Pages

Affichage des articles dont le libellé est Editions Stock. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Editions Stock. Afficher tous les articles

mardi 19 septembre 2017

Karin Serres : Monde sans oiseaux



Il paraît qu’autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leurs ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l’air, à plat ventre, sans tomber, et leurs cris étaient très variés. Ils étaient ovipares, comme les poissons ou les lézards, et les humains mangeaient leurs oeufs. On les appelait les « oiseaux ».
Comment décririons-nous un oiseau si nous n’en avions jamais vus ? Si nous n’en avions entendu parler que par ouï-dire? C’est ainsi que commence par cet instant de poésie triste et d’étrangeté le livre de Karin Serres dont c'est le premier roman : Monde sans oiseaux aux éditions Stock.


Bien sûr, le lecteur comprend que cette dystopie présente un monde de l’Après, un Après à goût de catastrophe que l’homme n’a pas su éviter mais qui signe une disparition des espèces et du monde ancien. Mais rien n’est dit vraiment si ce n’est par petites touches, et nous restons dans un entre-deux, un univers dont l’étrangeté nous frappe malgré la familiarité que nous en avons. Le fantastique s'y introduit au milieu du quotidien même si celui-ci n’est que le résultat de mutations malencontreuses commises par les apprentis-sorciers que sont les hommes! Ainsi ces petit cochons fluorescents amphibies qui servent de nourriture mais peuvent devenir des animaux de compagnie. Et que dire de ces maisons sur roulettes que l’on hisse sur le flanc de la montagne à mesure que l’eau avance !
Dans ce roman, la mort et la vie sont étroitement mêlées. Les morts du village enfermés dans des cages sont engloutis au fond du lac. Ce lac d’où vient la vie (la nourriture) mais dont la montée semble inexorable. Ce lac où l’on se noie, où l’on devient statue de glace par les hivers de grand froid. La description du cimetière sous-marin est absolument hallucinante car le style de l'auteure à l'art de faire surgir des images.

Dans ce monde rude, figé dans le passé, vit une petite fille rêveuse qui écrit des poèmes et nous retrouvons en elle nos rêves d'enfants : être Jo dans Les Quatre filles du Docteur March, pleurer en lisant la Ballade du roi des Aulnes. Mais... la banalité de ce monde s'arrête là et d'abord avec le prénom de l’héroïne : Petite Boîte d’os. Ce prénom donné par son père témoigne à la fois de la petitesse de l’homme mais aussi de sa grandeur, du cerveau qui lui permet de penser : « Nous ne sommes qu’un sac de flan mou dans une petite boîte d’os ! » . Une petite boîte d'os qui n'a pu empêcher l'irréparable car pendant tout le roman l'on a conscience de l'impossible retour en arrière et l'on se sent ému par cet univers en disparition.

Petite Boîte aime le vieux Jeff qui a fui le « déluge » et puis est revenu chez lui. C’est l’amour qui la maintient en vie, un amour fort, puissant, entier pour Jeff, son fils Knut, et aussi pour la nature omniprésente. Car la ville existe de l’autre côté du lac mais elle est encore plus âpre et plus cruelle.

Ce roman qui reprend un thème de science-fiction rebattu à notre époque surprend par son regard neuf, l’originalité du traitement. Il touche et émeut par sa nostalgie, son goût doux-amer qui au moment où l’on découvre toute la beauté de la nature nous fait savoir qu’elle n’est plus. Le style de l’écrivaine suggestif, plein de finesse, est à la fois poétique et réaliste, doux et violent. Un beau roman. A découvrir !

samedi 2 juillet 2011

Joyce Carol Oates : Les mystères de Winterthurn


                            

Les mystères de Winterthurn de la grande romancière Joyce Carol Oates que l'on pourrait qualifier de roman noir gothique aborde un registre auquel je ne m'attendais pas  après avoir lu  Nous étions les Mulvaney bien ancrée dans la société américaine des années 1970.
Le livre est divisé en trois parties qui correspondent à trois énigmes, associées à des meurtres, résolues par le détective Xavier Kilgarvan :
          La vierge à la roseraie ou la tragédie du manoir Glen Mawr
          Le demi-arpent du diable ou le mystère du "cruel prétendant"
          La robe nuptiale tachée de sang ou la dernière affaire de Xavier Kilgarvan
Le fil directeur de ces trois récits est d'abord, bien sûr, Xavier Kilgarvan qui a seize ans au début du roman et les personnages récurrents  comme les deux cousines du jeune homme, Perdita et Thérèse Kilgarvan ainsi que les frères du héros; ensuite le lieu, le village de Winterthurn, et le genre, un mélange de réalisme lié au roman policier et de fantastique qui rappelle le roman gothique avec intervention du diable et de démons. L'intrigue se situe  à la fin du XIX ème siècle.
On peut lire cette oeuvre au premier degré, en tremblant, caché(e) sous sa couverture, fasciné(e)par les horreurs du manoir de Glen Mawr, terrifié(e) par les atrocités commises par le  "cruel prétendant" ou la robe couverte de sang de la belle et malheureuse Perdita.
Et puis, il y a le second degré : un humour sous-jacent au récit qui nous interpelle comme si l'auteur voulait attirer notre attention vers autre chose, vers un autre point de vue, d'autres centres d'intérêt, thèmes qui ne sont pas si éloignés, finalement, du roman que je citais plus haut : Le double visage d'un Juge, égoïste et incestueux dans le privé mais qui se prétend juste, sévère et impartial dans l'exercice de son métier et qui condamne à la pendaison une servante, séduite par son patron et jetée à la rue, parce que son bébé est mort de froid lors de l'accouchement. Un fils de famille coupable des pires atrocités, innocenté et libéré sous un fallacieux prétexte, mais en fait parce que les jeunes filles torturées et violées par lui ne sont après tout que des ouvrières d'usine. Calomnies, cruautés, vanités, superstitions, obscurantisme... Description d'une société bien-pensante et méprisante qui cache sous les aspects extérieurs de la vertu, les dépravations les plus totales. Même le pasteur n'est pas épargné, terminant en beauté (si j'ose dire!) la satire d'une société que l'auteur épingle d'un trait vigoureux, incisif.
diapo-1.1225560554.jpg 



vendredi 1 juillet 2011

Joyce Carol Oates : Marya




Dans la quatrième de couverture de Marya l'éditeur nous prévient :  "pour la première fois Joyce Carol Oates, la romancière la plus célèbre, la plus prolifique et paradoxalement la plus secrète des Etats-Unis va nous parler d'elle, nous donner des clés, un code pour décrypter son histoire."
Marya Knauer est abandonnée par sa mère avec ses deux frères après la mort de son père, un ouvrier, tué lors d'une violente rixe certainement lié à un conflit entre syndicat et patronat. Tous les trois sont confiés  à leur oncle paternel  Everard et à sa tante Wilmar qui vont les élever avec leurs propres enfants. L'enfance de Marya est solitaire, hantée par l'abandon de sa mère et par l'image du cadavre roué de coups de de son père à la morgue. La cruauté des enfants, entre eux, lorsque les adultes laissent faire, lui apprend la souffrance, la violence, la peur. Ce n'est que dans les études où sa brillante intelligence la place au-dessus des autres que Marya s'accomplit. C'est pourquoi du lycée à l'université, elle se plonge dans ses études, n'ayant que peu d'amis, peu ouverte, réussissant brillamment  tout ce qu'elle entreprend. Ses premiers écrits sont acceptés dans des revues, elle entame une carrière universitaire semée d'embûches, rencontre l'amour à deux reprises qui se terminent chaque fois tragiquement. Nous la laissons au moment où, ayant retrouvé la trace de sa mère, elle reçoit une lettre de celle-ci....
Je ne connais pas assez JC Oates* pour dire si ce roman est vraiment une clef pour comprendre sa vie. Certes, l'écrivain est d'origine modeste et d'une intelligence supérieure. Elle enseigne à l'université où elle a accompli une brillante carrière et nous savons combien elle a réussi dans le domaine de la littérature et ce que représente pour elle l'acte d'écrire. Ce n'est certainement pas sans raison que certains thèmes reviennent sans cesse dans  ses romans. Pour le reste, mystère!  Et ce n'est pas là, d'ailleurs, ce qui m'intéresse le plus dans ce roman car je me suis attachée à Marya, personnage fictionnel.
Marya est un roman d'initiation qui raconte la vie d'une enfant d'abord puis d'une adolescente, enfin d'une jeune adulte. Nous voyons Marya, enfant maltraitée, nous la voyons évoluer, partageons ses peurs, sa solitude ,découvrons ses contradictions, ses travers, ce sentiment de supériorité qui l'anime et la pousse facilement au sarcasme et au mépris. Non! Le personnage n'est pas entièrement sympathique! Comme d'habitude, ce qui me frappe chez Oates, c'est la complexité de l'analyse psychologique et sa manière de nous faire voir, en particulier Marya, à la fois de l'intérieur et de l'extérieur. Ce qui nous permet d'avoir des angles d'approche différents par rapport aux personnages. C'est ce qui fait la supériorité de la Littérature, du moins de celle d'un grand écrivain comme Oates, sur la vie réelle qui nous borne à nos propres sens, à notre seule perception. Ainsi le personnage de Marya décrite comme une fille, renfermée, ambitieuse et parfois cruelle peut tout aussi bien nous apparaître comme quelqu'un de fragile, de si durement  blessée par la vie qu'elle a dû gommer en elle toute sensibilité : ne pas pleurer, car si vous commencez, vous ne pourrez plus vous arrêter. c'est le conseil réitéré de sa mère qui en savait quelque chose sur la question. Et voilà comment cette jeune fille laide peut aussi nous apparaître à travers le regard de son amant sous les traits magnifiés d'une vierge espagnole, d'une mater dolorosa.
D'autres thèmes récurrents d'un livre à l'autre apparaissent :  celui de l'enfance maltraitée et marginalisée par la misère, celui de la solitude parfois douloureuse et angoissante car la jeune fille est trop différente, trop brillante, trop étrange pour parvenir à se faire des amies. Une solitude qui peut pourtant être voulue et consentie quand Marya est étudiante et qu'elle découvre le plaisir d'avoir une chambre à soi et le bonheur de la lecture nocturne. Car  l'amour des livres  permet à Marya de vivre et devient la seule chose sur laquelle elle puisse vraiment compter. Le thème de la foi et de l'appartenance à l'église catholique avec le tourment du doute et l'impossiblité de croire vraiment. Celui de l'inégalité sociale et des humiliations liées à la pauvreté et au mépris des riches. Les élèves boursiers doivent travailler en dehors de leurs heures d'étude pour assurer leur subsistance, ont l'obligation d'obtenir des notes supérieures pour conserver leur bourse et ils sont, de plus, méprisés par les non-boursiers. Marya se lie d'amitié avec Imogène, un jeune fille de bonne famille, riche, qui est attirée par l'intelligence de Marya. Leurs rapports deviendront vite conflictuels.
Je note aussi la fin ouverte du roman : Marya va-t-elle retrouver sa mère? Comment se passera cette rencontre?  On peut espérer que ce sera pour la jeune femme une libération, qu'elle aura enfin la réponse à cette question qui l'a poursuivie toute sa vie après la départ de sa mère : pourquoi?
Marya est donc un roman d'une facture classique au niveau du récit, dense et intéressant par les sentiments qu'il exprime. je l'ai apprécié  même s'il ne me touche pas autant que les romans qui sont actuellement -  dans ma découverte de Joyce Carol Oates - mes deux préférés : Chutes et Nous étions les Mulvaney. Mais je suis loin encore d'avoir lu toute l'oeuvre de Joyce Carol Oates!

 Challenge Joyce Caol Oates proposé par George Sand et moi


*J'ai déjà une réponse quant à la ressemblance de Marya avec son auteur  : si Marya est de confession catholique, ce qui a une importance extrême dans le roman, Joyce est protestante, ce qui apparaît sur cette photo  où Joyce Carol Oates semble avoir l'âge de Marya à la fin du roman.

Joyce Carol Oates : Zombi




Décidément, Joyce Carol Oates n'épargne rien à son lecteur. Lire Zombi, c'est plonger dans l'exploration d'un cas clinique absolument terrifiant, celui d'un tueur psychopathe à la folie meurtrière hallucinante. Mais attention! Il ne s'agit pas d'un thriller où le lecteur bien à l'abri dans sa confortable maison peut se payer le luxe de trembler tout en sachant que lui et en général le héros principal vont s'en sortir indemnes. Dans Oates, justement, vous savez, au contraire, que vous n'en réchapperez pas et que vous allez être impliqué réellement! Comment? Tout simplement parce qu'elle vous fait entrer dans l'esprit non de la victime mais du malade lui-même! Et comme le psychopathe a sa logique et que celle-ci est irréfutable car il a raison - Forcément, c'est son point de vue- vous vous rendez compte que vous en venez à penser comme lui. Non, Oates n'écrit pas pour vous faire peur mais elle vous fait peur!
Je suis allée jusqu'au bout fascinée par la force et la virtuosité de l'écrivain. Comment arrive-t-elle à pénétrer ainsi dans l'âme humaine? Déjà, c'est un exploit lorsqu'elle fait tomber les barrières, enlève le masque derrière lequel se cachent des personnages "normaux". Mais lorsqu'il s'agit d'un malade comme celui-là, on ne sait où elle trouve les ressources pour vous entraîner dans un tel vertige, aux confins de la folie. Cela tient du tour de force, ce qui lui est d'ailleurs habituel. Quand dans Reflets dans une eau trouble son héroïne se noie dans une voiture tombée dans une rivière, c'est vous qui  êtes prisonnier à sa place dans l'obscurité. Mais devenir psychopathe, c'est trop éprouvant!  Non, je n'ai pas aimé ce livre! Bien sûr, il ne s'agit plus d'un jugement littéraire mais que celui qui ne s'est jamais identifié à un personnage me jette la première pierre!

oates-challenge.1290436982.jpgChallenge de George .

Joyce Carol Oates : je vous emmène





Dans Je vous emmène Joyce Carol Oates nous entraîne dans un campus américain pendant les années soixante. La jeune héroïne dont nous ne connaîtrons pas le prénom  a dix neuf ans; elle vient d'un milieu modeste  - son père est ouvrier-  et a obtenu une bourse pour continuer ses études dans une grand université de l'Etat de New York.
Le livre est divisé en trois parties :
I) La pénitente qui nous fait pénétrer dans le cercle étrange, pour nous français, des sororités (fraternités pour les hommes) auxquels  les étudiantes américaines se doivent d'appartenir si elles ne veulent pas se sentir exclues. Entrer dans une communauté de ce genre, c'est, en effet,  un passage obligé, c'est se soumettre à une initiation, à des rituels secrets, c'est porter un insigne qui permet d'arborer son appartenance avec fierté, de partager des valeurs communes, d'être intégrée, considérée comme  une soeur par les autres membres de la sororité. Notre héroïne choisit la maison Kappa Gamma Pi dont le luxe tapageur  qui cache  une certaine  décrépitude  l'éblouit.  Mais avec ses revenus modestes, elle va vite s'apercevoir qu'elle ne peut  faire face aux dépenses d'un tel établissement. Peu à peu, elle va apprendre à ses dépens que le mot "soeur" est un vain mot, elle va faire l'expérience la cruauté dont elle mais aussi la "Mère" de la maison Kappa Gamma, Mme Thayer, veuve désargentée, seront l'objet, elle va découvrir une réalité peu reluisante sous la façade d'apparat.
Dans cette première partie du roman le ton de Joyce Carol Oates est  d'une puissance étonnante.  Elle peint d'un trait acéré une Amérique où les inégalités sociales sont criantes, où celui qui n'est pas fortuné subit le mépris, la discrimination, les humiliations au quotidien.  Ce n'est pas sans raison que la jeune fille n'a pas d'identité car dans la sororité personne ne retient son prénom, madame Thayer le déforme ; elle n'existe pas. L'écrivain décrit l'inhumanité de ces milieux aisés ou fortunés qui utilisent les autres quand ils peuvent les servir mais les rejettent sans scrupules ensuite. Elle dénonce la fausseté des apparences :  ces jeunes filles de bonne famille prétendument bien éduquées, vertueuses (dans les années soixante, la liberté sexuelle n'est pas envisageable ), studieuses, se livrent à la débauche toutes les nuits, sexe, alcool, drogue et ne sont là que pour aller à la pêche au mari, fortuné, bien entendu. Les allers-retours du récit, de la famille désunie de la jeune fille à sa vie dans la sororité,  véritable noeud de serpents, apportent chaque fois des précisions sur le caractère du personnage principal d'un intelligence supérieure, complexe, mal dans sa peau, malade jusqu'à l'anorexie, inadapté et marginal, d'abord soumis puis révolté.
Il s'agit ici d'un roman d'initiation d'une violence psychologique et verbale incisive, une découverte des réalités de la société  qui enlève toute  illusion  à celle qui la subit. Le talent immense de Joyce Carol Oates, la complexité de l'analyse psychologique et des rapports sociaux, la richesse du contenu  forcent l'admiration.
II) Négrophile est la deuxième partie. La jeune fille s'est libérée de la sororité et son initiation, cette fois-ci sexuelle, continue. Elle tombe amoureuse  pour la première fois de Vernor, un noir, brillant étudiant en philosophie dont l'intelligence, l'érudition, les théories la captivent. Une occasion pour Oates de parler du racisme et de la ségrégation qui régnaient à cette époque. Mais les personnages perdus dans leurs considérations philosophiques passent à côté des revendications de l'époque.  La jeune fille va se doter d'un prénom -  Anellia - qui n'est pas le sien, elle va se donner une personnalité  aux antipodes de la sienne. Comme si pour acquérir une identité et pour être vue par les autres, il fallait qu'elle renonce à elle-même. Son admiration pour Vernor l'amène à perdre, comme elle l'avait fait pour la sororité, sa lucidité et le le contrôle de sa vie. Là encore, elle découvrira à ses dépens qu'elle a été flouée. Il sera temps pour elle de s'accepter. Cette seconde partie reste intéressante et  riche mais m'a cependant moins touchée, peut-être parce que la première était d'une force telle que je suis restée sur cette impression. Peut-être aussi parce qu'elle présente une structure trop semblable à la précédente.
III) L'issue :  Le personnage découvre que son père qu'elle croyait mort est  vivant mais gravement malade. Elle traverse tous les Etats-unis pour aller le voir et l'assister dans son agonie. Là, elle comprend que, contrairement aux apparences, celui-ci qu'elle croyait hostile, qui lui reprochait d'avoir causé la mort de sa mère par sa naissance, l'aimait.  Avec la disparition du père finit l'initiation de la jeune fille qui entre dans l'âge adulte. La  troisième partie ne m'a pas accrochée;  je l'ai trouvée peu crédible. Je n'ai pas adhéré à ce dernier récit qui m'a paru ennuyeux. Ce parti pris de terminer sur une note optimiste ne m'a pas convaincue.

mercredi 15 juin 2011

Erik Orsenna : Les chevaliers du subjonctif




Les subjonctifs sont les ennemis de l'ordre, des individus de la pire espèce. Des insatisfaits perpétuels. Des rêveurs, c'est à dire des contestataires. "Je veux que tous les hommes soient libres." Bonjour le désordre! " Je ne crois pas que notre président réussisse!". Merci pour le soutien!  Du matin jusqu'au soir, ils désirent et ils doutent! A-t-on jamais construit une civilisation sur le désir et le doute.
Les conseillers du président, flatteurs et courtisans, comme tous les conseillers, hochaient la tête en cadence.
- Vous avez raison monsieur le président-à-vie-et-même-au-delà : le rêve est la plus malfaisante des maladies.

mardi 29 mars 2011

La ballade de Lila K, Blandine Le Callet

Un monde où les livres sont interdits

Comme dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Blandine Callet a imaginé dans son roman, La ballade de Lila K, un monde très proche du nôtre où les livres sont interdits et considérés comme nuisibles à la santé. Ils sont remplacés par des grammabooks visuels plus faciles à expurger de tout contenu illicite. Monsieur Kaufmann, une vieux monsieur anticonformiste, tuteur de Lila,  montre à  la fillette, qui n'en a jamais vu, un vrai livre et lui  explique ce que c'est :
J'ai posé la main sur la feuille. J'ai palpé, puis j'ai gratté les lettres, légèrement de l'index, Monsieur Kauffmann disait vrai, elles étaient prises dans la matière.
- Ca ne peut pas s'effacer?
-Non, c'est inamovible. Indélébile. Là réside tout l'intérêt : avec le livre, tu possèdes le texte. Tu le possèdes vraiment. Il reste à toi, sans que personne ne puisse le modifier à ton insu. Par les temps qui courent, ce n'est pas un mince avantage, crois-moi, a-t-il ajouté à voix basse.  Ex Libris veritas, fillette.  La vérité sort des livres. Souviens-toi de ça : Ex libris veritas.
 Je ne comprenais pas bien où il voulait en venir, ni pourquoi il prenait un air si  solennel. Mais j'ai hoché la tête, à tout hasard. Ex libris veritas. D'accord, s'il y tenait.

56270471_p12954715271.1296135011.gif Initié par Chiffonnette

mercredi 15 septembre 2010

Jean-Louis Fournier : Poète et paysan


Le nouveau livre  de Jean-Louis Fournier :  Poète et paysan est une petite gourmandise vite dégustée et appréciée, une bulle de savon dont on admire les couleurs irisées et qui éclate dans l'air.

Dans ce livre Jean Louis Fournier raconte un épisode de sa vie et de sa jeunesse. Etudiant à l'IDHEC,  l'institut des Hautes Etudes Cinématographiques (actuellement  FEMIS), bien décidé à suivre la trace de ses réalisateurs préférés, il tombe amoureux d'une étudiante, fille de paysan. Or cet agriculteur, propriétaire d'une ferme dans le Nord de la France, n'a que des filles et un fils unique allergique aux travaux des champs. Que ne fait-on pas par amour? Voilà notre jeune homme  fiancé et futur héritier de la ferme du papa, enterré à la campagne qu'en bon citadin il idéalise. Mais les travaux des champs, l'arrachage des betteraves, l'élevage des vaches, n'ont rien de facile ni d'idyllique! Le jeune homme se retrouve dans le fumier jusqu'au cou pendant que sa Belle restée à Paris prend le parti de l'oublier bien vite!

Jean-Louis Fournier, c'est un style, un humour aussi. Le livre est plaisant, agréable, drôle avec un brin de poésie et de nostalgie et beaucoup d'auto-dérision. On rit des mésaventures du poète paysan. Sa vision de la campagne ne manque pas d'originalité et d'invention. Le propos est parfois désabusé, voire un peu triste mais jamais grave. Rien avoir avec la force et la violence de Où on va papa?
Bref! pas le livre du siècle ni même un grand roman mais un bon moment de lecture que j'ai savouré.

dimanche 7 décembre 2008

Jean-Louis Fournier : Où on va papa?






Faire rire, "C'est le plus court chemin d'un homme à un autre", affirme Jean-Louis Fournier.

Il a raison comme nous le prouve son livre Où on va papa? dans lequel il parle pour la première fois de ses  deux enfants handicapés, Mathieu et Thomas, afin "de les mettre en lumière" :
"Un livre que j'ai écrit pour vous. Pour qu'on ne vous oublie pas, pour que vous ne soyez pas seulement une photo sur une carte d'invalidité."

Et c'est par le rire qu'il communique avec nous, c'est par le rire que nous sommes tout de suite à l'unisson, par le rire que nous pénétrons dans le no man's land de sa souffrance. Une souffrance telle que l'on sent très bien qu'il pourrait ne jamais en revenir s'il n'y avait l'humour, l'auto-dérision... Et de ce rire naît une émotion qui ne fera jamais appel à la pitié, sentiment que l'auteur jugerait offensant, mais à une totale empathie.

Ce qui n'empêche pas ce rire d'être douloureux voire terrifiant. Car Jean-Louis Fournier sait nous transmettre d'abord toute la souffrance physique et morale de ses fils, de Mathieu qui n'a jamais su sourire, de Thomas  qui peut répéter cent fois de suite : "Où on va papa?" sans jamais retenir la réponse, des deux garçons enfermés dans leur corset d'acier, le corps meurtri. Et puis il y a le désespoir du père! Il ne vivra jamais les joies des autres parents;  et quand il énumère tout ce qu'il ne connaîtra pas, le lecteur  prend conscience qu'avoir des enfants qui ne souffrent pas d'un handicap,  loin d'être un dû, loin d'être naturel, est une sorte de conte de fées, une chance extraordinaire! Il décrit aussi l'ambivalence de ses sentiments envers ses fils handicapés, de l'amour à la haine... désirs de mort, fulgurances d'amour.

Mais que l'on ne s'y trompe pas, ce livre même s'il témoigne, n'est pas seulement un témoignage! C'est une oeuvre littéraire forte qui me fait parfois penser, non par le sujet, mais par la construction, aux tableaux sociaux, aux portraits que dressait un moraliste comme La Bruyère au XVIIème siècle. Où on va papa? est construit, en effet, par petits chapitres indépendants qui égrènent chacun un thème, de la présentation à la chute qui crée une surprise, voire un choc auprès du lecteur, chute qui exige beaucoup de maîtrise dans l'art d'écrire.

Cette chute  peut-être tour à tour :

un rire de dérision  :

Quand je parle de mes enfants, je dis qu'ils ne sont "pas comme les autres". Ca laisse planer un doute. Einstein, Mozart, Michel Ange, n'étaient pas comme les autres.
Qui va  de pair avec la cruauté

J'ai pensé que quand ils seraient grands, je leur donnerai un grand rasoir coupe-chou. On les enfermerait dans la salle de bains et on les laisserait se débrouiller avec leur rasoir. Quand on n'entendrait plus rien, on irait avec une serpillère nettoyer la salle de bains.. J'ai raconté ça à ma femme pour la faire rire.
un cri de souffrance et d'amour

Quand je pense que je suis l'auteur de ses jours, des jours terribles qu'il a passés sur Terre, que c'est moi qui l'ai fait venir, j'ai envie de lui demander pardon.
 un aveu d'impuissance

Je n'ai pas eu de chance. j'ai joué à la loterie génétique, j'ai perdu.

Et puis il y aussi la douceur, la tendresse

"J'espère quand même que mises bout à bout, toutes leurs petites joies, Snoopy, un bain tiède, la caresse d'un chat, un rayon de soleil, un ballon, une promenade à Carrefour, les sourires des autres, les petites voitures, les frites... auront rendu le séjour supportable."
Le style très concis, ramassé, d'une simplicité épurée, refuse l'émotion facile et renforce le propos. Jean-Louis Fournier définit ainsi sa manière d'écrire :

"Une phrase, c'est un mur de pierres sèches. Pas de ciment. Quand les mots se cognent, ça fait des étincelles."
Effectivement! Chaque phrase composée la plupart du temps de propositions indépendantes, est courte, rapide, sobre, sans fioritures, sans mots superflus, et porteuse de sens.

De plus, on se souvient que Jean-Louis Fournier à été le coauteur des Minutes de Cyclopède, grand ami de Desproges, amateur de l'absurde. Et il a l'art douloureux de  mettre en avant l'absurdité de la vie telle qu'il la ressent devant les épreuves que subissent ses fils, devant l'inutilité de ses efforts, et aussi dans la confrontation  de ses rêves avec la réalité.