Ombres et brouillard : Photographie d'Aurélia Frey
EN MÉMOIRE
En 2012, j'ai publié ce poème de Desnos que je vous fais redécouvrir à l'occasion des quatre-vingts ans de l'anniversaire de la libération d'Auschwitz. Il est important de commémorer cet évènement à une époque ou les partis d'obédience nazie sont plus forts que jamais en Europe et encouragés par les dirigeants des Etats-Unis. Je complète ce billet avec le si beau poème d'Aragon Complainte de Robert le diable chanté par Jean Ferrat.
Le dernier poème
Robert Desnos
Robert
Desnos, poète résistant, est arrêté par la Gestapo le 22 février 1944
et amené à Compiègne. De là, il est envoyé d'abord à Auschwitz puis à Buchenwald et à Floha,
en Saxe. Au moment de l'arrivée des troupes alliées, il est déplacé
vers Terezine dans l'ancienne Tchécoslovaquie. Une marche de 200 km à
pied dans la neige, des jours de souffrance et de désespoir pour ces hommes affaiblis,
sous-alimentés, malades, que l'on achève en cours de route s'ils ne
parviennent pas à suivre...
Quand les alliés arrivent à Terezine, Desnos est atteint du typhus. Il
est transporté à l'hôpital militaire installé par les russes pour
accueillir les malades. Ceux-ci font appel à des étudiants de la faculté
de médecine de Prague pour enrayer l'épidémie.
C'est ainsi qu'un jeune tchèque, Joseph Stuna, lit dans les registres
que Robert Desnos est parmi les prisonniers. Epris de poésie française,
admirateur du surréalisme et de Robert Desnos, le jeune homme cherche le
poète et croit le reconnaître dans les traits émaciés d'un malade et
comme on demande à ce dernier s'il connaît le poète français Robert
Desnos, il répond :
- Oui! Robert Desnos, poète français, c'est moi !
Le 8 juin 1945, Robert Desnos s'éteint. Il devra à la poésie, ce langage
universel, de ne pas mourir seul, inconnu, et d'avoir autour de lui des
amis pour le soutenir.
On a retrouvé dans la poche de son vêtement un poème qui a pendant
longtemps été considéré comme le dernier, dédié à sa femme Youki. Or, il
n'en est rien. Le poème a été écrit en 1926 et dédicacé à la Mystérieuse, une autre que Youki.Voir le petit monde de Youki.
Mais le poème, devenu légende, n'a rien perdu de sa beauté.
Robert Desnos est né dans le quartier Saint Merry, près des Halles, sa mère était fille du propriétaire d'une rôtisserie, son père était mandataire en volaille et en gibier, d'où l'importance donné à ce lieu dans le poème d'Aragon. Quand il rejoint les surréalistes, Robert Desnos s'essaye à l'écriture automatique et au langage hypnotique. Il devient le prophète du groupe qui compte Breton, Aragon, Eluard, Soupault, Vitrac... et ses visions souvent déréglées, exaltées, violentes, sont teintées de sang comme, nous dit Aragon, s'il avait vu le destin qui l'attendait lui et les millions de victimes des camps de concentration. Il est aussi le poète de Paris et de la nuit.
Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval Quand tu parlais du sang jeune homme singulier Scandant la cruauté de tes vers réguliers Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles
Parmi les diables chargés de chair tu noyais Je ne sais quels chagrins Ou bien quels blue devils Tu traînais au bal derrière l'Hôtel-de-Ville Dans les ombres koscher d'un Quatorze-Juillet
Tu avais en ces jours ces accents de gageüre Que j'entends retentir à travers les années Poète de vingt ans d'avance assassiné Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure
Tu parcourais la vie avec des yeux royaux Quand je t'ai rencontré revenant du Maroc C'était un temps maudit peuplé de gens baroques Qui jouaient dans la brumes à des jeux déloyaux
Debout sous un porche avec un cornet de frites Te voilà par mauvais temps près de Saint-Merry Dévisageant le monde avec effronterie De ton regard pareil à celui d'Amphitrite
Énorme et palpitant d'une pâle buée Et le sol à ton pied comme au sein nu l'écume Se couvre de mégots de crachats de légumes Dans les pas de la pluie et des prostituées
Et c'est encore toi sans fin qui te promènes Berger des longs désirs et des songes brisés Sous les arbres obscurs dans les Champs-Elysées Jusqu'à l'épuisement de la nuit ton domaine
Tu te hâtes plus tard le long des quais Robert Quand Paris se défarde et peu à peu s'éteint Au geste machinal que fait dans le matin L'homme bleu qui s'en va mouchant les réverbères
Oh la Gare de l'Est et le premier croissant Le café noir qu'on prend près du percolateur Les journaux frais les boulevards pleins de senteur Les bouches du métro qui captent les passants
La ville un peu partout garde de ton passage Une ombre de couleur à ses frontons salis Et quand le jour se lève au Sacré-Coeur pâli Quand sur le Panthéon comme un équarissage
Le crépuscule met ses lambeaux écorchés Quand le vent hurle aux loups dessous le Pont-au-Change Quand le soleil au Bois roule avec les oranges Quand la lune s'assied de clocher en clocher
Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne Comme un soir en dormant tu nous en fis récit Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie Là-bas où le destin de notre siècle saigne
Je pense à toi Desnos et je revois tes yeux Qu'explique seulement l'avenir qu'ils reflètent Sans cela d'où pourrait leur venir ô poète Ce bleu qu'ils ont en eux et qui dément les cieux
Il fallait pour participer au Book trip en mer de Fanja un peu de poésie. Voici quelques textes poétiques pour partir en voyage !
Homère : Charybde et Scylla
Charybde et Scylla
Tels sont ces deux écueils. L’un, de son faîte aigu, atteint le haut Ouranos, et une nuée bleue l’environne sans cesse, et jamais la sérénité ne baigne son sommet, ni en été, ni en automne ; et jamais aucun homme mortel ne pourrait y monter ou en descendre, quand il aurait vingt bras et vingt pieds, tant la roche est haute et semblable à une pierre polie. Au milieu de l’écueil il y a une caverne noire dont l’entrée est tournée vers l’Érébos ; et c’est de cette caverne, illustre Odysseus, qu’il faut approcher ta nef creuse. Un homme dans la force de la jeunesse ne pourrait, de sa nef, lancer une flèche jusque dans cette caverne profonde. Et c’est là qu’habite Scylla qui pousse des rugissements et dont la voix est aussi forte que celle d’un jeune lion. C’est un monstre prodigieux, et nul n’est joyeux de l’avoir vu, pas même un Dieu. Elle a douze pieds difformes, et six cous sortent longuement de son corps, et à chaque cou est attachée une tête horrible, et dans chaque gueule pleine de la noire mort il y a une triple rangée de dents épaisses et nombreuses. Et elle est plongée dans la caverne creuse jusqu’aux reins ; mais elle étend au dehors ses têtes, et, regardant autour de l’écueil, elle saisit les dauphins, les chiens de mer et les autres monstres innombrables qu’elle veut prendre et que nourrit la gémissante Amphitrite. Jamais les marins ne pourront se glorifier d’avoir passé auprès d’elle sains et saufs sur leur nef, car chaque tête enlève un homme hors de la nef à proue bleue. L’autre écueil voisin que tu verras, Odysseus, est moins élevé, et tu en atteindrais le sommet d’un trait. Il y croît un grand figuier sauvage chargé de feuilles, et, sous ce figuier, la divine Charybde engloutit l’eau noire. Et elle la revomit trois fois par jour et elle l’engloutit trois fois horriblement. Et si tu arrivais quand elle l’engloutit, Celui qui ébranle la terre, lui-même, voudrait te sauver, qu’il ne le pourrait pas. Pousse donc rapidement ta nef le long de Scylla, car il vaut mieux perdre six hommes de tes compagnons, que de les perdre tous."
Victor Hugo
Eugène Boudin: un grain
Oceano nox
Oh ! combien de marins, combien de capitaines Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, Dans ce morne horizon se sont évanouis ! Combien ont disparu, dure et triste fortune ! Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune, Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !
Combien de patrons morts avec leurs équipages ! L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots ! Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée. Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ; L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !
Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues ! Vous roulez à travers les sombres étendues, Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus. Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve, Sont morts en attendant tous les jours sur la grève Ceux qui ne sont pas revenus !
On s'entretient de vous parfois dans les veillées. Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées, Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures, Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures, Tandis que vous dormez dans les goémons verts !
On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ? Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? - Puis votre souvenir même est enseveli. Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire. Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire, Sur le sombre océan jette le sombre oubli.
Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue. L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ? Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur, Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre, Parlent encor de vous en remuant la cendre De leur foyer et de leur coeur !
Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière, Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond, Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne, Pas même la chanson naïve et monotone Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !
Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ? O flots, que vous savez de lugubres histoires ! Flots profonds redoutés des mères à genoux ! Vous vous les racontez en montant les marées, Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!
Albert Samain
William Turner : Soleil levant Venise
Matin sur le port
Le soleil, par degrés, de la brume émergeant,
Dore la vieille tour et le haut des mâtures ;
Et, jetant son filet sur les vagues obscures,
Fait scintiller la mer dans ses mailles d’argent.
Voici surgir, touchés par un rayon lointain,
Des portiques de marbre et des architectures ;
Et le vent épicé fait rêver d’aventures
Dans la clarté limpide et fine du matin.
L’étendard déployé sur l’arsenal palpite ;
Et de petits enfants, qu’un jeu frivole excite,
Font sonner en courant les anneaux du vieux mur.
Pendant qu’un beau vaisseau, peint de pourpre et d’azur
Bondissant et léger sur l’écume sonore,
S’en va, tout frissonnant de voiles, dans l’aurore.
Albert Samain, Le chariot d’or
Blaise Cendrars
Le douanier Rousseau
Iles
Iles
Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles où l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous.
Jules Supervielle
Georges Lemmen : la plage de Heist
Quand nul ne la regarde
Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.
Jules Supervielle
Félix Valotton : la marée montante
La mer n'est jamais loin de moi
La mer n'est jamais loin de moi,
Et toujours familière, tendre, Même au fond des plus sombres bois À deux pas elle sait m'attendre. Même en un cirque de montagnes
Et tout enfoncé dans les terres,
Je me retourne et c'est la mer,
Toutes ses vagues l'accompagnent,
Et sa fidélité de chien
Et sa hauteur de souveraine,
Ses dons de vie et d'assassin,
Enorme et me touchant à peine,
Toujours dans sa grandeur physique,
Et son murmure sans un trou,
Eau, sel, s'y donnant la réplique,
Et ce qui bouge là-dessous.
Ainsi même loin d'elle-même,
Elle est là parce que je l'aime,
Elle m'est douce comme un puits,
Elle me montre ses petits,
Les flots, les vagues, les embruns
Et les poissons d'argent ou bruns.
Immense, elle est à la mesure
De ce qui fait peur ou rassure.
Son museau, ses mille museaux
Sont liquides ou font les beaux,
Sa surface s'amuse et bave
Mais, faites de ces mêmes eaux,
Comme ses profondeurs sont graves !
Alain Bosquet
Henri Edmond Cross : Les îles d'or
Mer
La mer écrit un poisson bleu, efface un poisson gris. La mer écrit un croiseur qui prend feu, efface un croiseur mal écrit. Poète plus que les poètes, musicienne plus que les musiciennes, elle est mon interprète, la mer ancienne, la mer future, porteuse de pétales, porteuse de fourrure. Elle s’installe au fond de moi : la mer écrit un soleil vert, efface un soleil mauve. La mer écrit un soleil entrouvert sur mille requins qui se sauvent. Alain Bosquet
J'ai presque terminé L'enragé de Sorj Chalandon que je commenterai bientôt et qui raconte la mutinerie des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer en août 1934. Aussitôt a ressurgi le souvenir du poème de Jacques Prévert, La chasse à l'enfant, que j'avais appris par coeur quand j'étais enfant, tant ce texte tiré du recueil "Paroles", publié en 1946, m'avait touchée.
Or dans le roman de Sorj Chalandon, on rencontre le poète, silhouette discrète que les habitants de l'île prennent d'abord pour un policier. On le voit sympathiser avec Ronan et Alain, deux marins qui viennent en aide à Jules, personnage fictif, dit l'Enragé, dit la Teigne, un des mutins en fuite ! Effectivement, Jacques Prévert était dans l'île avec des amis quand les enfants se sont enfuis et que la population a commencé à les traquer.
La Chasse à l’enfant
Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Au-dessus de l'île On voit des oiseaux Tout autour de l'île Il y a de l'eau Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Qu'est-ce que c'est que ces hurlements Bandit ! Voyou ! Voyou ! Chenapan ! C'est la meute des honnêtes gens Qui fait la chasse à l'enfant Il avait dit "J'en ai assez de la maison de redressement" Et les gardiens, à coup de clefs, lui avaient brisé les dents Et puis, ils l'avaient laissé étendu sur le ciment Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Maintenant, il s'est sauvé Et comme une bête traquée Il galope dans la nuit Et tous galopent après lui Les gendarmes, les touristes, les rentiers, les artistes Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! C'est la meute des honnêtes gens Qui fait la chasse à l'enfant Pour chasser l'enfant, pas besoin de permis Tous les braves gens s'y sont mis Qui est-ce qui nage dans la nuit ? Quels sont ces éclairs, ces bruits ? C'est un enfant qui s'enfuit On tire sur lui à coups de fusil Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Tous ces messieurs sur le rivage Sont bredouilles et verts de rage Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! Rejoindras-tu le continent ? Rejoindras-tu le continent ?
Au-dessus de l'île On voit des oiseaux Tout autour de l'île Il y a de l'eau.
Le poème, mis en musique par Joseph Kosma, chanté par Mouloudji
Illustration Ivan Bilibine : Conte du tsar Saltan : La princesse cygne et l'île Bouaïana
"Le Conte du tsar
Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidon
Saltanovitch et de la très-belle princesse-cygne " : voici le titre complet du conte merveilleux d'Alexandre Pouchkine qu'il a publié en 1832. Il s'agit d'un conte traditionnel issu du folklore russe mais de nombreux contes dans le monde reprennent le thème des deux soeurs jalouses qui cherchent à se venger de la troisième plus chanceuse, épouse du prince.
Le conte du tsar Saltan de Pouchkineest l'un des contes les plus célèbres en Russie. Nicolaï Rimski Korsakov et son librettiste Bielski ont adapté l'oeuvre de Pouchkine pour créer un opéra Сказка о царе Салтане portant le même titre.
Ivan Bilibine : le tsar choisit Militrissa pour épouse, les deux autres comme cuisinière et tisseuse
Trois
sœurs rêvent à leur avenir dans une modeste isba : que ferait chacune d'elle si elle était tsarine ? L'une dit qu'elle préparerait un grand festin, l'autre
qu'elle tisserait des vêtements somptueux, la troisième, la belle
Militrissa, qu'elle donnerait un bogatyr (preux-chevalier) à son
tsar bien-aimé. Le tsar Saltan qui passait près de chez elles
les entend. Il décide d'épouser la troisième et engage les deux autres comme
cuisinière et tisserande.
Mais
le tsar doit partir à la guerre. Il laisse son épouse enceinte.
Celle-ci accouche bientôt d'un beau petit garçon, le tsarévitch,
Guidon, qui grandit à une vitesse prodigieuse. Les deux sœurs,
jalouses, avec l'aide de leur mère Babarikha, envoient un message à
Saltan pour lui dire que sa femme a accouché d’un monstre.
La
Babarikha est la mère des trois soeurs, mais elle tient le rôle de la
marâtre des contes de fées quand elle devient complice de ses deux
filles pour faire obstacle à la troisième. Elle est aussi une femme- marieuse. Le
tsar répond en demandant qu'on attende son retour pour décider du sort de
l'enfant mais les méchantes femmes substituent le message du tsar à
un autre qui ordonne d'enfermer la tsarine avec son enfant dans un
tonneau et de les jeter à la mer. La mer a pitié de l'enfant et la mère et le tonneau échoue sur une île
lointaine nommée Bouïana ...
Ivan Bilibine : la ville merveilleuse sur l'île Bouïana
Le
tsarévitch Guidon devenu un beau jeune homme sauve un cygne poursuivi par un vautour. Le cygne lui explique qu'elle est une princesse et que le vautour qu'il vient de tuer est un sorcier. En
signe de reconnaissance, la princesse-cygne fait surgir une ville magnifique
sur l'île. Le bogatyr Gvidon en devient le roi puis comme il languit de
son père, elle le transforme en moustique ou en bourdon pour qu'il puisse voyager
caché dans un navire de marchands jusqu'à sa patrie natale.
Bilibine : Le prince Gvidon transformé en moustique
Par trois fois le tsar entendant vanter les
merveilles du royaume merveilleux et de son roi Gvidon par les marchands veut se rendre dans l'île
mais Babarikha et les deux sœurs le dissuadent.
La première fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville sur une île lointaine mais un écureuil enchanteur qui croque des noisettes d'or au coeur d'émeraude.
La seconde fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais trente trois bogatyrs- frères, des géants jeunes et braves, issus des vagues de l'océan.
La troisième fois en affirmant que la merveille n'est pas cette ville lointaine mais une princesse si belle que
Le jour, elle éclipse le soleil
La nuit elle éclaire toute la terre
Le croissant brille sous sa tresse
Et une étoile illumine sa jeunesse
traduction Tetyana Popova-Bonnal
Chaque fois le cygne réalisera le voeu du prince pour obtenir l'écureuil, les trente trois guerriers, mais pour la princesse, ce ne sera possible que par un véritable amour.
Bilibine : Arrivée du tsar et la méchante mère Babarikha
La quatrième fois, quand il entend vanter les merveilles de l'île et apprend le mariage du Gvidon avec une belle princesse, le tsar décide de partir. Lorsqu'il arrive sur l'île, il
reconnaît son épouse, la belle Militrissa,fait connaissance de
son fils Guidon marié à la princesse qui se cachait sous l’apparence du cygne. Le conte se termine dans la joie.
Une oeuvre en vers musicale
Le tsar Saltan et les trois soeurs : miniature de Palekh
Cette oeuvre est une petite merveille,un bijou brillamment ciselé, un récit vivant, animé, poétique, amusant. Le poète l'a rédigé en vers de sept ou huit syllabes dans une langue populaire, savoureuse, joyeuse, avec des personnages proches du folklore russe. On a l'impression que les vers sont chantés.
Le rythme des heptasyllabes accentués sur les syllabes impairs (1/3/5/7 ) est, en effet, très musical, et le retour des mêmes vers dans les situations qui se répètent créent un rythme interne que l'on attend comme un refrain. Ce qui nous rappelle que le conte est destiné à être oral, un conte que l'on lit aux enfants et dont les répétitions sont attendues avec joie.
Un conte merveilleux
Peintres de Palekh : Dans son palais de cristal, L'écureuil croque une noix/ une noix d'or par ma foi
Le conte est une belle histoire d'amour, celle du prince Gvidon et de la princesse-cygne, un récit qui fait intervenir le rêve, la magie, le fantastique. Il obéit au schéma classique du conte traditionnel : à partir d'une situation initiale perturbée par des méchants, le héros ou l'héroïne devra rétablir l'équilibre, aidé en cela par des adjuvants magiques, humains, animaux, ou objets. Il s'agit de contes initiatiques qui permettent au personnage principal (auquel l'enfant s'identifie) de passer de l'enfance à l'âge adulte. La magie ne suffit pas et il faut faire preuve de courage, de débrouillardise, d'intelligence, de bonté.
Dans ce conte tout est en double. Il y a deux couples le Tsar et Mélitrissa et Gvidon et la princesse-cygne dont l'équilibre est pareillement détruit par l'intervention d'éléments déclencheurs qui viennent rompre l'équilibre :
Militrissa et le tsar Saltan séparés par la guerre vont être victimes de la jalousie des deux soeurs et de la mère. C'est le tsarevitch Gvidon qui les réunira.
Comme dans de nombreux contes, la princesse est transformée en animal, ici en cygne : Gvidon tue le magicien qui la poursuivait métamorphosé en vautour. Il aide la princesse-cygne qui l'aidera à son tour.
Le cygne va se poser
Sur les bords dans un fourré.
Il s'ébroue et se secoue,
en princesse se dénoue :
Une étoile entre les yeux,
Un croissant d'or aux cheveux (...)
Traduction Ivan Mignot
Le prince doit prouver sa bravoure mais a besoin pour réussir d'adjuvants magiques : Le cygne réalise ses voeux pour le récompenser. Ils sont au nombre de trois, l'écureuil qui assure la richesse de tous les habitants de l'île; les trente bogatyrs qui assurent la sécurité de l'île et la princesse-cygne qui permet à l'amour de triompher.
Peintres de Palekh : La princesse est majestueuse et bonne
Un conte plein d'humour
Peintres de Palekh: la fête de retrouvailles
Mais le Merveilleux est étroitement mêlé à l'humour qui tient à des personnages burlesques dont la fonction est double : semer des embûches sur le chemin des héros et héroïnes mais aussi faire rire telles les deux soeurs et la mère Babarikha et aussi, parfois, le tsar lui-même !
Enfin, autre source de comique, le moustique. Ainsi lorsque les méchantes soeurs se font piquer par le moustique ou bourdon et deviennent borgnes, l'une de l'oeil droit, l'autre de la gauche ou quand il s'agit de la Babarikha :
Il
bourdonne et fait des rondes,
Il
se pose sur son nez bien rond.
Notre
héros pique le nez
Et
une ampoule y apparaît.
Là
encore l'alerte commence
En
mettant la défiance
AU
secours ! Attrapez-le !
Ecrasez
la bête féroce !
Traduction De Tatyana Popovna -Bonnal Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue ou une autre traduction
Il va tourner autour d'elle
se met sur le nez d'icelle
Une cloque vient marquer
aussitôt le nez piqué.
De nouveau c'est la panique
Et puis la chasse héroïque :
Au secours, attrapez-le,
Dieu du ciel, écrasez-le,
Tu vas voir, attends, vil traître (...)
Traduction de Ivan Mignot Les contes de Pouckine Le tsar Saltan peinture de Palekh
Comique
aussi dans l'agitation qui suit les piqûres de l'insecte car la scène est traitée avec un grossissement épique que les deux traductions préservent bien "La bête féroce !" "Vil traître !" "chasse héroïque", "Panique ", "alerte" ... qui contraste dérisoirement avec la taille de la bête féroce.
Le dénouement aussi est joyeux et enlevé : l'on y voit le tsar fêter dignement ses retrouvailles avec la Tsarine et son Tsarevitch (pas de punition pour les méchantes) mais on doit porter au
lit le tsar à moitié ivre.
денъ прошел - царя салтана
уложили спать вполньяна
я там был ; мед, пиво пил
усы лищь обмовил
La traduction mot à mot dit ceci :
Le jour passe - le tsar Saltan
Est mis au lit à moitié ivre
J'étais là; j'ai bu du miel, de la bière (hydromel ?)
Mes moustaches seules j'ai mouillées.
Quelles traductions choisir ?
Je vous propose deux traductions qui s'opposent et témoignent de deux positions très divergentes face au fait de traduire. Laquelle préférez-vous ?
Doit-on rester proche du texte et, dans la cas où il s'agit de vers, ne pas respecter la métrique ? celle de Tetyana Popovna-Bonnal
La journée passe et Saltan énivré
fut tout de suite couché.
J'y étais, j'ai bu l'hydromel
Seule ma moustache fut mouillée.
Traduction Popova-Bonnal dans Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue
Ou la traduction d'Ivan Mignot qui s'éloigne du texte (tout en
respectant l'esprit) mais garde la versification et utilise l'heptasyllabe comme le vers pouchkinien et la rime.
Le soir, il fut sur sa couche
Ivre comme une vraie souche
J'y étais et j'ai bien bu
Ne m'en demandez pas plus.
Traduction Ivan Mignot Les contes de Pouchkine Le tsar Saltan peinture de Palekh
Les éditions et les illustrations
1) Traduction en vers proche du texte et juxtalinéaire de Popova-Bonnal Les contes de fée de Pouchkine Edition bilingue
Illustration couverture Ivan Vanestiv : Ivan Tsarevitch chevauche le loup gris 1889
2) Traduction Ivan Mignot en vers heptasyllabes Les contes de Pouchkine Le tsar Saltan ma traduction préférée.
Peinture de Palekh Editions медный всадник : Le cavalier de bronze. J'ai acheté ce livre à Saint Pétersbourg. Je ne sais pas si on le trouve en France.
Palekh : Les illustrations, splendides, sont des peintures d'icônes sur bois laqué, provenant de la ville de Palekh devenue centre de la miniature sur laque. Collections privées ou musée russe de Saint Petersbourg, ou musée Pouchkine.
3) Vous pouvez aussi lire ces contes aux Editions Albin Michel jeunesse illustrés par Ivan Bilibine d'après une réédition de 1906. traduction en vers de Henri Abril. Je n'ai pas lu cette traduction mais les illustrations de Bilibine sont enchanteresses.
Ivan
Bilibine est né en 1876. Il est peintre et illustrateur. Formé sous la direction du grand maître Ilia Répine, il réalise en 1899 ses
premiers travaux graphiques et ses premières illustrations de contes
populaires russes : il trouve là son domaine de prédilection, dont il ne
se départira plus et qui caractérise son oeuvre. Ivan Bilibine s'est fait aussi connaître comme décorateur d'opéra.
La mort du poète : duel de Alexandre Pouchkine et de Georges d'Anthes
En 1837, Alexandre Pouchkine le grand poète russe se bat en duel contre un officier français de l’armée du tsar, alsacien, Georges-Charles Heeckeren d’Anthès qui courtise sa femme Natalia Gontcharova. Celle-ci, coquette, suscite la jalousie du poète mais rien ne semble indiquer qu’elle ait eu réellement une liaison avec l’officier. Cependant la rumeur circule, des lettres anonymes sont envoyées à
Pouchkine, les affronts, les provocations, les railleries contre le mari
trompé se succèdent. Pouchkine provoque d’Anthes en duel. Celui-ci est militaire, il sort de l'école de Saint Cyr. Il est le premier à
tirer et ne rate pas sa cible. Il l'atteint au ventre. Pouchkine ne mourra qu'au bout de deux jours dans d’atroces souffrances.
Natalia Gontcharova : belle et frivole
La lettre anonyme abjecte envoyée à Pouchkine
Quand Alexandre Pouckine meurt, Mikhail Lermontov a 23 ans. Il ne lui
reste plus que quatre ans à vivre et l’émotion qu’il éprouve à l’annonce
de la mort de Pouchkine est si violente qu’il prend sa plume et écrit
dans l’urgence et la fièvre les 56 premiers vers de ce beau poème
intitulé La mort d’un poète qu’il adresse au tsar Nicolas 1er en hommage au poète assassiné. Il réclame vengeance auprès du tsar.
Vengeance souverain, vengeance ! Que la supplique monte jusqu’à toi Soutiens le droit et punis l’assassin Fais que son châtiment de siècle en siècle Proclame la justice en l’avenir Et fasse la frayeur des criminels
Alexandre Pouchkine
Tout en rendant compte de la grandeur du poète, il déplore que les commérages malveillants sur son honneur l'ait poussé à la mort. Il accuse l'hypocrisie de ceux qui, responsables de la fin du poète, feignent de s'en émouvoir. Mais il affirme aussi que Pouchkine a été humilié, persécuté "dès ses débuts" et on verra pourquoi.
Le poète est tombé, prisonnier de l’honneur, Tombé calomnié par l’ignoble rumeur, Du plomb dans la poitrine, assoiffé de vengeance ; Sa tête est retombé en un mortel silence. Hélas ! sous le poids des offenses, L’aède élu s’est affaissé, Comme avant, contre l’arrogance Des préjugés, il s’est dressé. Le chœur des louanges confuses Est vain comme sont vains les pleurs Et les pitoyables excuses. Le sort a voulu ce malheur... Or, c’est vous qui, dès ses débuts, Persécutiez son pur génie, Pour en rire, attisant sans but La flamme où couvait l’incendie. Il n’endura pas le dernier Cruel outrage à sa personne. Son flambeau, hélas ! s’éteignait Flétrie son illustre couronne...
dans la traduction de Katia Granoff(Editions Gallimard (Poésie), 1993)
ou dans la traduction de la poétesse Marina Tsvetaïeva
Sous une vile calomnie Tombé, l’esclave de l’honneur! Plein de vengeance inassouvie, Du plomb au sein, la haine au cœur. Ne put souffrir ce cœur unique Les viles trames d’ici-bas, Il se dressa contre la clique. Seul il vécut – seul il tomba. Tué! Ni larmes, ni louanges Ne ressuscitent du tombeau. Tous vos regrets – plus rien n’y change, Pour lui le grand débat est clos. Un noble don vous pourchassâtes – Unique sous le firmament, Incendiaires qui soufflâtes Sans trêve sur le feu dormant. Tu as vaincu, humaine lie! Triomphe! Ton succès est beau. A terre le divin génie, A terre le divin flambeau!
Par la suite, j'utilise la traduction de Katia Granoff parce que je la préfère.
Georges d'Anthes, l'assassin de Pouckine
Dans le passage suivant, Lermontov réclame la punition du coupable. Il
accuse tous les étrangers venus en Russie pour briguer les honneurs et
faire une carrière militaire de mépriser
la Russie, et, dans le cas de d'Anthes, de ne pas même avoir conscience qu'il vient de tuer le Génie russe en la personne d’Alexandre Pouchkine.
Son meurtrier a froidement Braqué sur lui l’arme fatale. Un coeur vide bat calmement, N’a pas tremblé la main brutale. Quoi d’étonnant ? Venu d’ailleurs, Il trouvait chez nous un refuge Pour capter titres et bonheur, Comme d’autres nombreux transfuges. Il raillait, en les méprisant La voix, l’esprit de notre terre ; Sa gloire, il ne la prisait guère Et dans ce funeste moment, Ni lui, ni d’autres ne savaient Sur qui sa main s’était levée...
Pour comprendre ceci, il faut savoir que Pouchkine est considéré comme "le père"
de la littérature russe. C’est le premier écrivain moderne à écrire en
langue russe en employant la langue
populaire, vivante, riche, savoureuse, (beaucoup écrivait en français, la langue à la mode à
l’époque ou en russe en imitant les écrivains étrangers), en remettant à l’honneur les
coutumes du peuple russe, en donnant la parole aux paysans, aux "nianias",
les nourrices des enfants nobles, qui perpétuent les contes, les
croyances et les chants traditionnels russes. Tous les grands écrivains
russes, en particulier Tolstoï et Dostoeivsky, lui sont redevables. Il
redonne sa dignité et sa grandeur non seulement à la langue mais aussi à
tout un peuple en révélant sa beauté et sa vitalité alors dédaignées.
Les vers de Lermontov sont aussitôt repris par les amis de Pouchkine, Ivan Tourgueniev, Vassilisi Joukovsky et tant d'autres … et font grand bruit dans la société où ils provoquent une vive émotion. Ils sont aussitôt recopiés par dizaines de milliers d’exemplaires, et circulent de main en main et sur toutes les lèvres. Les milliers de personnes qui se pressent devant la demeure du poète mourant, défilent devant son cercueil et assistent à son enterrement, les connaissent par coeur.
Mikhaïl Lermontov
C’est donc ce poème qui fait connaître Lermontov et le rend célèbre mais c’est la deuxième partie rédigée plus tardivement, dans un moment de rage véhémente, qui va lui attirer de graves ennuis. Dans la première partie, on l'a vu, Lermontov accusait déjà les hypocrites qui avaient poussé Pouchkine au duel, en faisant circuler le bruit que sa femme Natalia Gontcharova lui était infidèle mais il ne les nommait pas.
Arrachant sa couronne à ce génie altier, Ils mirent sur son front la couronne fantôme, Où l’épine acérée est unie au laurier, Et qui blessait sa tête à des pointes d’acier ; Et ses derniers instants, ils les empoisonnèrent De murmures moqueurs, ô railleurs ignorants ! Il mourut assoiffé de vengeance exemplaire Et cachant le dépit d’un espoir décevant.
Mais dans les vers qu’il ajoute, non seulement il accuse les ennemis de Pouckine mais il les nomme : ce sont les courtisans proches du tsar, sinon le tsar lui-même, la noblesse et ses rejetons dégénérés qui ne sachant pas reconnaître le Génie, le poursuivent de leur haine, de leurs mesquineries, bafouent son honneur, se moquent de lui et lui rendent la vie impossible. Et il appelle sur eux la vengeance divine puisqu’il semble que l’on ne peut pas l’attendre du pouvoir ! Il va plus loin encore puisqu’il les accuse d’attenter à la liberté. Or, il faut savoir que Pouchkine, dès les débuts, a été victime de la dictature tsariste. Alexandre 1er le condamne pour des écrits « séditieux » et il évite de justesse la Sibérie. Exilé, il voyage pendant six ans entre le Caucase et la Crimée avant d’obtenir sa grâce en 1826. N’étant pas dans la capitale, il évite ainsi d’être compromis dans l’insurrection de Décembre 1825 menée par ses amis Décembristes dont il se sent proche. Mais il tombe sous la censure directe du tsar Nicolas 1er qui surveille personnellement tous ses écrits et lui donne même des conseils d’écriture ! Il doit justifier tous ses déplacements auprès des autorités. Il n'a pas le choix, sa docilité ou l'exil en Sibérie ! La société liée au pouvoir tsariste est donc bien telle que la décrit Lermontov ! C’est ce qu'il décrit dans le Balmasqué et aussi dans son chef d’oeuvre Un héros de notre temps.
Ô vous, ô descendants des ancêtres fameux,
Fameux par leur bassesse et par leur infamie, Vous foulez à vos pieds les restes des familles Que la chance offensa dans ses joies et ses jeux. Le trône est entouré de votre cercle avide, Bourreaux des libertés, du génie, ô perfides, Vous qui vous abritez à l’ombre de la loi, Devant vous tout se tait, la justice et le droit ; Il est un tribunal, ô favoris du vice, Vous n’échapperez pas à l’ultime justice ! La médisance et l’or, cette fois, seront vains, Dieu connaît la pensée et les pas des humains, Et tout votre sang vil ne pourrait effacer Le sang pur du poète, injustement versé.
Traduit du russe par Katia Granoff
J'ai souligné quelques vers ci-dessus pour mettre en relief l'audace (et l'imprudence) de ces déclarations ! On peut imaginer l’effet que firent ces derniers vers sur le Tsar et son entourage immédiat directement visés par le mépris de Lermontov dans un pays où la liberté est fortement réprimée depuis l’insurrection de Décembre 1825, où les privations des libertés sont étouffantes, la censure toujours présente, la répression sévère réduisant la noblesse à l’oisiveté et l’ennui.
Lermontov et son ami, Sviatloslav Raievski, qui a diffusé largement ces vers, furent jugés.
Raievski est exilé en Carélie. Officier dans l’armée russe, Lermontov est expédié au Caucase pour la seconde fois. Un duel l’y avait déjà envoyé une première fois. Là, il se battit contre les tchétchènes pendant les combats qui opposent la Russie expansionniste aux peuples caucasiens.
Peinture de Mikhail Lermontov * : Piatigorsk
Mais c’est en vain désormais qu’il demande l’autorisation de quitter l’armée, c’est en vain que sa grand-mère qui l’a élevé, riche aristocrate, implore son retour à Saint Petersbourg. Le tsar ne lui pardonna jamais et refusa même de reconnaître les décorations gagnés au combat, de plus le succès de Un héros de notre temps écrit pendant son séjour au Caucase l’irritait profondément. Lorsque Lermontov mourut à Piatigorsk, tué en duel par Nikolai Martynov,
en 1841, le tsar exprima sa satisfaction : « A un chien, une mort de
chien » déclara-t-il en privé.
Nikolai Martinez défia Lermontov en duel parce que celui-ci se moquait de lui en le caricaturant. Mais il semble qu'il ait été aussi encouragé par la noblesse proche du tsar qui voulait régler son compte au poète. Lermontov tirait toujours en l'air lors de ses duels. Nikolai Martinov, lui, a tiré pour tuer. C'est ce que j'ai lu mais je ne sais pas si c'est avéré.
*Lermontov était un dessinateur, caricaturiste et peintre amateur de talent. Il
est bon musicien et joue du piano et du violon. Il a une érudition qui le rend supérieur à tous ceux qu'il fréquente. On imagine sans peine par la valeur de ses premières oeuvres quelle place il aurait eu dans la littérature russe s'il avait vécu. Mais il a aussi un caractère épouvantable, il a la satire mordante, caricature ceux qu'il n'aime pas et ils sont nombreux ! Ombrageux, il est prompt à chercher querelle et ne transige pas sur ce qui a trait à l'honneur ! Il se sent profondément décalé par rapport à la société et non seulement il n'a pas peur de la mort mais il la recherche. C'est un homme en souffrance. En fait comme Arbenine et Petchorine, les personnages de sa pièce et de son roman, il méprise cette société vide, inactive, arrogante et cruelle, avide de ragots et qui se nourrit de scandales, mais il ne peut s'en passer !
Peinture de Mikhail Lermontov *: Caucase
*Georges d'Anthès fut jugé mais ne fut pas inquiété. Il rentra en France. Plus
tard, il soutint le coup d'état de Napoléon III et en bon valet de son
maître, il fit une carrière politique florissante et devint sénateur.
Encore un de ceux qui ont envoyé Hugo en exil ! Il a tout pour me plaire,
cet homme !