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mercredi 1 octobre 2014

Agota Kristof : Hier et C'est égal




Agota Kristof, écrivain d'origine hongroise, née le 30 octobre 1935 à Csikvánd et morte le 27 juillet 2011 à Neuchâtel en Suisse où elle a émigré en 1956.  Poète, romancière et dramaturge, elle écrit la plus grande partie de son œuvre en français.



Si j'ai à définir par quelques mots les livres de Agota Kristof :  C'est égal et Hier, écrits en langue française, je dirai : cruauté et légèreté. Cruauté car je n'ai rien lu de plus triste, de plus définitif, légèreté car le style a l'air de ne pas y toucher, à la fois poétique, simple, presque élémentaire, un style qui semble effleurer seulement et pourtant fait très mal. Au départ, on est un peu surpris par cette économie de moyens jusqu'au moment où l'on sent la fêlure… qui ne cesse de s'agrandir.

Hier (1995)


  Sandor Lester, ouvrier, travaille dans une usine d'horlogerie, après avoir fui son pays. Le récit s'appuie sur la réalité triste et sans espoir de celui qui loin de ses racines travaille entre les murs gris d'une usine et qui traîne sa vie, irrémédiablement blessé par son enfance, aspirant à la mort ou tout au moins au repos.
Se dépêcher, enfiler la blouse grise, pointer en se bousculant devant l'horloge, courir vers la machine, percer le trou le plus vite possible, percer, percer, toujours le même trou dans la même pièce, dix mille fois par jour si possible, c'est de la vitesse que dépendent notre salaire, notre vie?
Agota Kristof parle de ce qu'elle connait bien puisque cela a été son sort lorsqu'elle est arrivée en Suisse. Elle parle de la misère, de l'injustice sociale, de la souffrance des déracinés, du découragement, du suicide…
Mais pour bien comprendre ce petit livre qui a une grande puissance sous une forme concentrée et sous une apparente simplicité, il faut rendre compte de l'autre aspect, poétique, onirique, absurde, symbolique, celle du tigre qui vient tirer Sandor Lester du néant, de la musique qui tue les oiseaux, du vent qui, seul, peut chasser la peur, de l'oiseau noir aux ailes blessés qui a appris à aimer sa propre mort. Et puis de Line, la femme idéale, celle qu'il attend depuis toujours, celle pour qui il deviendra un grand écrivain, lui qui toujours écrit, écrit sans cesse… Mais rien ne pourra jamais effacer les blessures du passé et de l'exil.

C'est égal (2005)


C'est égal est un recueil de nouvelles publié en 2005, à une époque ou Agota Kristof, malade, n'écrivait plus. Elle y a réuni des textes écrits depuis 1956, date de son exil en Suisse qui sont parmi les plus intimes qu'elle ait écrit sur elle-même. Pourquoi ce titre? Elle l'explique dans une interview accordée au Nouvel Observateur :  
Titre du livre ou titre de sa vie? «J'aime bien cette formule. Ça veut dire : je m'en fous. Je suis née pessimiste. Même enfant, je ne comprenais pas pourquoi les gens rigolaient. Je critiquais mes parents quand je les voyais rire.»
Dans ces écrits, il y est question de la solitude, de la mort, et d'un sentiment récurrent, la souffrance lié au déracinement, à l'éloignement.
 La maison est une des nouvelles les plus représentatives de ce sentiment.
"Quitter une maison pour une autre, c'est aussi  triste que si l'on avait tué quelqu'un."
Il y est question d'un vieil homme qui  retourne dans la maison de son enfance après l'avoir quittée à l'âge de quinze ans :
Mais en retournant vers son passé, il y rencontre le petit garçon qu'il a été et qui regarde l'avenir avec espoir :
L'avenir? dit l'homme. L'avenir, j'en viens. Il n'y a que des champs morts et boueux.
Mais l'homme honteux du chagrin qu'il inflige au petit garçon ajoute :
-Tu sais, c'est peut-être seulement parce que moi, je suis parti.
-Ah! bon, dit l'enfant rassuré. Moi, je ne partirai jamais.

Dans Les rues, le jeune homme musicien compose un hymne à sa ville qu'il a dû quitter :
le crescendo de la solitude au souvenir de ces rues abandonnées, trahies.
La révolte d'un corps qui ne peut se reposer ailleurs, la révolte des pieds qui ne peuvent marcher ailleurs, le refus des yeux qui ne veulent  voir rien d'autre.

Mon père est une des nouvelles peut-être les plus poignantes : une petite fille va à l'enterrement de son père :
Nulle part mon père ne s'est promené avec moi la main dans la main.
Un sentiment de nostalgie profonde imprègne tous ces textes, comme une meurtrissure qui ne guérira jamais. C'est ce qu'exprime l'écrivaine interrogée sur son exil en Suisse : 

«Je ne fuyais pas volontiers. Si j'avais su que je resterais toujours, je ne serais pas partie. Oui, je regrette ce choix.» La phrase tombe, comme une feuille de papier dans la corbeille de la vie. «Atroce», dit-elle encore. Mais la liberté d'expression? «Je n'étais pas mieux ici.»
Et de commenter son arrivée à Neuchâtel, où son mari put obtenir une bourse de l'université et où elle réside toujours aujourd'hui : «Au début, on avait un tout petit appartement dans un village, et je travaillais dans une fabrique d'horlogerie. C'était pire qu'en Hongrie. Je n'avais même pas le temps d'écrire. Quelques poèmes, le soir, après les enfants et le ménage.» La Suisse, son pays de douleur.

Anecdote lue dans la presse : Quant à la liberté d'expression, une enseignante,  a été arrêtée en pleine classe pour avoir fait lire Le cahier à ses élèves, un des volumes de la trilogie Les jumeaux qui a valu à Agota Kristof sa notoriété mondiale.


Et quand vous lirez ces lignes, je serai en route vers à Budapest. Au revoir!