Sur les cimes de l’amour
le cri n’a trouvé personne
mais son écho a peigné
pendant une poignée
de secondes-
la chevelure blanche
de l’avalanche
|
Ferdinand Hodler |
Ce vers qui donne son titre au recueil la chevelure blanche de l’avalanche m’a donné envie de connaître Paul Vinicius, poète roumain, traduit par Radu Bata et publié aux éditions Jacques André.
Je ne connais pas du tout le poète aussi ai-je été surprise en cherchant dans Wikipédia pour en savoir un peu plus sur lui de découvrir que la page qui lui était consacrée avait été supprimée par un administrateur roumain au motif que ce poète était peu connu. Je me suis demandée si la censure se cachait sous un justificatif aussi peu convaincant ! Ce n’est pas parce que Paul Vinicius n’est pas connu du grand public qu’il ne l’est pas dans les milieux littéraires comme en témoignent les festivals de la poésie auxquels il participe, les prix qu'il a reçus, les articles de presse, la revue de poésie qu’il dirige, et la traduction de son oeuvre en plusieurs langues. La quatrième de couverture nous apprend qu’il a été interdit de publication en 1987 par la censure communiste. Oui, d’accord, mais maintenant, qu’en est-il ? Je me trompe peut-être mais, de ce fait, je me suis intéressée de plus près en le lisant à ce qui transparaît de ses idées et de sa vision de la société roumaine. Et c’est très difficile de tout comprendre quand on ne sait pas quand les poèmes ont été écrits et s’ils renvoient à des évènements précis. Finalement, je vous livre ce que j’ai ressenti en lisant sa poésie sans plus me poser de questions si ce n’est celle-ci :
Et d’abord quelle est sa conception de la poésie ?
"Non, un poète ne se cache jamais
derrière les murs
Il sort en pleine lumière
parler avec les balles
qui viennent à lui…"
Un poète engagé ? Ce n’est pas le terme que j’emploierai car dans le concept du mot "engagement" entre en compte le désir du poète de servir une idée, de détenir la vérité et de lutter pour elle. Ce qui n’est pas le cas de Paul Vinicius. Il décrit un pays, son pays, dans lequel « tu as beau prendre un sentier lumineux/tu tomberas toujours/ sur la main d’un monsieur kafka/ jouant au Backgammon/ au milieu de la route / avec le chapeau absurde / de monsieur Ionesco. ». Un pays absurde?
"Un pays triste
plein de barges voleurs velléitaires et branleurs de succès
de nids de poule et de chaussées
de mauvaises herbes et de verger"
Certes, Paul Vinicius exprime sa colère, une colère qui explose devant la corruption, l’« orage électoral » qui « frappe à la porte » devant les politiciens véreux, l’hypocrisie :
« La ville est pleine de grosses pancartes
de photos avec des idiots
qui nous emmèneront à la tombe"
Et certes, il dénonce, il explose, il s’expose. Mais il n’entre pas dans la lice et même il se met en marge :
"Je crois que vous et la loi, n’êtes pas sur le
même longueur d’onde »
Je ne l’ai même pas contredit
car je me sentais ainsi cette année-là -1987
Un poisson en moins
dans l’espace public
un poisson bien décidé de vivre en l’air.
Un poisson qui ne vit plus dans un aquarium. Paul Vinicius, c’est le refus de rentrer dans le moule, la volonté de ne pas suivre la foule, de pas se soumettre au conformisme de la société. Mais c'est aussi la solitude et l’ennui, les jours qui passent et se ressemblent, l’alcool et la cigarette qui réduisent la durée de la vie mais qu’importe ! Et toujours, la tristesse, « ma soeur cadette », « un immense écoeurement/ comme un champignon nucléaire/ sur la ville »… Il est celui qui refuse de se « convertir à la vie ».
Dans cette noirceur, pourtant, quelques trouées de lumière : la poésie se confond avec l’homme pour ne former qu’un et les livres qu’il aime nourrissent sa vie.
« Les jours passent
à côté de moi
comme un chapelet de détenus
bonjour
bonsoir
bonne nuit
le cendrier
plein de mégots
le verre vide
et
sur les étagères
les livres qui m’habitent »
Et puis, quelquefois, un moment d’espoir, un souvenir de jeunesse heureux, l’amour des femmes, d'une femme.
"tout à coup
sans crier gare
un souvenir arrive
il se met au chaud
contre ta poitrine
et commence à ronronner
et le jour ressemble
à un aquarium
vide"
Un style imagé
|
Edward Hopper |
Ce qui n'empêche pas l'auteur de manier l'humour. J’ai apprécié, par exemple, les moments où fusent les réparties ironiques qui provoquent le rire tout en permettant au poète de régler quelques comptes :
A la fille du rayon légumes frais
avec ses 13 kilomètres de gambettes
et un rouge si fort
sur les lèvres courbées
que les URSS te tombent sur la tête
J’ai aimé la beauté surprenante et simple qui émanent de certaines images
"et tu es tellement belle quand tu dors
que j’ai de plus en plus sommeil de toi »
"Il y a pourtant des champs
de coquelicots
d’où
bleue
la poésie
s’élève comme une montgolfière"
« et toujours cet oiseau de plâtre
la fatigue
qui se niche doucement
dans la cage de tes os »
Et si, parfois, quelques-unes de ces poésies ne m'ont pas touchée ou si je n'ai pas aimé certaines images moins réussies, j’ai goûté ce recueil, j'ai été sensible à cette tristesse qui prend dans ses filets, et qui fait lever des images récurrentes et lancinantes comme celles de l’aquarium et des poissons, liées à l’enfermement, à l'effacement des sons et des couleurs, images d’une vie qui ressemble fort à la mort comme dans un tableau d'Edward Hopper, et « que traversent des poissons aux grands yeux et aux ailes translucides. »
en savoir plus sur Paul Vinicius : voir article ici
Poète,
dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de
l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double
performance universitaire est la partie visible de son parcours
surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se
dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture
noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte
de la Mer Noire, détective privé,
pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse
nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur
et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin
décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle
ivresse.
Ses poèmes ont été
régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires.
Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est
lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier
en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.
Merci à Masse critique et à Jacques André éditeur