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lundi 28 septembre 2020

Jon Kalman Stefansson : Lumière d'été puis vient la nuit


Jon Kalman Stefansson est un des grands écrivains contemporains de la littérature islandaise. Son oeuvre a reçu nombreux prix et il est traduit dans une vingtaine de langues. Pour ma part, Lumière d’été puis vient la nuit, est le premier livre que je lis de lui et j’ai aimé ce style poétique, cette nostalgie douce-amère, parfois pleine de dérision mais aussi de tendresse, qui retrace la vie quotidienne des habitants d’un petit village des fjords de l’ouest,  village qui se meurt de mort lente, au déclin de ses quelques activités économiques. L’atelier de tricot ferme, la coopérative n’est plus ce qu’elle était.
Réalité augmentée de tout ce qui est possible, nous entrons dans un monde surprenant où la raison bascule parfois. Le directeur de l’atelier du  tricot se met à rêver en latin, une langue qu’il ne connaît pas et devient L’astronome, la tête près des étoiles, projetant le village au centre du cosmos, en équilibre au bord des trous noirs, dans cette nuit d’été shakespearienne où les fantômes des morts assassinés reviennent hanter l’entrepôt de la coopérative. On pénètre dans une forêt que traverse un fleuve majestueux, une petite robe de velours noir électrise l’assemblée… masculine. On est gagné par l’absurdité de la vie, la déraison qui s’empare des humains pas seulement en Islande mais dans l’ensemble de  notre planète. il y a dans le roman de Jon Kalman Stefansson la conscience de l’abîme, à la manière de Pascal, « un néant par rapport à l’infini. », sans en appeler obligatoirement au divin, et en moins pessimiste, peut-être, parce que l’intérêt porté aux êtres humains donne une teinte chaleureuse au récit.  
Vous n’êtes pas non plus sans savoir qu’ici et là, nos précisons en Islande, à la surface de ce petit grain de terre posé sur un ciel infini et béant, certains désirent plus que tout se hisser sur les épaules des hommes pour sentir la chaleur qui remonte du col de leurs vêtements. Nous aimerions bien qu’on nous explique pourquoi : parce que nous sommes désorientés, parce que le sol s’est dérobé sous nos pieds, il n’y a plus que le vide pour nous empêcher de sombrer, et ce n’est pas une pensée rassurante.»
Il y a aussi la conscience de la fin possible d’une civilisation car nous scions la branche sur laquelle nous sommes assis.

 Mais en attendant, ce qui intéresse l’écrivain, c’est donc et avant tout l’homme. Il raconte  au gré des saisons, neige, vent et soleil, entre clarté pâle et longue obscurité, l'histoire des villageois. Et tous ces récits forment une chronique attachante qui entre rires, surprises, émotions, entre amours et deuils, peint un pays, des mentalités, un mode vie mais aussi capte tout ce qu’il y a d’universel dans la nature humaine : jalousie terrifiante de Asdis, trahie par son mari Kjartan, premiers émois amoureux d’un jeune homme naïf, David,  bonheur d’un homme simple, Jakob, chauffeur routier, « peu de choses, en effet, sont plus plaisantes que de conduire un camion », curiosité d'Agusta la postière qui nourrit le vide de sa vie des lettres qui passent entre ces mains, désespoir d’un homme veuf, Hannes, solitude angoissée de Benedikt, caractère joyeux de Puridur et son rêve secret… Et tant d’autres. Jon Kalman Stefansson nous offre en microscome un tableau complet d'une société islandaise qui pourrait être aussi la nôtre !

Le temps passe, nous vivons, puis nous mourons. Mais qu’est-ce que la vie ? La vie, c’est quand Jonas pense à la courbe de l’aile d’un oiseau, c’est quand il s’endort, bercé par la respiration profonde de Porgrimur, oui, c’est tout à fait ça, mais pas uniquement et quelle est la largeur de l’espace qui sépare cette vie de la mort, d’ailleurs cet espace existe-t-il, et si oui, quel nom lui donner ?

Un beau livre au rythme lent comme la vie au bord du fjord mais qui nous projette au milieu des étoiles, nous maintenant toujours en équilibre au bord du vide.

Lumière d’été puis vient la nuit est le premier livre  de Jon Kalman Stefansson. Paru en 2005, il n'a été traduit que cette année par Eric Boury et paraît chez Grasset pour cette rentrée littéraire.


Voir Dominique A sauts et à gamabades ICI