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Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché sur Le Lys dans la vallée |
Félix de Vendenesse écrit une longue lettre à Nathalie de Manerville, sa fiancée, pour lui faire le récit de sa vie; la jeune femme, en effet, veut apprendre le secret de la mélancolie qui le ronge et qu’elle devine enfoui dans son passé. Cette lettre, c’est Le Lys dans la vallée. Il lui dévoile alors son amour platonique pour la comtesse de Mortsauf, épouse malheureuse du comte de Mortsauf : Henriette qu’il a idéalisée et qui a été son Lys, symbole de pureté, Henriette qui s’est refusée à lui malgré leur amour réciproque, pour respecter les lois du mariage et de la vertu. Lorsque Félix lancé dans le grand monde devient l’amant de Lady Dudley, une femme ardente et libérée, Henriette, folle de jalousie, meurt en proie à une révolte et une colère proches du désespoir.
J’ai lu et relu plusieurs fois, à différents moments de ma vie,
Le lys dans la vallée de Balzac et une autre fois, encore, cette année, ma fille Aurélia, photographe, ayant une résidence au château de Saché où Balzac a écrit cette oeuvre… A l'heure actuelle, ce travail photographique a donné lieu à une exposition intitulée Dilectae, jusqu'au 6 Janvier 2019, au château de Saché, musée de Balzac.
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Aurélia Frey : Dilectae exposition au Musée de Saché |
Lors de ma première lecture, je devais avoir autour de 15 ans et c’est ce livre qui m’a fait connaître et aimer Balzac. Donc, c'est une lecture importante pour moi. J'avais été séduite, surtout, par cette histoire d’amour impossible, Henriette de Mortsauf tiraillée entre la passion et la vertu, et admirative du beau Félix de Vendenesse, émue par le tragique de la mort de Madame de Mortsauf que je trouvais romantique, au sens impropre et réducteur que l’on donne parfois à ce terme, c’est à dire sentimental. Oui, je n’avais pas tout compris de ce roman, je l’avoue !
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Aurélia Frey : La dilectae Le lys dans la vallée. |
Mais je me souviens très bien, que la beauté des descriptions de la vallée et surtout des bouquets que compose Félix pour la jeune femme m’avait transportée. Bien sûr, à l’époque, je n’avais pas vu la portée symbolique et l’érotisme qui émanaient de la description de ces fleurs. Ce qui me frappe maintenant ! Il y a dans le Le lys dans la vallée, de magnifiques et lyriques descriptions de paysages qui, comme d’habitude chez Balzac, sont à lire au second degré. Une prose incantatoire où la métaphore amoureuse se confond avec celle de la mort qui reste étroitement liée à Madame de Mortsauf.
« Mais déjà plus haut, quelques roses du Bengale clairsemées parmi les folles dentelles du daucus, les plumes de la linaigrette, les marabous de la reine des prés, les ombellules du cerfeuil sauvage, les blonds cheveux de la clématite en fruits, les mignons sautoirs de la croisette au blanc de lait, les corymbes des millefeuilles, les tiges diffuses de la fumeterre aux fleurs roses et noires, les vrilles de la vigne, les brins tortueux des chèvrefeuilles ; enfin tout ce que ces naïves créatures ont de plus échevelé, de plus déchiré, des flammes et de triples dards, des feuilles lancéolées, déchiquetées, des tiges tourmentées comme les désirs entortillés au fond de l’âme. Du sein de ce prolixe torrent d’amour qui déborde, s’élance un magnifique double pavot rouge accompagné de ses glands prêts à s’ouvrir, déployant les flammèches de son incendie au-dessus des jasmins et dominant la pluie incessante du pollen, beau nuage qui papillote dans l’air, en reflétant le jour dans ses mille parcelles luisantes ! Quelle femme enivrée par la senteur d’Aphrodide cachée dans la flouve, ne comprendra ce luxe d’idées soumises, cette blanche tendresse troublée par des mouvements indomptés, et ce rouge désir de l’amour qui demande un bonheur refusé dans les luttes cent fois recommencées de la passion contenue, infatigable, éternelle ? »
Ces passages provoquent toujours mon admiration. Cette nature exaltée par Balzac est celle de la Touraine que l’écrivain aime tant, un écrin verdoyant et vallonné où se déroule une vie rurale paisible, idéalisée, avec ses travaux quotidiens, les vendanges, le ramassage des châtaignes et le gaulage des noyers, les promenades sous les ormes et les peupliers, un pays de châteaux et d’eau. Une véritable déclaration d’amour à cette région :
« Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine? Je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis en plein désert; je l’aime comme un artiste aime l’art… »
Madame de Mortsauf
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Saché |
Madame de Mortsauf, dont le vrai prénom est Blanche demande à Félix de l’appeler Henriette. Deux prénoms, témoins de sa dualité. Le blanc de la pureté et le rouge du désir, le lys et et le pavot : elle est déchirée entre la passion qu’elle éprouve pour Félix et son devoir d’épouse. Mais elle est aussi et avant tout une mère et ne pourrait se résoudre à quitter ses enfants malades.
Moi! reprit-elle, de quel moi parlez-vous ? Je sens bien des moi en moi? Ces deux enfants, ajouta-t-elle en montrant Madeleine et Jacques, sont des moi, Félix, dit-elle avec un accent déchirant, me croyez-vous donc égoïste ?
A travers elle, Balzac dénonce l’assujettissement de la femme, son manque d’indépendance soumise par les lois à son mari après l’avoir été à son père.
Les hommes font eux-mêmes les évènements de leur vie, et la mienne est à jamais fixée. Aucune puissance ne peut briser cette lourde chaîne à laquelle la femme tient par un anneau d’or, emblème de la pureté des épouses.
Pourtant, Blanche-Henriette n’est pas une faible femme. C’est elle, on l’apprendra, qui gère le domaine de Clochegourde, qui le fait prospérer, qui veille sur la santé de ses enfants malades et de son mari atteint de démence.
C’est elle aussi qui donne à Félix des leçons de conduite dans le Monde et qui le dirige dans sa conquête du pouvoir et de la fortune. Le récit se déroule pendant les cent jours et au moment de la Restauration. Blanche, élevée religieusement, dans une famille monarchiste, légitimiste, très conventionnelle, très infatuée de sa noblesse, dirige le jeune homme avec des conseil bien de sa caste :
« Vous apprendrez combien les principes de liberté sont impuissants à créer le bonheur du peuple. Mon bon sens de paysanne me dit que les Sociétés n’existent que par la hiérarchie. Vous êtes à un moment de la vie où il faut choisir ! Soyez de votre parti. Surtout quand il gagne ! »
L’agonie de madame de Mortsauf atteinte d’une maladie du pylore, nous dit-on, et sa révolte quand elle s’aperçoit qu’elle n’a jamais connu l’amour, qu’elle s’est sacrifiée en vain aux conventions sociales est d’une terrible violence. Balzac prend alors position, en tout cas c’est ce que on lui a reproché, contre les valeurs hypocrites de la religion, contre la négation du corps, les conventions qui enferment les femmes. Les souffrances physiques et morales de son personnage exacerbées par la jalousie et par l’approche de la mort, sont atroces.
« …
car elle si sainte, si résignée, si faite à mourir, elle jette sur ceux
qui sont pleins de vie des regards où, pour la première fois, se
peignent des sentiments sombres et envieux. » dit l’abbé de Dominis à son propos
Les lecteurs et critiques de la Restauration ne s’y sont pas trompés et reprochèrent à l'auteur de ne pas avoir conçu un dénouement édifiant qui aurait exalté la vertu de la jeune femme. Balzac avait pourtant édulcoré cette fin et fait entrer Henriette dans une
phase de repentir et d'apaisement à la demande de Laure de Berny, la
dilecta, sa bien-aimée, qui voulait lui éviter un scandale !
Mais pour comprendre madame de Mortsauf, il faut savoir qui est son mari.
Monsieur de Mortsauf
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Saché |
Monsieur de Mortsauf est le type même de l’émigré, semblable en cela à toute une noblesse légitimiste qui a refusé de servir l’Empire. Brisé par ses longues années d’exil et de privations, il souffre aussi d’une maladie qui débilite son corps et donne lieu à des crises de démence. Je dois dire qu’il m’a fallu quelques lectures depuis celles de ma jeunesse avant de comprendre de quoi souffrait Monsieur le comte. C’est pourtant bien dit, même si le mot n’est jamais prononcé et si Balzac brouille les pistes en donnant de vagues indications. La syphilis ! On comprend que dans le prude et hypocrite XIX siècle l’écrivain devait nous le faire comprendre d’une autre manière et cela donne :
« Ses amours ensevelis dans le plus profonds de son âme et que moi seul ai découvert, furent des amours de bas étage, qui n’attaquèrent pas seulement sa vie, ils en ruinèrent l’avenir. »
Et lorsqu’il apprend, à la naissance de ses enfants, que ceux-ci sont condamnés :
« Son nom à jamais éteint, une jeune femme pure, irréprochable, malheureuse à ses côtés, vouée aux angoisses de la maternité, sans en avoir les plaisirs; cet humus de son ancienne vie d’où germaient de nouvelles souffrances lui tomba sur le coeur et paracheva sa destruction. »
Aigri, violent, égoïste, humiliant sa femme en public, et syphilitique, tel nous apparaît le comte. On comprend que Balzac, même s’il proteste de son estime pour eux, se soit attiré des inimitiés auprès des émigrés qui étaient rentrés en France à la restauration de Louis XVIII en peignant ce portrait !
Quant à Blanche, mariée à un homme qu’elle n’aime pas, elle qui ne sait rien de la sexualité si ce n’est qu’il s’agit d’un devoir pénible et dégradant (Monsieur de Mortsauf se plaint auprès de Félix qu’elle le repousse et veut continuer à être « vierge » avec lui), elle a peut-être été, de surcroît, contaminée par son mari et elle sait ses enfants atteints d'une maladie incurable.
« Tout a été mensonge dans ma vie, je les ai comptées depuis quelques jours ces impostures. Est-il possible que je meure, moi qui n’ai jamais vécu? » dit Henriette mourante.
Phrase auquel fait écho une pensée de Félix d’une grande cruauté et qui révèle bien ce que pense Balzac :
"Je me demande si la vertu d’Henriette n’avait pas été de l’ignorance, si j’étais bien coupable de sa mort »
Et il semble qu’il n’ait pas tort puisque la comtesse lui avoue dans son ultime lettre :
« Ah! si dans ces moments où je redoublais de froideur, vous m’eussiez prise dans vos bras, je serai morte de bonheur; j’ai parfois désiré de vous quelque violence, mais la prière chassait promptement cette mauvaise pensée. »
Félix de Vendenesse
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Saché Herbier photographique |
Personne n’aime Félix de Vendenesse, aucun lecteur, sauf peut-être quand on a quinze ans, à la première lecture, parce qu’il est beau, qu’il a eu une enfance malheureuse et qu’il a l’âme d’un poète.
Non, les lectrices, surtout, le trouvent lâche, égoïste, sans personnalité. Et la réponse de la fiancée Natalie qui le traite de « chevalier à la triste figure » et lui donne une bonne leçon en rompant avec lui, est réjouissante !
« N’imitez pas les veuves qui parlent toujours de leur première mari, qui jettent toujours à la face du second les vertus du défunt »
Il l’a bien mérité ce grand benêt qui va pleurer dans le giron de sa belle pour se faire consoler de ses amours avec une autre :
« Merci, cher comte, je ne veux de rivale ni au-delà, ni en deçà de la tombe. » « Savez-vous pour qui je suis prise de pitié? pour la quatrième femme que vous aimerez. Celle-là sera nécessairement forcée de lutter avec trois personnes. »
Ah! Voilà une femme qui a du caractère, de l’ironie, et qui change agréablement de l’angélisme (forcé) de madame de Mortsauf et des bêlements transis de son amoureux !
Pourtant, je me sens tout de même obligée de prendre la défense du jeune Félix .
Balzac a mis beaucoup de lui-même dans ce personnage. Comme Félix, il a été mal aimé par sa mère, placé dans une pension qui avait tout du « pénitentiaire », laissé à sa solitude, n’ayant aucune autorisation de sortie et souffrant de privations, deu froid et surtout du manque d’amour. Quand Félix rencontre la comtesse de Mortsauf, il a 21 ans et en paraît 14, elle en a 28 et est mariée et mère. Lui est encore physiquement et psychiquement un enfant; elle, une femme. Il est souffreteux, timide, il n’a jamais vécu, ne connaît rien à la société et encore moins à l’amour. Certes, il se sent frustré par cet amour platonique, essaie parfois d’aller au-delà, est arrêté par la peur de la perdre. Ne lui a -t-elle pas dit qu’elle le chasserait définitivement s’il devenait trop pressant ?
Si vous me demandez, pourquoi, jeune et plein de fougueux vouloirs, je demeurais dans les abusives croyances de l’amour platonique, je vous avouerai que je n’étais pas assez homme encore pour tourmenter cette femme toujours en crainte de quelques catastrophes pour ses enfants.
C’est son inexpérience, son manque de connaissance des femmes, mais aussi son respect et un amour profond et sincère qui provoquent le drame et après tout on ne peut le lui reprocher, pas plus que de prendre une maîtresse, plus tard, pour satisfaire « ses fougueux vouloirs ! »
Cependant je n’aime pas le Félix devenu adulte, homme à succès et courtisan de Louis XVIII, suffisant et égoïste. Quant à la « lettre » qu’il écrit à Nathalie, elle est d’une goujaterie ou d’une naïveté ! On dirait bien que même à son âge, il n’a rien appris sur les femmes!
Pascal disait "l'homme n'est ni
ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange, fait la
bête". Et oui, c'est bien ce que veut montrer Balzac avec la mort si douloureuse, si horrible, de madame de Mortsauf qui prend conscience qu'elle est passée passe à côté de la vie parce qu'elle a obéi aux préceptes de la religion et aux préjugés de la société. Cependant, l'on sent que l'écrivain s'est pris d'affection pour son Lys et que ce n'est pas elle qu'il met en cause mais une société hypocrite toujours prête à condamner la femme, celle-ci n'ayant d'autre choix que d'être soumise ou perdue. Il nous livre ainsi une critique de la noblesse provinciale au temps de la Restauration.
Quelques images de l'exposition du musée Saché : La dilectae
Dilectae propose un parcours à travers les souvenirs de madame de Mortsauf, un aperçu de ce qu'elle laisse derrière elle, de ses désirs et de ses rêves, des dernières images qu'elle eut avant de fermer les yeux.
Car il n'y a que la trace...
Aurélia Frey
Aurélia qui imagine les dernières visions de Blanche Henriette de Mortsauf, appelle sa série
Dilectae, en référence au grand amour de Balzac, Laure de Berny, baptisée par lui-même Dilecta.
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Saché |
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Balzac Saché |
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Balzac Saché |
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Balzac Saché |
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Aurélia Frey : La dilectae musée de Balzac Saché |