Caspar David Friedrich : Rivages avec la lune cachée |
Chez les romantiques le thème de la nuit et de la lune est récurrent. Il correspond à un attrait pour le mystère et la beauté dans ce qu'elle a de grandiose, de sublime. La nuit est le moment propice aux rêves, à l'abandon, mais aussi aux cauchemars, à l'apparition de personnages aux pouvoirs surnaturels, maléfiques; c'est le décor des contes traditionnels, folkloriques, que le mouvement romantique remet à l'honneur. Pour les romantiques allemands, imprégnés de la mythologie germanique, la célébration de la nuit est un retour aux origines, pour les français c'est un refus du cartésianime, des règles établies, un désir de liberté dans une communion avec la nature. Tous les possibles peuvent s'y réaliser. La nuit est indissociable du Divin, elle est un face à face grandiose avec Dieu. C'est pourquoi les poètes autant que les peintres ou les musiciens ont été sensibles à ce qu'il y a d'insondable, d'illimité dans la nuit. La nuit est le lieu des révélations essentielles, la médiatrice entre l'homme et l'infini, le moment de communication avec le surnaturel. Dans le silence de la nuit et la magie des clairs de lune, on croit percevoir les voix de l'infini; l'univers semble s'agrandir.» La forme poétique du monde (Jankélévitch Le Nocturne 1937)
C'est une nuit d'été ; nuit dont les vastes ailes
Font jaillir dans l'azur des milliers d'étincelles ;
Qui, ravivant le ciel comme un miroir terni,
Permet à l'oeil charmé d'en sonder l'infini ;
Nuit où le firmament, dépouillé de nuages,
De ce livre de feu rouvre toutes les pages!
Sur le dernier sommet des monts, d'où le regard
Dans un trouble horizon se répand au hasard,
Je m'assieds en silence, et laisse ma pensée
Flotter comme une mer où la lune est bercée.
Livre II, "L'Infini dans les Cieux"(extrait)
Les deux tableaux précédents de Caspar David Friedrich(1774 -1840), un des plus grands artistes de la peinture romantique allemande, associent le ciel à deux moments de la soirée et la mer avec ces barques déployant leurs voiles. Ce sont deux immensités face à face qui prédisposent à la méditation. On remarquera que le peintre a choisi de peindre une mer paisible plutôt que la tempête pour que rien ne nuise à la contemplation et à l'élevation de l'âme.
Dans Le lever de la lune sur la mer, le peintre a placé des personnages, deux femmes et un homme, légèrement surélevés sur un rocher, de manière à ce que leur tête soit couronnée de lumière. Nous sommes à un moment entre chien et loup où les couleurs sont visibles mais atténuées, adoucies. Les barques reviennent vers le village. La nature est paisible et tout invite au repos, à la communion avec le divin. Comme dans le poème de Lamartine, il s'agit d'une méditation poétique et religeuse favorisée par la contemplation. Dans Rivages avec lune cachée, le temps a passé, la lune est maintenant levée, les couleurs se sont assombries, les personnages qui servaient d'intermédiaire sont partis et le spectateur reste seul devant ce paysage encore calme mais empreint de grandeur. Les nuages et la lueur blafarde de la lune laissent entrevoir une part de mystère non dénué d'une possible menace.
« Quand je donne aux choses
communes un sens auguste, aux réalités habituelles un sens mystérieux, à
ce qui est connu la dignité de l'inconnu, au fini un air, un reflet, un
éclat d'infini : je les romantise »
Novalis, poète allemand
Novalis, poète allemand
Ivan Aivazovsky: Clair de lune |
Hymne à la Nuit de Novalis
Novalis de son vrai nom Georg Philipp Friedrich, baron von Hardenberg, (1772-1801) est un poète, et romancier allemand romantique. Novalis a rencontré celle qui est devenu pour lui l'Idéal,Sophie von Kühn âgée de 13 ans avec laquelle il se fiance
secrètement en 1795. La mort prématurée de Sophie, survenue en 1797, atteint considérablement Novalis, qui
vécut cette disparition comme une authentique expérience mystique philosophique et poétique. Dans son Journal intime
qu'il tient après la mort de Sophie, Novalis rapporte à la date du 13
mai 1797 l'expérience bouleversante, mélange d'angoisse et d'extase, de
la « vision » de Sophie au crépuscule, auprès de sa tombe à Grüningen.
Cette expérience est à l'origine de l'un des plus grands textes lyriques
du premier Romantisme allemand, les Hymnes à la Nuit. (wikipedia)
Johan Christian Clausen Dahl: Etude des nuages à la pleine lune |
Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse
Nuit. Le monde est loin - sombré en un profond tombeau - déserte et
solitaire est sa place. Dans les fibres de mon cœur souffle une profonde
nostalgie. Je veux tomber en gouttes de rosée et me mêler à la cendre. -
Lointains du souvenir, souhaits de la jeunesse, rêves de l’enfance,
courtes joies et vains espoirs de toute une longue vie viennent en
vêtements gris, comme des brouillards du soir après le coucher du
soleil. La Lumière a planté ailleurs les pavillons de la joie. Ne
doit-elle jamais revenir vers ses enfants qui l’attendent avec la foi de
l’innocence ?
Que jaillit-il soudain de si prémonitoire sous mon cœur et qui
absorbe le souffle douceâtre de la nostalgie ? As-tu, toi aussi, un
faible pour nous, sombre Nuit ? Que portes-tu sous ton manteau qui, avec
une invisible force, me va à l’âme ? Un baume précieux goutte de ta
main, du bouquet de pavots. Tu soulèves dans les airs les ailes
alourdies du cœur. Obscurément, ineffablement nous nous sentons envahis
par l’émoi - je vois, dans un joyeux effroi, un visage grave, qui, doux
et recueilli, se penche vers moi, et sous des boucles infiniment
emmêlées montre la jeunesse chérie de la Mère. Que la Lumière maintenant
me semble pauvre et puérile - heureux et béni l’adieu du jour !
*Johan Christian Clausen Dahl (1788-1857) peintre paysagiste norvégien, ami de Caspar David Friedrich et de Carl Gustav Carus subit l'influence du romantisme allemand. Il rompt ainsi avec l'académisme norvégien et est considéré comme le père du paysage en Norvège.
*Johan Christian Clausen Dahl (1788-1857) peintre paysagiste norvégien, ami de Caspar David Friedrich et de Carl Gustav Carus subit l'influence du romantisme allemand. Il rompt ainsi avec l'académisme norvégien et est considéré comme le père du paysage en Norvège.
Ivan Aivazovsky : Clair de lune |
Ivan Aivazovsky, un peintre russe d'origine arménienne (1817-1900), un des maîtres de la peinture de marine romantique même si l'influence du réalisme se fait sentir dans ses oeuvres. Fasciné par la mer, il peint dans ce tableau la mer inondée par la lumière lunaire, translucide, animée par de toutes petites vagues qui lui donnent un mouvement paisible. En jouant sur les contrastes du clair-obscur, le port, les bâtiments, les rochers plongés dans le noir, le ciel et la mer éclairés par les rayons de la lune, il fait ressentir le mystère, l'invisible. Le temps semble suspendu dans le silence de la nuit. Voilà qui me fait penser au poème de Victor Hugo : la lune était sereine et jouait sur les flots. Mais alors que le tableau de Ian Aivazovsky se suffit à lui-même et a pour but de procurer des émotions, Victor Hugo se sert de la lune et la nuit comme des éléments d'un décor pour un récit bien dans la veine de Les Orientales, éléments qui servent de contrepoint à la tragédie pour mieux la souligner.
Clair de Lune Victor Hugo
La lune était sereine et jouait sur les flots. -
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.
De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare ?
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?
Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? -
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.
Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... -
La lune était sereine et jouait sur les flots.
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.
De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.
Elle écoute... Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare ?
Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile ?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour ?
Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes ? -
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadencé
Du lourd vaisseau, rampant sur l'onde avec des rames.
Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine... -
La lune était sereine et jouait sur les flots.
Les orientales
Leonid Tishlov : Private Moon |
Avec La ballade à la lune, l'on comprend pourquoi Alfred de Musset était appelé : l'enfant terrible du romantisme : une manière iconoclaste de traiter le thème, une irrévérence qui détruit le mythe, un pied de nez à la spiritualité recherchée dans le mystère de la nuit. Mais quel humour et quelle imagination dans les images! Ce n'est plus un romantique mais un photographe contemporain, le russe Leonid Tishkov, qui se rapproche le mieux de l'univers de Musset dans La ballade à la lune : S'inspirant lui-même de Magritte, Leonid Tishkov raconte dans Private Moon l'histoire d'un homme qui rêve de décrocher la lune et qui y parvient!
Ballade à la lune Alfred de Musset (extrait)
C'était, dans la nuit brune,
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?
Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?
N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?
Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?
Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?
Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?
Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?
Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.
Robert Schumann : Nuit sous la lune
Nuit sous la lune
C'était comme si le ciel
Avait en silence embrassé la Terre,
Et qu'elle, dans la lueur des fleurs,
Ne pouvait à présent rêver que de lui.
La brise passait à travers champs,
Les épis ondulaient doucement,
Et bruissaient doucement les bois,
Tant la nuit était claire d'étoiles.
Et mon âme ouvrit
Tout grand ses ailes,
Et s'envola par les campagnes silencieuses,
Comme si elle volait vers sa demeure.
Franz Schubert : A la lune (An den Mond)
Verse, chère Lune, verse ta lueur scintillante et argentée
Sur le clocher jauni,
La lune
Comme un point sur un i.
Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?
Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?
N'es-tu rien qu'une boule,
Qu'un grand faucheux bien gras
Qui roule
Sans pattes et sans bras ?
Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?
Sur ton front qui voyage.
Ce soir ont-ils compté
Quel âge
A leur éternité ?
Est-ce un ver qui te ronge
Quand ton disque noirci
S'allonge
En croissant rétréci ?
Qui t'avait éborgnée,
L'autre nuit ? T'étais-tu
Cognée
A quelque arbre pointu ?
Car tu vins, pâle et morne
Coller sur mes carreaux
Ta corne
À travers les barreaux.
Les musiciens des Nocturnes
Robert Schumann : Nuit sous la lune
Nuit sous la lune est un lied de Joseph Von Eichendorff, poète romantique allemand, mis en musique par Robert Schumann
Nuit sous la lune
C'était comme si le ciel
Avait en silence embrassé la Terre,
Et qu'elle, dans la lueur des fleurs,
Ne pouvait à présent rêver que de lui.
La brise passait à travers champs,
Les épis ondulaient doucement,
Et bruissaient doucement les bois,
Tant la nuit était claire d'étoiles.
Et mon âme ouvrit
Tout grand ses ailes,
Et s'envola par les campagnes silencieuses,
Comme si elle volait vers sa demeure.
Franz Schubert : A la lune (An den Mond)
Schubert s'inspire d'un poème de Ludwig Heinrich Christoph Holty 1748-1776), poète allemand connu surtout pour ses ballades.
A la lune (An den Mond)
Verse, chère Lune, verse ta lueur scintillante et argentée
À travers le vert des branches,
Là où des hallucinations et des formes de rêves
Flottent toujours devant moi !
Dévoile-toi, que je puisse trouver l'endroit
Où ma chérie s'asseyait,
Et souvent, dans le souffle des buis et des tilleuls,
Oubliait la ville dorée.
Dévoile-toi, que je puisse faire plaisir aux buissons
Qui lui soufflaient de la fraîcheur,
Et que je puisse poser une guirlande sur ce pré
Où elle écoutait le ruisseau.
Allons, chère Lune, allons, enlève ton voile encore,
Et plains ton ami,
Et pleure à travers les nuages,
Comme pleure celui qui est abandonné !
Ludwig Van Beethoven: La sonate au clair de lune
Frédéric Chopin : Nocturne
Nocturne de Frédéric Chopin