La vie de Appeffeld nourrit son oeuvre
Aharon Appelfeld |
Ce roman puisqu’il s’agit d’une fiction est nourri des souvenirs de jeunesse de Aharon Appelfeld dont j’ai trouvé une intéressante biographie ICI Ces faits biographiques sont importants pour la compréhension de son oeuvre.
Aharon Appelfeld, né en 1932, a vécu à Jadova, près de Czernowitzl, à la frontière roumano-ukrainienne. Dès l’invasion du pays par les roumains et les allemands, sa mère est tuée et les nombreux juifs qui habitent la région sont exécutés ou envoyés comme lui et son père en déportation. Très vite séparé de son père, il s'enfuit et vit seul, à l’âge de neuf ans, se cachant dans les forêts ukrainiennes, travaillant durement pour des paysans, des prostituées, des voleurs de chevaux et surtout taisant sa judaïcité à tous. L’antisémistisme virulent des ukrainiens en font les complices rêvés des nazis. Aharon Appelfeld dit que sa vie a été celle de l’enfant de « L’oiseau bariolé » de Jerzy Kosinki. voir billet ICI,
A treize ans, en 1944, il rejoint l’armée soviétique. Il arrive à Israël à l’âge de quatorze ans.
Les partisans
Partisans juifs à Vilnius source |
Dans Les partisans, Aharon Appelfeld nous fait partager la vie de juifs échappés d’un ghetto et cachés dans les montagnes ukrainiennes. Leur groupe qui réunit des croyants et des non-croyants, des membres du Bund et des Jeunesse sionistes, des communistes, tous anti-nazis mais très différents par leurs idées, des hommes de tout âge, des femmes et des enfants, sont étroitement liés par un sentiment de solidarité, de respect et d’affection. Les partisans s’organisent peu à peu, menant des escarmouches contre l’armée allemande pour s’emparer de munitions, se ravitaillant auprès des fermiers hostiles sous la contrainte des armes, faisant sauter les trains de la Mort qui conduisent les juifs des ghettos dans les camps de concentration. Leur groupe s’agrandit, les juifs échappés des trains, faibles et malades, venant rejoindre la troupe de combattants. Pendant que l’armée nazie mène la Grande Histoire en exterminant les juifs d’Ukraine qu’ils font disparaître dans des fosses communes ou dans les camps de la mort, c’est au Particulier que nous sommes confrontés dans le roman en assistant à la vie quotidienne de tous et en découvrant la personnalité de chacun..
Le narrateur est Edmund, un jeune de dix-sept ans, qui a fui vers les montagnes, abandonnant ses parents sur le quai de la gare en route vers les camps. Il est imprégné d’un sentiment de culpabilité qui ne le quitte jamais. C’est lui qui décrit le commandant Kamil, une belle figure d’homme et de chef que guide la foi; Il y a Karl, le communiste, qui ne peut supporter l’obscurantisme lié pour lui à la religion, mais qui lui aussi est conduit par cet esprit de solidarité qui ne le quitte jamais : il y aussi Tsila, la cuisinière dont chaque repas est un acte d’amour pour les autres, et la grand mère Tsirel, visionnaire, qui représente la foi et les tradition des ancêtres. Puis les enfants, Michael qui a neuf ans, l’âge de Aharon Appelfeld quand il s’est retrouvé seul, et le tout-petit Milio, si traumatisé qu’il a perdu la parole et sur qui veille son père adoptif Danzig, attentif à le protéger. Et bien d’autres encore qui nous deviennent proches.Comme Victor, l’Ukrainien, qui est venu les rejoindre parce qu’il ne supportait plus les massacres perpétrés sur les juifs par ces compatriotes nazis, et qui est lui aussi un personnage profondément humain.
C’est par l’amour, nous dit Appelfelfd que l’homme sera sauvé; chacun doit laisser de côté son égoïsme, ses motivations personnelles et se mettre au service de tous.
Tous ont subi des drames terribles, la perte de ses enfants pour l’une, de ses parents pour l’autre. Ce sont des êtres blessés, portant de lourdes souffrances, sujets à des moments de repli, d’écroulement moral, mais désireux, cependant, de maintenir en eux la part d’humanité, la dignité propre à l’être humain, de ne pas devenir des bêtes comme le voudraient les nazis :
"C’est pour cela que nous sommes ici" dit Kamil. "Nous allons conserver un visage humain, et nous ne laisserons pas le Mal nous défigurer ". C’est aussi un sentiment que j’ai découvert chez Semprun et qui le guide et le maintient en vie dans les camps de concentration.
C’est ainsi que Aharon Appelfled nous fait comprendre ces gens qui ont vécu une telle tragédie et nous les fait aimer sans pourtant tomber dans le manichéisme : "Karl est debout, comme toujours, prêt à tendre la main une main ou aider un homme à se relever. Si tous les communistes lui ressemblaient, le monde serait sauvé sans délai. Au ghetto il y avait parmi nous des jouisseurs qui accumulaient la nourriture et se bouchaient les oreilles afin de ne pas entendre les gémissements de ceux qui mouraient de faim. Le Mal et la Cruauté qui nous cernaient s’était infiltrés en chacun de nous, seuls quelques élus n’avaient pas été atteints."
Le style de Appelfeld : le détour par la fiction
Le style de Aharon Appelfel est très simple, pur, concis, sans lyrisme ni pathos. Ce qu’il raconte est déjà si terrible qu’il n’y a rien à ajouter.
J’ai lu que, comme Jorge Semprun, et bien que venant d’horizons et de sensibilité très différents, il a cherché comment dire l’indicible, conscient qu’il fallait un autre langage pour en parler.
"Quand je suis devenu un écrivain et suis devenu conscient de mon écriture, je sus que je ne pouvais pas écrire des mots comme ils avaient été écrits auparavant. Vous ne pouvez pas écrire sur l'Holocauste de manière réaliste, vous ne pouvez pas en parler en termes sociaux, économiques ou politiques. Vous devez parler dans un nouveau langage. Et Kafka est le premier qui écrivit dans une nouvelle direction faite de réel et d'imaginaire. Kafka a sauvé mon écriture ". (source)
Comme Semprun, Appelfeld préfère passer par la fiction plutôt que par le récit de sa propre vie parce que :
« La littérature ne doit pas essayer de retranscrire l'histoire mais de révéler la vérité au sein de la vérité. C'est la tension continue entre le particulier et le général qui donne l'œuvre. le particulier seul ne donne que la mémoire ou l'histoire. Le général seul ne donne que la philosophie ou la sociologie. Seule la confrontation entre les deux permet d'écrire. Mon particulier aura été la catastrophe, le ghetto, la forêt, la mort aux trousses. Le général pour moi est l'homme qui souffre et qui cherche l'amour. Pour moi les mots ne sont pas des pierres mais des êtres vivants » (Appelfeld juin 2011 à Toulouse).
Un beau roman, dans son apparente simplicité, et qui ne laisse pas indifférent .