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mercredi 25 mars 2020

Paul Vinicius : la chevelure blanche de l'avalanche (3)


J'ai déjà écrit deux billets sur le poète roumain Paul Vinicius et son recueil : La chevelure blanche de l'avalanche paru chez Jacques André éditeur.
Mais j'ai envie de faire connaître ce poète à ceux qui suivent comme moi Goran, Eva et Patrice dans le défi du mois de Mars sur La littérature des pays de l'Est.
Voici donc quelques poèmes nouveaux à découvrir :

La chevelure par Henri-Edmond Cross
Sur le fil

les plus beaux cheveux
que j’ai  jamais vus
n’avaient même pas
 de visage


mais moi non plus
je n’avais pas de mains
pour pouvoir
 les caresser

Paul Cézanne : le fumeur
  je n’ai plus de montre ni coeur

maintenant plus rien
ne me fait mal

le vin rouge
et ce matin le dimanche
renversés sur la table

la dernière cigarette

et peut-être l’idée
qu’un jour enfin
je serai assez léger
pour pouvoir tenir dans un oiseau.

Man Ray : larmes de verre
Fenêtre vers l’automne

Je rêve de ce poème
qui ne ressemble à rien
et se tait

qui reste immobile
même quand le vent arrache des arbres
et plie les bâtiments

comme un nuage bleu
toujours éveillé
que traversent des poissons aux grands yeux
et aux ailes translucides

je rêve de ce poème
 pas encore écrit
mais souvent aperçu

comme un oeil
larme 
dans la paume


Voir Paul Vinicius 1 ICI

 Voir Paul Vinicius 2 ICI

Paul Vinicius

Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double performance universitaire est la partie visible de son parcours surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte de la Mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.
Ses poèmes ont été régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires. Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.



mardi 18 février 2020

Paul Vinicius : La chevelure blanche de l'avalanche (2)


Sur les cimes de l’amour

le cri n’a trouvé personne
mais son écho a peigné
pendant une poignée
de secondes-
la chevelure blanche
de l’avalanche
Ferdinand Hodler
Ce vers qui donne son titre au recueil la chevelure blanche de l’avalanche m’a donné envie de connaître Paul Vinicius, poète roumain, traduit par Radu Bata et publié aux éditions Jacques André.
Je ne connais pas du tout le poète aussi ai-je été surprise en cherchant dans Wikipédia pour en savoir un peu plus sur lui de découvrir que la page qui lui était consacrée avait été supprimée par un administrateur roumain au motif que ce poète était peu connu. Je me suis demandée si la censure se cachait sous un justificatif aussi peu convaincant !  Ce n’est pas parce que Paul Vinicius n’est pas connu du grand public qu’il ne l’est pas dans les milieux littéraires comme en témoignent les festivals de la poésie auxquels il participe, les prix qu'il a reçus, les articles de presse, la revue de poésie qu’il dirige, et la traduction de son oeuvre en plusieurs langues. La quatrième de couverture nous apprend qu’il a été interdit de publication en 1987 par la censure communiste. Oui, d’accord, mais maintenant, qu’en est-il ? Je me trompe peut-être mais, de ce fait, je me suis intéressée de plus près en le lisant à ce qui transparaît de ses idées et de sa vision de la société roumaine. Et c’est très difficile de tout comprendre quand on ne sait pas quand les poèmes ont été écrits et s’ils renvoient à des évènements précis. Finalement, je vous livre ce que j’ai ressenti en lisant sa poésie sans plus me poser de questions si ce n’est celle-ci :

Et d’abord quelle est sa conception de la poésie ?

"Non, un poète ne se cache jamais
derrière les murs

Il sort en pleine lumière
parler avec les balles
qui viennent à lui…"

Un poète engagé ? Ce n’est pas le terme que j’emploierai car dans le concept du mot "engagement" entre en compte le désir du poète de servir une idée, de détenir la vérité et de lutter pour elle. Ce qui n’est pas le cas de Paul Vinicius.  Il décrit un pays, son pays, dans lequel  «  tu as beau prendre un sentier lumineux/tu tomberas toujours/ sur la main d’un monsieur kafka/ jouant au Backgammon/ au milieu de la route / avec le chapeau absurde / de monsieur Ionesco. ».  Un pays  absurde?
"Un pays triste
plein de barges voleurs velléitaires et branleurs de succès
de nids de poule et de chaussées
de mauvaises herbes et de verger"
Certes, Paul Vinicius exprime sa colère, une colère qui explose devant la corruption,  l’« orage électoral » qui « frappe à la porte » devant les politiciens véreux, l’hypocrisie  :

« La ville est  pleine de grosses pancartes
de photos avec des idiots
qui nous emmèneront à la tombe"
 
 Et certes, il dénonce, il explose, il s’expose. Mais il n’entre pas dans la lice et même il se met en marge :

 "Je crois que vous et la loi, n’êtes pas sur le
même longueur d’onde »
Je ne l’ai même pas contredit
car je me sentais ainsi cette année-là -1987

Un poisson en moins
dans l’espace  public

un poisson bien décidé de vivre en l’air.

 Un poisson qui ne vit plus dans un aquarium. Paul Vinicius, c’est le refus de rentrer dans le moule, la volonté de ne pas suivre la foule, de pas se soumettre au conformisme de la société. Mais c'est aussi la solitude et l’ennui, les jours qui passent et se ressemblent, l’alcool et la cigarette qui réduisent la durée de la vie mais qu’importe ! Et toujours, la tristesse, «  ma soeur cadette », « un immense écoeurement/ comme un champignon nucléaire/ sur la ville »… Il est celui qui refuse de se « convertir à la vie ».
Dans cette noirceur,  pourtant, quelques trouées de lumière : la poésie se confond avec l’homme pour ne former qu’un et les livres qu’il aime nourrissent sa vie.

« Les jours passent
à côté de moi
comme un chapelet de détenus

bonjour
bonsoir
bonne nuit

 le cendrier
 plein de mégots

le verre vide

et
sur les étagères
les livres qui m’habitent »
Et puis, quelquefois, un moment d’espoir, un souvenir de jeunesse heureux,  l’amour des femmes, d'une femme.

"tout à coup
sans crier gare
un souvenir arrive

il se met au chaud
contre ta poitrine
et commence à ronronner

et le jour ressemble
 à un aquarium 
vide"

 Un style imagé

Edward Hopper
  Ce qui n'empêche pas l'auteur de manier l'humour. J’ai apprécié, par exemple, les moments où fusent les réparties ironiques qui provoquent le rire tout en permettant au poète de régler quelques  comptes  :

A la fille du rayon légumes frais

avec ses 13 kilomètres de gambettes
et un rouge si fort
sur les lèvres courbées
que les URSS te tombent sur la tête

J’ai aimé la beauté surprenante et simple qui émanent  de certaines images

"et tu es tellement belle quand tu dors
que j’ai de plus en plus sommeil de toi »

"Il y a pourtant des champs
de coquelicots
d’où
bleue
la poésie
s’élève comme une montgolfière"

« et toujours cet oiseau de plâtre
 la fatigue
qui se niche doucement
 dans la cage de tes os »

Et si, parfois, quelques-unes de ces poésies ne m'ont pas touchée ou si je n'ai pas aimé certaines images moins réussies, j’ai goûté ce recueil, j'ai été sensible à cette tristesse qui prend dans ses filets, et qui fait lever des images récurrentes et lancinantes comme celles de l’aquarium et des poissons, liées à l’enfermement, à l'effacement des sons et des couleurs, images d’une vie qui ressemble fort à la mort comme dans un tableau d'Edward Hopper,  et « que traversent des poissons aux grands yeux et aux ailes translucides. »


en savoir plus sur Paul Vinicius : voir article ici

Paul Vinicius galerie photo lien ici

Poète, dramaturge, journaliste et essayiste, Paul Vinicius est diplômé de l’École Polytechnique de Bucarest et docteur ès lettres. Cette double performance universitaire est la partie visible de son parcours surprenant ; il a exercé de nombreux métiers, jobs, sports, avant de se dévouer à l’écriture. Champion de boxe junior et karatéka ceinture noire, il a travaillé comme manutentionnaire, maître-nageur sur la côte de la Mer Noire, détective privé, pigiste, correcteur, rédacteur pour plusieurs journaux de la presse nationale et, dernièrement, pour la maison d’édition du Musée de la Littérature roumaine.
Après avoir été interdit de publication en 1987 par la censure communiste, il renonce à sa carrière d’ingénieur et sa biographie suit les soubresauts de la démocratie survenue fin décembre 1989, à la recherche d’un nouveau départ, d’une nouvelle ivresse.
Ses poèmes ont été régulièrement publiés à partir de 1982 par les revues littéraires. Beaucoup ont été traduits et publiés dans des anthologies. Il est lauréat de plusieurs prix nationaux et internationaux de poésie. Dernier en date : le Prix du Public au Salon du Livre des Balkans en 2017.



Merci à Masse critique et à Jacques André éditeur

dimanche 16 février 2020

La citation du dimanche : Paul Vinicius, poète roumain, la chevelure blanche de l'avalanche (1)

Marc Chagall
Je suis en train de lire un recueil de poèmes de Paul Vinicius, poète roumain, envoyé par Masse critique et les éditions Jacques André, dont le titre m'a attirée : La chevelure blanche de l'avalanche. En attendant de le commenter, car lire des poésies prend du temps, je publie ici cette Rose des vents que j'aime beaucoup. 

Rose des vents

aujourd'hui j'ai vu une goutte de pluie
dans laquelle habitait une forêt.

une fille traversait cette forêt
elle avait les yeux verts et chantait

entre les collines de ses seins
serpentait un train bleu

j'étais dans ce train
je regardais par la fenêtre sa peau de velours
j'écoutai sa musique

les autres voyageurs ne voyaient
qu'une pluie morose
des ombres erratiques
et un vieillard qui faisait la manche
sous un ciel de cuivre