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Edvard Munch Jeune femme assise 1892 (musée de Bergen) |
Munchmuseet
Je me faisais une joie d’aller visiter le musée Edvard Munch d’Oslo, le plus riche concernant l’artiste puisque celui-ci a donné ses collections à la ville qui a construit ce musée pour leur servir d’écrin: 1100 toiles, 4500 dessins et 18 000 oeuvres graphiques!
Le musée présentait, en ce début mai 2016, une exposition mettant en relation Mapplethorne et Munch. Je n’aime pas Mapplethorne, ce photographe que je trouve, froid, nombriliste pour ne pas dire narcissique. Il se met en scène devant l’objectif et explore la sexualité. Mais peu importe! C’est Munch qui m’intéresse!
Quelle déception en arrivant au musée d’apprendre qu’il n’y a pas d’exposition permanente des tableaux de Munch. Je me suis donc retrouvée dans des salles qui mettaient beaucoup plus en valeur Mapplethorne que Munch, du moins c’est l’impression que j’ai eue, perdue dans l’avalanche de photographies de l’invité plus abondantes que les tableaux du peintre. Et comme l’univers du photographe est limité à un thème, les oeuvres de Munch l’étaient aussi. Impossible de découvrir la richesse du peintre norvégien qui peint, certes la sexualité, mais aussi l’angoisse existentielle, la difficulté de vivre, la maladie, la mort, les rapports familiaux. Impossible de voir aussi l’évolution de l’artiste d’un style à l’autre, l’évolution de la couleur qui, chez lui, est si particulière, si riche, signifiante et symbolique. C’est pourtant ce que l’on attend d’un musée Munch! C’est comme si au musée Picasso à Paris, vous ne pouviez voir ses oeuvres qu’en nombre limité et ceci au profit d’un autre artiste. Une expérience très frustrante.
Bien sûr, un musée, pour être vivant doit se renouveler et je comprends bien la nécessité des évènements temporaires. Mais que l’on ne puisse voir d'autres oeuvres, du moins une partie, indépendamment, quand on vient de si loin pour les admirer, c’est tout de même dommage. En fait, il faut le savoir, si vous visitez le musée Munch, tout dépendra donc, pour le découvrir avec plaisir et dans toute sa richesse, de l’artiste qui lui est associé et de vos goûts. Ah! si j'avais pu voir l'expo précédente Van Gogh-Munch! Le prochain invité sera Jasper Johns.
J'ai fini par comprendre qu'en fait, si vous voulez voir une exposition permanente des oeuvres de Munch, il fallait aller au musée des Beaux-Arts d’Oslo, la Nationalgalleriett et, de même, au Kunstmuseum de Bergen.
Edvard Munch à la National Galleriet
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Munch : La danse de la vie |
Edvard Munch (1863-1944) est considéré comme le plus grand peintre de l’Europe du Nord. Il fut l’élève de grands artistes norvégiens comme Christian Krogh et Frits Thaulow. Il a participé à l’aventure de l’art au tournant du XIX siècle et du XX siècle, sensible à différents courants artistiques lors de ses nombreux voyages à l’étranger. A Paris, en particulier, il rencontre les impressionnistes et post-impressionnistes comme Manet, Van Gogh, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Degas, Caillebotte. En Allemagne, il se tourne vers le symbolisme et sa peinture annonce l'expressionnisme. Il s’essaie aussi à différentes techniques comme l’eau forte, l’estampe, la lithographie, la gravure sur bois. L'art photographique a lui aussi transformé son oeuvre.
Son enfance est marquée par les décès de sa mère morte de la tuberculose alors qu’il a cinq ans et de sa soeur aînée emportée par cette maladie en 1977. Son père meurt en 1889 et son frère Andreas en 1895. Il est lui-même de santé fragile et présente des troubles mentaux. Il écrit :
"J'ai reçu en héritage deux des plus terribles ennemis de l'humanité - la tuberculose et la maladie mentale - la maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau." On comprend alors qu'il soit hanté par les thèmes de la maladie et de la mort qui sont récurrents dans son oeuvre et qu'il soit en proie à une angoisse existentielle qui s'exprime dans toute son oeuvre.
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Munch : L'enfant malade (détail) |
Ce tableau, il le peint de mémoire en souvenir de sa soeur Sophie morte de la tuberculose. Il avait quatorze ans. Il rappelle celui de Christian Krogh, lui aussi extrêmement émouvant. Exposé en 1886, il déclenche un scandale car il est considéré comme inachevé avec les stries qui raient le tableau comme si l'artiste avait passé sa rage sur la toile. Munch reprendra six fois ce tableau, jusqu'en 1932 : " certains me reprochent d’en avoir peint des quantités – Mais je dis :
quand je suis tellement habité par cette image – et – n’est-ce pas aussi
valable que de peindre des centaines de pommes ou de violons sur une
table ? " Colère devant la mort, obsession qui le quitte rarement et qui trouve son apogée dans le Cri.
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Le cri |
Il existe cinq versions du Cri qui est considéré comme l'oeuvre majeure du peintre. Le paysage à l'arrière représente le fjord d'Oslo vu de Ekeberg. Evidemment ce n'est pas le réalisme du paysage qu'a cherché à rendre Munch mais l'angoisse qui étreint l'homme en proie à la déréliction. Les couleurs en particulier le rouge du ciel et ses vagues sinueuses, les tourbillons de l'eau semblables à un grand maelstrom (on peut y voir des similitudes avec la peinture de Van Gogh), tout paraît animé d'une malveillance envers l'être humain et d'un mouvement formidable qui semble vouloir l'aspirer et l'emporter bien loin. L'homme qui porte les mains à son visage dans un geste de désespoir présente sur lui les stigmates de la mort.
Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait —
tout d'un coup le ciel devint rouge sang je m'arrêtai, fatigué, et
m'appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu
au-dessus du fjord
bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j'y restai, tremblant
d'anxiété — je sentais un cri infini qui se passait à travers l'univers
et qui déchirait la nature. »
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Mélancolie ( musée des beaux-Arts Oslo) |
Mélancolie est considéré comme le premier tableau symboliste de Munch, faisant du peintre un précurseur de l'expressionnisme. Les couleurs cessent d'être réalistes et l'artiste ne cherche plus à reproduire ce qu'il voit mais un état d'âme.
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Madone |
et Kunstmuseet de Bergen : Kode 3
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Edvard Munch : Inger à la plage (1889)
L'exposition Munch du musée des beaux-Arts de Bergen est somptueuse. Les premières toiles montrent l'influence de l'impressionnisme dans l'oeuvre d' Edvard Munch. Inger est la plus jeune soeur du peintre Edvard Munch. Elle a quatorze ans. Certes, Inger est seule, rêveuse, peut-être mélancolique, mais ces portraits d'elle en robe blanche, en repos, dans un cadre paisible contrastent avec l'ensemble de l'oeuvre du peintre. J'y vois, un moment de détente à Åsgårdstrand où l'artiste a loué, pendant l'été 1889, unlogement de vacances et où il semble baisser la garde. Plus tard il y achètera une maison.
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Edvard Munch Inger au coucher de soleil (1888) |
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Edvard Munch Matin (1884) |
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Femme se coiffant (détail)
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Salle Munch : Kunstmuseet de Bergen |
Les salles suivantes montrent un changement dans la manière de peindre de Munch. On y retrouve Mélancolie, une autre version de la peinture déjà découverte à Oslo, une des toiles peintes par l'artiste qui s'inspire du désespoir amoureux de son ami Jappe Nilssen. Munch, lui-même, a eu une vie amoureuse agitée et il considère l'amour comme un tourment qui apporte la douleur, celle de la jalousie, de la séparation. La femme représente des pôles contraires, attirance et peur, Eros et Thanatos. Les couleurs ne sont pas naturelles, les formes sont stylisées et les courbes des rochers et de la plage semblent rendre compte du tourment de l'âme. Le peintre peint par aplats entourés de lignes sombres comme Gauguin qu'il avait rencontré à Paris et qui exerça aussi sur lui une grande influence.
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Edvard Munch : Mélancolie détail (1894_1896) |
Edvard Munch, fidèle à son habitude, a peint toute une série de
femmes ou de jeunes filles sur le pont ou sur la jetée. (voir ci-dessous Femmes sur le pont et Filles sur le pont) A priori, la beauté des jeunes filles, les couleurs éclatantes des robes qui empruntent au nabisme, paraissent optimistes voire gaies. Mais les lignes de fuite, raides et vertigineuses, l'invraisemblance des couleurs, les traits courbes du pinceau, la noirceur de l'eau que contemplent les fillettes, peuvent jeter un trouble sur leur avenir et réfutent l'optimisme en créant une sensation de malaise; mêmes caractéristiques très nettes dans La danse de la vie (voir ci-dessus) avec la symbolique des couleurs blanche, rouge et noire et le reflet de la lune sur la mer semblable à un i comme un cri aigu et sinistre.. A noter les mains cadavériques de la femme en noir qui représente la vieillesse. On voit combien Munch est en avance sur son temps puisqu'il annonce l'expressionnisme qui n'apparaîtra réellement que vers les années 1905 en Allemagne.
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Femmes sur le pont (1902_1903) Bergen |
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Filles sur le pont |
Les visages des personnages dans les deux tableaux ci-dessous Au chevet de la morte (1895) et Soirée sur l'avenue Karl Johan (1892) sont, comme dans le Cri, ceux de morts vivants. Des crânes aux orbites
creuses regardent fixement devant eux, et, certains d'entre eux, de couleur verte, portent déjà les
marques de la décomposition des chairs sur eux. Rappel de la mort
imminent qui nous guette tous, au chevet d'une morte comme dans les rues
d'une grande ville.
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Edvard Munch : Au chevet de la morte (1895) |
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Soirée sur l'avenue Karl Johan (1892) |
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Munch paysage d'hiver de Thüringen 1906 |