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jeudi 30 octobre 2025

Récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même

Frederick Douglass
 


Frederick Douglass, né Frederick Augustus Washington Bailey en 1817 ou 1818, et mort le 20 février 1895 à Washington, est un orateur, abolitionniste, écrivain et éditeur américain. Esclave depuis sa naissance, il réussit à s'instruire et s'enfuit dans le Nord à l'âge de 20 ans. Là, les abolitionnistes le prennent sous leur protection. Il refuse de porter le nom de son maître et prend un nom tiré de La Dame du lac de Walter Scott. Quand  son livre est sur le point d’être publié en 1845, on l’envoie en Angleterre car sa liberté n’est pas acquise et il court le risque d’être repris et ramené en esclavage. Il y est reçu avec beaucoup d’égards et peut faire, grâce à ses prises de paroles, progresser la cause abolitionniste. Il reste deux ans là-bas; ses amis anglais le rachètent à son maître et lorsqu’il repart aux Etats-Unis, c’est en homme libre.

Sa naissance

L'esclavage noir 

Frederick Douglass est né dans le comté de Talbot dans le Maryland. Sa mère, Henriette Bailey, était esclave et son père blanc, vraisemblablement son propriétaire. Ce qui était assez courant, les maîtres, écrit Douglass, satisfaisant ainsi  "leurs désirs immoraux" et y trouvant "à la fois un profit et un plaisir" en augmentant ainsi le nombre de leurs esclaves.
Frederick a été séparé de sa mère dès la naissance et ne l’a rencontrée que peu de fois, la nuit, quand elle pouvait s’échapper de la plantation voisine pour venir endormir son enfant mais elle devait repartir pour prendre son travail au champ au lever du soleil sous peine d’être fouettée. Frederik n’a pu aller la voir quand elle était malade ni assister à son enterrement. 
« Il était fort commun dans la partie du Maryland d’où je me suis échappé d’enlever les enfants à leur mère à un âge très tendre. »
C’était une politique menée par les esclavagistes pour éviter que des liens trop forts puissent se tisser dans les familles noires. Il ne connaît pas sa date de naissance et pense qu’en 1835 il avait à peu près dix-sept ans.
"La grande majorité des esclaves connaissaient aussi peu leur âge que les chevaux» «  Mon ignorance sur ce point fut pour moi un sujet de chagrin dès ma plus tendre enfance. Les petits blancs savaient leur âge. Je ne pouvais imaginer pourquoi je devais être privé d’un pareil privilège."

La maltraitance, la cruauté de l’esclavage

Cette photo a dénoncé la cruauté de l'esclavage, interdite par Trump


Au cours de sa vie d’esclave Fredrick Douglass change de maîtres plusieurs fois. A la mort du capitaine Antoine, ses biens sont partagés entre sa fille Lucrèce et son fils André. Douglass est cédé à Lucrèce comme l’un des  « objets de succession », une humiliation difficile à supporter pour le jeune homme. Douglass décrit avec horreur ces scènes où les esclaves sont séparés de leur famille, les mères de leurs enfants :
« Un seul mot prononcé par un blanc suffisait pour séparer à jamais, contrairement à tous nos désirs, à nos prières, à nos supplications, les amis les plus tendres, les parents les plus chers, pour briser les liens les plus forts… »

Au cours de ce partage, les esclaves sont traités comme du bétail «mélangés pêle-mêle avec les chevaux, les brebis, les cochons, comme si tous eussent occupé le même rang sur l’échelle des êtres », examinés de manière dégradante, sans respect pour la pudeur et l’intimité des femmes et des jeunes filles. Ces humiliations sont le quotidien des esclaves qui doivent comprendre qu’il ne faut jamais dire la vérité aux maîtres et se plaindre, jamais essayé de se justifier même si l’on est innocent, jamais regarder le maître ou une femme blanche dans les yeux. 
A ces souffrances morales s’ajoutent les sévices physiques, le fouet, le viol, le manque de nourriture. Tant que les enfants ne sont pas en âge de travailler, ils sont nus hiver comme été, les adultes ont deux tenues par an quelle que soit l’usure du vêtement. Ils dorment par terre, souffrent du froid. Certains blancs manifestent un sadisme évident, éprouvant du plaisir à fouetter un esclave, à le blesser, l’estropier ou le tuer. Il ne sera jamais poursuivi. Par exemple, chez son  maître le capitaine Antoine, le surveillant Mr Plummer « était toujours armé d’un fouet fait de peau de vache et d’un gros et lourd bâton. Je l’ai vu couper et balafrer si horriblement le visage des femmes que mon maître même se mettait en colère à cause de sa cruauté. ». Pourtant, ajoute Douglass, son maître n’était pas « un propriétaire humain » et il semblait prendre lui aussi un réel plaisir à fouetter ses esclaves. L’enfant assiste, dès son plus jeune âge, au martyre de sa tante Esther accrochée par les mains à un crochet planté dans une solive, le dos ruisselant de sang, un spectacle qu’il ne pourra jamais oublier. Le maître reproche à la jeune fille d’avoir rejoint un jeune noir qui lui faisait la cour. On comprend que c’est parce qu’il convoite la jeune femme pour lui.
"Plus elle criait haut, plus il fouettait fort, et c’était à l’endroit où le sang coulait le plus abondamment qu’il fouettait le plus longtemps ».« S’il avait été de bonnes moeurs, on l’aurait cru intéresser à protéger l’innocence de ma tante, mais ceux qui le connaissaient ne le soupçonneront pas de posséder une pareille vertu."

Dans le domaine de la cruauté ceux qui, comme le révérend Daniel Weeden et le révérend Mr Hopkins qui étalent leur foi et leurs principes moraux et  religieux,  sont les pires.  
De Mr Hopkins, il affirme : « Le trait principal qui caractérisait son gouvernement était de fouetter les esclaves avant qu’ils le méritassent. »
« Un regard, un mot, une mouvement, une méprise, un accident, un manque de force physique, toutes ces choses là peuvent en tout temps servir de prétexte pour infliger un châtiment. »

 
 Douglass va très loin dans l’accusation  puisqu’il affirme  que « la religion du sud ne sert qu’à cacher les crimes les plus horribles, qu’à justifier les atrocités les plus affreuses, qu’à sanctifier les fraudes les plus détestables. ». 

A la fin de son livre, il se sentira d’ailleurs obligé d’ajouter qu’il ne vise pas la vraie religion et les chrétiens sincères qui suivent la doctrine du Christ, mais l’hypocrisie religieuse de ceux qui se servent de la religion pour dominer, contraindre et justifier l'esclavage.


La lecture comme moyen d’émancipation

 


Quand Frederick est transféré à Baltimore, il a la chance d’avoir pour maître Mr Auld  chez qui il est bien traité et bien nourri, et surtout sa femme, Mme Auld qui considère les esclaves comme des êtres humains. Elle apprend l’alphabet au petit garçon qui commence à épeler mais son mari lui explique qu’il est interdit et dangereux d’apprendre à lire aux esclaves : 

« Plus on donne à un esclave, dit-il, plus il veut avoir.
Un nègre ne doit rien savoir, si ce n’est obéir à son maître, et faire ce qu’on lui commande.
Or si vous enseignez à lire à ce nègre (ajouta-t-il en parlant de moi) il n’y aurait plus moyen de le maîtriser. Il ne serait plus propre à être esclave. »


Dès lors l’enfant prend conscience de l’importance de l’instruction et puisque Sophia Auld refuse de continuer ses leçons, il se lie d’amitié avec des petits blancs pauvres qui lui apprennent à lire en échange de nourriture. Douglass comprend alors le mot abolition et décide qu’il ne veut pas rester esclave toute sa vie. En attendant, il acquiert de bonnes compétences au niveau de la lecture et  apprend aussi à écrire. Il lit The Columbian Orator, un ouvrage anti-esclavagiste, et commence à comprendre que l’esclave doit jouer un rôle important dans la lutte pour la liberté. Douglass est marqué par un dialogue entre un esclave et son maître. Dans ce passage, le maître présente à l'esclave des justifications de l'esclavage, que ce dernier réfute, jusqu'à ce que le maître soit convaincu du caractère immoral de cette servitude. Le dialogue s'achève par la victoire de l'esclave et, et par l'obtention de sa liberté. Douglass doit certainement ses talents d'orateur à ce livre. 


« Plus je lisais, plus je ne sentais porté à haïr ceux qui me retenaient dans les fers. Je ne pouvais les  regarder que comme une troupe de voleurs favorisés par la fortune, qui avaient quitté leur patrie pour aller en Afrique, nous avaient volés de force, entraînés loin des lieux de notre naissance et réduits en esclavage sur une terre étrangère. »

L’instruction agit pour lui comme une révélation, une fulgurance qui, malgré des moments de découragement où il cède au désespoir, ne le quittera pas. Il décide de s'enfuir vers le Nord dès qu’il le pourra.

« Je reconnus que pour rendre un esclave content, il faut l’empêcher de penser, obscurcir ses facultés morales et intellectuelles, et autant que possible anéantir en lui le pouvoir de raisonner. 
Il faut l’amener à croire que l’esclavage est une chose juste; et on ne peut le réduire à cet état de dégradation que lorsqu’il a cessé d’être un homme. »


Douglass souligne aussi que si l’esclavage est nocif pour l’esclave et sape ses qualités morales, il ne l’est pas moins pour le maître. Ainsi Sophia Auld, pleine de bonté et de gaîté, sous l’influence de l’esclavage perd ses qualités humaines : « Hélas! Ce bon coeur ne devait pas rester longtemps ce qu’il était »
Après une tentative ratée d’évasion, Frederick Douglass va s’enfuir mais il ne racontera pas comment il a pu réussir car le récit, à l'époque, aurait pu nuire à ceux qui l’avaient aidé et compromettre les chances d’autres fugitifs.

Le récit de la vie de Frederick Douglass, un esclave américain, écrit par lui-même a été publié le 1er mai 1845 et, dans les quatre mois suivant cette publication, cinq mille exemplaires ont été vendus. En 1860, près de 30.000 exemplaires ont suivi. Il a été lu par Harriet Beecher-Stowe, abolitionniste qui écrit La Case de l'oncle Tom en 1852, roman qui a bien contribué à servir la cause antiesclavagiste même si, de nos jours, on lui reproche son paternalisme.


J'ai lu le livre de Frederick Douglass  après avoir découvert le roman de Perceval Everett, James, ICI . On voit combien Everett s'est inspiré des écrits des anciens esclaves.

samedi 4 octobre 2025

Percival Everett : James

 

Je n’ai pas relu Huckleberry Finn avant de découvrir James de Percival Everett. C’est peut-être un tort bien que rien n’oblige finalement à connaître le premier pour apprécier celui-ci. J’ai tellement aimé le livre de Mark Twain que j’avais peur d’être déçue surtout si on le relit à l’aune du XXI siècle. C’est facile de rejeter avec horreur l’esclavage de nos jours, cela ne l’était pas pour un jeune garçon, Hucklberry Finn, juste avant la guerre de Sécession. Le livre de Mark Twain analysait justement l’évolution du personnage, les problèmes moraux que lui posait le fait de ne pas dénoncer un esclave en fuite, alors que toute la société et l’église, en particulier, lui affirmaient que c’était son devoir et qu’il y allait du salut de son âme !

Dans son roman Percival Everett imagine que Jim a appris à lire et écrire à une époque où un esclave risquait sa vie à transgresser cet interdit. Une scène montre comment on peut être fouetté au sang et mourir pour le vol d’un crayon ! 
 
« George Junior trouva mon visage dans le fourré. J’avais le crayon, il était dans ma poche. On le frappa de nouveau et je me crispai. Nous nous regardâmes fixement. Il parut sourire jusqu’à ce que le fouet s’abatte encore. Le sang lui dégoulinait le long des jambes. Il chercha mes yeux et articula le mot "pars". Ce que je fis. »

Jim a, de plus, complété sa culture en se cachant dans la bibliothèque du Juge Thatcher, ce qui lui a permis d’accéder aux grands écrivains qui reviennent souvent d’une manière surprenante dans ses rêves avec, parfois leurs propres limites ou contradictions. L’esclave en fuite est donc un intellectuel qui utilise deux langages, celui que l’on attend d’un esclave et celui du maître. Et de tous les défis lancés par Jim, ce qui étonne le plus les blancs, ce qui les touche le plus, les indigne, leur fait peur, les épouvante même, c’est lorsqu’il s'exprime comme eux. En s’appropriant leur manière de parler, il fait naître une pensée dérangeante pour eux : Serait-il un homme lui aussi ? Percival Everett met ainsi le doigt sur ce qui assoit la domination des esclavagistes et sur l’importance pour eux de maintenir la soumission par l’ignorance ! Et c’est pourquoi lorsque Jim s’affranchira totalement de l’emprise des blancs, il revendiquera son vrai nom : James.

Les aventures des deux héros ressemblent fort à celles racontées par Mark Twain : Jim s’enfuit pour ne pas être vendu et se cache sur une île. Huck, lui, fuit son père, un ivrogne violent et haineux. Il fait croire à son propre meurtre pour éviter qu’on le recherche. Evidemment, Jim sera considéré comme son meurtrier. Tous deux s’embarquent sur un radeau et sur le Mississipi qui leur réserve tout un lot de surprises et de dangers. Ils deviennent au cours de leurs aventures épiques des amis et plus encore un père et son fils. 

Mais bien sûr, au-delà des aventures, le sujet de Percival Everett reste l’esclavage dont il décrit toutes les horreurs, l’exploitation au travail, les corrections physiques, la séparation des membres d'une même famille, les condamnations arbitraires, les lynchages, les viols, les humiliations, et plus que tout le fait de ne pas être considéré comme un être humain à part entière. Il montre que la colère est l’un des principaux sentiments qui guide Jim et l’anime, le submerge. Il choisit de se défendre et ne recule pas devant la violence. Quand il s’introduit chez le juge Thatcher et le menace pour savoir où sont sa femme et sa fille,  vendues pendant son absence, celui-ci lui dit : 

« -Toi, tu vas avoir de sérieux ennuis; tu ne t’imagines pas à quel point.
- Qu’est-ce qui vous fait dire que je n’imagine pas le genre d’ennuis qui m’attendent ? Après m’avoir torturé, éviscéré, émasculé, laissé me consumer lentement jusqu’à ce que mort s’en suive, vous allez me faire subir autre chose encore ? Dites-moi juge Thatcher, qu’y a-t-il que je ne puisse imaginer ? »

On peut se demander si le parti pris de Percival Everett de prendre pour personnage un  homme instruit est crédible. L’écrivain répond à cette question en montrant James en train de lire un livre volé au Juge Thatcher : c’est  le récit de William Brown paru en 1847, esclave dans le Missouri, qui s’enfuit et gagna le Canada; mais il n’est pas le seul.  Je vous renvoie  à l’article Ici 

 


 

 
Dès la fin du XVIII siècle l’autobiographie d’Olaudah Equiano, The Interesting Narrative of the Life of Olaudah Equiano, or Gustavus Vassa, the African  est publiée en Angleterre en 1789. 
 

 


Le contemporain de William Brown, Frederick Douglass écrit lui aussi une autobiographie (Narrative of the Life of Frederick Douglass, Written by Himself). Je l’ai trouvée en français et j’ai l’intention de la lire.


 
 

mercredi 23 avril 2025

T C Boyle : Parle-moi



Dans Parle-moi,  T C . Boyle  présente  un récit qui ressemble beaucoup à l’histoire vraie du bébé chimpanzé Nim élevé par la famille Lafarge comme l’un de ses enfants puis abandonné lorsque l’on n’eut plus besoin de lui, l’expérience scientifique étant arrivée à son terme et les subventions coupées. Comme Nim, le chimpanzé Sam connaît plus d'une centaine de mots et peut les lier dans des combinaisons différentes, il ressent des émotions et parvient à les exprimer, comme un enfant, il n’aime pas aller à l’école et étudier, il aime faire des farces et rire, adore les câlins, la pizza, les bonbons, le coca et les jouets et surtout il ne se voit pas comme un chimpanzé mais comme un être humain.
 

Sam passe à la télévision, ce qui plaît beaucoup au professeur Guy Shomerhorn qui espère ainsi booster sa carrière et recueillir les honneurs. Mais le chimpanzé appartient au grand patron Moncrief, un personnage suffisant, antipathique et sans empathie.  Lorsque l’apprentissage du langage est remis en cause, Montcrief ne traite plus Sam comme un enfant d’humain mais l’enferme dans une cage pour la reproduction avec d’autres primates qu’il vend ensuite à des laboratoires pour des expériences médicales. La seule qui éprouve une réel amour pour Sam, sans calcul et sans égoïsme, c’est Aimee, l’étudiante et la maîtresse de Guy, qui comprend le désarroi du chimpanzé privé d’un seul coup de tout ce qui faisait sa vie, de l’affection, des soins, des privilèges de son statut d’enfant-roi, enfermé avec des « bestioles noires » qui lui font peur, ne savent pas parler et en qui il ne se reconnaît pas. L’humaniser pour le rejeter ensuite, comme il est fait dans le roman pour Sam et dans la réalité pour Nim,  est une action irresponsable.

 Les humains minimisent les acquis linguistiques de Sam, son intelligence, refuse de voir les ressemblances existant entre son espèce et la nôtre, pour ne pas être dérangé et pouvoir continuer à l’utiliser sans se sentir coupables. Le reconnaître dans son individualité et sa personnalité, en effet, c’est admettre que l’homme n’a pas le droit d'abuser de lui et qu'il faut des lois pour le protéger. Quand je faisais mes études de Philo, on nous apprenait que les animaux n’avaient pas d’intelligence et d’émotions, qu’ils agissaient uniquement par instinct. Les éthologues ont bien fait évoluer les mentalités mais les préjugés ont la vie dure surtout quand il s’agit de défendre les intérêts des laboratoires pharmaceutiques.

 Ce roman, très proche donc de la réalité, pose les limites de notre responsabilité envers les autres espèces. Il soulève des questions d’éthique, en particulier, sur la manière dont nous nous comportons envers les primates qui partagent 98%  de notre patrimoine génétique. Le chimpanzé est très proche de nous. Il  éprouve comme nous bien des émotions communes, l’amour, la joie, la tristesse, la colère, la jalousie, l’humour, la culpabilité, la honte, et à ce titre la manière dont Sam (ou Nim) est traité tient de l’esclavagisme, de l’exploitation et de la cruauté. 

Mais il ne faut pas nier, non plus, qu’il ne peut pas aller contre sa nature. C’est aussi lui manquer de respect que de vouloir le détacher de son espèce, en faire un étranger aussi bien chez les siens que chez les humains. C'est une vérité qu'Aimee est bien obligée d’admettre lorsqu’elle vole Sam à son propriétaire pour le libérer et s'occuper de lui, dans une cavale qui ne peut que mal se terminer.

Un roman intéressant et qui a le mérite de nous faire réfléchir ! 


Voir l'article sur Nim : Le chimpanzé qui se prenait pour un enfant



lundi 21 avril 2025

T kingfisher : Nettle et bones

 

 

J’avoue que le texte de la quatrième de couverture  tout en me faisant rire m’a donné une furieuse envie de lire ce livre :

Ce n’est pas le genre de conte de fées où la princesse épouse une prince.
C’est celui
où elle le tue


Fanja aussi y est pour quelque chose qui en parle ICI. Notons que le roman a eu le prix Hugo du meilleur roman 2023 ainsi qu’une multitude d’autres prix..

Once upon the time…. Entrons dans ce conte de fées subversif où, vraiment, on dit non à la femme considérée comme une poule pondeuse et poussée dans l’escalier par un prince pas si charmant si elle ne fait pas l’affaire.  Des poules, d’ailleurs, des vraies, il en est question dans le conte et pas des moindres comme comme la dénommée (et bien nommée) Démon.  Mais la petite poule rousse du conte traditionnel (même si elle n’est pas possédée par un démon) a, elle aussi, un caractère affirmée ! Donc, méfiez-vous des poules !  Mais n’anticipons pas !  Sachez pourtant que le livre est dédié  « à ces oiseaux rares que sont les poules fortes et indépendantes » !

Dans un tout petit royaume ( mais important parce qu’il a un port commercial), entouré par les royaumes du Sud et du Nord qui le convoitent tous les deux, la reine, mère de trois filles, donne son aînée, la douce Damia, au Prince du Royaume du Nord, Vorling. Elle obtient ainsi la protection du prince. Quelque temps après le mariage, la jeune femme meurt accidentellement.
Et maintenant Kania, la seconde, une fille intelligente et avisée, épouse le prince. Marra, la petite dernière, elle, est envoyée au couvent parce qu’elle est la troisième sur la liste, « en réserve de la royauté », si jamais Kania n’avait pas d’enfant ou si elle mourrait : Sait-on jamais ? Ce serait son tour d’épouser Vorling !
Mais lorsque Marra revoit Kania à l’occasion du baptême de sa fille suivi bientôt de la mort du bébé, elle comprend que le prince, violent, obsédé par le désir d’un héritier (mâle, bien sûr,) bat sa femme et la retient prisonnière. Pour rester en vie, Kania enchaîne les grossesses qui l’épuisent. Elle sait que lorsqu’elle aura un fils, elle perdra toute valeur et le prince se débarrassera d’elle ! Marra apprend aussi que Vorling a tué Damia qui ne pouvait pas avoir d’enfant.

Féminicide(s) au pays des contes de fées ! Que peut on faire contre un souverain tout puissant, intouchable, dont rien, aucune loi, ne peut arrêter la violence et les meurtres ?  Le tuer. Et comme dans tout bon conte de fées, la jeune fille se met en quête d’adjuvants magiques, la Dame-poussière qui sait parler aux morts (et ses poules); sa marraine-fée qui ne sait accorder qu le don de bonne santé à ses filleules, faible créature (?) mais ne vous y fiez pas ! Enfin, une autre aide, humaine et non-magique comme Fenris, un chevalier sans peur et sans reproches (presque !), un costaud qui sait fendre des bûches et oui, c’est utile, pour obtenir gite et couverts et qui sait manier l’épée !  Ce qui prouve qu’on aime aussi les hommes ici ! Et Marra, en particulier, n’est pas insensible à son charme ! Ah! Ah !  
Il lui faut aussi accomplir trois épreuves impossibles, coudre une cape en tissu de fil de hibou et de cordelettes d’orties, fabriquer un chien d’os avec les os de plusieurs chiens morts et faire prisonnier un clair de lune dans un pot en argile.
Et la voilà enfin prête à affronter le prince Vorling et sa fameuse marraine-fée douée de pouvoirs extraordinaires, à la manière de la fée-sorcière de Disney et qui maintient la puissance de la dynastie depuis un millénaire.

Nettle and Bone se lit avec beaucoup de plaisir. L’imagination de T. Kingfsiher semble sans borne, les aventures s’enchaînent, l’humour est toujours présent. La manière de réinterpréter les contes de fées traditionnels est amusante, savoureuse, comme lorsque la marraine-fée de Marra rappelle le danger qu’il y a d’oublier d’inviter une marraine à un baptême. La visite de la cité des morts est fantastique à souhait et plus proche cette fois-ci de la mythologie nordique ou de Tolkien que du conte traditionnel.

Bref ! Une agréable lecture très mouvementée !


jeudi 17 avril 2025

Connie Willis : Sans parler du chien


 

Sans parler du chien de Connie Willis est un récit qui fait suite au roman Le grand livre, voyage temporel pour étudier le Moyen-âge lors de la grande peste !  Dans Sans parler du chien, nous sommes au XXI ème siècle et nous continuons à voyager dans le temps mais cette fois-ci au XXème siècle, juste avant le raid aérien nazi qui détruisit la cathédrale de Coventry en Novembre 1940.

 L’historien Ned Henry est chargé par l’opiniâtre lady Schrapnell qui veut reconstruire la cathédrale de Coventry à l’identique, de retrouver la potiche de l’évêque. Ce qui n’est pas simple étant donné l’imprécision du retour dans le passé. Quand on arrive, par exemple, après ou pendant le bombardement au lieu d’arriver avant !
A force de faire la navette entre les deux époques, Ned Henry subit un énorme déphasage, c’est pourquoi pour échapper à la terrible lady, on l’envoie à l’ère victorienne, à la fin du XIX siècle. Théoriquement, il  doit se reposer dans cette époque paisible, mais aussi, il lui faut accomplir une mission à laquelle il n’a rien compris, déphasage aidant. Et le voici en train de canoter sur la Tamise avec un étudiant sympathique, Terence, et son fantasque professeur, ( coup de chapeau à Trois Hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome), le voici qui rencontre l’arrière, arrière, arrière grand-mère de Lady Schnappel, Tossie, une blonde et délicieuse victorienne, aussi sotte que belle, qui a une révélation devant la potiche de l’évêque. Ce qu’elle confie à son journal. Journal qui tombe entre les mains de sa petite, petite, petite fille, Lady Schrapnell. Oui, toujours elle !  Ce qui explique son idée fixe à propos de la susdite potiche ! Rien n’est simple et tout se complique et d’autant plus quand Ned Henry comprend ce que l’on attend de lui : Il doit corriger une dangereux paradoxe temporel causé par une de ses collègues, Harriet, qui a ramené un chat d’une de ses expéditions.  Or, il se trouve que le chat, Princesse Arjumand, est une chatte et que c’est l’animal de compagnie de l’inénarrable Tossie ! Ajoutez à cela que Ned Henry a, sans le vouloir, empêché la rencontre de Terence avec celle qui devait devenir sa femme, empêchant par suite logique la naissance de leur fils, un jeune homme qui devait devenir un héros de la défense aérienne britannique, dramatique absence qui risque de favoriser ainsi la victoire du troisième Reich ! Catastrophe ! Il va falloir tout réparer et, bien sûr, retrouver la potiche de l’évêque !  Vous avez dit repos ?

Ce roman qui exploite un thème de science-fiction récurrent* : - que se passerait-il dans l’avenir si quelqu’un modifiait un tant soit peu le passé ? - présente parfois quelques longueurs mais est souvent hilarant ! Le déphasage de Ned Henry, les jeux de mots, les quiproquos, les personnages, les ridicules de la société victorienne avec ses séances de spiritisme, tout concourt à nous faire rire. Connie Willis a un humour renversant et nous conte une histoire complexe et enchevêtrée dont la conclusion ne manque pas de sel !

 Prix Hugo et prix Locus 1999

 * je me souviens toujours du roman de Barjavel, Le voyageur imprudent, qui présente le problème suivant : un voyageur dans le passé tue celui qui sera son grand-père mais avant que celui-ci ne soit marié et ait un enfant. Donc, le voyageur n'a pas pu naître. Oui, mais s'il n'est pas né, il ne peut pas tuer son grand-père...

 

La cathédrale de Coventry en ruines et nouvelles cathédrale

La cathédrale Saint Michel de Coventry a bien été  détruite lors d'un raid aérien le 14 Novembre 1940 mais elle n'a pas été reconstruite à l'identique comme dans le roman ! Au contraire, l'architecte, Basil Spence, a voulu conserver les ruines et a construit un bâtiment moderne à côté d'elle.

 

 

 

 

Printemps chez Moka

Chez Moka (535 pages)


mardi 8 avril 2025

John Grisham : Les Oubliés et La Sentence

 

Les Oubliés

Dans Les oubliés, John Grisham raconte l’histoire d’un avocat, Cullen Post, devenu pasteur après une grave dépression lié à son métier et qui finit par trouver sa vocation en rejoignant Les Anges gardiens, une association à but non lucratif spécialisée dans la défense des innocents injustement condamnés. Ils sont nombreux, des milliers, qui attendent l’injection létale dans les couloirs de la mort ! Ce sont eux les oubliés, hommes ou femmes noirs pris pour cibles par des suprémacistes blancs, ou blancs de milieu social défavorisé qui n’ont pas les moyens de se payer un bon avocat et à qui le système, méprisant et corrompu, fait porter le chapeau. C'est monnaie courante.

Ainsi Duke Russel, accusé de viol à la place du vrai coupable, Carter, a été condamné à mort. Maintenant que la recherche d’ADN existe, il serait facile d’innocenter l’un et de condamner l’autre mais le juge refuse de lancer les analyses.

Parfois, souvent, je n’aime pas les juges, en particulier ceux qui sont aveugles, vieux et blancs, parce que tous ont commencé leur carrière comme procureur et pas un seul n’a d’empathie pour les détenus. Pour eux, quiconque est poursuivi en justice est coupable et mérite son sort. Notre système est infaillible et la justice est toujours rendue.

Le livre raconte l’enquête menée par Post et les difficultés qu’il aura à prouver l’innocence de Duke. Mais il s’occupe aussi d’autres cas et mène plusieurs combats à la fois. Le plus difficile et le plus dangereux sera celui de Quincy Miller, un noir, condamné à perpétuité pour le meurtre d’un avocat. Il a été victime de fausses déclarations extorquées vraisemblablement par le shérif de la ville, derrière lequel se profile une organisation tout puissante.

Je ne vous en dis pas plus, les enquêtes menées sont intéressantes et surtout John Gisham présente une critique sociale au vitriol d’une justice arrogante qui non seulement ne reconnaît pas ses erreurs mais fait tout pour freiner l’accession à la vérité.  

Mr Quincy n’a rien à faire en prison, ni aujourd’hui ni depuis vingt ans. Il a été injustement condamné par l’état de Floride et devrait être libre. Une justice lente est un déni de justice !

Il y affirme ses idées contre la peine de mort, contre le racisme, décrit les conditions de vie dans les prisons pour les détenus comme pour leurs gardiens, un système inique qui permet aux riches et aux puissants de s’en sortir au détriment des classes sociales défavorisées.

Par exemple le gardien de prison :

Il exècre son boulot : se retrouver derrière les grillages et les barbelés, à surveiller de dangereux criminels qui ne pensent qu’à s’évader ou à lui faire la peau. Il déteste cette bureaucratie tatillonne, ces règles à n’en plus finir, ce directeur despotique, et cette violence, ce stress, cette pression qu’on leur met sur les épaules chaque jour, à chaque instant. Tout ça pour douze dollars de l’heure ! Et pour boucler la fin de mois, sa femme doit faire des ménages pendant que sa mère garde leurs trois gosses.

Dans Les oubliés, Grisham se révèle donc, comme dans presque tous ses romans, un fervent antagoniste de la peine de mort. Ainsi il décrit le paradoxe d’une justice qui punit un criminel d’avoir donné la mort par une mise à mort ! Il dénonce l’inhumanité qui parque les détenus dans les couloirs de la mort pendant de nombreuses années et ajoute, à la condamnation, le supplice de l’attente et l’angoisse de mourir en imagination plusieurs fois !

 Duke Russel est dans le couloir de la mort depuis seulement neuf ans. La durée moyenne est de quinze. Vingt ans, ce n’est pas une exception. Notre appel est quelque part dans la onzième cour du circuit à Atlanta, passant de service en service et quand il va arriver chez le bon greffier, l’exécution sera ajournée dans l’heure. Duke retournera en cellule d’isolement en attendant de mourir un autre jour.

J’ai aimé ce roman pour les thèmes qu’il développe mais je le trouve un peu trop démonstratif et l’emploi du présent comme  temps unique du récit, introduit un style très direct mais manquant de nuances.

La Sentence


La sentence, antérieur au roman Les oubliés, reprend des thèmes chers à John Grisham sur la peine de mort et la lutte contre le racisme et l’inégalité sociale.

Le roman est divisé en trois parties :

I) Le meurtre


Pete Banning en Octobre 1946 a pris sa décision.  Il se lève et  se rend à l’église où il  tire sur le pasteur Dexter Bell  qui s’écroule sur son bureau. Il a tout prévu : il laisse en héritage sa propriété à sa fille Stella et son fils Joel qui sont tous deux étudiants ; Florry, sa soeur, ne manquera de rien ; Elle est propriétaire de sa plantation de coton, héritée de ses parents. Liza, sa femme, est enfermée dans un asile psychiatrique après des troubles mentaux.
Qui est Pete Banning ? Un planteur de coton très estimé, pas riche mais aisé, fils d’une vieille famille bien implantée et respectée dans le pays. C’est aussi un héros de guerre. Il s’est illustré aux Philippines,  revient couvert de médailles. Sévèrement blessé, il a dû rester pendant des mois à l’hôpital après son retour de la guerre.
 Il refuse de donner les raisons de son acte non seulement devant la cour mais aussi à sa famille. A ce stade de l’histoire le lecteur le moins fûté comprendra (ou croira comprendre ?) ce qu’il en est en apprenant  que le pasteur est un peu trop porté sur la bagatelle. Sa femme se plaint d’ailleurs de la légèreté de son mari. Pete est condamné : c'est la sentence !

II ) l’ossuaire


La guerre fait rage au Philippines dans la péninsule du Bataan et les japonais sont vainqueurs. Ils amènent les soldats américains et leurs alliés philippins au camp O Donnel. Les souffrances des soldats  lors de la Marche de Bataan appelée aussi la Marche de  la Mort, sous la féroce conduite des soldats japonais, l’emprisonnement dans le camp, la maladie, la malnutrition, l’insalubrité, les coups, les humiliations qui bafouent toute dignité humaine, tout concourt à faire de cette partie un récit passionnant.
De plus un retour dans le passé nous permet de découvrir la rencontre de Pete Banning et de Liza et d’en apprendre plus sur leur mariage.


III) La trahison


La dernière partie s’intéresse aux enfants de Pete Banning, à sa femme et à sa soeur et aux conséquences du meurtre commis par Pete Banning sur leur vie. Et la vérité sera révélée.

J’aime beaucoup ce roman et je le trouve plus riche que Les oubliés dans la mesure où les personnages sont plus complexes, la vision de la société dans les plantations de coton du Mississipi est riche, décrivant les difficultés économiques liées aux récoltes, les rapports entres les blancs, propriétaires des terres et leurs employés noirs. De plus, Grisham possède un art du récit qui rend addictif et la description de la guerre aux Philippines contre l’armée japonaise, la défaite des américains et de leurs alliés philippins, nous tiennent en haleine. On a du mal à s’arracher à cette lecture qui condamne aussi un chef militaire comme le général Mac Arthur, incompétent, qui abandonne ses soldats quand il y a du danger et les laisse seuls face à l’ennemi et le président Roosevelt qui l’a nommé et qui le décore après sa fuite. Grisham règle ses comptes avec l’Histoire et en donne un aperçu que je ne connaissais pas.



 

samedi 1 mars 2025

Joyce Carol Oates : Le petit paradis

 


Le roman de Joyce Carol Oates Le petit paradis est une dystopie qui dépeint un monde assez effrayant située dans une Amérique « reconstituée » (à la manière trumpiste, je suppose, englobant les pays voisins ?) où règne un totalitarisme qui ne permet aucun échappatoire. Nous sommes en 2039. Aucun individu ne doit échapper à la norme et c’est bien ce qui est difficile pour la jeune héroïne de notre histoire, Adriane Strohl, qui sort major de sa promotion. Autant dire qu’elle se distingue et devient suspecte aux yeux du gouvernement. Quand, en plus, elle conçoit son discours de fin de promo en forme d’interrogations, elle est jugée comme carrément subversive.  Il faut dire qu’elle a déjà déjà un père, trop brillant chirurgien, rétrogradé IM, Individu Marqué, un oncle disparu, « vaporisé »  … La punition ne va pas tarder. Elle sera IE, Individu Exilé. Les trop nombreux sigles employés sont lassants mais c'est un détail et heureusement cela s'arrête vite !.

 Elle est envoyée dans le passé quatre-vingts ans plus tôt, en 1959. Constamment surveillée, obligée d’adopter une nouvelle identité, elle s’appelle désormais Mary Ellen, elle doit partager le dortoir de jeunes filles de l’époque et étudier la psychologie dans une université du Wisconsin. Aux yeux de sa famille, elle a été vaporisée ! Alors, quand elle découvre que son professeur Ira Wolfman est un exilé comme elle, elle en tombe amoureuse. Oui, c’est peu original !

L’originalité du roman vient de la manière de peindre le passé. Foin de la nostalgie du bon vieux temps, et des soupirs écolos énamourés d’un monde moins technique ! La découverte de la machine à écrire en lieu et place de l’ordinateur par Adriana est amusante ! Le monde universitaire que décrit Joyce Carol Oates est celui où l’écrivaine a fait elle-même ses études,  à l’université du Wisconsin, à la même époque. Elle nous la raconte dans son roman Je vous emmène. ICI
Dans les années 1950/60, finalement, le sort des filles n’est pas très enviable. Adriana décrit avec stupéfaction les gaines et les soutiens-gorge pointus qui briment le corps des jeunes filles. Une fille  enceinte  ?  (cela ne se dit pas !) est obligée de partir de l’université.
Le sexisme règne de la part des professeurs et leurs commentaires sont désobligeants pour la gent féminine. Les filles y sont peu nombreuses. Dans le cours de Wolfman, elles ne sont que trois. Pas une seule femme professeur.

« ... la logique n’est pas un cours pour femme. Comme les maths et la physique, l’ingénierie - nos cerveaux ne sont pas adaptés à ce genre de calculs »  explique Miss Steadman.

Adriana crée le scandale en remettant en cause les observations des psychologues (tous des hommes) et le rôle du père.
La mère, « dans l’incapacité à être une  « bonne mère » est  soupçonnée de causer l’autisme chez certains enfants ».
 « Je ne parviens pas à imaginer une situation expérimentale où ces psychologues auraient pu observer « les mères à l’oeuvre ». Les pères n’auraient-ils pas « oeuvré » conjointement eux aussi ? »  s’insurge  Adriana.

L’obscurantisme règne. Les théories d’Einstein sont réfutées. C’est « une logique juive » dit l’un des professeurs ! L’homosexualité est considérée comme une déviance et «soignée» par électrochocs « jusqu’à ce qu’ils soient réduits à une masse de nerfs tremblotante. » Les malades mentaux sont lobotomisés.
 

Ce parallèle entre la société totalitaire et celle du passé est ce qu’il y a de plus intéressant dans Le petit paradis dont on se doute bien que le titre est à prendre comme une antiphrase !

 Je l’ai lu sans déplaisir, désireuse de savoir ce qui allait se passer ! Par contre, j’ai trouvé certains passages trop démonstratifs. Les personnages sont peu attachants : Adriana toujours en train de vouloir briller, persuadée de sa supériorité intellectuelle, Wolfman lui carrément antipathique ! Mais surtout, surtout, ils me sont apparus un peu schématiques, ils sont des idées, non des personnages vivants. Bref ! Moi qui aime tant Joyce Carol Oates, je n’ai pas été entièrement convaincue.

Kathel a beaucoup plus aimé le livre que moi. Voir ici
 

Participation à Objectif SF 2025 chez Sandrine

 


 

 



vendredi 21 février 2025

Connie Willis : Le Grand Livre


 

Vous aimez l’Histoire avec un grand H ? Vous aimez le Moyen-âge? Vous aimez l’aventure et l’extraordinaire ? Vous souhaitez voyager dans le Temps, vivre dans le futur ou dans le passé ? Alors ce livre est pour vous : Le Grand Livre de Connie Willis.

Nous sommes en 2054. Kivrin est étudiante en histoire à l’université d’Oxford et va être expédiée à l’époque médiévale par le directeur du laboratoire de Recherche, Mr Gilchrist, qui n’hésite pas à risquer la vie de son étudiante dans un tel voyage pour satisfaire ses ambitions personnelles. Et ceci, contre l’avis de James Dunworthy, chargé de l’organisation des voyages temporels. Pour lui, le Moyen-Âge est une période trop élevée sur l’échelle des risques et Kivrin lui paraît trop fragile :« Une fille qui mesurait moins d’un mètre cinquante, aux cheveux blonds tressés en nattes. Elle ne semblait même pas assez âgée pour pouvoir traverser une rue toute seule ». Mais elle souhaite ardemment partir et Dunworthy ne peut s’opposer à Gilchrist. Et puis, après tout, le XXI siècle n’est-il pas dangereux, lui aussi ?

«  Au Moyen-Âge, au moins, on ne risquait-on pas de recevoir une bombe sur la tête. »

Krivin a bien été préparée et partira le 22 décembre 2054 dans l’Oxfordshire du 14 au 28 décembre 1320. Le 28 décembre, elle retrouvera la porte temporelle à l’endroit où celle-ci l’a déposée.
Le docteur Mary Arhens lui a fait toutes sortes de vaccins, choléra, peste, typhoïde... Elle a aussi renforcé son système immunitaire même si l'on sait sait que la grande peste, la Mort Noire qui a d’abord touché l'Asie, le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, avant de ravager la population européenne, n’arrivera en Angleterre qu’en 1348. Badri, l’ingénieur chargé de la machine à voyager dans le temps, est très compétent. Et le départ a lieu malgré les inquiétudes de James Dunworthy.



Mais…  dans la ville du XXI siècle qui se prépare à fêter Noël se déclare alors une épidémie liée à un virus inconnu. Krivin, elle se retrouve au Moyen-âge, est recueillie par une famille noble mais une erreur de calcul la plonge en pleine épidémie de peste en 1348. Le roman se déroule donc en alternance sur les deux périodes. 


Breughel l'Ancien : le triomphe de la Mort


Au Moyen-âge, nous faisons connaissance du père Roche, de dame Eliwys, épouse de sir Guillaume, et de leurs filles, Rosemonde (12 ans) Agnès ( 5 ans). Kivrin doit affronter la peste, soigner les pestiférés, sans savoir si elle pourra revenir dans le présent. Parviendra-t-elle à sauver Rosamonde et Agnès ? Retrouvera-t-elle son époque ? Elle va prouver qu'elle est capable de "traverser la rue toute seule" !  La description de la peste est cauchemardesque et nous immerge dans une époque terrifiante. Le XIV siècle est, en effet, ressuscité avec ses superstitions, ses ignorances et ses peurs, sa vie religieuse, ses croyances à la sorcellerie, avec le manque d’hygiène et la misère, la puanteur, la maladie, avec la mort omniprésente….  


Panneau de la chapelle de Lanslevillard (XVe siècle), en Savoie, La peste noire de 1348

Au XXI siècle malgré l’épidémie et les progrès de la médecine, la pandémie fait rage. James Dunworthy se dévoue pour lutter contre la maladie, pour essayer de sauver Kivrin perdue dans l'époque médiévale,  et pour s'occuper de Colin Templer (12 ans), petit-neveu du docteur Arhens, personnage attachant. Colin et l’étudiant William Meager, ce dernier bourreau des coeurs, doté d’une mère abusive et bigote, apportent une touche de fraîcheur et de dérision au récit. Par exemple, lorsque madame Meager pour réconforter les malades leur lit des pages de l’Ancien Testament !  

« A son réveil, Mme Meager se dressait au-dessus de lui, bible au poing.
-Il vous enverra maux et afflictions, entonna- t-elle dès qu’elle le vit ouvrir les yeux. Et toutes les maladies et toutes les fièvres jusqu’à votre destruction. »
« - je constate que madame Meager ne ménage toujours pas ses efforts pour remonter le moral des troupes. Je présume que le virus prendra bien soin de l’éviter. »
 

Malgré la situation dramatique, à la recherche des origines du virus et d’un vaccin, certaines situations nous font rire !

Un livre addictif qui mêle aventures palpitantes, tragiques, et humour bienvenu, nous amène très loin dans l’imaginaire. A lire absolument si vous aimez ce genre de lecture ! Moi, j’aime et je pense que je lirai d’autres livres de Connie Willis ! Le livre a été récompensé par quatre prix. 


Les pavés de l'hiver chez Moka (702 pages)



Chez Sandrine Blog Tête de lecture


vendredi 31 janvier 2025

Todd Strasser : La Vague et Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher...

 

 EN MEMOIRE  :

 Pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la libération d'Auschwitz.

La Vague de Todd Stasser est un roman paru en 1981 adapté d’un téléfilm d’après l’expérience bien réelle menée dans une classe de terminale à l’école de Cubberley à Palo Alto en Californie par un professeur d’Histoire en 1969. En 2008 sortit aussi un film portant le même titre de Dennis Gansel en Allemagne.

Selon le professeur  qui a raconté l’expérience: « Il s’agit de l’évènement le plus  effrayant que j’aie jamais vécue en une salle de classe, »

Ben Ross le professeur charismatique d'un lycée enseigne la seconde guerre mondiale à ses élèves et leur présente un film sur les camps de concentration. Les élèves, bouleversés par les images, s’étonnent qu’aucun allemand n’ait réagi et que tous aient suivi Hitler, adhéré à ses idées.

« Comment  les Allemands ont-ils pu laisser des millions d’êtres humains innocents se faire assassiner? »*

Ben Ross les invite à une expérience :  dans un premier temps il les fait « jouer » à observer une discipline stricte puis à répéter les trois slogans :  La Force par la discipline, la Force par la communauté, la Force par l’action. Il en profite d’ailleurs pour leur faire apprendre leurs leçons ! Au début, les jeunes gens  s’amusent mais peu à peu ils se piquent au jeu et ceci d’autant plus qu’une énergie nouvelle les anime, un sentiment de force, de pouvoir, une solidarité inédite naît entre eux de cette expérience.

« Les élèves sentaient une nouvelle fois monter en eux l’impression de puissance et d’unité qui les avait envahis la veille » « 

Bientôt, le professeur leur fait adopter un logo, une vague, et un geste qui ressemble à celui exécuté par Musk pendant la cérémonie d’investiture de Trump.

"Rappelez-vous, au sein de la Vague, vous êtes tous égaux. Personne n’est plus important ou plus populaire que les autres, et personne ne doit se sentir exclu du groupe."

Robert, l'un des élèves, souffre-douleur de la classe est l’un des plus enthousiastes dès le début. Désormais il fait partie du groupe car tous sont solidaires.  Serait-ce un des effets positifs de cet engouement ?

"Si tu étudies les personnes qui rejoignent les sectes, tu verras qu’il s’agit presque toujours de gens mal dans leur peau et dans leur vie. Pour eux, la secte est une façon de changer, de recommencer à zéro, comme une renaissance ".

Mais tous les adhérents de la Vague ne sont pas des exclus, loin de là :  L’équipe de foot, les élèves des autres classes viennent rejoindre le groupe, des cartes de membre sont distribués, portant le logo de ralliement.

« La Vague n’était plus une simple idée, ni même un jeu. Mais un mouvement qui avait pris corps grâce à ses élèves. C’étaient eux la Vague, et Ben comprit qu’ils pouvaient agir seuls, sans lui, s’ils le voulaient. »

Et bientôt il y un glissement vers l’intolérance. Ceux qui ne veulent pas adhérer à la Vague sont rejetés,  harcelés par les autres et même frappés. Laurie et David ainsi que les membres de la rédaction du journal  du lycée cherchent pourtant à résister et vont avertir le professeur que le mouvement prend de l’ampleur et risque de conduire au désastre.

"Ben commençait à comprendre à quel point sa « petite expérience » s’avérait bien plus sérieuse que ce qu’il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une  confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter une seconde - ce constat l’effrayait. Si le destin des hommes était de suivre un chef, raison de plus pour que les élèves retiennent cette leçon : Il faut toujours tout remettre en question, ne jamais faire confiance aveuglément à quelqu’un. Autrement…"

 Lui-même s’est laissé prendre un moment à ce jeu, il est si agréable d’être écouté, respecté, obéi, d’avoir un tel pouvoir sur ses élèves … mais c’est au détriment de la liberté individuelle et de la réflexion. Il lui faut alors tout arrêter et faire comprendre la leçon aux enfants.

Vous aurez appris que nous sommes tous responsables de nos propres actes et que nous devons toujours réfléchir sur ce que nous faisons plutôt que de suivre un chef aveuglément; et pour le restant de vos jours, jamais au grand jamais, vous ne permettrez à un groupe de vous dépossédez de vos libertés individuelles ».

 La vague est  un témoignage romancé à partir des écrits du professeur et du téléfilm. Ce n'est pas un grand texte littéraire mais une démonstration. Il est simple à lire et je pense qu'il constituerait une bonne base de lecture pour des élèves de 4 ième et 3 ième d'autant plus qu'il parle de l'univers scolaire. Pour ceux de la seconde à la terminale les oeuvres de Jorge Semprun, Primo Levi, sur ce sujet, sont évidemment plus complexes et plus littéraires.

La mort est mon métier de Robert Merle est aussi un livre riche et passionnant qui vient corroborer la démonstration de La Vague

"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon ! mais c'est le Mal !"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.

 https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/06/gitta-sereny-au-fon-des-tenebres-un.html

 

 

Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher ...

 

Martin Niemöller


* J'espère que le professeur d’histoire a tout de même expliqué à ses élèves qu’il y a  eu des opposants au régime hitlérien et que ce sont eux, qui, dans les années 1930, ont été envoyés les premiers dans les camps de concentration. C’est d’ailleurs ce que nous dit le texte du pasteur de l’église protestante, Martin Niemöller.
"Martin Niemöller passa 8 ans en camp de concentration sur ordre de Hitler auquel il s'était opposé à partir de 1934. Ancien officier nationaliste de sous-marin allemand durant la Grande Guerre, devenu pasteur par refus de tuer des innocents, il est au début attiré par les thèses du parti nazi mais réalise très vite la perversion du national-socialisme et organise, avec Dietrich Bonhöffer, la dissidence anti-régime et la résistance d'une partie de l'église allemande. Arrêté en 1937 et enfermé à Sachshausen puis Dachau, il sera libéré par les Américains en avril 1945." (wikipédia)


Quand ils sont venus chercher les communistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas communiste.


Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas syndicaliste.


Quand il sont venus chercher les sociaux-démocrates, 

je n'ai rien dit,

 je n'étais pas social-démocrate.

 

Quand ils sont venus chercher les Juifs, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas juif.
 

Puis, quand ils sont venus me chercher, 

il ne restait plus personne

 pour protester.