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lundi 2 avril 2012

New York, New York : Le retour avec Paul Auster



 vue de l'Empire State Building


Me voici de retour de New York! Merci à tous ceux qui sont venus voir mon blog pendant cette période et à tous ceux qui m'ont laissé des commentaires. Vos visites me font un grand plaisir.

 New York, Manhattan, plus exactement - on a beau le savoir, seule l'expérience permet vraiment de s'en rendre vraiment compte- est une ville impressionnante par sa taille, par l'espace qu'elle occupe horizontalement et verticalement, impressionnante par sa richesse architecturale et muséale, par la densité de population, l'intensité de la circulation et du bruit. Marcher dans les rues, c'est avoir l'impression de se déplacer entre de hautes falaises, c'est être pris dans un tourbillon de mouvements, enveloppé d'une rumeur incessante. Tout est à une autre échelle, tout est démesuré, tout est exacerbé. Seul îlot de paix relative, l'immense Central Park. Je suis heureuse d'avoir visité ces lieux mythiques déjà tant de fois imaginés à travers mes lectures ou aperçus dans des films. Mais je savoure aussi le fait de me retrouver dans mon "village" d'Avignon ( qui a la taille d'un quartier de New York?) si calme, si beau lui aussi, et à échelle humaine :  Plus mon petit Liré que le Mont Palatin...  Un hâvre où l'on peut être soi-même, à l'opposé de ce que ressent le personnage de Paul Auster.


New York est un espace inépuisable, un labyrinthe de pas infinis, et, aussi loin qu'il allât et quelle que fût la connaissance qu'il eût de ses quartiers et de ses rues, elle lui donnait toujours l'impression qu'il était perdu. Perdu non seulement dans la cité mais tout autant en lui-même. Chaque fois qu'il sortait marcher il avait l'impression de se quitter lui-même, et, en s'abandonnant au mouvement des rues, en se réduisant à n'être qu'un oeil qui voit, il pouvait échapper à l'obligation de penser, ce qui, plus que tout autre chose lui apportait une part de paix, un vide intérieur salutaire. Autour de lui, devant lui, hors de lui, il y avait le monde qui changeait à une vitesse telle que Quinn était dans l'impossibilité de s'attarder bien longtemps sur quoi que ce soit. Le mouvement est à l'essence des choses, l'acte de placer un pied devant l'autre et de se permettre de suivre la dérive de son propre corps. En errant sans but, il rendait tous les liens égaux, et il ne lui importait plus d'être ici ou là. Ses promenades les plus réussies étaient celles où il pouvait sentir qu'il n'était nulle part. 
                                    
Paul Auster La cité de verre


New York : vue de l'Empire State Building


Promenade en bateau : La statue de la Liberté

Le pont de Brooklyn : Dowtown



Dowtown : centre financier




Manhattan : Gratte-ciel


Central Park

Parc botanique de Brooklyn : jardin japonais

New York : Xavier Mauméjean : Lilliputia dans Cosney Island


Le minotaure de Picasso

Je republie pendant mon séjour aux Etats-Unis ce roman de Xavier Mauméjean, écrivain français, qui se passe à Cosney Island à New York.
A l'époque quand je l'ai lu, le roman Liliputia m'avait laissé assez perplexe tellement il était riche, avec un sujet original et passionnant, mais enchevêtrée, un fouillis de mots, d'idées, d'images, de personnages, d'univers, de mythes, de sens. Un roman comme une forêt touffue, inextricable, où je sentais  que, tout en ayant un pied dans la réalité, j'avais l'autre dans la fiction. Seulement, voilà, est-ce le réel qui est irréel ou l'irréel qui est le réel? Vous me suivez?

De quoi s'agit-il? Xavier Mauméjean part d'un réalité : l'existence en Amérique au début du XXème siècle sur Cosney Island d'un parc d'attraction d'un type très particulier : Lilliputia, créé sur le modèle de la ville médiévale de Nuremberg afin d'accueillir quelque trois cents nains venus de toute l'Europe pour habiter dans cette cité où tout est à échelle réduite, maisons, meubles, voitures, routes... Des "nains"? C'est à dire des petites personnes, des "perfect" ou "midget", selon les termes anglais, qui n'ont aucune anomalie physique si ce n'est leur taille miniature.

Un Eden, cet univers où tout est fait pour eux, où ils sont "libres" d'avoir leur parlement, leurs élus, où ils ont un métier assuré selon leurs compétences et leurs dispositions? Des philanthropes alors? les deux gestionnaires de ce parc d'attraction, le sénateur Reynolds et Gumpertz assistés par le préfet Mac Murdo? Un Dieu, le créateur du parc, ce Sébastian Thorne dont tout le monde parle à voix basse  et qui a acquis un pouvoir étonnant depuis sa mort?

Elcana, le jeune, beau (et petit) héros de ce récit, en fuite après sa révolte contre les cruels et tout puissants hobereaux d'un pays de l'Europe de l'Est, va vite déchanter. Le monde des "petits" est calqué sur celui des "grands" , avec ses inégalités sociales, ses quartiers riches et ses bas-fonds, ses notables incompétents et égoïstes, sa pègre où triomphe la force du tout puissant Fatty. Il y a les victimes aussi, balayés par les égoïsmes et les injustices : Mili et son mari Karel à qui les Lunarques (habitants d'un parc d'attraction voisin) enlèvent leur nouveau-né, Adamor, le sculpteur, innocent sacrifié à la vindicte populaire..  Et puis les profiteurs, les "collabos" en quelque sorte, ceux qui sont prêts à toutes les compromissions pour en tirer profit comme Lilian, la meneuse de revue. Mais contrebalançant cette figure négative, il y  aussi Frances, l'institutrice courageuse et lucide dont Elcana est amoureux.

Et puis arrive le jour de l'ouverture du parc, le jour où les petites personnes sont donnés en pâture aux Grands avides de sensations, curieux, fureteurs, sournois, l'insulte à la bouche, railleurs, humanité brutale qui s'infiltre dans la vie et l'intimité des lilliputiens livrés à ces milliers de spectateurs venus ici comme au zoo. Et ces visiteurs, bien sûr, acquittant des droits d'entrée, assurent la fortune des "généreux" philanthropes, et favorisent le triomphe d'un capitalisme déshumanisé et violent. Dans ce show,  Elcana  devenu pompier assure, avec son équipe, l'extinction des feux programmés par Flint Beltaine, le pompier-pyromancien, pour amuser les spectateurs. Des feux provoqués pour le plaisir des uns mais qui n'en sont pas moins dangereux et mortels pour ceux qui les éteignent. Mais le pire ne surviendra qu'avec "l'obligation" d'être heureux...

Alors Elcana tel Prométhée ravissant le feu pour le donner aux hommes, va se révolter contre Thorne (Zeus) avec l'aide des Freaks, monstres abandonnés d'une autre attraction tombée en désuétude, le Steeple-Chase. C'est le début d'une guerre terrible, d'une violence inouïe, où devant les murailles d'une Troie en proie aux flammes, Elcana, héros de la démesure, tour à tour appelé "le roi de Minos" ou  "le porteur de lumière",  ange ou  démon,  figure double de Prométhée et de Lucifer, mène le combat avec l'aide de ses guerriers issus de toutes les mythologies, chrétienne ou païenne : Titans de la Grèce antique (Travis) géants nordiques maniant la hache, sous les ordres de leur chef Mongo, minautore aux pieds cornus..  Ils affrontent la haine des trois soeurs gardiennes, les Parques ou Cerbère à trois têtes, et de tous leurs ennemis ligués contre eux...  extraordinaire transposition dans la fiction et le mythe d'une réalité historique.  C'est là que l'on ne sait plus trop où l'on en est.

Et je m'arrête car vous allez me dire que je suis en train de tout dévoiler alors qu'en vérité je ne vous ai pas dit le quart du quart du quart du roman! (Ca fait combien? )

Ce qui m'a passionnée dans Lilliputia c'est la réflexion sur la normalité et l'anormalité car l'on est bien vite convaincu que la monstruosité n'est pas là où on l'attend. En effet, qui sont les monstres, des lilliputiens ou des organisateurs de ces parcs d'attractions, préfiguration des camps de concentration? Qui sont les plus éloignés de l'humain, les spectateurs se moquant de la difformité physique, des souffrances morales ou leurs victimes? Je me suis intéressée aussi à l'installation des personnages dans la ville de lilliputiens, à la correspondance qui s'établissait entre notre monde et le leur. Le refus du manichéisme de la part de l'auteur donne un sens plus profond encore au roman car au-delà des différences, c'est de la nature humaine qu'il s'agit et, dans le bien comme dans le mal, les hommes quelles que soient leur taille, leur forme, leur particularité, se ressemblent tous.

Pourtant, même si  je suis admirative de l'imagination inépuisable de l'auteur, je crois que j'ai failli succomber en cours de lecture et rendre les armes, surtout dans la troisième partie, face  à l'excès de tout : excès dans les références mythologiques, dans la violence, dans les descriptions, dans l'écriture qui appuie, creuse volontairement et puissamment, laboure.

Finalement l'admiration pour la culture, la richesse, le foisonnement, la puissance de l'imagination domine-t-elle? Ou bien  la lassitude engendrée par la démesure, l'abondance (tout ceci voulu et assumé par l'auteur) l'emporte-t-elle? Ce que je peux dire, c'est que c'est un livre qui marque et qui aborde un sujet étonnant et qui ne laisse pas indifférent.

Billet republié de mon ancien blog