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jeudi 5 septembre 2019

Joyce Carol Oates : Petit oiseau du ciel


Quand Zoe Kruller, jolie serveuse se rêvant star de country, est découverte brutalement assassinée dans son lit, la police de Sparta vise aussitôt deux suspects : Delray Kruller, le mari dont Zoe est séparée, et Eddy Diehl, l'amant de longue date. Mais, sans preuve, l'enquête piétine. Les rumeurs s'amplifient, ravageant au passage l'existence des deux hommes et imprimant un cours étrange à celle de leurs enfants. Aaron Kruller et Krista Diehl, adolescents sacrifiés à l'histoire familiale, chacun persuadé que le père de l'autre est l'assassin, conçoivent peu à peu une redoutable obsession réciproque.  (éditeur Philippe Rey)

Le récit de Petit oiseau du ciel, titre d’une chanson folk, Little bird of heaven, est divisé en deux parties selon le point de vue adoptée : d’abord, celui de Krista, qui adore son père Eddy et qui est persuadée de son innocence. Son récit mêle différents moments de l’histoire, selon qu’elle est enfant ou adolescente. Puis, le point de vue d’Aaron, le fils métis de Zoé et de Delray (ce dernier est indien) qui porte à la fois le poids de son métissage et du regard négatif des autres et la honte du crime dont est accusée son père qu’il croit innocent. C’est lui qui découvre le cadavre mutilée de sa mère.
J’ai lu que l’on reprochait à ce roman des répétitions mais à mon avis, il s’agit d’une force du récit. En effet, les mêmes situations sont vécues à la fois par Krista et Aaron, donc sont forcément très semblables mais aussi très différentes puisque rapportées selon la subjectivité de l’un et l’autre. Peu à peu et par recoupement, l’intrigue progresse. Le roman fonctionne comme un thriller bien qu’il soit tout autre chose, le dénouement nous apportant la réponse à l’enquête policière.

Joyce Carol Oates dresse à nouveau à travers de ce récit un réquisitoire contre l’Amérique profonde : celle ou la police corrompue mène un enquête bâclée voire truquée, renvoyant dos à dos le mari et l’amant de la jeune femme assassinée sans pouvoir les inculper et sans vouloir les disculper. Celle ou les indiens des réserves n’ont aucune chance de pouvoir s’en sortir, faire des études, et où règnent le racisme qui entretient la violence. Les deux communautés se haïssent et ne parviennent pas à vivre ensemble d’une manière apaisée.
L’écrivaine analyse aussi les personnages principaux comme les personnages secondaires avec une maîtrise parfaite, montrant la complexité des sentiments, entre sensualité et rejet, entre amour et haine. Tous sont révoltés, englués dans un désespoir si profond que toute leur vie en sera marquée, du moins pour ceux qui parviendront à survivre. La vision des adultes par les enfants est d’une grande vérité et se révèle parfois très cruelle comme lorsque Krista juge sa mère anéantie par la trahison de son mari et par l’accusation portée contre lui. Elle la repousse pour prendre le parti du père. L’éveil de la sexualité de la jeune fille est lui aussi sans tendresse, marqué par la colère et la peur. Alcool et drogue semblent être un exutoire au mal être de la jeunesse et de la société en général.
Pas une fausse note dans ces personnages dont on partage les sentiments au plus près et qui ont une force et une vie qui font que l’on referme le livre poursuivi par ce récit noir et tragique. 


Little bird of heaven par le groupe Reeltime Travelers


Merci à toutes celles qui se sont inquiétées de mon absence. Votre gentillesse m'a touchée. Me voici de retour et j'espère plus régulièrement...  !

mardi 28 janvier 2014

Mudwoman de Joyce Carol Oates


Mudwoman, le dernier roman de Joyce carol Oates est une grande réussite, un roman puissant et haletant que l'on ne peut lire qu'avec passion.

Mudgirl est une petite fille maltraitée que sa mère, folle, jette dans les marais des Adirondacks. Tandis qu'elle s'enfonce dans la boue, promise à une mort terrible, elle est sauvée par une jeune homme faible d'esprit qui prétend avoir été guidé vers la fillette par le roi des corbeaux. Mudgirl est ensuite placée en famille d'accueil puis adoptée par des quakers qui lui donnent beaucoup d'amour. Mais peut-on guérir d'une telle enfance? Il le semble bien puisque Meredith Neukirchen, brillante philosophe, chercheuse de renom, devient la première femme présidente d'une université prestigieuse malgré le machisme du milieu. Pourtant il va suffire d'un voyage sur les lieux de son enfance pour que le passé resurgisse. Mudgirl n'a jamais cessé d'exister, elle est devenue Mudwoman.

Le personnage de Mudwoman est passionnant, complexe et attachant. Sous cette femme en apparence forte, sous la froideur, se cache un être fragile, naïf, qui croit encore malgré tout à la bonté des hommes, mais aussi très solitaire. Elle doit faire d'immenses efforts pour parvenir à assumer ses fonctions, à avoir des relations avec les autres,  à refouler le passé et l'angoisse qui montent en elle. Elle se fait appeler par ses initiales MR comme si elle voulait se cacher, ne pas s'impliquer en tant qu'être humain, nier sa personnalité, sa féminité aussi. Et d'ailleurs qui est-elle? Elle a porté deux autres noms avant de devenir MR.

Le fait d'adopter son point de vue, par un parti pris de l'auteur, nous pousse à épouser tous ses sentiments, à partager sa tension intérieure, et, en même temps, brouille la narration romanesque dite "normale".
La narration est, en effet, complexe mais très maîtrisée par Oates. L'on passe de la réalité à l'onirisme dans un glissement léger qui ne permet pas d'en saisir les frontières, ce qui est assez rare dans un roman occidental.  En effet, bien souvent le lecteur est dérouté car il ne sait pas si les évènements qui se déroulent sont vrais ou s'ils sont la projection des pensées de Meredith, de ses rêves, de ses cauchemars. Il s'ensuit que nous sommes entraînés avec elle dans une descente aux Enfers, un monde hostile, glacé où survivre demande des efforts. Un monde aussi où l'on perd ses repères, où l'on ne sait plus ce qui est réel ou imaginaire. Un récit haletant.

Les thèmes comme toujours chez cette écrivaine sont nombreux et riches et j'apprécie qu'elle ancre son personnage dans la réalité de l'époque et de son pays, sans que cela paraisse plaqué. Oates présente ses idées politiques généreuses que son personnage partage mais n'est pas libre d'exprimer dans un pays qui se dit pourtant démocrate!

Description du milieu universitaire hostile aux femmes et ostracisme qu'elles subissent au quotidien; il y a peu de temps que les femmes peuvent arriver à un tel poste; guerres intestines entre républicains et démocrates au sein même de l'établissement;  prises de position réactionnaires des républicains qui refusent l'accès de l'université aux boursiers comme ils le refusaient aux juifs, aux noirs et aux femmes il y a peu;  manque de liberté de la présidente d'université qui est soumise au diktat des riches donateurs de l'université et peut à tout moment si elle n'est pas politiquement et socialement "correcte" être destituée. Tout ceci sur fond de conflit menaçant. Nous sommes à la veille de la guerre en Irak, les mensonges politiques troublent les esprits, fomentant la haine et créant une atmosphère délétère, réveillant les actes fascisants.
L'amour, dans ce monde noir, ne semble pas apporter un grand soutien. L'amant "secret" de Mudwoman n'est jamais présent et ne la soutient qu'occasionnellement. Et Mudwoman s'efface devant lui, ne peut laisser cours à ses sentiments : prisonnière? de quoi? de la boue qui n'a jamais cessé de l'étouffer! Elle ne peut répondre entièrement à l'amour de ses parents, peut-être parce que ceux-ci ont essayé de lui faire jouer le rôle de la fillette qu'ils ont perdue avant de l'adopter. Ne lui ont-ils pas donné le nom de leur petite morte? Pourtant l'amour qu'elle porte à son père adoptif et réciproquement donne une lueur d'espoir au dénouement... semble-t-il? Un dénouement qui me paraît pourtant équivoque*.


Un très grand roman au même niveau pour moi que Chutes ou Nous serons les Mulvaney, mes préférés. Un coup de coeur!


* j'aimerais bien discuter du dénouement avec un lecteur du roman. HOU! HOU! il y a quelqu'un?


Lire George ICI

Sylire ICI

Dominique Un avis négatif



vendredi 1 juillet 2011

Joyce Carol Oates : la fille du Fossoyeur




Avec La fille du fossoyeur, Joyce Carol Oates s'inspire de l'histoire de sa grand-mère, Blanche Morgensten, à qui le livre est dédié. La fille du fossoyeur a donc réellement existé avant de devenir un personnage romanesque.
Dans le roman, Rebecca Schwarz dont le père a fui le régime hitlérien pour immigrer aux USA naît sur le bateau au moment de l'arrivée dans le port de New York. C'est ce qui la distingue du reste de sa famille, ses parents et ses frères qui ne sont pas américains et subiront leur vie durant les quolibets et les injures réservés aux étrangers qui parlent mal la langue et qui, de plus, sont allemands donc assimilables aux yeux de la population aux ennemis et aux nazis. Le père, professeur de mathématiques en Allemagne obtient un emploi bien au-dessous de sa qualification; il devient fossoyeur, profession peu considérée et qui lui vaut la condescendance voire le mépris des notables. Obligé de s'humilier devant eux, il cultive la haine qu'il éprouve envers "ces autres", ceux qui l'accueillent si mal, il s'aigrit, boit et se venge sur sa famille, ses enfants surtout. C'est ainsi que vit Rebecca jusqu'au drame qui va transformer sa vie et la pousser vers d'autres lieux. Après un mariage malheureux, elle va fuir avec son petit garçon, Zachs, à travers les Etats-Unis, toujours en mouvement, jusqu'au jour où elle rencontre Gallagher...
Je résume brièvement La fille du fossoyeur pour laisser le plaisir de la découverte mais l'intrigue est étoffée et  complexe et de nombreux personnages rentrent en jeu. En fait, le roman comporte trois parties distinctes :
La première intitulée : La vallée de Chautauqua raconte l'enfance de Rebecca à Milburn, état de New York et sa vie de femme mariée à Chautauqua Falls.
La seconde : Dans le Monde est l'errance de la jeune femme et de son fils, poussés tous les deux par la peur de cet homme violent, leur mari et leur père...
La troisième : Au-delà est un échange de lettres entre Rebecca, âgée, malade, et sa cousine Freida, réchappée des camps de la Mort.
Le roman de Joyce Carol Oates est passionnant car l'on suit les péripéties de la vie de Rebecca hantée par la tragédie familiale, poursuivie par le malheur mais forte, courageuse, digne. C'est une femme hors du commun qui parvient à rester maîtresse de sa vie. Les personnages qui gravitent autour d'elle avec leurs faiblesses, leurs souffrances, leur désespoir, sont toujours décrits en évitant le manichéisme, avec les subtilités d'une analyse qui s'efforce de comprendre l'homme sous la brute : comme le  père de Rebecca qui devient bourreau alors qu'il est victime. La densité des évènements et les nombreuses rencontres qui jalonnent la route de Rebecca renouvellent sans cesse l'intérêt.
Au départ, pourtant, le sujet me paraît plus classique que les autres romans de Oates; il me rappelle Sang Impur de Hamilton qui traite du même thème, une famille allemande qui fuit le nazisme mais cette fois-ci en Irlande. il y a un peu, aussi, de La nuit du chasseur dans la longue fuite de la mère et l'enfant. Mais c'est aussi un roman sur l'identité, Rebecca rejetant son passé, reniant son origine et  les blessures de son enfance, se forgeant une autre personnalité. C'est un thriller mais traité d'une manière originale avec l'histoire d'un serial killer qui court en filigrane tout au long du récit, que l'on finit par oublier et qui revient à la fin, récit dans le récit, totalement imbriqué, qui peint la femme comme une proie.
De nombreux thèmes viennent encore s'entremêler au récit principal : le travail et l'exploitation des ouvrières à la chaîne à l'usine de Niagara Tubing, la musique qui est si importante dans la vie de Zachs et devient une raison de vivre, le racisme, l'antisémistisme, le rejet de l'autre qui est à l'origine du drame. Enfin, plus fort que tout est la dénonciation de l'attitude des Etats-Unis pendant le seconde guerre mondiale, son refus de prendre parti, le renvoi criminel d'un bateau contenant des centaines d'immigrés qui ont péri dans les camps. Un beau livre!