La fée aux Gros Yeux (édit. Autrement dit)
La Fée aux gros yeux est un personnage de conte imaginé par George Sand pour ses petites filles Aurore et Gabielle. Dans les éditions Autrement dit, le livre est accompagné d'un CD. Il a été publié aussi aux éditions Saint-Mont dans la même collection que La Fée poussière, conte dont je vous ai déjà parlé.
Editions Saint-Mont
Barbara, gouvernante de la petite Elsie, a été surnommée la fée aux gros yeux parce qu'elle était "mystérieuse et très savante et parce qu'elle avait d'énormes yeux clairs, saillants et bombés que la malicieuse Elsie comparait à des bouchons de carafe."
Or cette gouvernant est étrange. Malgré ses gros yeux, elle est à moitié aveugle et se cogne à tous les objets mais elle refuse de porter des lunettes prétextant qu'elle y voit mieux que tout le monde. Non seulement elle a peur des chauves-souris (ce qui peut se comprendre) mais elle est démesurément effrayée par n'importe quels oiseaux, fussent-ils les plus charmants. Ni fauvettes, ni mésanges ou rouge-gorges ne trouvent grâce à ses yeux. De plus, elle a un secret. Chaque soir elle se retire dans son pavillon au fond du jardin et sa lumière reste allumée toute la nuit. Que fait-elle? Elsie n'aura de cesse de le découvrir. Un soir, Barbara accepte de l'amener chez elle mais il leur faut traverser le jardin où elles rencontrent Mr Bat, le précepteur des frères d'Elsie. Mais pourquoi déplaît-il autant à la fée? Que lui reproche-t-elle? Allez! je vous mets un peu sur la voie en précisant que Bat en anglais signifie chauve-souris!
L'ombre de Mr Bat (édit. Autrement dit)
Elsie, sa gouvernante et l'inquiétant Mr Bat (édit. Saint-Mont)
Comme toujours le récit de George Sand à ses petites filles a un but pédagogique qui réflète ses préoccupations scientifiques. Le conte témoigne, en effet, de l'intérêt porté
par George Sand aux papillons qu'elle collectionnait.
Les papillons en robe de bal
Dans cet extrait
chacun est convié à un bal et y vient pourvu de ses plus beaux atours :
Puis, tout à coup, elle s'écria :
- En voici un! c'est la princesse nepticula marginicollella avec sa
tunique de velours noir traversée d'une large bande d'or. Sa
robe est en dentelle noire avec une longue frange.
Présentons-lui une feuille d'orme, c'est le palais de ses
ancêtres où elle a vu le jour. Attendez !
Donnez-moi cette feuille de pommier pour sa cousine germaine, la belle
malella, dont la robe noire a des lames d'argent et dont la jupe
frangée est d'un blanc nacré. Donnez-moi du
genêt en fleurs, pour réjouir les yeux de ma
chère cemiostoma spartifoliella, qui approche avec sa
toilette blanche à ornements noir et or. Voici des roses
pour vous, marquise nepticula centifoliella. Regardez, chère
Elsie ! admirez cette tunique grenat brodée d'argent...
On sait combien Sand se passionne pour les sciences et les nouvelles théories. Avec La Fée aux gros yeux, Aurore et Gabrielle apprennent le nom des papillons mais surtout leur grand mère les amène à réfléchir sur l'idée qu'il y a des mondes imperceptibles à l'oeil humain et que, s'il y a un infiniment grand, il existe un infiniment petit. Cette préoccupation correspond aux recherches du XIX siècle sur l'atome.
Il y a des êtres infiniment petits, dont on ne devrait pas
parler sans respect, répliqua miss Barbara, qui ne faisait
pas attention à la fatigue de son
élève. Il y en a qui échappent au
regard de l'homme et aux plus forts grossissements des instruments. Du
moins, je le présume et je le crois, moi qui en vois plus
que la plupart des gens n'en peuvent voir. Qui peut dire à
quelles dimensions, apparentes pour nous, s'arrête la vie
universelle ? Qui nous prouve que les puces n'ont pas des puces,
lesquelles nourrissent à leur tour des puces qui en
nourrissent d'autres, et ainsi jusqu'à l'infini ? Quant aux
papillons, puisque les plus petits que nous puissions apercevoir sont
incontestablement plus beaux que les gros, il n'y a pas de raison pour
qu'il n'en existe pas une foule d'autres encore plus beaux et plus
petits dont les savants ne soupçonnent jamais l'existence.
Le côté Merveilleux est privilégié aussi. Mais l'écrivaine joue sur la polysémie du mot Fée.
Longtemps on l'avait surnommée miss Frog (grenouille), et
puis on l'appela miss Maybug (hanneton), parce qu'elle se cognait
partout ; enfin, le nom de fée aux gros yeux
prévalut, parce qu'elle était trop instruite et
trop intelligente pour être comparée à
une bête, et aussi parce que tout le monde, en voyant les
découpures et les broderies merveilleuses qu'elle savait
faire, disait :
- C'est une véritable fée !
D'autre part Elsie voit Mr Bat se transformer en chauve-souris et s'échapper de son mouchoir. Pourtant ....
Quand Elsie eut bien dormi, elle trouva fort invraisemblable que M. Bat
eût le pouvoir de devenir homme ou bête
à volonté. A déjeuner, elle remarqua
qu'il avalait avec délices des tranches de boeuf saignant,
tandis que miss Barbara ne prenait que du thé. Elle en
conclut que le précepteur n'était pas homme
à se régaler de micros, et que la gouvernante
suivait un régime propre à entretenir ses vapeurs.
Entre conte et réalité, la romancière manie l'ironie avec finesse mais laisse la fin ouverte. Libre à nous de croire au Merveilleux ou de le nier!
Le Berry : Sur les traces de George Sand : La mare au diable (7)