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dimanche 17 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : Livret de famille de Eric Rouquette au théâtre Essaïon



Décidément le festival d’Avignon est d’une grande qualité cette année tant au niveau des pièces que par le talent des comédiens! C’est le cas pour Livret de famille d’Eric Rouquette, pièce interprétée par Christophe de Mareuil et Guillaume Destrem.

Au milieu de la nuit, Jérôme se rend chez Marc, son frère aîné. Il est sans nouvelles de leur mère depuis plusieurs jours. Si Jérôme est affolé, Marc accueille cette disparition avec indifférence. Les deux frères ne se voyaient plus et leur mère n’est pas étrangère à cet éloignement. Le temps d’une nuit où les secrets se disent, ils vont se retrouver.

Cette rencontre entre deux frères séparés que tout oppose est traitée avec beaucoup de finesse. Eric Rouquette connaît l’âme humaine! Jérome est le préféré de sa mère. En apparence, il a réussi, il est cadre dans une entreprise, a une vie familiale épanouie entre son épouse, Mireille, et ses trois enfants. Marc, est considéré comme le raté de la famille. Il est écrivain mais n’a encore jamais publié ; il est solitaire et il est tellement fauché qu’il ne peut payer le loyer de son appartement miteux.
Mais tout n’est pas aussi simple et la réalité est complexe comme le sont aussi les rapports familiaux entre une mère et ses fils et les liens qui unissent une fratrie. Au cours de cette nuit, entre affrontements et disputes, bagarres et confidences, moments d’émotions, coups de gueule et entente pacifique, les deux frères vident leur sac. Ce qu’il y a à l’intérieur du sac? Des souvenirs d’enfance communs faits de complicité et de fraternité mais aussi des sentiments mêlés, jalousie et admiration, dévouement et rivalité, incompréhension, chacun s’enfermant dans son égoïsme et dans les drames de sa vie. Et puis, dans chacun des deux frères, bien cachée, inavouée, mais éclatant par inadvertance, la part du petit enfant qui existe en chacun de nous et qui réclame l’amour d’une mère, sa compréhension, l'acceptation de ce que l’on est. Et qu’il est difficile de guérir des plaies de l’enfance, notre existence entièrement ne se construit-elle pas avec ou contre nos parents?
Ce beau texte si juste, si vrai, est un moment de bonheur. Le spectateur est suspendu aux lèvres des comédiens qui en rendent les moindres nuances avec humour, émotion et subtilité. Un excellent spectacle !

 La Belle Equipe/ Coproduction Batala
Interprète(s) : Christophe De Mareuil, Guillaume Destrem 
Mise en scène : Eric Rouquette 
Décor : Olivier Hébert 
Lumière : Arnaud Dauga 
Régie générale : Charlotte Dubail 
Création graphique : Marie-Hélène Guérin 
Diffusion : Cathie Simon-Loudette

Festival IN d'Avignon 2016 : Tigern, La Tigresse de Gianina Carbunariu salle Benoît XII


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Gianina Carbunariu, l’auteure de Tigern est roumaine. C’est un fait divers, un tigre échappé d’un zoo dans une petite ville de Roumanie, qui lui a inspiré cette pièce. A travers cet animal en liberté dans la ville, Gianina Carbunariu pose le problème de la peur de l’autre, de la haine de l’étranger dans son pays. Mais ceci est vrai dans toute l’Europe où la montée de l’extrême-droite et le développement des discours populistes attisent les haines raciales. Sofia Jupither qui a assuré la mise en scène est suédoise et elle a reconnu dans la pièce la Suède et les Suédois confrontés à des phénomènes similaires.
«  Le détour par l’animal, explique Sofia Jupither permet de parler des humains. C’est un procédé typique de la fable »
La pièce est conçue comme un documentaire avec un décor neutre, un grand mur contre lequel sont alignées des chaises, une table avec un micro, studio de radio ou de télévision, ou micro-trottoir dans une rue. Les témoins racontent ce qu’ils ont vécu car, après la mort de l’animal, les médias se sont emparés de l’histoire. Ce sont des marginaux comme ce couple de SDF qui exploite la tigresse, des personnes modestes comme ce vieillard solitaire qui lui viendra en aide. Mais il y a aussi ce riche bourgeois qui fait acte de violence envers elle et tant d’autres, du touriste qui la photographie à l’infirmier qui la soigne jusqu’aux animaux du zoo qui lui reprocheront de payer les conséquences de son choix, la liberté.
Sofia Jupither a choisi de faire jouer ses comédiens d’une manière distanciée, sans émotion, et d'utiliser une arme redoutable, l'humour. Car la situation est absurde si l’on imagine tous ces gens parlant à une tigresse mais ce qui est dit est d’une violence extrême si l’on a conscience que les mots s’adressent à un être humain. La pièce explore les réactions de peur face à l’altérité, la haine de l’autre, le mépris du riche envers le pauvre, le rejet, la violence qui va jusqu’à la mise à mort.  Une violence qui culmine sur les cris de ceux qui regrettent jusqu’à la dictature et réclament un nouveau Ceausescu!
Les comédiens sont excellents. J’ai aimé, entre autres, le trio du corbeau, du moineau et du pigeon. Le spectateur rit beaucoup tout en étant pénétré par la signification de la fable! La pièce est un appel à la réflexion, à la compréhension de l’autre. C’est une sonnette d’alarme qui nous dit qu’il ne faut pas céder à la haine sous peine de sombrer dans le chaos.
Olivier Py a voulu que le théâtre soit une arme cette année et il l’est : Les Damnés, Tristesses dont je n’ai pas encore parlé ici et maintenant Tigern sont des questionnements forts sur ce que nous sommes en train de vivre en Europe!