Le prix Nobel est un roman policier écrit par l'écrivaine bulgare Elena Alexieva.
Eduardo Ghertelsman, écrivain d’origine chilienne qui vient d’obtenir le prix Nobel, accompagné de son agent littéraire Nastassia Voks, arrive à Sofia où il est accueilli par son éditrice bulgare pour une conférence. Le premier contact avec la ville est révélateur. Il tombe dans un embouteillage « cauchemardesque », sur une chaussée défoncée, et à la remarque polie de Nastassia :« maintenant que vous êtes dans l’Union européenne*, vous aurez certainement les moyens d’améliorer votre infrastructure », l’éditrice se contente de lever « dramatiquement » les yeux au ciel, et le chauffeur s’étouffe dans ce que l’on ne sait définir comme un rire ou comme une toux. Le roman est paru en 2011 et le ton est donné. On sent que l’écrivaine ne va pas se priver de nous montrer les coulisses secrètes de son pays, la corruption, et la dérive mafieuse!
L’éminent écrivain, désabusé, ne se fait aucune illusion sur les ressorts de la célébrité et de l’engouement du public : « Après une vie entière consacrée à la littérature, Ghertelsman, se rendit compte qu’un écrivain en vie n’était jamais aussi bien accueilli qu’un écrivain mort ». Après la conférence, il sort se promener le soir dans la ville et disparaît ! Une demande de rançon suit. Le gouvernement est dans tous ses états ! La disparition d’un prix Nobel est un coup dur et ne va pas améliorer la réputation de la Bulgarie auprès de l’Union européenne et surtout des Etats-Unis ( ce qui est le plus important !).
C’est alors que nous faisons la connaissance de l’inspectrice Vanda Belovska. Elle a été rétrogradée pour avoir mis les pieds dans le plat, si j’ose dire, autrement dit, le coupable qu’elle a débusqué dans une précédente affaire, était un peu trop haut placé pour elle. Bref ! elle a été rejetée par le « Système », ou quel que soit le nom qu’on lui donne.
« Vanda ne craignait pas tant l’acide, l’agression physique ou les balles. Elle avait bien plus peur de ce qui allait arriver ensuite. Si quelqu’un avait décidé de se venger, mieux valait qu’il ne fasse pas les choses à moitié ! Elle s’était habituée à combattre activement sa peur de la violence en se confrontant à la violence même. Mais pour pouvoir se le permettre, elle avait besoin d’un dos : Le Sytème. »
Et voilà qu’on la « réhabilite » et qu’elle est chargée de l’affaire ! Elle comprend vite, en étant reçue par le ministre, un ancien camarade de classe, que, si elle échoue, ce ne sera que plus aisé de lui faire porter le chapeau ! Un meurtre, celui d’un autre écrivain, bulgare, cette fois-ci, relance l’enquête et entraîne Vanda dans un village abandonné, proche de Sofia, où les Roms se sont installés au milieu des ruines.
Je ne sais pas si l’intrigue policière vous paraîtra convaincante mais personnellement j’ai été déçue par l’enquête qui avance lentement et qui est, une fois résolue, assez peu vraisemblable à mon goût. Mais pour moi, l’intérêt du roman est ailleurs et d’abord dans le personnage, Vanda, qui se révèle complexe et qui, dans sa solitude et son angoisse, me touchent. Vanda est une femme seule face à une société hostile. Sa seule relation est son collègue de bureau l’inspecteur Kreustanov. Et son seul compagnon est (non pas un chat comme tout bon inspecteur qui se respecte) mais un iguane, par dessus le marché pas très aimant, ni toujours commode ! C’est la richesse du personnage qui donne vie au récit, son questionnement aussi sur la vie, sur ce qui l’entoure. Par exemple, sa relation avec sa mère, source de culpabilité et de remords, dont elle n’est pas proche mais qui, malade, ne peut se suffire à elle-même et qu’elle doit aider; ses rapports avec la corruption, avec l’autorité, son refus de se laisser transformer par le Système alors qu’elle est obligée de se « blinder » face à la violence, la pauvreté, les minorités rejetées, au risque de perdre son humanité.
" Là où elle était, elle savait au moins de quel côté elle se se trouvait. En revanche, plus haut dans la Hiérarchie, les frontières se brouillaient, et c’était là une particularité à laquelle nul ne pouvait échapper. Tous n’étaient pas corrompus ou criminels, au contraire. Mais la seule chose qui les empêchait de l’être, c’étaient leurs propres conceptions ou volonté. Quant au reste, c’était le principe sur lequel reposait l’Etat dans sa totalité. Le Monde entier, se dit Vanda… "
La vision que Vanda nous donne de la société bulgare et du pouvoir donc est au centre du livre ainsi que son refus d’y participer. Elle dénonce un Système qui broie l’individu. L’alternance du pouvoir qui porte au sommet un chef pour le faire tomber l’instant d’après, la pousse à refuser toute distinction et tout poste important.
"Toute ascension se termine par une chute, se dit philosophiquement Vanda.
Même leur chute ne transformait pas ces fonctionnaires en héros tragiques. Au contraire. Une fois qu’ils s’étaient écroulés, il ne fallait que quelques jours pour qu’ils tombent dans l’oubli."
C’est pourquoi on comprend bien le dénouement, un peu déroutant de prime abord, mais il s’agit pour elle de choisir de rester humaine.
J’ai beaucoup aimé aussi les réflexions sur le monde de l’édition où tout est bon pour faire de l’argent, où la littérature est traitée comme un marché, où la création littéraire devient "un métier" comme un autre avec ses obligations de rendement.
Hasard de la lecture, moi qui lis en ce moment pour le challenge sur le Chili, il se trouve que le chef d’oeuvre d’Eduardo Ghertelsman lu par Vanda, Sang et aube, raconte comment l’écrivain se cache dans une cave après le coup d’état de Pinochet. Au questionnement sur la société apparaît aussi un questionnement sur la littérature, sur son pouvoir.
« De ses pages jaillissait une souffrance qui ne pouvait être feinte. L’impression hautaine qui en émanait ne pouvait pas non plus être feinte. Vanda n’arrivait pas à s’expliquer comment il était possible qu’un homme qui courait après la mort comme après une carotte attachée à un bâton tenu à l’autre bout par la mort elle-même - sauf que ce n’était pas la sienne à lui, mais celle de tout ce qui était en train de périr autour de lui- se permit d’être aussi intransigeant. Et ce, non pas qu’il n’ait rien à perdre, au contraire, il espérait gagner. »
Donc, au final, j’ai trouvé qu'il y avait de nombreuses raisons d'aimer ce roman qui présente plusieurs entrées très diverses et intéressantes.
* Entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen le 1er Janvier 2005. Entrée dans l'UE le 1er janvier 2007.
malgré ton petit bémol concernant l'enquête policière, je suis assez tentée par ce roman. Et puis, il semble avoir d'autres atouts.
RépondreSupprimerDommage que l'intrigue policière soit un peu faible, je le garde toutefois en note pour découvrir la littérature bulgare.
RépondreSupprimertu commences fort le Nobel carrément :-)))
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