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mardi 26 juillet 2011

Kristin , Nach Fraülein Julie. Christine d'après mademoiselle Julie de Strindberg de Kathie Mitchell et Leo Warner


Avis de Claudialucia

J'ai vu Kristin dans le cadre du festival In, une pièce créée par le metteur en scène Katie Mitchell et le vidéaste Leo Warner avec les comédiens du Schaubühne Berlin d'après Mademoiselle Julie de Strindberg. Et disons le tout de suite, c'est une réussite tant au point de vue de la réalisation technique que de l'esthétique du spectacle et de l'émotion qu'il procure au spectateur.  Un spectacle qui combine étroitement deux arts, le théâtre et le cinéma, avec une  égale maîtrise. Un coup de coeur!

Rappelons l'intrigue de la pièce de Strindberg.
Pendant la nuit folle de la Saint-Jean qui lâche la bride aux maîtres comme aux serviteurs, mademoiselle Julie séduit son domestique et/ou  se laisse séduire par lui. Ils croient pouvoir bousculer les rapports de classes traditionnels, remettre en cause la hiérarchie sociale et s'imaginent s'enfuyant ensemble pour refaire leur vie au loin. Mais le lendemain de fête les ramène à eux-mêmes, chacun enfermé dans son rôle social et Julie se suicide.

Le serviteur, Jean, un jeune homme séduisant et ambitieux, beau parleur aussi, est fiancé à Christine, une servante qui joue un rôle secondaire dans la pièce.  Katie Mitchell et Leo Warner s'emparent de ce personnage pour imaginer ce que la servante a vu, compris ou saisi de l'aventure entre sa maîtresse et son fiancé et quels ont été ses sentiments. Il a donc fallu, en fait, réécrire une nouvelle pièce où Kristin devient le personnage central, tout en restant le plus proche possible de celle de Strindberg.

Grâce à un ingénieux dispositif scénique, le décor de la maison de Julie qui se transforme par des panneaux coulissants entre intérieur et extérieur, on peut se rendre compte que Kristin est à même de voir et d'entendre ce qui se passe dans les pièces où elle n'est pas. Il en de même pour l'extérieur qu'elle observe d'une fenêtre. Si bien qu'elle suit, et avec quelle douleur rentrée! l'idylle qui se noue entre les jeunes gens, sans jamais pouvoir exprimer sa révolte, son humiliation, son chagrin, elle, servante soumise au pouvoir de sa riche maîtresse comme à  celui de l'Homme, Jean, qu'elle sert avec dévouement.

En même temps que se déroule le drame au théâtre, celui-ci est filmé de près par plusieurs caméras qui suivent les comédiens. Le film se fait devant nous, projeté sur un écran au-dessus du décor, nous permettant d'assister à la représentation théâtrale et simultanément à la réalisation filmique! Un enrichissement certain pour le spectateur qui peut voir à la fois la scène de l'extérieur de la maison mais aussi de l'intérieur, dédoublement spatial absolument étonnant et qui nous éclaire sur les personnages. Grâce au film, le spectateur approche les comédiens de près, observe les gestes quotidiens de la servante qui confectionne un plat pour son fiancé, vaque à ses occupations, puis épie, traque avec obstination les amants. Par l'intermédiaire de  gros plans sur son visage transparaissent tous ses sentiments; son silence, car la servante parle peu est plein de douleur et de reproche.
Quant au film qui se réalise devant nous, il faut d'abord souligner l'exploit technique qu'il représente, plusieurs caméras filmant au pied levé Kristin mais aussi sa doublure, et les doublures  de ses mains, une Kristin démultipliée qui nous apparaît ainsi sous diverses facettes. Mais ce qui est saisissant, c'est la beauté du film, magnifié par de splendides éclairages, halos des lampes en cuivre qui crée des clairs-obscurs dignes d'un tableau de Rembrandt. Notons aussi la beauté du texte très poétique repris en allemand par une voix féminine puis masculine qui accompagne les images.

 Peu à peu, nous entrons dans la peau de la servante qui devient si proche de nous que nous sentons l'émotion nous gagner, nous sommes envahis par  la pesanteur  qu'elle éprouve et que rien ne semble pouvoir soulager.

Avis de Wens
 
Katie Mitchell a décidé d'adapter la pièce de Strinberg en se plaçant  le regard et l'écoute de Christine, la cuisinière que  Jean le valet délaisse pour la fille de la maison, Julie.
     Sur un vaste écran est projeté un film qui adopte le point de vue de Christine. Le spectateur  est invité à partager  son drame profond et intime, à plonger dans un univers étouffant et angoissant digne de Bergman. Pas un cri, mais simplement une attitude, un geste, un regard suffisent à trahir le désespoir et la souffrance intérieure de Christine. Magie du cinéma, on lit tous les sentiments sur le visage de l'actrice  grâce aux gros plans, ce qui habituellement est pratiquement impossible à voir
au théâtre, à moins d'occuper les premiers rangs.
    Mais sous l'écran, la pièce se joue, elle est filmée en direct. Jusqu'à cinq caméras en mouvement suivent les acteurs au plus près, captent leurs émotions. Le montage image s'effectue en direct avec une rigueur étonnante, tous les raccords sont exceptionnels d'une grande beauté : mouvements, gestes, regards…Ce montage nécessite plusieurs "Chistine" qui est alors doublée par d'autres actrices venant prêter, une partie de leur corps, leurs mains.
     Le mixage son est aussi réalisé en "live". Les quelques beaux dialogues sont enregistrés avec des niveaux sonores variables, parfois ils nous parviennent étouffés, perçus à travers une cloison ou le plancher de la chambre de Christine. En effet la perception des dialogues de Jean et Julie est subjective, nous entendons comme Christine en fonction de l'endroit où elle se trouve. Dans quelques scènes, apparaissent des voix off splendides, enregistrées par les comédiens présents sur la scène. La poignante musique originale pour violoncelle, jamais envahissante, de Paul Clark est interprétée devant nos yeux sur le plateau. Les bruitages sont réalisés aussi en direct. L'eau qui coule, le son des verres qui s'entrechoquent, le couteau qui s'enfonce dans un morceau de viande…tous ces simples bruits du quotidien  soulignent l'enfermement social  de Christine.
     Le décor est constitué de deux pièces fermées. L'une est censée être la chambre de la domestique, le spectateur dans la salle de théâtre ne voit pas l'intérieur, il ne le verra qu'à travers l'objectif d'une caméra présente dans la chambre. Christine, très prude, enlève son corsage à l'abri des regards ; nous partageons son domaine intime où sur un mur figure en bonne place un crucifix qui souligne le caractère très religieux du personnage. La seconde pièce est la cuisine, l'intérieur n'est visible pour le spectateur que par quelques fenêtres. C'est le lieu de travail de la cuisinière, toute irruption de Jean ou de Julie dans cet espace brise l'équilibre social et moral, brise les conventions. Un couloir relie la chambre et la cuisine. Sur ce sombre corridor s'ouvrent de nombreuses portes que Christine souvent ne fait qu'entrouvrir. A travers l'entrebâillement, elle observe, écoute… parce que dans les dialogues entre Julie et Jean se joue son destin. Deux cloisons mobiles transforment la disposition du décor, et permettent de donner l'impression d'une vaste demeure, l'illusion est telle que nous en arrivons à penser que les chambres sont situées à l'étage alors que tout le décor est de plein pied. La maison n'est pas un lieu clos, elle est  ouverte sur une grande rue animée, comme le montre des ombres de passants marchant devant les fenêtres. Une porte s'ouvre : des cris de joie de la fête de la Saint-Jean ou le chant d'un oiseau, la lumière du soleil pénètrent dans le lieu du drame en un terrible contrepoint.
Rarement le théâtre peut nous offrir un tel moment de bonheur, quand le plaisir de l'esprit rejoint le plaisir des sens.

George Sand, la Petite Fadette


De qui est-ce? Ce petit jeu de l'été a été initié par  Mango et repris à sa demande dans mon blog.
Ce jeu de qui est-ce? - juste pour le fun- consiste tout simplement à retrouver l'auteur et le titre du roman célèbre dont je présente un extrait. Vous pouvez donner vos réponses par mail (que vous trouverez dans mon profil) ou me laisser des indices dans les commentaires sans révéler l'auteur, indices qui me permettront de savoir si vous avez vu juste et d'aider ceux qui ne savent pas.

Nouvelle énigme

Un écrivain contemporain que vous reconnaîtrez peut-être à son style si caractéristique :

L'enfance est longue, longue, longue. Après vient l'âge adulte qui dure une seconde et la seconde suivante la mort éclate, ruisselle.


Les enfants en bas âge prennent toutes les forces de ceux qui s'occupent d'eux et, en un millième de seconde, par la grâce d'un mot ou d'un rire, ils donnent infiniment plus que tout ce qu'ils avaient pris.

"Infiniment plus que tout" : c'est le nom enfantin de l'amour, son petit nom, son nom secret.



Réponse à l'énigme



Aifelle, Gwen, Lystig , Mango, Wens  ont trouvé! Bravo!

Il s'agit de La Petite Fadette de George Sand (j'ai pensé à George et à mon challenge en choisissant le texte).  Le passage choisi montre Landry en train de traverser la rivière dans la nuit. Mais trompé par un feu follet il échappe à la noyade en gardant son sang froid. A l'époque dans les superstitions berrichonnes, le feu follet est considéré comme un esprit malfaisant, lié au diable.

Il fit bien de s'arrêter, car le trou se creusait toujours, et il en avait jusqu'aux épaules. L'eau était froide, et il resta un moment à se demander s'il reviendrait sur ses pas; car la lumière lui paraissait avoir changé de place, et mêmement il la vit remuer, courir, sautiller, repasser d''un rive à l'autre, et finalement se montrer double en se mirant dans l'eau, où elle se tenait comme un oiseau qui se balance sur ses ailes, et en faisant entendre un petit bruit de grésillement comme ferait une pétrole de résine.
Cette (..) il eut peur et faillit perdre la tête, et il avait ouï dire qu'il n'y a rien de plus abusif et de plus méchant que ce feu-là; qu'il se faisait un jeu d'égarer ceux qui le regardent et le les conduire au plus creux des eaux, tout en riant à sa manière et en se moquant de leur angoisse.
(..) Il ferma les yeux pour ne point le voir, et se retournant vivement, à tout risque, il sortit du trou, et se retrouva au rivage. Il se jeta alors sur l'herbe, et regarda le follet qui poursuivait sa danse et son rire. c'était vraiment une vilaine chose à voir.
  

La petite Fadette est une lecture de mon enfance et je peux bien dire que je l'ai lu et relu alors et adoré!

Deux jumeaux, Landry et Sylvinet, des bessons- comme on dit dans le Berry- vivent dans une famille de fermiers aisés, les Barbeau. Ils sont très attachés l'un à l'autre, trop peut-être; surtout de la part de Sylvinet, plus fragile et plus doux que son frère. A leur naissance la sage femme avait prévenu :  Enfin empêchez-les par tous les moyens que vous pourrez imaginer de se confondre l'un à l'autre et de s'accoutumer à ne pas se passer l'un de l'autre.  Ce qui n'a pas été fait. Aussi quand Landry doit aller travailler à la ferme des voisins, Sylvinet ne supporte pas la séparation et s'enfuit. Landry le recherche et le retrouve grâce à la petite Fadette, une jeune paysanne, Françoise Fadet. En récompense et malgré sa mauvaise réputation, La Fadette obtient de Landry qu'il la fasse danser au bal du village. Orpheline pauvre, élevée par sa grand mère qui a le secret des plantes, elle a une tenue négligée voire misérable, des manières de sauvageonne qui font qu'elle est considérée comme une sorcière. Landry n'est pas très heureux de faire danser ce laideron au lieu de la belle Madelon qu'il courtise. Mais il tient sa promesse. Peu à peu il va découvrir La petite Fadette que l'amour transforme en charmante jeune fille paisible et sage. Landry finira par l'épouser après avoir surmonté bien des obstacles. Sylvinet, lui aussi amoureux de la jeune femme, s'engage par désespoir dans l'armée napoléonienne où il obtient le grade de capitaine, réussite sociale pour une famille de paysan, mais il ne guérira jamais de son amour.

Ce roman a beaucoup de charme et celui-ci tient, bien sûr, aux personnages avec qui l'on peut aisément s'identifier et surtout, pour moi, avec la Fadette, le "Grelet". Quand j'étais enfant j'étais de tout coeur avec la petite Fadette rejetée par tout le village, tellement rabrouée qu'elle répondait aux insultes par la méchanceté et la raillerie. Et, bien sûr, j'adorais l'histoire d'amour! Plus tard, j'ai pris conscience que ce n'est pas en jouant sur les ressorts de la compassion ou du misérabilisme que George Sand nous la fait aimer. La petite Fadette a une force de caractère qui lui fait tenir tête à ceux qui l'offensent, une fierté qui empêche qu'on la prenne en pitié et sous sa rude apparence une bonté véritable.. Peut-être faut-il regretter qu'elle devienne plus conventionnelle en rejoignant la "bonne" société? Mais ce sont des questions que j'étais loin de me poser dans mon enfance et je continue à trouver le personnage attachant de même que celui de Landry.

Enfin même si beaucoup de personnes n'apprécient pas les romans dits "champêtres" de George Sand,  personnellement, j'ai toujours été sensible à la description -parfois un peu désuète (mais j'adore)- qui en émane. Le tableau des paysans que Sand aimait tant, des us et coutumes, des croyances et superstitions, dans le Berry du XIX ème siècle est passionnant..

 Challenge de George Sand par George