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mardi 28 janvier 2020

Jack London : Martin Eden (2)


Martin Eden est un roman en partie autobiographique de Jack London dans lequel il conte l’histoire de Martin, un jeune marin issue d’un classe sociale misérable, qui a très tôt dû abandonner ses études pour travailler et rapporter de l’argent à sa mère. Un jour, il vient en aide à un jeune bourgeois attaqué par des voyous et celui-ci l’invite dans sa famille pour le remercier. C’est là que Martin Eden tombe amoureux fou de la soeur du jeune homme, Ruth,  jeune fille cultivée qui poursuit ses études à l’université. Il décide de s’instruire pour se hisser à son niveau et être digne d’elle. Entre deux voyages en mer, Martin lit, se cultive, se lance dans les études, dormant à peine, progressant dans sa manière de s’exprimer et s’ouvrant ainsi à la connaissance donc à la beauté. Il sent en lui une profonde envie d’écrire mais ses manuscrits lui sont toujours refusés. Pourtant, il s’obstine au grand déplaisir de Ruth, devenue sa fiancée, qui le voudrait établi dans une situation bourgeoise, confortable et sans risque. Les premières désillusions s’installent mais je ne vous en dis pas plus pour vous laisser découvrir ce que devient Martin Eden par la suite.

Dans cet ouvrage où Jack London met beaucoup de lui-même, même si le personnage reste fictionnel, nous suivons avec intérêt le personnage de Martin. Ce jeune homme, grossier et frustre d’allure et de langage mais capable d’idéalisme et de délicatesse dans les sentiments nous devient extrêmement attachant. C’est avec talent que Jack London analyse ce que peut ressentir le jeune homme complexé dans cette société qui l’accueille avec bienveillance mais aussi condescendance. Comment faut-il se tenir à table, comment faut-il saluer, quelles sont les règles des bonnes manières ? Honte de sa maladresse, des ses gestes sans grâce, de sa voix rude, de sa grammaire défectueuse, de ses vêtements déformés, de sa naissance populaire. C’est avec empathie que nous le suivons dans les progrès de son éducation, que nous voyons cette intelligence en friche, s’ouvrir à toutes les formes de la connaissance, littérature, poésie, art, mathématiques, sciences. Son courage, son acharnement à l’étude, son intelligence qui lui permettent d’accéder au savoir en autodidacte, forcent l’admiration. Jack London nous fait partager l’ivresse intellectuelle qui s’empare de Martin quand il découvre le savoir  et qu’il voit son horizon jusque là borné s’étendre.
Pourtant, peu à peu, Marin Eden prend conscience du conformisme de sa fiancée et aussi plus généralement de la classe sociale à laquelle elle appartient. Ces intellectuels ne jugent l’art, la littérature, qu’avec des idées toutes faites et  les étroits préjugés de leur classe. Leur superficialité le déçoit. Chez eux tout n’est que façade, trompe l’oeil. Il éprouve une grande déception devant leur snobisme, leur suffisance, leur indifférence à la misère qui les entoure. Martin Eden s’aperçoit que, même en adoptant les codes de la bonne société, en voulant à tout prix s'y intégrer, il appartient toujours au monde ouvrier, il est du côté des misérables :  de sa soeur  Gertrude peinant toute la journée pour élever ses enfants tout en travaillant dans un taudis, sous la domination d’un mari tyrannique, de Lizzie la jeune ouvrière amoureuse de lui qui a les yeux durs d’un quelqu’un qui n’a jamais connu la tendresse et l’amour, de Maria, sa logeuse, qui élève seule ses sept enfants. Il rejette le socialisme au nom de l’individualisme qui lui permettra d'arriver au but qu'il s'est fixé mais ne trouve que le vide face à lui.

Le livre présente aussi une réflexion sur l’écriture, la formation de l’écrivain. Martin Eden est poussé par une force intérieure à écrire. C’est une nécessité impérieuse. C’est en écrivant beaucoup qu’il progresse et, bien sûr, en lisant beaucoup. Les nombreux échecs qu’il subit, tous les manuscrits lui sont refusés, lui montrent que là aussi le conformisme règne et l’on s’en tient aux idées conventionnelles et aux valeurs établies. S’ensuit une critique en règle des éditeurs de magazines plus ou moins filous, où, non sans humour, Jack London règle ses comptes avec un milieu qu’il connaît bien !
On pourrait penser à voir les certitudes de Martin Eden sur la valeur de ce qu’il écrit et la bonne opinion qu’il a de son intelligence, que c’est un homme imbu de lui-même ! Mais Jack London nous dit le contraire : « Il était loin de se douter que les êtres remarquables sont semblables aux grands aigles solitaires, qui planent très haut dans l’azur, au-dessus de la terre et de sa banalité moutonnière. »

Un très beau livre donc que j'ai découvert avec beaucoup de plaisir.