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vendredi 21 février 2025

Connie Willis : Le Grand Livre


 

Vous aimez l’Histoire avec un grand H ? Vous aimez le Moyen-âge? Vous aimez l’aventure et l’extraordinaire ? Vous souhaitez voyager dans le Temps, vivre dans le futur ou dans le passé ? Alors ce livre est pour vous : Le Grand Livre de Connie Willis.

Nous sommes en 2054. Kivrin est étudiante en histoire à l’université d’Oxford et va être expédiée à l’époque médiévale par le directeur du laboratoire de Recherche, Mr Gilchrist, qui n’hésite pas à risquer la vie de son étudiante dans un tel voyage pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et ceci, contre l’avis de James Dunworthy, chargé de l’organisation des voyages temporels. Pour lui, le Moyen-Âge est une période trop élevée sur l’échelle des risques et Kivrin lui paraît trop fragile :« Une fille qui mesurait moins d’un mètre cinquante, aux cheveux blonds tressés en nattes. Elle ne semblait même pas assez âgée pour pouvoir traverser une rue toute seule ». Mais elle souhaite ardemment partir et Dunworthy ne peut s’opposer à Gilchrist. Et puis, après tout, le XXI siècle n’est-il pas dangereux, lui aussi ?

«  Au Moyen-Âge, au moins, on ne risquait-on pas de recevoir une bombe sur la tête. »

Krivin a bien été préparée et partira le 22 décembre 2054 dans l’Oxfordshire du 14 au 28 décembre 1320. Le 28 décembre, elle retrouvera la porte temporelle à l’endroit où celle-ci l’a déposée.
Le docteur Mary Arhens lui a fait toutes sortes de vaccins, choléra, peste, typhoïde... Elle a aussi renforcé son système immunitaire même si l'on sait sait que la grande peste, la Mort Noire qui a d’abord touché l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, avant de ravager la population européenne, n’arrivera en Angleterre qu’en 1348. Badri, l’ingénieur chargé de la machine à voyager dans le temps, est très compétent. Et le départ a lieu malgré les inquiétudes de James Dunworthy.



Mais…  dans la ville du XXI siècle qui se prépare à fêter Noël se déclare alors une épidémie liée à un virus inconnu. Krivin, elle se retrouve au Moyen-âge, est recueillie par une famille noble mais une erreur de calcul la plonge en pleine épidémie de peste en 1348. Le roman se déroule donc en alternance sur les deux périodes. 


Breughel l'Ancien : le triomphe de la Mort


Au Moyen-âge, nous faisons connaissance du père Roche, de dame Eliwys, épouse de sir Guillaume, et de leurs filles, Rosemonde (12 ans) Agnès ( 5 ans). Kivrin doit affronter la peste, soigner les pestiférés, sans savoir si elle pourra revenir dans le présent. Parviendra-t-elle à sauver Rosamonde et Agnès ? Retrouvera-t-elle son époque ? Elle va prouver qu'elle est capable de "traverser la rue toute seule" !  La description de la peste est cauchemardesque et nous immerge dans une époque terrifiante. Le XIV siècle est, en effet, ressuscité avec ses superstitions, ses ignorances et ses peurs, sa vie religieuse, ses croyances à la sorcellerie, avec le manque d’hygiène et la misère, la puanteur, la maladie, avec la mort omniprésente….  


Panneau de la chapelle de Lanslevillard (XVe siècle), en Savoie, La peste noire de 1348

Au XXI siècle malgré l’épidémie et les progrès de la médecine, la pandémie fait rage. James Dunworthy se dévoue pour lutter contre la maladie, pour essayer de sauver Kivrin perdue dans l'époque médiévale,  et pour s'occuper de Colin Templer (12 ans), petit-neveu du docteur Arhens, personnage attachant. Colin et l’étudiant William Meager, ce dernier bourreau des coeurs, doté d’une mère abusive et bigote, apportent une touche de fraîcheur et de dérision au récit. Par exemple, lorsque madame Meager pour réconforter les malades leur lit des pages de l’Ancien Testament !  

« A son réveil, Mme Meager se dressait au-dessus de lui, bible au poing.
-Il vous enverra maux et afflictions, entonna- t-elle dès qu’elle le vit ouvrir les yeux. Et toutes les maladies et toutes les fièvres jusqu’à votre destruction. »
« - je constate que madame Meager ne ménage toujours pas ses efforts pour remonter le moral des troupes. Je présume que le virus prendra bien soin de l’éviter. »
 

Malgré la situation dramatique, à la recherche des origines du virus et d’un vaccin, certaines situations nous font rire !

Un livre addictif qui mêle aventures palpitantes, tragiques, et humour bienvenu, nous amène très loin dans l’imaginaire. A lire absolument si vous aimez ce genre de lecture ! Moi, j’aime et je pense que je lirai d’autres livres de Connie Willis ! Le livre a été récompensé par quatre prix. 


Les pavés de l'hiver chez Moka (702 pages)




vendredi 31 janvier 2025

Todd Strasser : La Vague et Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher...

 

 EN MEMOIRE  :

 Pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la libération d'Auschwitz.

La Vague de Todd Stasser est un roman paru en 1981 adapté d’un téléfilm d’après l’expérience bien réelle menée dans une classe de terminale à l’école de Cubberley à Palo Alto en Californie par un professeur d’Histoire en 1969. En 2008 sortit aussi un film portant le même titre de Dennis Gansel en Allemagne.

Selon le professeur  qui a raconté l’expérience: « Il s’agit de l’évènement le plus  effrayant que j’aie jamais vécue en une salle de classe, »

Ben Ross le professeur charismatique d'un lycée enseigne la seconde guerre mondiale à ses élèves et leur présente un film sur les camps de concentration. Les élèves, bouleversés par les images, s’étonnent qu’aucun allemand n’ait réagi et que tous aient suivi Hitler, adhéré à ses idées.

« Comment  les Allemands ont-ils pu laisser des millions d’êtres humains innocents se faire assassiner? »*

Ben Ross les invite à une expérience :  dans un premier temps il les fait « jouer » à observer une discipline stricte puis à répéter les trois slogans :  La Force par la discipline, la Force par la communauté, la Force par l’action. Il en profite d’ailleurs pour leur faire apprendre leurs leçons ! Au début, les jeunes gens  s’amusent mais peu à peu ils se piquent au jeu et ceci d’autant plus qu’une énergie nouvelle les anime, un sentiment de force, de pouvoir, une solidarité inédite naît entre eux de cette expérience.

« Les élèves sentaient une nouvelle fois monter en eux l’impression de puissance et d’unité qui les avait envahis la veille » « 

Bientôt, le professeur leur fait adopter un logo, une vague, et un geste qui ressemble à celui exécuté par Musk pendant la cérémonie d’investiture de Trump.

"Rappelez-vous, au sein de la Vague, vous êtes tous égaux. Personne n’est plus important ou plus populaire que les autres, et personne ne doit se sentir exclu du groupe."

Robert, l'un des élèves, souffre-douleur de la classe est l’un des plus enthousiastes dès le début. Désormais il fait partie du groupe car tous sont solidaires.  Serait-ce un des effets positifs de cet engouement ?

"Si tu étudies les personnes qui rejoignent les sectes, tu verras qu’il s’agit presque toujours de gens mal dans leur peau et dans leur vie. Pour eux, la secte est une façon de changer, de recommencer à zéro, comme une renaissance ".

Mais tous les adhérents de la Vague ne sont pas des exclus, loin de là :  L’équipe de foot, les élèves des autres classes viennent rejoindre le groupe, des cartes de membre sont distribués, portant le logo de ralliement.

« La Vague n’était plus une simple idée, ni même un jeu. Mais un mouvement qui avait pris corps grâce à ses élèves. C’étaient eux la Vague, et Ben comprit qu’ils pouvaient agir seuls, sans lui, s’ils le voulaient. »

Et bientôt il y un glissement vers l’intolérance. Ceux qui ne veulent pas adhérer à la Vague sont rejetés,  harcelés par les autres et même frappés. Laurie et David ainsi que les membres de la rédaction du journal  du lycée cherchent pourtant à résister et vont avertir le professeur que le mouvement prend de l’ampleur et risque de conduire au désastre.

"Ben commençait à comprendre à quel point sa « petite expérience » s’avérait bien plus sérieuse que ce qu’il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une  confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter une seconde - ce constat l’effrayait. Si le destin des hommes était de suivre un chef, raison de plus pour que les élèves retiennent cette leçon : Il faut toujours tout remettre en question, ne jamais faire confiance aveuglément à quelqu’un. Autrement…"

 Lui-même s’est laissé prendre un moment à ce jeu, il est si agréable d’être écouté, respecté, obéi, d’avoir un tel pouvoir sur ses élèves … mais c’est au détriment de la liberté individuelle et de la réflexion. Il lui faut alors tout arrêter et faire comprendre la leçon aux enfants.

Vous aurez appris que nous sommes tous responsables de nos propres actes et que nous devons toujours réfléchir sur ce que nous faisons plutôt que de suivre un chef aveuglément; et pour le restant de vos jours, jamais au grand jamais, vous ne permettrez à un groupe de vous dépossédez de vos libertés individuelles ».

 La vague est  un témoignage romancé à partir des écrits du professeur et du téléfilm. Ce n'est pas un grand texte littéraire mais une démonstration. Il est simple à lire et je pense qu'il constituerait une bonne base de lecture pour des élèves de 4 ième et 3 ième d'autant plus qu'il parle de l'univers scolaire. Pour ceux de la seconde à la terminale les oeuvres de Jorge Semprun, Primo Levi, sur ce sujet, sont évidemment plus complexes et plus littéraires.

La mort est mon métier de Robert Merle est aussi un livre riche et passionnant qui vient corroborer la démonstration de La Vague

"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon ! mais c'est le Mal !"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.

 https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/06/gitta-sereny-au-fon-des-tenebres-un.html

 

 

Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher ...

 

Martin Niemöller


* J'espère que le professeur d’histoire a tout de même expliqué à ses élèves qu’il y a  eu des opposants au régime hitlérien et que ce sont eux, qui, dans les années 1930, ont été envoyés les premiers dans les camps de concentration. C’est d’ailleurs ce que nous dit le texte du pasteur de l’église protestante, Martin Niemöller.
"Martin Niemöller passa 8 ans en camp de concentration sur ordre de Hitler auquel il s'était opposé à partir de 1934. Ancien officier nationaliste de sous-marin allemand durant la Grande Guerre, devenu pasteur par refus de tuer des innocents, il est au début attiré par les thèses du parti nazi mais réalise très vite la perversion du national-socialisme et organise, avec Dietrich Bonhöffer, la dissidence anti-régime et la résistance d'une partie de l'église allemande. Arrêté en 1937 et enfermé à Sachshausen puis Dachau, il sera libéré par les Américains en avril 1945." (wikipédia)


Quand ils sont venus chercher les communistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas communiste.


Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas syndicaliste.


Quand il sont venus chercher les sociaux-démocrates, 

je n'ai rien dit,

 je n'étais pas social-démocrate.

 

Quand ils sont venus chercher les Juifs, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas juif.
 

Puis, quand ils sont venus me chercher, 

il ne restait plus personne

 pour protester.

 

mardi 21 janvier 2025

Sarah Penner : La petite boutique aux poisons

 

 

La petite boutique aux poisons de Sarah Penner. Voilà le genre de lecture facile destinée aux esprits fatigués et qui ont envie de se divertir avec ce polar historique. Divertir ? Ouep ! En un  sens … mais je conseille tout de même à ces messieurs de se méfier ! Car nous allons rencontrer une empoisonneuse Nella  bientôt secondée par une admiratrice et disciple Eliza (12 ans). Une femme bien sous tout rapports puisque sa loi n° 1 est de ne jamais s’attaquer aux femmes et d’aider celles-ci à se débarrasser des maris gênants, croqueurs de dot,  infidèles, violents, désagréables ! Bref ! Une entreprise qui travaille pour le bien public et féminin ! Nous sommes en 1791 dans l'arrière-boutique obscure d’un quartier de Londres non moins obscur en train de manipuler de mystérieuses fioles gravées d’un écusson représentant un ours et avis aux maris ! Tenez-vous bien !

De nos jours, à Londres, Caroline venue des Etats-Unis est désemparée. Elle et son mari s’apprêtaient à faire ce voyage pour célébrer leur anniversaire de mariage lorsque Caroline apprend qu’il lui est infidèle. Elle part seule et se retrouve dans la capitale sans grande envie de visiter la ville, trop malheureuse pour cela. C’est le moment de faire le point et de s’apercevoir qu’elle a sacrifié tout ce qui était important pour elle en se mariant !
C’est alors qu’un homme l’aborde pour lui proposer une séance de mudlarking dans les boues de la Tamise à marée basse :
« Il fut un temps où les fouilleurs qu'on appelle mudlarks, récoltaient les pièces, des bijoux, des céramiques, pour ensuite les vendre. C'est de ça que parlent les romans de l'époque victorienne. Les gamins des rues récupéraient ce qu'ils pouvaient pour essayer d'acheter un bout de pain. Mais aujourd'hui, nous ne sommes là que pour le plaisir. Vous pouvez conserver ce que vous trouvez, c'est la règle.

Et Caroline trouve… devinez ? Et oui, une fiole avec un petit ours gravé. Dès lors elle mène une enquête qui lui permet de remonter dans le temps sur les traces de l’empoisonneuse et de découvrir son histoire. Je ne vous en dis pas plus si ce n’est que, non, Caroline n’empoisonnera pas son mari, il est assez bête pour s’empoisonner tout seul !

Un livre agréable  et divertissant  qu’il ne faut pas prendre trop au sérieux ! 

dimanche 20 octobre 2024

Stephen King : La ligne verte

 

 

Stephen King ayant fait quelques apparitions dans les blogs, j’ai eu envie moi aussi de lire un de ses livres et les hasards de la médiathèque ont fait que je suis tombée sur La ligne verte

La ligne verte se passe dans les années 1930 dans un pénitencier situé à Cold Mountain en Caroline du Nord.  Paul Edgecombe est gardien en chef du bloc des condamnés à mort. La couleur verte du lino, dans le couloir qui conduit à la chaise électrique donne son titre au roman :  La ligne verte, la ligne ultime, en quelque sorte. 

"J’ai présidé à soixante dix-huit exécutions pendant tout le temps où j’ai servi à Cold Mountain (un chiffre sur lequel ma mémoire n’a jamais hésité; je m’en souviendrai sur mon lit de mort), et je peux affirmer que la plupart des hommes prenaient conscience jusqu’à la moelle de ce qui les attendait, sitôt qu’on leur  sanglait les chevilles aux pieds en chêne massif de Miss Cent Mille Volts. (…)
C’est d’abord par les chevilles que les clients de ville prenaient connaissance de leur mort. Ils disaient leurs dernières paroles, des phrases souvent bizarres, incohérentes puis on leur passait une cagoule en soie noire sur la tête. Cette cagoule, c’était soi-disant pour leur confort, mais j’ai toujours pensé que c’était pour le nôtre. Pour nous épargner leur dernier regard. Cette insoutenable expression de désespoir à l’idée qu’ils allaient mourir attachés à cette chaise."


Ils sont cinq gardes au bloc à s’occuper des prisonniers, à les accompagner dans leurs derniers instants, à veiller que tout se passe bien, sans heurts, sans panique, aussi bien pour leur propre santé mentale que pour celle des condamnés qui doivent mourir le plus vite, le « mieux » possible. On verra ce que cela donne quand cela se passe mal !  Paul Edgecombe n’est pas contre la peine de mort mais ce n’est pas un sadique à la différence d’un de ses jeunes collègues Percy Wetmore.
Mais tout va changer pour lui à l’arrivée de John Caffey, un noir d’une taille colossale accusé du meurtre de deux fillettes.
 

 Stephen King est contre la peine de mort, à n’en pas douter et le lecteur qui lit son livre sera vite convaincu de l’inhumanité de ce meurtre autorisé, même les parents remplis de haine contre les criminels qui ont tué leurs enfants en ressortent malades.
On ne sort pas indemne de cette incursion dans ce système pénitencier tant l'écrivain nous bouscule. Si la peine de mort est au centre du récit, le racisme l’est aussi, qui règne dans cet état du sud à l’encontre des noirs et le style de King est efficace, direct, puissant et visuel. C’est vraiment un très bon écrivain. Il a aussi un don pour créer des personnages complexes, les faire vivre, nous amener à nous intéresser à  eux, prisonniers et gardiens.
J’ai, par contre, beaucoup moins aimé l’aspect fantastique du récit qui vient rompre le réalisme sans concession du récit et l’affaiblit.

Paul Edgecombe lui-même est le narrateur, âgé. En 1995, il finit sa vie dans une maison de retraite et écrit ses mémoires qui commencent à l’arrivée de John Caffey agissant comme un révélateur. Cette mise en abyme, roman dans le roman, apporte un éclairage riche et subtil au récit, car à l’image du pénitencier et de sa ligne verte qui mène à la mort, répond, comme dans un miroir, l’image de la maison de retraite, symbole de la condition humaine, qui a, elle aussi, son gardien sadique et sa ligne verte, Paul Edgecombe sachant très bien qu’il n’en sera délivré que par la mort.

vendredi 31 mai 2024

Andy Weir : Seul sur Mars

 

 

Quand j’ai lu Seul sur Mars d'Andy Weir pour répondre au challenge sur la planète rouge initié par Taloi du ciné, je ne savais pas à quoi m’attendre.  Depuis, j’ai appris que le livre a été adapté au cinéma avec Matt Damon en 2015 et qu’il a fait couler beaucoup d’encre notamment en ce qui concerne l’aspect scientifique du récit. Finalement pour  répondre une fois pour toutes à cette question, ce roman de science-fiction (nous sommes en 2035)  a été jugé comme un bon exemple de vulgarisation scientifique et technologique même si des spécialistes de la NASA ont relevé quelques erreurs scientifiques. ICI


Le film : seul sur mars


Mark Watney, blessé lors d’une tempête et perdu dans les sables, est laissé pour mort sur la surface de Mars par le reste de l’équipage obligé de quitter la planète en urgence. Quand il se réveille, il s’aperçoit qu’il est seul et doit organiser sa survie.
Génial ! Une Robinsonnade ! Moi qui ai toujours aimé les récits de naufragés sur des îles désertes, voilà que je me retrouve face à un Robinson sur Mars ! Oui, mais survivre sur Mars est bien plus difficile que survivre sur terre même dans des conditions extrêmes comme celles des survivants du Wager ! Rien ne vit, il ne pousse rien là-bas, il n’y a pas d’eau, pas d’oxygène, pas de pression. Heureusement, Mark bénéficie d’un habitat pressurisé, d’instruments de précision, de deux rovers, d’une combinaison spatiale pour ses sorties. Il en a même plusieurs laissées par ses coéquipiers ! De même, il  a de la nourriture lyophilisée qui va lui permettre de vivre quelque temps mais certainement pas assez pour attendre la prochaine mission sur Mars. Qu’à cela ne tienne Mark possède une double casquette, il est botaniste et ingénieur en mécanique. Nous allons voir comment il parvient à cultiver des pommes de terre salvatrices, à fabriquer de l’eau en recyclant son urine et à réparer toutes sortes de pannes car les difficultés et les coups durs s’enchaînent. Bref! le suspense le plus total dans cette lutte pour la vie ! 

 "Je ne veux pas paraître prétentieux mais je suis le meilleur botaniste de la planète".

"Des patates martiennes cent pour cent bio. On n'en trouve pas dans tous les supermarchés, hein ?

Tout ceci s’accompagne de tant de calculs que je me crois retrouver dans mon passé face à mes profs de mathématiques machiavéliques et à leurs savantes tortures (de triste mémoire), les bons vieux problèmes de baignoire qui fuit ou équivalent  :  « Il me faut créer des calories. Suffisamment pour durer les mille trois cent quatre-vingt-sept sols qui me séparent de l’arrivée d’Arès 4. Un sol durant trente-neuf minutes de plus qu’une journée, cela nous donne mille quatre cent vingt-cinq jours. Voilà mon objectif : mille quatre cent vingt-cinq jours de nourriture… j’ai besoin de mille cinq cents calories par jour et je dispose de quatre cents jours de nourriture pour commencer. Combien de calories dois-je donc produire par jour pendant cette période… »
Oui, oui, je vous assure, c’est ce qu’il écrit, il a osé ! Heureusement, il ajoute « Je vous épargnerai les calculs ». Oh! merci, merci ! Magnanime Andy Weir ! C’est sûr qu’un prof de maths ne l’aurait pas fait ! A ce moment-là, et même si je lui suis reconnaissante, j’hésite à poursuivre ma lecture et je cherche qui est l’auteur :   "Andy Weir, son auteur, a été engagé comme programmateur informatique par un laboratoire américain à l’âge de 15 ans. Il n’a cessé de travailler dans l’informatique depuis. Par ailleurs il nourrit une passion pour l’espace et l’histoire des vols habités ."

Ciel ! c’est bien ma chance ! Un surdoué mais ni littéraire, ni poète, non ! Ici, pas de belles descriptions de la planète Mars, ou plutôt quand il y en a une, elle s’accompagne d’un explication scientifique : « La célèbre couleur rouge de mars vient de l’oxyde de fer qui couvre tout. Ce n’est donc pas un désert ordinaire; c’est un désert si vieux qu’il rouille. »
Pas d’analyse psychologique du personnage, de ses sentiments, de ses angoisses métaphysiques ou pas ! Et s’il y en a une, cela donne : « Je ne m’étais jamais rendu compte du silence qui régnait sur Mars. C’est un monde désert à l’atmosphère trop fine pour transporter les bruits. J’entendais battre mon coeur ( Pas mal non ? mais la suite …). Bon, trêve de digressions philosophiques . »

Mais au milieu de ce déluge de chiffres, voilà que Mark parvient à établir un contact avec la terre et voilà qui relance l’action ! Alors je le lis et entre calculs, problèmes de physique, de chimie, accidents, réparations en tout genre avec tous les détails ( de quoi me faire engager à la NASA)  et humour potache, force est de reconnaître que j’ai eu envie de savoir si le naufragé va s’en sortir et comment ! Finalement, je dois avouer que je me suis prise au jeu et que je suis allée jusqu’au bout et que j’y ai même pris un certain plaisir !

 


PS : Je me demande bien pourquoi il le classe dans Thrillers ? Il s'agit d'un f livre de science-fiction et d'aventure tout simplement.

mercredi 29 mai 2024

Herman Melville : Billy Budd

 

Billy Budd est une jeune marin de vingt et un ans, dont la beauté attire l’attention. Ses camarades l’ont surnommé « le Beau Marin » ou encore « Bébé Budd ». Il est embauché d’abord dans la marine marchande où sa bonne humeur et sa belle mine lui attirent toutes les sympathies. Par la suite, il est enrôlé de force dans la marine de guerre sur le bateau le Bellipotent comme l’était grand nombre de jeunes gens à cette époque.

Gabier de misaine, Billy s’efforce d’accepter le changement qui vient d’intervenir dans sa vie sans protester et d’accomplir son travail correctement. Mais il va se heurter à la malveillance affichée du capitaine d’armes, John Claggart. Celui-ci n’a aucune raison d’en vouloir à Billy, et, nous dit Melville, ces sentiments ne sont pas rationnels mais liés à « une dépravation relevant de la nature. »  En fait, « la raison première de sa haine pour Billy, à savoir la remarquable beauté de ce personnage » semble être l’unique motivation de sa conduite.

L’homosexualité refoulée de Claggart qui nie son attirance pour le Beau Marin, prisonnier de sa conception de la virilité et des préjugés de l’époque, est précisée explicitement par ailleurs. Elle fait écho à l’homosexualité de Melville interdite par son éducation puritaine mais qui apparaît dans chacun de ses romans.

« Claggart apparaissait alors comme l’homme de douleurs. Oui, et parfois l’expression mélancolique se nuançait de tendre nostalgie, comme si Claggart aurait pu aimer Billy n’eut été l’interdit du destin ».

Claggart ne peut lutter contre cet amour qu’il juge coupable et qui le mettrait au ban de la société, qu’en cherchant à le nier et à en supprimer l’objet. Claggart est le Mal, le jeune homme représente le Bien, sa jeunesse se pare d’une innocence presque enfantine qui ne lui permet pas de discerner le Mal. Il est donc la victime toute désignée. Son seul défaut est un bégaiement qui l’affecte au cours d’une trop grande émotion. Aussi lorsque Claggart l’accuse injustement de fomenter une mutinerie devant le capitaine Edward Fairfax Vere, ne pouvant se défendre et exprimer son innocence, Billy frappe Claggart de son poing et le tue.

Le contexte historique a une grande importance dans le récit et d'ailleurs Melville y consacre plusieurs chapitres s'étendant, en particulier, sur  le mode de recrutement des marins et sur l'enrôlement forcé. Le drame se déroule au moment de la révolution française pendant l’été de 1797. Les marins anglais, cette année là, déclenchèrent une série de mutineries qui furent sévèrement réprimées. Pourtant le mécontentement couve toujours et les officiers sont à cran. C’est ce qui explique que le sort de Billy Budd accusé de meurtre, même si l’on reconnaît son innocence au sujet de la mutinerie, soit fixé d’avance. Le capitaine Vere, partisan de l’ordre et de la discipline militaire, le condamne à  la pendaison et il est exécuté dès le lever du soleil.
 
 Il y a quelque chose de christique dans la mort du Beau Marin. En mourant, alors qu’il est innocent, ce sont les péchés collectifs qu’il expie et non sa propre faute et, de même que le Christ, il meurt en pardonnant à celui qui l’a condamné : « Que Dieu bénisse le capitaine Vere !», hissé sur la grande vergue, dans une symbolique de la lumière qui l’auréole et le transfigure :

« au même instant le hasard voulut que la toison vaporeuse suspendue bas à l’orient s’imprégnât d’une douce et glorieuse lumière, comme dans une vision mystique la toison de l’Agneau de Dieu, tandis que simultanément, suivi du regard par la masse compacte de visages torturés vers le haut, Billy s’élevait; et, s’élevant recevait en plein le rose de l’aube. »

On pourrait penser que la nouvelle, se terminant par le pardon et cette image du Christ, est finalement optimiste malgré le tragique du propos. C’est ce que je pensais, notant que le calviniste Melville semble dire que son héros est sauvé malgré sa prédestination au malheur, puisqu’il reçoit la promesse de l’aube, condamné par les hommes mais reçu par Dieu.  

Mais dans la préface, le traducteur Daniel Orme explique que de nombreux critiques s'interrogent sur le sens de cette nouvelle. Certains considèrent  le récit de Melville comme une parodie ironique et que c'est ainsi qu'il faudrait prendre la dernière phrase de Billy Budd, "Que Dieu bénisse le capitaine Vere".  La nouvelle témoignerait alors du rejet de la loi militaire qui n'hésite pas à sacrifier un innocent et d'une condamnation sans appel du capitaine Verre. Daniel Orme pense que c'est aller trop loin dans  l'interprétation de la pensée de Melville, petit-fils du Major Thomas Melville, qui n'a jamais cessé de respecter l'ordre militaire.
 
Pourtant, Rictor Norton va beaucoup plus loin dans son étude : "Herman Melville", Gay History and Literature, 9 janvier 2000. 

Il analyse l’entretien « secret » qui a lieu entre Billy Budd et le capitaine Vere avant la pendaison, l’auteur pose cette question : « Que s’est-il passé dans le placard du capitaine Vere ? » et il conclut  :

"Cela se termine par le triomphe stérile de l’autorépression. Le « Que Dieu bénisse le capitaine Vere » de Billy est plein de l'ironie la plus amère. Au moment où il prononce cette bénédiction, à laquelle fait écho l'équipage du navire, "le capitaine Vere, soit par maîtrise de soi stoïque, soit par une sorte de paralysie momentanée provoquée par un choc émotionnel, se tenait droit, rigide comme un mousquet, dans le râtelier de l'armure du navire". - c'est-à-dire : il devient un pénis en érection. La bénédiction et l'exécution sont suivies d'un très court chapitre intitulé "Une digression", dans lequel le commissaire de bord et le chirurgien ne parviennent pas à expliquer l'étrange absence du "spasme musculaire" dans le corps pendu de Billy, un "spasme" qui est " plus ou moins invariable dans ces cas-là. ». On se demande combien de lecteurs de Melville se rendent compte que ce dont il est question est de l'orgasme et de l'éjaculation qui se produisent habituellement lorsqu'un homme est pendu - une des raisons pour lesquelles les réformateurs estimaient que les pendaisons publiques étaient obscènes."

Billy Bud nous dit-on est l'une de des nouvelles les plus discutées, les plus controversées de Melville. Les interprétations qui en ont été données sont souvent complexes et contradictoires.

A vous de vous faire une idée en la lisant ! 




LC avec Keisha

Autre LC sur Melville prévu avec Fanja à une date non arrêtée


mardi 30 avril 2024

Lectures communes : Les dates

 

R. Van der Weyden

 

 Marcel Proust


 

 LC :  PROUST Du côté de chez Swann 

 pour le 15 MAI  Miriam Claudialucia

 

LC  : PROUST  les jeunes filles en fleurs 

 pour le 3 JUILLET  Miriam Claudialucia


LC : PROUST  Le côté de Guermandes

 Pour le 3 SEPTEMBRE Miriam Claudialucia

 

Voir les billets déjà parus  le jeudi avec Marcel Proust ICI 


Céleste Albaret

Céleste Albaret : Monsieur Proust


LC :  Monsieur Proust souvenirs de Céleste Albaret  OU/ET Céleste Bien sûr Monsieur Proust de Chloé Cruchaudet BD 1 et 2  On peut choisir de lire l'un ou l'autre ou les deux.  

Pour le 11 MAI : Fanja   claudialucia
 

Maryse Condé

 

LC  : Maryse Conde Titre au choix

POUR LE 20 Mai Aifelle Miriam claudialucia

 

Herman Melville

LC  : Herman Melville Billy Budd

pour le 29 Mai Fanja ( avec Moby Dick) claudialucia
 

lundi 29 avril 2024

Nathaniel Ian Miller : L'Odyssée de Sven

 

Avec l'Odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, nous sommes en 1916 à Stockholm. Sven est une jeune homme imaginatif, qui lit beaucoup et rêve, non sans romantisme, d’aventures dans le Grand Nord. Il est ouvrier et son travail lui pèse et l’ennuie. Il décide de partir au Spitzberg travailler dans les mines et là, la réalité le rattrape. Non seulement il n’est pas question de voir le pays mais encore les conditions de travail sont extrêmement pénibles et une galerie s'effondre sur sa tête, le laissant défiguré et objet de répulsion. Seul l’amitié de McIntyre, géologue écossais, intellectuel avec lequel il partage l’amour de la lecture, va lui permettre  de survivre. C’est auprès d’un autre ami, finlandais, socialiste, le trappeur, Tapio, qui vit les tragédies et les violences que connaît la Finlande déchirée par la guerre civile, qu’il va apprendre son métier avant de se couper du monde et vivre de ses chasses. Enfin, il est rattaché à la vie par sa soeur Olga, sa nièce, Helga et la fille de celle-ci, qui ont continué à lui écrire malgré ses silences.

Inspirée d’une histoire vraie, l’odyssée de Sven nous amène donc aux confins des pays nordiques, dans le Spitzberg. Le roman de Sven, est bien, en effet, une épopée tant les dangers à affronter sont nombreux, les animaux sauvages, les tempêtes, la nuit arctique, la neige, le froid, la faim, la solitude, la folie. 

« Ainsi commença la période sombre, comme je l’appelle. Sauf qu’elle n’était pas si sombre que ça. C’est plutôt que mon esprit s’assombrit, comme une pièce éclairée par la lumière du jour, et puis soudain on baisse les stores et il ne reste que la flamme vacillante d’un petit bout de chandelle de suif. »

Sven, décide de vivre seul, coupé de ses semblables pendant de longs mois, et, à travers lui, nous assistons à la trajectoire d’un esprit qui va au-delà de ce qu’il est possible à l’être humain de supporter, au risque de se perdre.

"Une meilleure métaphore pourrait être ceci : la vie dans le vide est sans blessures, car rien ne peut vous toucher. Mais le vide est froid. Et le froid mord alors même qu’il engourdit."

Il ne reviendra des Enfers que par la présence et l’amitié de ceux qui l’aiment et, ne l’oublions pas,  par la présence et la fidélité de son chien Eberhard : « je frissonne à la pensée du tour que les choses auraient pu prendre sans Eberhard. »

L’odyssée de Sven est un roman plein d’une sourde tristesse, plein de douleur, où la beauté de la nature n’a d’égale que la cruauté, où chacun se retrouve seul et affronte des moments terribles mais c’est aussi un histoire pleine d’humanité qui laisse la place à l'espérance grâce à l’amitié, la solidarité et le partage. Un beau roman !

vendredi 29 mars 2024

Brandon Sanderson : Tress de la mer émeraude


 

Tress de la mer d'émeraude est un livre de  Brandon Sanderson, le premier des quatre romans secrets écrits par l'auteur pendant la pandémie de covid19.

Tress vit sur un rocher, une île exiguë que la pierre noire rend plutôt lugubre. Seuls les marins qui déchargent les marchandises lui laissent entrevoir d’autres horizons, les lunagrées, dont les douze lunes de couleurs différentes sont vénérées comme des déesses par les habitants du pays.
La jeune fille vit dans la lunagrée verdoyante, celle qui déverse des spores vertes, ( mortelles au contact de l’eau), celles-ci formant l’océan de la même couleur. Un océan de spores ! La vie est monotone sur l’île mais Tress, petite fille humble, effacée et sage, simple laveuse de vitres, s’en accommode.  N’a-t-elle pas pour ami, le "jardinier" du château,  Charlie, qui n’est autre que le fils du Duc ? Or, elle est amoureuse  de lui et réciproquement. Mais voilà que Charlie est amené au loin par son père pour se marier avec une princesse et qu’il disparaît, enlevé par la sorcière de la mer de Minuit, la mer aux spores noires, la plus dangereuse de toutes. Il faut traverser la mer Pourpre où vit un terrible dragon pour atteindre l’antre de  la sorcière et l’affronter.  
Pour sauver le jeune homme, Tress décide de partir et comme chacun le sait, l’amour soulève les montagnes et, en l’occurence, ici, traverse les océans ! 

Comment la petite laveuse de vitres va-t-elle s’enfuir, passagère clandestine sur un bateau de contrebandiers, puis prisonnière et bientôt capitaine sur un vaisseau de pirates ? Comment va-t-elle être aidée (ou non?) par son ami le rat parlant et les marins ? Comment va-t-elle se révéler fûtée, fûtée, et pleine de ressources, la petite laveuse de vitres ? C’est ce que je ne vous dirai pas !  Il va falloir lire le livre! Et oui, c’est comme ça, la vie !

Ma première impression, je l’avoue, a été de me retrouver dans un conte de fées traditionnel plutôt que dans un roman Fantasy : la structure d’abord en trois parties, la situation initiale, l’élément perturbateur, les péripéties avec les adjuvants magiques ou pas qui interviennent jusqu’à la résolution finale si possible heureuse. L’héroïne, la petite laveuse de vitres, est bien un personnage de contes déterminée par ce qu’elle représente socialement et non par ce qu’elle est,  comme la petite fille aux allumettes, le petit ramoneur, le vilain petit canard…
Je me suis dit qu’il s’agissait donc d’un conte pour enfants et j’ai un peu renâclé à entrer dans le livre. J’aime les romans fantasy mais ceux qui s’adressent aux adultes. Pourtant, je voyais déjà se dessiner l’originalité du récit, c’est la fille qui part secourir son amoureux (un peu falot, le pauvre gars !) et qui va se révéler indépendante, intelligente, astucieuse et courageuse et, ce qui n'empêche rien, gentille, altruiste! Elle devient donc au cours de la lecture, de plus en plus intéressante surtout quand son caractère s’affirme et qu’elle commence à travailler avec les spores.  Donc, un bon point ! Ensuite, j’ai commencé à goûter un humour à La Princesse Bride, le film culte de mes filles, de mes petits-enfants et de leur grand-mère, vu et revu cent fois.  Et là, re re re bon point !

Mais j’étais gênée parfois par un humour potache, un peu lourd, en tout cas que je ne comprenais pas toujours, jusqu’au moment où je me suis aperçue que c’était le narrateur Hoid* qui prenait la parole, un être apparemment fou, subissant un sortilège lancé par la sorcière et qui tient des propos incohérents dont certains, pourtant, ont un sens caché. J’ai pensé aux personnages d’Alice au pays des Merveilles, le chapelier par exemple, confinant à l’absurde, un humour au deuxième degré. Le roman prenait des colorations différentes, interrompues parfois par des considérations qui s’adressent aux adultes plutôt qu’aux enfants. Et finalement j’ai aimé et je l’ai lu avec plaisir.

Bon, je me serais épargnée toutes ces hésitations, ces interrogations sur le roman si j’avais lu la post-face de Brandon Sanderson, avant ma lecture mais, disciplinée, je l’ai lue après : «  Je ne voulais pas d’un conte de fées, mais visais quelque chose d’adjacent. L’idée n’était pas néanmoins pas d’obtenir un résultat trop enfantin. Je souhaitais quelque chose que mes fans apprécieraient : un conte de fées pour adultes en quelque sorte. Chemin faisant, je me suis retrouvé en train de repenser à l’incroyable roman de William Goldman, Princess Bride (1987) qui parmi mes lectures, se rapproche le plus du ton que je tâchais d’atteindre . »  Un conte de fées pour adultes, c’est exactement ce qu’il est parvenu à réaliser !

*C’était le premier livre que je lisais de Brandon Sanderson  donc je ne savais pas  que Hoid est un personnage récurrent dans les livres de cet auteur et dans l’univers du Cosmere qu’il a créé.. Elantris est le premier  livre où il apparaît.

Et comme il s'agit de navigation même sur des spores, je participe à la lecture commune du Booktrip en mer de Fanja ICI

 


 

jeudi 7 mars 2024

David Grann : La note américaine

 

J’ai découvert David Grann avec Les Naufragés du Wager (ICI) que j’ai vraiment beaucoup aimé. Il me restait donc à lire La note américaine dont les échos sont élogieux dans les blogs.

Nous sommes en 1921 chez les Osages. Cette tribu indienne a été chassée de ses terres du Kansas pour y installer les colons blancs au XIX siècle, dans les années 1870, et a été reléguée sur les territoires les plus rocailleux, les plus déshérités de l’Oklahoma. Mais le découverte de gisements de pétroles va changer la donne et faire des Osages l’un  des peuples les plus riches du monde. Scandaleux ! Non seulement ils sont millionnaires mais, en plus, ils se font servir par des domestiques… blancs ! Le monde renversé ! Tout va être mis en place pour les dépouiller de leur fortune, les spolier de leurs biens, par tous les moyens légaux ou non, y compris le meurtre, et ceci avec la complicité des pouvoirs politiques, financiers et juridiques des Etat-Unis.

Le livre se divise en trois parties :

Première Chronique : La femme marquée

 

Mollie Buckhart et son interprète dans le film de Scorcese
 

C’est à travers le personnage de Mollie Burkhart, une indienne osage, que l’écrivain va présenter cette période qui  commence en 1921, période que l’on a appelée le règne de la terreur et dont la durée officielle est de quatre ans. Mais l'enquête révèle que les meurtres ont commencé certainement plus tôt et ont continué au-delà. Cette première partie nous éclaire aussi sur la vie des indiens osages par le passé et maintenant qu’ils sont devenus riches, la perte de leurs traditions, de leurs croyances. Leurs enfants leur sont enlevés pour être éduqués dans des internats religieux. Le gouvernement les déclare inaptes (ce sont des indiens donc incapables! ) à gérer leur fortune et les met sous tutelle. Les curateurs, des blancs, leur refusent toute dépense, chipotent sur leurs besoins et les dépouillent peu à peu de leurs biens.

« …par exemple le cas d’une veuve dont le curateur avait disparu en emportant presque tous ses biens, avant de l’informer qu’elle n’avait plus un sou, et l’avait laissée élever ses deux enfants en bas âge dans la misère. Quand l’un des enfants tomba malade, le curateur refusa de lui octroyer le moindre centime. Dépourvu d’une nourriture suffisante et de soins médicaux, l’enfant décéda. »

Mollie, mariée à un blanc Ernest Buchart, a vu disparaître sa soeur Minnie et sa mère Lizzie, toutes deux empoisonnées, sa soeur Anna tuée d’un balle est retrouvée dans un ravin. Plus tard c’est sa soeur Rita et son mari qui disparaissent dans un attentat contre leur maison. D’autres meurtres font régner la terreur dans tout le comté osage. La police et la justice bâclent les enquêtes, peu soucieuses de trouver les coupables dont on pressent qu’ils bénéficient de protections occultes. Devant la mauvaise volonté des autorités, les familles touchées par ces meurtres engagent des détectives privés qui engrangent de nombreux renseignements, ouvrent de nombreuses pistes mais en vain. W W. Vaughan, un avocat honnête, semble avoir élucidé les crimes, mais au moment où il va révéler la vérité, il meurt assassiné. Mollie, désespérée, se barricade dans sa maison mais on apprend qu’elle est en train de mourir, elle aussi empoisonnée.


Deuxième chronique : L’homme d’indices



Dès 1908 Roosevelt avait créé le Bureau of investigation (Le BOI)  qui deviendra le FBI. En 1925, le nouveau patron du BOI, J. Edgar Hoover va le diriger de manière dictatoriale et le moderniser. Il demande à l’ancien ranger, Tom White, de prendre l’affaire en main et lui envoie des agents infiltrés. Le groupe parvient à établir la culpabilité de certains, en particulier d’un personnage haut placé. Cette seconde partie nous révèle les dessous de l’enquête et décrit le procès difficile et tumultueux. Mollie qui a survécu y assiste.

« Mais White savait que le système judiciaire américain, au même titre que ses services de police, était gangréné par la corruption. Il y avait beaucoup de juges et d’avocats véreux. Les témoins étaient menacés et le jury acheté. »


Troisième chronique : Le journaliste


Ernest Buckhart et son Interprète Di caprio

Au-delà de l’enquête, le journaliste, David Grann donc, continue ses recherches. Il rencontre les petits-enfants des Osages qui ont connu le règne de la terreur. Ces descendants gardent en mémoire cette horrible période et les meurtres de leurs grands-parents qui n’ont pas obtenu justice. Les coupables ont bénéficié de remises peine, d’amnistie, ou n’ont tout simplement pas été poursuivis. Le journaliste  découvre qu’il y a de nombreux meurtres restés impunis ou qui n’ont été ni reconnus comme tels, ni fait l’objet d’une enquête.

Les Osages vivent dans le souvenir et l’amertume : «  Cette terre est gorgée de sang » commenta Mary Jo  (Marie Jo Webb petite-fille de Paul Pearce assassiné pendant la terreur ). Elle se tut un instant et nous entendîmes les feuilles des chênes bruisser dans le vent. Puis elle me rappela ce que Dieu avait dit à Caïn après le meurtre d’Abel : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. ».

Le livre de David Grann se révèle une enquête complexe qui tient en haleine, éclairant les manquements de la justice face à la disparition violente de nombreux membres de la tribu, révélant les zones d’ombre, les complicités, les mensonges et les non-dits. Les personnages prennent vie et nous assistons, révoltés et désemparés, à leurs souffrances. Grâce au dépouillement d'archives, de mémoires, et de la presse de l’époque et à la rencontre des descendants des Osages disparus, David Grann mène une investigation passionnante que l'on ressent aussi comme un cri d'indignation et un appel à la justice.

dimanche 3 mars 2024

Pete Fromm : Le lac de nulle part

 

Trig et Al, des jumeaux, garçon et fille, sont invités par leur père pour une "aventure " en canoë sur les lacs canadiens. Qu'est-ce qui les pousse à accepter cette invitation alors qu'ils n'ont plus vu leur père depuis des années ? C'est d'autant plus étonnant qu'ils le savent bien, on ne part pas dans ces régions au mois de Novembre, quand le froid s'abat sur le pays et que les lacs commencent à geler ? De plus les relations entre le père et la fille Al sont plutôt tendues !  Le désir, peut-être, maintenant qu'ils sont adultes et qu'ils ont chacun une vie séparée, de retrouver leur enfance, quand, avec leurs parents qui n'étaient pas pas encore divorcés, ils partaient camper à la dure, se nourrissant de leur pêche.  

De lac en lac, de portage en portage, de  bivouac en bivouac, les voilà qui s'enfoncent  toujours  plus loin dans cette nature sauvage que la civilisation n'a pas encore atteinte jusqu'au lac qui n'a pas de nom, le lac de Nulle Part.  Mais alors qu'ils s'aperçoivent que leur père n'a plus toute sa tête et qu'il les a perdus dans des contrées inconnues, la neige fait son apparition et le gel se referme sur leurs traces. Ce voyage au coeur des paysages canadiens se révèle aussi un voyage intérieur au pays de leur enfance, révélant les blessures profondes, les colères, les non-dits familiaux, mais aussi l'amour et la complicité encore intactes des jumeaux, deux contre tout !

Le récit de cette aventure, surtout au moment où s'amorce le retour problématique vers la civilisation, m'a tenue en  haleine car  Pete Fromm est un bon narrateur qui sait ménager ses effets. Les  dangers encourus par les personnages relancent savamment l'intérêt du roman. Pourtant, cette lecture ne pas pas entièrement convaincue. J'ai pensé mais en moins terrible, moins puissant, moins grandiose, au récit de Jack London L'amour de la vie (Ici)  dans lequel l'homme perdu dans le grand silence blanc lutte pour revenir à la civilisation dans un combat surhumain contre les pièges que lui tend la nature. Et ce livre n'est pas, non plus, au niveau d'un autre livre de Pete Fromm, Indiana Creek ! (voir   Ici) . Tout paraît édulcoré ! 

 C'est l'un des jumeaux, Trig, (Trigonométrie, leur père est mathématicien) qui raconte l'histoire à la première personne, ce qui explique que sa soeur, Al (Algèbre), et son père lui paraissent parfois incompréhensibles ! Mais, même lorsque l'on comprend mieux les personnages, on ne parvient jamais vraiment à être en empathie avec eux, peut-être parce que l'analyse n'est pas approfondie et que l'on ne peut croire aux retrouvailles de Al et de son père. On reste en surface. On est loin de la finesse psychologique de Avant la nuit (Ici) .

Bref la lecture du roman est agréable mais je n'ai pas retrouvé les émotions provoquées par les oeuvres de Pete Fromm que je cite ci-dessus et qui restent mes préférées.


Voir Aifelle ICI

 Une comète ICI

Violette ICI

jeudi 9 novembre 2023

Kimi Cunningham Grant : Les rancoeurs de la terre

 

 

Les rancoeurs de la terre de Kimi Cunnigham Grant est un roman de la rentrée littéraire 2023 qui n’aura pas fait de bruit mais qui,  pourtant, ne manque pas d’intérêt.

Le récit qui se déroule en Pennsylvanie présente une intrigue policière dans laquelle Red, le shérif de Fallen Mountains, qui va bientôt partir à la retraite, est chargé d’élucider le mystère de la disparition de Transom Shultz, revenu au pays après des années d’absence, personnage ayant laissé le souvenir d’un passé sulfureux.

Or Red, le sait bien - son père lui a assez souvent répété cette citation de Faulkner -  : « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même jamais le passé. ». Et l’enquête qu’il va mener, effectivement, ramène à la surface tous les secrets, les blessures, les rancoeurs, enfouis dans la mémoire de certains des habitants de cette petite ville. Red, lui-même n’a-t-il pas, lui aussi, une erreur à se reprocher ? Un poids qui pèse sur sa conscience ?

On s’en doute cette disparition est inquiétante et bien vite l’on va découvrir que Transom qui est le fils d’un riche entrepreneur, tout puissant dans la région, ne compte pas que des amis parmi les anciens de son collège. La belle et orgueilleuse Laney,  ex-petite amie ne lui pardonne pas sa défection et il y a entre lui et Possum, un garçon ainsi surnommé car son physique le fait ressembler à opossum, une haine qui cache un terrible secret. Et que dire de Chase, l’ami d’enfance, le presque frère, qui à la mort de son grand-père Jack est obligé de lui vendre ses terres ? Sinon que Transom le trahit et brise leur amitié en cédant la proprieté à une compagnie pétrolière qui saccage les arbres que Chase aime tant, cette nature qu'il admire, cette terre dont il vit mal mais qui donne un sens à sa vie !

« Ce que Transom ne semblait pas vouloir comprendre en revanche, c’est que ça n’était pas aussi simple. La question n’était pas seulement financière; l’enjeu n’était pas de simplifier la tâche. Il y avait une forme de fierté à cultiver la terre, à la connaître et à veiller sur elle… Et Transom venait d’en priver Chase. Il ne pourrait jamais la retrouver. »

Le roman au-delà de l’intrigue policière peint la vie d’une petite ville ou tout le monde se  connaît, un microcosme où bouillonne tout une vie sous-jacente faite de rumeurs, de non-dits, de ressentiments, une ville où la vie professionnelle de chacun dépend d’un seul homme qui détient le pouvoir financier et peut exercer des pressions sociales liberticides. L’écrivaine introduit un thème écologique en peignant la nature sacrifiée aux exploitations d’énergie fossile et à l’argent. L’analyse psychologique des personnages est fouillée, sensible, et nous permet de nous intéresser à des personnages qui ont une force et une profondeur.

De plus le roman a une certaine noirceur mais n’est pas sans espoir comme on peut le constater quand le shérif parvient à se libérer au cours d’une belle scène pleine d’émotion qui le confronte à Possum : "Dans les jours qui avaient suivi la disparition de Transom, il avait compris que son père avait raison. Le passé n’est jamais mort, il n’est jamais le passé. On n’était pas non plus obligé, néanmoins, de se laisser posséder par lui. De se définir à travers lui. »

Un bon roman, donc, agréable à lire.


mercredi 18 octobre 2023

David Grann : Les naufragés du Wager


 

En 1739, la Grande-Bretagne et l’Espagne se lancent dans une guerre maritime pour étendre leur Empire respectif et s’approprier les richesses des colonies. C’est ainsi que la Grande Bretagne arme cinq navires confiés au commodore George Anson chargé de doubler le cap Horn en direction des Philippines afin de détruire des navires ennemis, d’affaiblir les possessions espagnoles de l’Amérique du Sud et de s’emparer des richesses d’un galion que l’Espagne envoie deux fois par an du Mexique en Asie. Le Wager est un de ces cinq navires et l’on peut dire que, dès le début, le voyage s’annonce mal puisque l’escouade  prend la mer en 1740 avec des mois de retard rendant impossible le passage du cap Horn avant les grandes tempêtes d’hiver.

Pour écrire ce récit non-fictionnel Les Naufragés du Wager David Grann s’appuie sur les nombreuses archives qui ont documenté ce voyage tragique, journaux de bord des commandants, de leurs seconds mais aussi des membres de l’équipage, témoignages, correspondances, articles parus dans les gazettes de l’époque, compte rendu du procès qui eut lieu à l’issue de la mission, sans compter tous les ouvrages qui ont tenté de comprendre ce qui s’était passé et d’en donner une explication. Mais, conclut l'auteur,  il faut bien avouer que devant tous ces points de vue divergents, la vérité est bien impossible à établir.

 "Aussi, nous avertit-il, au lieu de lisser les dissonances ou d'obscurcir davantage les éléments de preuve, j'ai voulu présenter tous les aspects de cette affaire, en vous laissant le soin de rendre le verdict ultime : le jugement de l'histoire."

Ce travail se présente donc comme une enquête judiciaire qui cherche à éclairer les faits sans influencer notre jugement, un sérieux et impartial travail d'historien. 

John Byron, le grand-père du poète George Byron


 Mais c’est aussi un récit d’aventures car la réalité, parfois, dépasse  la fiction et l’on finit par penser que Robinson Crusoé avait bien de la chance d’être exilé en solitaire sur une île hospitalière, de même que les mutins du  Bounty sur une terre paradisiaque.

David Grann nous présente d’abord les membres de l’expédition, du moins ceux qui ont tenu un rôle important : le Commodore George Anson, le capitaine du Wager, David Cheap, l’enseigne John Byron (l’ancêtre du poète) et ses pairs Henry Cozens et Isaac Morris, le lieutenant Hamilton ainsi que certains hommes de l’équipage qui eurent une influence décisive sur les cours des évènements comme le canonnier John Bulkeley, le charpentier Cumming et bien d’autres. Ils nous apparaissent, dotés d’un passé, d’une famille, d’une personnalité avec leurs qualités et leurs faiblesses, leurs rêves et leurs ambitions. David Grann leur redonne vie tout en respectant scrupuleusement ce que l’on sait des personnages. Certains, les nobles, assez riches pour se faire portraiturer, ont aussi un visage.
Comme des héros de romans, l’écrivain les lance à travers l’Atlantique, livrant bataille, tout canons dehors, décimés par le choléra et le scorbut, bravant les vagues gigantesques du Cap Horn, description que le talent de David Grann rend terrifiante, faisant naufrage sur une île de la Patagonie désormais appelée l’île du Wager. Cette terre désolée, battue par les vagues, toujours recouvertes de sombres nuages, de neige, de gel, sans aucune ressource alimentaire à part quelques rares coquillages est bien ce que l’on peut appeler un enfer sur la terre. Les marins souffrent de faim, de froid, de maladie d’une manière qui semble être au-delà de tout endurance humaine.  Ils survivent grâce à quelques vivres retirées de l’épave mais les relations humaines se dégradent, la solidarité ne fait pas long feu, l’obéissance au capitaine non plus, mutinerie, vols, actes de violence, meurtre, cannibalisme… 

Le capitaine David Cheap
 

Finalement, avec le bois récupéré du Wager, les survivants vont construire des embarcations et s’enfuir,  le groupe des mutins en abandonnant le capitaine et ses alliés qui partiront de leur côté.  Lorsqu’ils reviendront en Angleterre les mutins et le capitaine David Cheap auront à répondre de leurs actes devant un tribunal. Aucun n’est irréprochable ! 


Famille de Kawesquars, les nomades de la Mer,


Un essai passionnant, donc, comme un roman d’aventures mais qui est aussi une réflexion sur la civilisation. Comme dans Sa Majesté des Mouches, l’ouvrage de William Golding, l’on voit qu’elle n’est qu’un vernis qui s’effrite face à l’adversité. L'homme cesse d'obéir aux lois morales de son pays quand il n'y est pas obligé s'il est réduit à la famine et au désespoir. Et l’on se dit que c’est une leçon d’humilité pour l'être humain ! Une leçon pour tous les pays colonialistes aussi, si pénétrés de la supériorité de leur civilisation ! 
Une leçon pour la Grande-Bretagne -car c'est elle qui est visée ici-  et sa prétention à la supériorité sur les autres peuples !  Les marins anglais sont secourus pas un peuple amical et altruiste, les Kawesquars appelés les nomades de la Mer.
 
 ...trois canoës avaient surgi du brouillard... Il y avait à bord plusieurs hommes à la poitrine nue et aux longs cheveux noirs, armés de lances et de frondes. Il pleuvait, un vent du Nord soufflait avec force et Byron, frigorifié, fut frappé par le spectacle de leur nudité. "Leur tenue n'était faite que de quelques morceaux de peaux de bête autour de la taille et d'un vêtement tissé de plumes sur les épaules", rapporta-t-il.
Le feu était allumé dans chaque canoë et les rameurs semblaient indifférents au froid lorsqu'ils manoeuvraient avec adresse au milieu des vagues. Ils étaient accompagnés de plusieurs chiens, "des animaux qui avaient l'air de corneaux", note Byron, qui surveillaient la mer comme des vigies à l'air farouche."
C'était un groupe de Kawesquars signifiant "peuple qui se vêt de peaux". Avec d'autres groupes  indigènes les kawesquars s'étaient installés en Patagonie, en Terre de Feu des milliers d'années plus tôt.
 
Navigateur chevronné, ce peuple, exceptionnellement adapté à ce climat extrême, connaissait les moindres recoins de la côte, les courants, les cheneaux, les récifs, les abris protégés. Ce sont les femmes qui pilotaient et qui plongeaient vers le fond, dans les eaux glaciales, pour pêcher des oursins. Les hommes chassaient le phoque, l'otarie, le lion de mer. Les Kawesquars ne restaient jamais longtemps sur la même place pour éviter d'épuiser les ressources. Leurs chiens leur servent de veilleurs de nuit, de compagnons de chasse, d'animaux domestiques. Les autotchtones apportent de la nourriture aux anglais, leur offrent des moules d'une taille inusitée et, conscients de la situation désespéré des naufragés, reviennent plusieurs fois pour les aider, apportant chaleur humaine et empathie. Loin d'en être reconnaissant, le groupe des mutins les considère comme des inférieurs et devient menaçant envers eux, cherchant à séduire les femmes et à voler les canoës.
 
Les autres naufragés, Byron et ses fidèles, sauvés par des guides incontestablement supérieurs à eux sur le plan de la navigation et de la connaissance de la nature trahissent "leur racisme viscéral". Byron  appelait les  Patagoniens "des  sauvages". Campbell écrivait : "Nous n'osions déplorer aucun manquement dans leur conduite, alors qu'ils se considéraient comme nos maîtres, et que nous étions obligés de nous soumettre à eux en toutes choses. "  
"En effet, le sentiment de supériorité des naufragés étaient chaque jour battu en brèche."
 
Et à cet égard, la séance du procès est un chef d'oeuvre d'hypocrisie que David Grann dénonce avec ironie et délectation. Mais je ne vous en dis pas plus.  Lisez plutôt le livre, il est passionnant !


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 Participation au challenge des minorités ethniques initié par Ingammic