Dans La fille du cannibale Lucia Romero, écrivain pour enfants, la quarantaine bien sonnée, part en voyage avec son mari Ramon Iruna qui est fonctionnaire au ministère des Finances. Juste avant l'embarquement, celui-ci part aux toilettes mais il n'en ressort jamais. Lucia, angoissée a l'idée de rater l'avion, n'a pourtant pas quitté la porte des yeux. Qu'est devenu Ramon? Les recherches de la police sont infructueuses. Quand Lucia reçoit une demande de rançon par une organisation terroriste, elle va livrer elle aussi sa propre enquête, épauler en cela par ses voisins, un vieil anarchiste de quatre-vingt ans surnommé Fortuna qui n'a pas froid aux yeux et un jeune homme de vingt ans, Adrian, trop jeune pour elle ... mais terriblement séduisant!
L'enquête policière assez complexe et rocambolesque permet à Lucia de découvrir ses sentiments, de secouer les habitudes ancrées que l'on ne remet pas en question parce que l'on se laisse enliser dans la routine quotidienne. En faisant le point sur sa vie, elle s'aperçoit que tout n'y est pas si rose. D'abord, elle n'aime plus Ramon. Il y a bien longtemps qu'il n'y a plus rien entre eux! Elle prend conscience qu'elle ne sait rien de cet homme qui lui paraissait si banal et si lisse! Ensuite, elle déteste Belinda la cocotte, l'héroïne idiote de contes stupides qu'elle écrit pour les enfants.. Enfin, elle a quarante ans, un dentier et de nombreuses cicatrices dus à un accident de la route et c'est très lourd à assumer. Si l'on ajoute que ses parents, d'anciens acteurs narcissiques, sont incapables de lui apporter le moindre soutien moral, qu'elle est la fille d'un présumé cannibale (son père ayant mangé de "l'homme" pour survivre au cours d'un dramatique accident, du moins c'est ce qu'il raconte), si je vous dis encore qu'elle tombe amoureuse du nouveau voisin qui pourrait être son fils... etc... vous comprendrez que le roman de Rosa Montero n'est pas sans sel et la vie de son héroïne de tout repos. Ceci raconté avec humour (noir souvent) qui n'exclut pas la gravité et une réflexion désabusée et lucide sur la vie en général, et en particulier sur les rapports entre hommes et femmes dans le couple, sur le statut de la femme aussi. Et elle a parfois la dent dure et le verbe mordant!.
C'était une de ces femmes dont la raison de vivre est la maternité, comme si accoucher était l'oeuvre suprême de l'Humanité, celle qui nous intronise dans l'Olympe aux côté des lapins.
Mais au-delà de l'humour, il y a la souffrance de vieillir, la peur de la solitude et de la mort, la déception face à une réalité que l'on trouve trop dure et que l'on refuse d'accepter.
Le récit de Lucia qui parle à la première personne est entrecoupé par celui de notre anarchiste qui a été torero, une façon d'ailleurs de nous faire découvrir ce métier dans les années 30 et ses facettes surprenantes. Le vieil homme raconte le voyage qu'il fit, enfant, à la suite de son frère, en Amérique du Sud et comment, au Chili, il fit parti de la bande d'anarchistes de Duretti. Il nous fait pénétrer ensuite dans le milieu anarchiste espagnol et revivre ainsi l'Histoire de l'Espagne, ce qui est l'un des aspects les plus passionnantes du roman. Le récit est vibrant et souvent douloureux comme lorsque Fortuna évoque la guerre civile : Moi je suis entré dans le malheur ce 18 Juillet 1936 et à partir de cette date les choses n'ont fait qu'empirer : la défaite des républicains, l'exil, les camps de concentration français, la deuxième guerre mondial, le franquisme : Mais nous pouvons supporter dans nos vies une haute dose de souffrance. Au départ nous pensons que nous allons pouvoir la surmonter, en réchapper. Que nous avons déjà laissé le pire derrière nous parce qu'il ne peut rien arriver de pire que ce qui a été vécu. Mais oui, évidemment, bien sûr qu'il peut y avoir pire. Ne tentez pas le malheur. C'est un bourreau sadique.
A travers ce personnage Rosa Montero parle aussi et d'une très belle manière du problème du Bien et du Mal, de la vieillesse, de l'acceptation et de la compréhension de la mort et il transmet son savoir à Lucia.
Il n'y a pas à avoir peur de la réalité parce qu'elle n'est pas que terrible, elle est belle aussi.
La vie est beaucoup plus grande que nos peurs. Et nous sommes même capables de supporter plus que nous ne le souhaiterions.
La vie est beaucoup plus grande que nos peurs. Et nous sommes même capables de supporter plus que nous ne le souhaiterions.
Lorsque le roman se termine La jeune femme a retrouvé un équilibre. Elle a passé cette crise de la quarantaine au cours de laquelle on dit adieu à sa jeunesse et qui ressemble tant à celle de l'adolescence où l'on enterre son enfance. Un beau roman.
Rosa Montero est née à Madrid où elle vit. Après des études de journalisme et de psychologie, elle est journaliste à El Pais et est l'auteur de plusieurs romans, parmi lesquels Le Territoire des Barbares et La Folle du logis.
Je mets aussi un lien vers mes billets des livres de de Javier Cercas qui est un de mes auteurs espagnols préférés :
J'ai participé avec ce billet au défi lancé par Ys et intitulé Les 12 de Ys. il s'agit de lire chaque mois un livre parmi ceux qu'elle présente sur un pays ou un continent précis. Pour ce mois de janvier Ys nous a proposé la découverte d'auteurs espagnols contemporains et là, j'ai foncé car c'est une littérature que j'aime particulièrement. Voir ICI