, producteur de caoutchouc qui enrichit la Belgique sans autre préoccupation humaniste. La population décimée est vouée à disparaître.  

Il ne cessera son enquête qu’après avoir publié son Rapport sur le Congo qui fit scandale et lui valut d’être considéré par les uns comme un héros, par les autres comme un pestiféré.

La seconde partie intitulée Amazonie

Amazonie

Génocide des indiens Huitotos source

Roger Casement va être à nouveau missionné pour une enquête sur les conditions de vie des indiens amazoniens travaillant pour La Péruvian Amazone Company, compagnie britannique dirigée par un homme d’affaire péruvien sans scrupule, Julio C. Arena. La compagnie, productrice de caoutchouc, à la frontière du Pérou et de la Colombie, laisse à des hommes de paille, brutes sans conscience, le soin d’exploiter les plantations d’hévéas du Putumayo sans se soucier des exactions et des crimes commis. Elle et son directeur sont intouchables pour des raisons économiques.

Cette fois encore, on touche le fond de l’horreur car si tout se répète comme au Congo, c’est avec encore plus de noirceur, de mépris pour la vie des indiens, et même une cruauté gratuite comme le pratique les chefs de comptoirs des caoutchouteries du Putumayo et en particulier Armando Normand de sinistre réputation, qui surpasse tous les autres et fait peur même à ses subordonnés..

Les « raids », c’est « Aller à la chasse aux indiens dans leurs villages pour qu’ils viennent recueillir le caoutchouc sur les terres de la Compagnie », le marquage des indiens comme des bestiaux, la demande de rentabilité à outrance, les punitions dégradantes et terrifiantes pour ceux qui ne tiennent pas le rythme, les représailles exercées sur les enfants, les décapitations, les mutilations, les tortures, les viols, annihilent toute volonté de rébellion. Les jeunes filles servent d’esclaves sexuelles aux dirigeants des plantations qui se constituent une sorte de harem. Quand le système d’exploitation est à ce point extrême, il détruit aussi bien le corps que l’esprit, c’est pourquoi les indigènes ne peuvent se révolter, toute volonté de même que l’instinct de survie sont abolis, explique  Casement.

Et, il s’indigne à la pensée que pendant que l’or noir assure la prospérité jusqu’au coeur financier de Londres : «  A l’autre bout du monde, au Putumayo, toutes les ethnies : Huitotos, Ocaimas, Muinanes, Nonuyas, Andoques, Rezigaros ou Boras se trouvaient en voie d’extinction sans que personne ne bouge le petit doigt pour remédier à cet état de choses. »

Malgré son épuisement physique et moral, les menaces de mort qui pèsent sur lui, Roger Casement et les autres membres de l’expédition réunissent tous les témoignages et les preuves des meurtres et des atrocités commises. Son rapport paru en 1911 fut sans grande efficacité. Les criminels incriminés dont Armando Norman s’enfuirent au Brésil où d’ailleurs ils retrouveront du travail, le gouvernement péruvien, malgré la pression de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, ne veut pas intervenir car la Compagnie est le seul frein qui empêche la Colombie d’envahir cette zone frontalière. Et Roger Casement dut repartir sur place au péril de sa vie pour à nouveau rendre compte de ce qui se passait. Cette fois, le rapport sur le Putumayo nommé Blue Book qu’il en rapporta fit un peu bouger les lignes et précipita la ruine de la compagnie mais le génocide resta impuni, nié, oublié, et le criminel Julio Arena élu au sénat.

Je viens de lire L'Attrapeur d'oiseaux de Pedro Cesarino, écrivain brésilien, où l'on rencontre à nouveau des Indiens du Putumayo  qui ont fui leur pays pour échapper aux violences. Un siècle après !
 

L'Irlande 

Le centre de Dublin bombardé pendant les Pâques sanglantes source

 

La troisième partie est évidemment l’Irlande où l’on voit comment cet homme qui avait été si longtemps consul de la Grande-Bretagne, annobli en récompense de ses missions, a pu éprouver une telle haine pour l’Angleterre jusqu’à préférer demander le soutien des allemands pendant la guerre de 1914 pour libérer son pays. C’est par une comparaison avec les peuples congolais et amazoniens que Casement en vient à considérer les irlandais comme des colonisés et à planifier la marche à suivre pour se libérer de cette oppression. Mais ses tentatives furent un échec. En attendant le verdict, il cherche à vaincre sa peur de la mort, se tourne vers la religion et Dieu. Le personnage du shérif et du prêtre, ainsi que de sa soeur Nina et sa cousine Gee, sont autant de personnages, secondaires, certes, mais beaux.
Le mérite, le courage et le dévouement de Roger Casement n’ont jamais été reconnus au XX siècle à cause de son homosexualité dans un pays comme l'Irlande extrêmement puritain. Ce n’est que progressivement qu’il a eu droit à une timide reconnaissance. Ce livre qui rétablit son combat contre la colonisation est non seulement un bel hommage mais aussi une lutte contre l’oubli des horreurs commises par la colonisation.


*Henry Stanley l’explorateur qui a retrouvé Livingstone.

Voir le billet de Ingammic sur Le rêve du Celte ICI

 

Je viens de rester une semaine sans internet (des travaux dans ma rue) et voilà que le câble vient d'être rétabli juste le premier jour du mois de Février, début du du rendez-vous consacré à la littérature des pays d'Amérique latine initié par Ingammic. ICI


 Et par la même occasion ma première participation au challenge sur les minorités ethniques toujours avec Ingammic.




mercredi 3 février 2021

José Maria Arguedas : Diamants et silex

 

José Maria Arguedas est un auteur péruvien que je découvre au cours de ce mois de littérature latino-américaine, un livre entièrement différent de celui que je viens de commenter La faute au bouc de Marie Vargas Llosa... C’est d’ailleurs ce dernier qui préface ce petit bijou littéraire, intitulé Diamants et silex .

"L’Apurimac  est sillonné par les fleuves les plus profonds et les plus mélodieux du Pérou; des fleuves anciens, puissants, aux flots d’acier, qui ont découpé les Andes dans leur partie la plus haute- silex et diamants- et ont forgé des abîmes aux rives desquelles l’homme tremble, ivre de vertige, en contemplant les eaux argentées qui s’écoulent sous les arbres suspendus."

 Mario Vargas Llosa nous explique que José Maria Arguedas, est au centre des deux cultures qui divisent le Pérou, celui de la plaine et des villes, de langue espagnole, et celui de la sierra où vivent les indiens quechuas attachés à leur langue, leur traditions, proches de la nature, mais obligés par la misère à servir chez les maîtres qui les considèrent comme à peine humains. Cette double culture est pour Arguedas un déchirement puisque « l’enracinement entre ces deux mondes antagonistes a fait de lui un déraciné » écrit Mario Vargas Llosa.

Mais c’est aussi pourquoi José Maria Arguedas sait nous parler avec tant de poésie et d’amour de ce peuple vivant au coeur de la Cordillère des Andes, au milieu des pics enneigés, et de cette langue chargée d’images : "Le quechua qu’il entendait était semblable à celui qu’on parlait dans les petites vallées à fruits "de l’intérieur", dans son village. C’est là que naissent les fleuves amazoniens, que se forment les longues veines qui font une entrée tonitruante dans les gorges creusées entre les chaînes de montagnes. Le quechua qu’Irma utilisait pour s’adresser  à lui avait le parfum de ces fleuves, des oiseaux qui les survolent en jouant, piaillant et appelant les êtres humains."

Mariano est un indien quechua que son frère envoie à la ville car c’est un Simple, c’est à dire un arriéré mental, une charge, donc, pour la famille. Il est aussi un musicien harpiste hors du commun, ce qui lui permet de toucher au coeur, dès son arrivée, le propriétaire le plus riche en terres et en indiens de la ville, Don Aparicio. Celui-ci le prend chez lui à une condition, c’est qu’il ne jouera jamais que pour lui et chez lui. Pour Don Aparicio, un être tourmenté, débauché, jamais en paix, cruel et fantasque, la musique de Mariano s’adresse à son âme. On peut comprendre, dès lors, que la transgression de cet ordre pourrait avoir des conséquences néfastes. Quand arrive dans la ville une nouvelle venue, une jeune fille blonde, très belle, le drame est prêt à éclater.

Nous sommes donc dans la structure du conte traditionnel mais qui se déroulerait dans un monde réaliste où les fées n’ont pas cours et où leur baguette n’a pas de pouvoir. Don Aparicio est tout puissant, sa fortune le place au-dessus des lois, nul ne peut s’opposer à lui. Il séduit, voire enlève, les filles des montagnes, en fait ses maîtresses aussitôt remplacées par d’autres. Mais si réalisme il y a, le jeune homme apparaît aussi magnifié par le style de l’écrivain ou par le regard de ses amoureuses, comme un prince de légende, noble d’allure si ce n’est de coeur, monté sur son étalon noir Faucon, aussi fougueux que lui. D'une manière générale, la peinture de cette société basée sur l’inégalité sociale et raciale, d’une férocité implacable envers les indiens, est transcendée par la plume de l’écrivain, parfois d'un lyrisme puissant, taillée à la fois dans le diamant et le silex, noir et étincelant, brillant et dur.
Et puisque la musique y est omniprésente, il y a deux tonalités dans le roman, celle en mode majeur, éclatante, qui s'attache à Don Aparicio et  révèle la montagne, et celle en mode mineur qui  résonne pour Mariano si sensible à la détresse et à la souffrance des autres, humains, animaux ou plantes... Etcette petite musique lancinante crée une tristesse, une nostalgie qui gagne le lecteur. 

Un très beau roman poétique, inattendu, magique et profondément humain.

Et voici encore un passage qui est l’un des plus étonnants moments du roman : il concerne les vingt harpistes la ville : "La nuit du 23 juin, ces musiciens descendaient le long des ruisseaux torrentiels qui se jettent dans le fleuve principal, ce grand fleuve profond dont les eaux rejoignent la côte. Là, sous les grandes cataractes que les torrents façonnent dans la roche noire, les harpistes « écoutaient ». C’est la seule nuit de l’année où l’eau, en tombant sur la pierre et en roulant ses éclats brillants crée des mélodies nouvelles ! Chaque maître harpiste a sa Pak’cha * secrète. Il s’avance de face, caché sous les grands panaches des roseaux; certains se suspendent aux troncs des poivriers, au-dessus de l’abîme où le torrent s’engouffre et pleure. Le lendemain, et pendant toutes les fêtes de l’année chaque harpiste joue des mélodies inédites."

* cascade

Pérou : José Maria Arguedas

José Maria Arguedas
 

José Maria Arguedas Altamirano est un écrivain, un anthropologue, un ethnologue, un poète, un traducteur et un universitaire péruvien né le 18 janvier 1911 à Andahuaylas (Apurimac) dans la montagne au Sud du Pérou. Il est fils naturel d’un avocat itinérant Victor Manuel Arguedas Arellano, Cuzqueño et de Doña Victoria Altamirano Navarro, femme métis et aristocrate de San Pedro en Andahuaylas. À la mort de sa mère, il a deux ans et il reste avec sa grand-mère paternelle ; son père se remarie avec une riche veuve qui a aussi des enfants. Il sera victime des mauvais traitements de sa marâtre. Celle-ci l'oblige à dormir avec les indiens. C'est auprès d'eux qu'il découvre la culture et la langue quechua. 

Ses nouvelles et ses contes le rangent parmi les grands représentants de la littérature péruvienne. Il est le promoteur d'un métissage des cultures andine d'origine quechua et urbaine d'origine européenne.
Toute l’œuvre de José María Arguedas est marquée par la dualité linguistique et culturelle entre l’espagnol et le quechua. Toujours fidèle à la tradition quechua de son enfance, il a vécu l’expérience du Pérou divisé entre monde andin indien et dominé et monde côtier hispanophone et dominant. N’étant jamais tout à fait parvenu à surmonter ce déchirement culturel, malgré sa réussite professionnelle et souffrant de dépression nerveuse, il se suicide à Lima le 2 décembre 1969. Sa fin tragique en a fait le symbole à la fois de tous les clivages de la société péruvienne et de la nécessaire réconciliation qu’il a prônée dans son œuvre, mais si difficilement vécue dans sa chair.   (Wikipédia)

 


José Sagobal peintre péruvien, indigéniste (1888/1956)

Et puisque j'en suis à la découverte de la littérature péruvienne, je suis allée faire un petit tour du côté de l'art et je vous présente Jose Sagobal, peintre  péruvien du XX siècle, indigéniste. Comme José Maria Arguedas, il défend la culture et les traditions des indiens et souhaitent voir leurs droits reconnus  par le gouvernement péruvien. Il a contribué avec les écrivains, les peintres qui ont rejoint le mouvement indigéniste, à faire évoluer les mentalités.








lundi 1 février 2021

Mario Vargas Llosa : La fête au bouc


  La fête au Bouc de Mario Vargas Llosa est depuis longtemps sur mes étagères et je ne me décidais pas à lire ce roman politique sur la dictature de Rafael Leonidas Trujillo à Saint Domingue. Je craignais que cela ne soit trop rébarbatif ou trop démonstratif. C’est donc dans le cadre du défi lancé par Ingammic ICI et Goran ICi nous invitant à explorer la littérature latino-américaine, que j’ai découvert ce livre et là il n’était plus possible de résister à la force et à l’habileté narrative d’un grand écrivain qui vous tient en haleine et vous retourne comme une crêpe !

Le récit se déroule dans la partie orientale de l’île Hispanolia, dans la République de Saint Domingue dont la frontière divise en deux l'île avec, à l’ouest,  Haïti. Nous sommes en 1961, date de l'attentat contre Trujillo, mais l'écrivain va nous promener du présent au passé et inversement, sans ordre chronologique,  depuis la prise de pouvoir du dictateur et jusqu'après sa mort.

"L'ouvrage est caractéristique du roman du dictateur, représenté entre autres par Miguel Ángel Asturias (El señor Presidente), Augusto Roa Bastos (Moi, le Suprême) et Gabriel García Márquez (L'Automne du patriarche)" (Wikipédia). 

Le roman présente des personnes fictifs mais fortement ancrés dans l’histoire du pays comme Urania Cabral et son père Agusto Cabral, ministre de Trujillo. Urania revient voir son père mourant à Saint Domingue après trente cinq années d’exil aux Etat-Unis, absence pendant laquelle elle a toujours refusé de répondre à ses lettres et à celles de sa famille. Pourquoi revient-elle ? Elle se le demande elle-même mais ce n’est certainement pas par amour si l’on en juge par la violence qui émane de ses propos quand elle parle à celui qui fut son père, certes, mais surtout l’ancien ministre de Trujillo…  

Rafael Leonidas Trujillo

Face à ces personnages fictifs, des personnages historiques comme le dictateur Rafael Leonidas Trujillo qui a fait régner la terreur à Saint Domingue, rebaptisée alors, Ciudad Trujillo, de 1930 à 1961, et ses ministres dévoués jusqu’à la servilité : emprisonnement, tortures, assassinats, massacre des immigrants haïtiens, viols, accaparation des biens et des terres des opposants et des industries, main mise sur la presse et tous les moyens de communication, culte de la personnalité… D’autres personnages historiques aussi, sont ceux qui en 1961, ont fomenté l'attentat contre le dictateur.
Mais peu à peu, le réel et la fiction se mélangent et tous deviennent les héros d’un roman puissant qui nous fait revivre toutes ces années de dictature, mêlant les différentes strates du présent et du passé. La technique narrative de l’auteur est surprenante. Dans un même paragraphe, nous passons de la vision subjective du « je », - le personnage se raconte-, au « Il » du narrateur extérieur - le personnage est vu - ; de plus, les points de vue se multiplient, les uns et les autres sont observés et racontés par plusieurs personnages, amis, ennemis, victimes, bourreaux,  dressant une multiplicité de portraits et de récits qui submergent le lecteur  de sensations et d’émotions.
De même, à certains moments de la narration, le présent et le passé sont mis sur un seul plan et ont lieu en même temps. Ce procédé donne des scènes saisissantes, comme celles où Urania racontent à sa tante et à ses cousines pourquoi elle a fui Saint Domingue et où nous assistons à la fois à son récit au passé et à son déroulement dans le présent, ce  qui a pour effet de dédoubler la scène en lui donnant une force inouïe.
Le récit est donc puissant, en particulier lorsqu’il interroge sur le pouvoir. Comment expliquer la fascination exercée par le dictateur sur la collectivité et sur l’individu ? La peur ne suffit pas à expliquer cet amour, cette admiration, cette soumission au chef !  Urania dit qu’elle peut comprendre pourquoi le peuple se laisse berner, pris dans le culte de la personnalité, privé par son manque d’instruction d’un jugement clair, obnubilé par la propagande mensongère du gouvernement, coupé de la réalité par l’absence de médias. La Boétie au XVI siècle en arrivait  déjà à cette conclusion, entre autres  car lui aussi pensait que l'explication en était plus complexe :

Le Grand Turc s’est bien avisé de cela que les livres et la doctrine donnent plus que tout autre chose aus hommes, le sens de se reconnoistre, et d’hair la tirannie; j’entens qu’il n’a en ses terres gueres de gens scavants, ni n’en demande. (  De la servitude volontaire)

Mais comment ceux qui ont l’instruction, les classes sociales supérieures, instruites, éclairées, peuvent-ils perdre toute volonté, toute dignité, toute morale, pour complaire au despote ? se demande Urania. Il y a l’argent, l’intérêt, l’attrait du pouvoir, certes, mais encore quelque chose au-delà, qui touche au plus profond de la personnalité, quelque chose qui fait que l’on n'est rien sans le regard bienveillant du despote, que c'est lui qui vous fait exister !
Un grand roman, donc ! 

Et surtout, ne faites pas comme moi,  n’ayez pas peur de Mario Vargas Llosa !

Pérou : Mario Varga Llosa

Mario Vargas Llosa

Mario Varga Llosa est un écrivain péruvien naturalisé espagnol. Il est l’auteur de romans, de pièces de théâtre, de biographies et d’essais politiques. Il a reçu le prix Nobel de littérature en 2010.
Il a été un écrivain engagé toute sa vie, d’abord proche du communisme, il soutient Fidel Castro. Ensuite déçu par la révolution cubaine, il se tourne vers le libéralisme. En avril 2011, lors des élections présidentielles péruviennes, il appuie le vote du candidat nationaliste Ollanta Humala. En 1990, il se présente à la présidence de la république péruvienne à la tête d’une formation Le Front démocratique mais il perd, face à Alberto Fujimori qui dirigera le Pérou de 1990 à 2000. Plus tard il s’affirmera comme conservateur, ultra-libéraliste, selon ses détracteurs, soutenant les régimes de José María Aznar en Espagne et même de Silvio Berlusconi en Italie. (Wikipédia)

Quelques titres :
La ville et les chiens(1963) , La maison verte (1966), Conversation à la cathédrale(1969) , La tante Julia et le scribouillard( 1977), La guerre de la fin du monde (1982), Qui a tué Palomino Molero ?(1986), la fête au bouc (2000),