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dimanche 6 janvier 2019

Bilan mois de Novembre et Décembre 2018

John Gwen

Partie en voyage puis très occupée par la famille pendant les fêtes, je n'ai pas eu le temps de faire le bilan de mes lectures du mois de Novembre et du mois Décembre. Je les récapitule ici.

Dany Laferrière : Le goût des jeunes filles


 

 

 

 

 

 




Carl Safina : Qu'est-ce qui fait sourire les animaux ?
 

 

 

 

 

 

 

 




Montaigne et la mort : Tombe et cénotaphe
 




Denis Diderot : Jacques le fataliste

Denis Diderot : Madame de la Pommeraye dans Jacques le fataliste
 






 

 

 

 

 

Sénèque : Thyeste au festival d'Avignon 2018 Mise en scène Thomas Joly
 
Thyeste de Sénèque mise en scène par Thomas Joly festival d'Avignon juillet 2018
Honoré de Balzac : L'auberge rouge
 

Dany Laferrière : Tout bouge autour de moi
 

 

 

 

 

 

  

 

 

Olivier Adam : Personne ne bouge


 Au mois de décembre, j'ai envoyé quelques photographies de mon voyage à Malte
Malte : Les chevaliers hospitaliers de la Saint Jean de Jérusalem 
 


 

 

 

 

 


Balzac : Le colonel Chabert
 


Et enfin les derniers venus* dans notre foyer accueillant

* Oui, ils finiront par nous mettre dehors !


lundi 26 novembre 2018

Dany Laferrière : Le goût des jeunes filles


Quand on lit Dany Laferrière, on se demande toujours (enfin je me demande), ce qui est vraiment autobiographique et ce qui ne l’est pas. Ce qui est certain c’est qu’il met beaucoup de lui-même dans tous ses romans et que sa famille a tendance, pour notre plus grand plaisir, à être envahissante.
La preuve ? Nous sommes à Miami où Dany Laferrière s’est installé pendant dix ans pour écrire nombre des romans dont Le goût des jeunes filles. Il rend visite à sa tante Raymonde (un personnage que j’adore malgré ou pour ? son irascibilité). Quand il prend congé, elle lui lance :
"De toute façon, tu as assez de matériau aujourd’hui pour pouvoir écrire pendant toute une semaine." "Elle porte son doigt à sa tempe pour me rappeler qu’elle n’est pas encore folle."
Et il est vrai que la relation de cette visite à tante Raymonde qui constitue l’opus 1 du roman est savoureuse à souhait.  Puis le coup de téléphone d’une ancienne amie, Miki, lui permet de reprendre contact avec son passé. Son passé, non ! mais celui d’un adolescent de quinze ans, Fanfan, à Haiti, au temps de la dictature de Duvalier et des tontons Macoutes. Le narrateur est donc à le fois Dany Lafferière qui rend visite à ses tantes, lit les lettres de sa mère mais aussi le héros du livre nommé Fanfan, devenu adulte. Dans quelle mesure Dany et Fanfan ne font-ils qu’un dans la vie ? C’est ce que je ne sais pas. Nous sommes en pleine « autofiction » selon le terme employé à propos de son oeuvre.

Dany Laferrière à l'académie française
1971 Haïti reproduit, avec dix ans de retard, les années soixante en France, l’émancipation sexuelle, le bouillonnement des idées, la remise en cause des valeurs traditionnelles, Françoise Sagan, les groupes et la musique comme moyen d’expression, une jeunesse en ébullition…

Fanfan observe, de la fenêtre de sa chambre, le va-et-vient de jeunes filles dans la maison d’en face. Elle sont belles, sensuelles mais inaccessibles à ses yeux et nourrissent les fantasmes du garçon. Pourtant, lorsqu’il est poursuivi par la police, c’est chez elles qu’il va se réfugier. Nous faisons la connaissance de Miki, Pasqualine, Chouquette, Marie-Erna, Marie-Flore.
C’est à travers le regard de l’adolescent que nous apparaissent ces filles des quartiers pauvres - qu’il  considère comme des déesses - belles mais sans éducation, vulgaires, jalouses, voleuses, intrigantes, prêtes à se déchirer et à se rouer de coups, sans compassion mais aussi sans tabous. Il admire leur liberté, leur manière d’utiliser leur corps selon leur bon plaisir en n’ayant de compte à rendre à personne et surtout pas aux hommes qu’elles tiennent sous leur coupe et qu’elles exploitent à l’occasion. Toutes ont une vie dure et ont affronté depuis leur enfance la misère et le combat pour la vie. Elles se réfugient chez Miki car celle-ci a un amant haut placé et riche qui n’est pas souvent là.
A leur groupe, s’ajoute Marie-Michèle qui appartient à une classe sociale riche qui vit dans « le cercle doré » de Port-au-Prince. Elle tient un journal. Le regard affûté de la jeune fille de « bonne famille »  qui n’a que mépris pour sa mère et les amies de celle-ci, nous permet de découvrir l’autre face de la société haïtienne. Son sens de l’observation, sa lucidité et son intelligence débusquent les travers, l’égoïsme, la froideur de cette classe bourgeoise, imbue d’elle-même, à l’abri de la pauvreté et de la promiscuité, retranchés dans ses riches villas, avec voiture et chauffeur et collaborant sans état d’âme aux crimes du dictateur Duvalier et de son successeur, son fils, Baby Doc, ainsi qu’aux exactions de la police, une société pleine de mépris pour les humbles, dominatrice et peu concernée par la terreur qui règne sur le peuple et la misère qui se creuse toujours plus.
« Choderlos de Laclos, écrit Marie Michèle, en décrivant l’aristocratie de son époque, a du même coup décrit la bourgeoisie haïtienne de la mienne. En fait, les privilégiés de toutes les époques et de toutes les races se conduisent toujours de la même manière. Ils passent leur temps à discuter sérieusement de futilités sans prêter aucune attention aux gens qui crèvent autour d’eux. »
C’est ainsi que  nous découvrons les deux faces complètement opposées de la société de Port-au-Prince. Complètement opposées ? Certes, mais, remarque Marie-Michèle, il y a la même cruauté, la même méchanceté dans les rapports entre sa mère et  ses amies. Cependant, alors que chez les filles, les animosités s’expriment avec des mots orduriers et des crêpages de chignon, dans la haute bourgeoisie, personne n’élève le ton, tout se fait insidieusement et avec le sourire, dans la plus grande politesse et la plus parfaite hypocrisie.

Roman politique et social, Le goût des jeunes filles, n'est pas que cela ! C'est aussi un roman d’initiation : le jeune garçon de 15 ans découvre au milieu de ces filles la sexualité mais aussi, son amour pour la poésie. La littérature  tient un grand rôle ici, comme toujours, dans les romans de Dany Laferrière, en particulier avec Magloire Saint-Aude, poète que le narrateur ne peut s’empêcher d’aimer, bien qu’il ait été proche de Duvalier et le poète René Depestre, un ami des humbles.
 
J’ouvre le livre de Magloire Saint-Aude? Comme ça. Une page au hasard. Je lis  :

 Poème du prisonnier
Au glas des soleils remémorés.

C’est fou ! J’arrive ici et je tombe sur un vers qui exprime exactement mon état d’âme. Ce que je ressens dans l’instant. Un poème est bon quand il parle uniquement de nous au moment où nous le lisons.

Le goût des jeunes filles est donc un roman riche, intéressant. Il nous fait découvrir un moment de l’Histoire d’Haïti et c’est extraordinaire comment Dany Laferrière parvient à se glisser dans la mentalité d’une jeune fille de 17 ans de la haute bourgeoise et fait de ce témoignage l’un des aspects les plus passionnants du roman !



lundi 8 janvier 2018

Antony Phelps : Au souffle du vent-poupée


C'est le titre qui m'a immédiatement attirée dans ce livre proposé par Masse critique de Babelio : Au souffle du vent-poupée du poète haïtien Antony Phelps paru aux éditions Bruno Doucey.  La beauté du titre tient à son mystère, à cette alliance de deux mots unis par ce trait d'union qui fait de la poupée et du vent une entité, à ce souffle, évocateur de liberté, de bruit, doux chuchotis ou bruissement impérieux, qui parle à la fois aux  sens, à l'oreille et la peau, qui apporte des odeurs fraîches ou épicées, qui emporte l'imagination.

Iris Geneviève Lahens

Iris Geneviève Lahens,
Ce très beau livre préfacé par Louis-Philippe Dalembert  ( j'aime bien le retrouver ici !) allie poésie et art puisque les poèmes sont mis en dialogues avec les tableaux et les sculptures de l'artiste haïtienne Iris Geneviève Lahens, oeuvre étrange, d'une grande beauté, curieuse rencontre entre le cubisme et la peinture amérindienne, en harmonie avec les dits du poète.



L'influence du surréalisme sur  la poésie d'Antony Phelps est très forte. Entrer dans sa poésie c'est abandonner toute rationalité pour se fondre dans un monde d'images et de formes où les objets perdent leur statut d'objet :

O lampe imaginée aussi sage que l'huile
Tu veilles paupière verte sur la nuit du tapis
La danseuse-papillon sur l'escalier de verre
écoute bouger l'écho
O Lampe paupière verte.


où la femme aimée est "poupée miraculeuse aux bégaiements d'oiseaux pensifs", "Vénus des aromates", "femme gémeaux, idole boisée aux yeux de prophétesse", "l'amante aux pieds de croissants/et main de lune".


Iris Geneviève Lahens (détail) dans le Vent-poupée d'Antony Phelps Editions Bruno Doucey
Iris Geneviève Lahens
Seins bleus corps bariolé
Femme de bagues en fleurs
les yeux en éventail tout éléments mêlés
je te chante en tempête et furie
embrasements rires et chocs de verre.
 

Femme en falaise
au croisement des pistes
le temps carrousel
ne rattrape pas ses chevaux
mais je me fais bouteille dans ton ciel
Une lettre d'amour attachée à ma clef.


Le monde cosmique est là, avec ses nuits qui orchestrent l'arrivée des fantômes, " corps lumineux des poètes trépassés", "débris de fêtes osselets", une nuit traversée d'éclats de lune porteuse d'espoir.

Ô lune-lune cerf-volant
l'été renaîtra sur les mots de l'enfance
le pavé des rue n'appartiendra plus
aux pas cadencés
la main chantera le temps de l'oeillet
les beffrois des villes sonneront l'amour


Poésie très colorée, très visuelle, où éclatent les verts, les bleus, les cuivres, les rouges coquelicot et pavot, poésie à laquelle répondent les images d'Iris Geneviève Lahens, une symphonie de couleurs aux dominantes de bleu, ocre, brun.


Les cheminées ne fument plus
et les maisons sont dans les rues
Le macadam fleurit des roses de chair
à tous les pas-de-porte
Mon bras est un bouquet de feu
Coquelicot coquelicot dondaine
et ma maison est une main
qui dit bonjour à tous les hommes.


Enfin, en filigrane, la présence de la terre originelle, Haïti, qui l'a nourri, terre des Anciens dont il est fait, dont il est pétri,  et sans laquelle il ne serait pas ce qu'il est :


En cette faille d'avant que tout bascule
ma vision s'enrichit
de tous les hommes à tête de cendre
mâcheurs de silex
ou adorateurs du serpent à plumes
descendants empêtrés d'hommes-dieux
peuple conservateur des ruines.


Des ruines dont la mémoire perdure et renaît peu à peu.

Iris Geneviève Lahens
Orchidée nègre
en mains de deux
nous recollons comme amulettes
ce qui nous reste de nos jeux
petits morceaux de fêtes
bribes de joie éclats de danses
que fécondent les abeilles de ton été
les oiseaux-mouches de mon automne.


Une petite merveille que je vous recommande chaudement ! Un coup de coeur !


Tous mes remerciements à Babelio, Masse critique et les Editions Bruno Doucey.




http://www.editions-brunodoucey.com/au-souffle-du-vent-poupee/




Anthony Phelps est né en 1928 en Haïti, où il contribue à fonder le mouvement Haïti Littéraire. Opposant à la dictature de Duvalier, il connaît la prison et l’exil. Établi à Montréal, il livre une oeuvre de premier ordre qui fait de lui l’un des écrivains haïtiens les plus connus en Amérique.

vendredi 30 juin 2017

Louis-Philippe Dalembert : Avant que les ombres s'effacent


Louis Philippe Dalembert, auteur haïtien de langue française et créole, décrit avec Avant que les ombres s’effacent, un épisode peu connu de l’Histoire de la seconde guerre mondiale. En 1939, l’état haïtien accueille les juifs qui en font la demande et leur donne la nationalité haïtienne. En 1941, après Pearl Harbor, le président haïtien, Elie Lescot, déclare la guerre à Hitler.

Le vendredi 12 décembre 1941, par une paisible matinée caraïbe où le soleil, à cette époque de l'année, caresse la peau plutôt que de la mordre, la république indépendante, libre et démocratique d'Haïti déclara les hostilités au IIIe Reich et au Royaume d'Italie. L'annonce prit de court les citoyens, qui, tournés vers les festivités de Noël, avaient déjà oublié que, quatre jours plus tôt, incapable d'avaler l'anaconda de Pearl Harbor, leur bout d'île avait fait une virile entrée en guerre contre l'Empire nippon. L'information avait déboulé à la vitesse d'un cyclone force 5 sur la planète ; des centaines de millions de sceptiques avaient eu du mal à en croire, qui leurs yeux, qui leurs oreilles, selon qu'ils l'avaient lue dans les gazettes ou captée sur leur poste tsf. Les têtes couronnées du Japon et leurs fidèles sujets n'en étaient toujours pas revenus.

Le Saint Louis à Hambourg : 1939
 Le narrateur est le personnage principal du roman, Ruben Schwarzberg. Il raconte sa vie à sa petite nièce venue d’Israël pour porter secours à la population à l’occasion du séisme qui frappa l’île en 2010.
Né en Pologne en 1913, Ruben Schwarzberg a passé son enfance et son adolescence à Berlin où il devient médecin. Il vit dans une famille juive aimante avec un mère pour qui le fait religieux et les traditions sont très importants. Il décrit la montée du nazisme et l’antisémitisme grandissant dans l’Allemagne des années 30 jusqu’à cette nuit de Cristal en 1938, où des synagogues furent brûlées, des juifs assassinés ou envoyés en camp de concentration. La famille du docteur émigre aux Etats-Unis ou en Palestine mais Ruben et son oncle sont envoyés à Buchenwald. Ils en sortiront sur la recommandation d’un ami mais à condition de quitter le pays. C’est là que se place l’extraordinaire et angoissante équipée du navire le Saint Louis qui partit, en 1939, de Hambourg en direction de Cuba, transportant avec lui un millier de juifs forcés d’émigrer. Cuba, puis les Etats-Unis et le Canada refusant de les recevoir, le Saint Louis dut débarquer ses passagers en Angleterre ou en France. Le docteur se retrouve alors à Paris, partageant la vie de la communauté haïtienne puis, après avoir reçu la nationalité, émigrant à Haïti où il se fixera et fondera une famille. Le roman est un vibrant hommage à son pays de la part de l'écrivain.
 Premier pays de l'Histoire contemporaine à avoir aboli les armes à la main l'esclavage sur son sol, le tout jeune État avait décidé lors, pour en finir une bonne fois avec la notion ridicule de race, que les êtres humains étaient tous des nègres, foutre ! Article gravé à la baïonnette au numéro 14 de la Constitution. Aussi existe-t-il dans le vocabulaire des natifs de l'île des nègres noirs, des nègres blancs, des nègres bleus, des nègres cannelle, des nègres rouges, sous la peau ou tout court, des nègres jaunes, des nègres chinois aux yeux déchirés... Dans la foulée, ces nègres polychromes avaient décrété que tout individu persécuté à cause de son ethnie ou de sa foi peut trouver refuge sur le territoire sacré de la nation. 

Ida Faubert, poétesse haïtienne

Ce récit est passionnant car nous sommes introduits dans différents pays et milieux pendant les années 30 et plus tard à Haïti. Nous vivons ainsi tour à tour à Berlin dans une époque violente et tourmentée, à Paris dans un milieu mondain et cultivé, militant anti-nazi, mais qui s’amuse et jette ses derniers feux avant l’orage qui menace; enfin à Haïti qui a sauvé des milliers de juifs et qui vit au son des tambours vaudous, au gré des révolutions qui mettent à mal les gouvernants. De plus le roman n’est pas sans nous rappeler notre actualité. En effet, bien que le Saint Louis soit un navire confortable, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec les demandeurs d’asile de nos jours qui fuient des pays en guerre, traversant la mer sur des bateaux de fortune, au péril de leur vie, et trouvent les frontières fermées.
"... s'il (Ruben Schwarzberg) avait accepté de revenir sur cette histoire, c'était pour les centaines, les millions de réfugiés qui, aujourd'hui encore, arpentent déserts, forêts et océans à la recherche d'une terre d'asile. Sa petite histoire personnelle n'était pas, par moments, sans rappeler la leur." 

Les personnages du roman sont attachants, le docteur, sa soeur Salomé, sa flamboyante tante Ruth, son oncle Joe… A Paris, Ruben nous fait faire connaissance avec de grands poètes de l’île, Ida Faubert, une grande dame des lettres haïtiennes et Roussan Camille. J’ai aimé le ton du récit, en empathie avec les victimes mais sobre, refusant l’émotion et ne s’interdisant  pas l’humour et la dérision. La scène où Ruben est arrêté par les policiers parisiens est à cet égard, une vraie scène de comédie d'où les français ne ressortent pas grandis !

Le livre a obtenu le prix Orange 2017 et le prix France bleu/Page des libraires


Voir le billet d'Aifelle que je remercie de m'avoir prêté ce roman

mercredi 24 avril 2013

René Depestre, poète Haïtien : Il n'y a pas de salut pour l'homme...


La poésie engagée aux XIX et XXème siècles

René Depestre est un poète et écrivain haïtien né en  1926.  Engagé dans la vie politique de son pays, il participe à la révolte populaire et au renversement du président Haïtien, Elie Lescot en 1946. Incarcéré, il doit s'exiler en France puis à Cuba. il y exerce pendant près de vingt ans d'importantes fonctions aux côtés de Fidel Castro et  Che Guevarra. Il quitte Cuba en 1970 pour s'installer en France.

Il publie son premier recueil de poésies en 1945 : Etincelles suivi de Gerbe de sang, Minerai noir, Poète à Cuba, un arc-en-ciel pour L'Occident chrétien, Au matin de la négritude.... 
 Son roman Hadriana dans tous mes rêves à recu trois prix dont le prix Renaudot en 1988. En avril 2007, il fut le lauréat du Prix Robert Ganzo de poésie pour son livre La rage de vivre édité aux éditions Seghers.

Il n'y a de salut pour l'homme

Que dans un grand éblouissement

De l'homme par l'homme je l'affirme

Moi un nègre inconnu dans la foule

Moi un brin d'herbe solitaire

Et sauvage je le crie à mon siècle

Il n'y aura de joie pour l'homme

Que dans un pur rayonnement

De l'homme par l'homme un fier

Élan de l'homme vers son destin

Qui est de briller très haut

Avec l'étoile de tous les hommes

Je le crie moi que la calomnie

Au bec de lièvre a placé

Au dernier rang des bêtes de proie

Moi vers qui toujours le mensonge

Braque ses griffes empoisonnées

Moi que la médiocrité poursuit

Nuit et jour à pas de sanglier

Moi que la haine dans les rues

Du monde montre souvent du doigt

J'avance berger de mes révoltes

J'avance à grands pas de diamant

Je serre sur mon cœur blessé

Une foi si humaine que souvent

La nuit ses cris me réveillent

Comme un nouveau-né à qui il faut

Donner du lait et des chansons

Et tendrement la nuit je berce

Mon Hélène ma foi douce ma vie tombe

En eaux de printemps sur son corps

Je berce la dignité humaine

Et lui donne le rythme des pluies

Qui tombaient dans mes nuits d'enfant

J'avance porteur d'une foi

Insulaire et barbue bêcheur

D'une foi indomptable indomptée

Non un grand poème à genoux

Sur la dalle de la douleur

Mais une petite lampe haïtienne

Qui essuie en riant ses larmes

Et d'un seul coup d'ailes s'élève

Pour être à tout jamais un homme

Jusqu'aux confins du ciel debout

Et libre dans la verte innocence

De tous les hommes!


Occident chrétien mon frère terrible

Mon signe de croix le voici :

Au nom de la révolte

Et de la justice

Et de la tendresse

Ainsi soit-il!



La Havane, décembre 1964 - juin 1965 Un arc-en-ciel pour l'Occident chrétien

jeudi 29 septembre 2011

Dany Laferrière : Dans l’énigme du retour, la force de la lecture

La lectrice soumise de Magritte

Dans l'énigme du retour de Dany Laferrière, auteur haïtien, je lis ces mots qui peignent mieux que tout la fascination de la lecture.
La nuque d'un lecteur debout au fond.
Son profil gauche.
Sa mâchoire serrée. Concentration massive.
Il s'apprête à changer de siècle.
Là, sous mes yeux.
Sans bruit.

J'ai toujours pensé
que c'était le livre qui franchissait
les siècles pour parvenir jusquà nous.
Jusqu'à ce que je comprenne
en voyant cet homme
que c'est le lecteur qui fait le déplacement.


 Chez Chiffonnette

mercredi 21 septembre 2011

Dany Laferrière : L’énigme du retour




Dany Laferrière est un auteur haïtien. Exilé pour des raison politiques, il a vécu pendant de nombreuses années à Montréal, tout comme son père parti à New York, chassé  lui aussi par le régime des Duvalier, pour ne plus jamais revenir dans son pays natal.
Le roman autobiographique L'énigme du retour commence avec le coup de téléphone que reçoit Dany Lafferière lui annonçant la mort de son père. Dès lors commence le processus du retour à Haïti alors libérée de la dictature. Après un arrêt à New York pour les obsèques de son père, le voilà à nouveau à Port-au-Prince où il retrouve sa famille et en particulier sa mère qu'il n'a plus vue depuis trente-trois ans. Un laps de temps si long qu'il est devenu un étranger dans son propre pays.
De retour dans le sud après toutes ces années
Je me retrouve dans la situation de quelqu'un
qui doit réapprendre ce qu'il sait déjà
mais dont il a dû se défaire en chemin.

J'avoue que c'est plus facile
d'apprendre que de réapprendre.
Mais le plus dur c'est encore
de désapprendre.


Le livre est divisé en deux grandes parties :
Lents préparatifs de départ où l'auteur largue les amarres qui l'attachent à son pays d'accueil, le Québec, moments faits de retour dans le passé vers son île natale, du souvenir d'un père qu'il n'a pas connu sinon par des photographies et d'adieu à ce pays de glace et de neige.
Le retour raconte le difficile processus de réapprentissage, les incessants allers-retours entre l'avant et l'après, le choc de la redécouverte d'un pays en proie à la misère et d'une jeunesse incarnée par le propre neveu de Dany Laferrière qui a perdu l'espoir.  Et enfin, le déclic qui lui permet de comprendre qu'il ne repartira plus :
J'ai senti
que j'étais
un homme perdu
pour le nord quand
dans cette mer chaude
sous ce crépuscule rose
le temps est subitement devenu liquide.




Au début, lorsque l'exilé arrive à Haïti, j'ai été surprise car il présente le pays comme n'importe quel observateur extérieur pourrait le faire. J'avais l'impression de lire un texte écrit par un occidental intellectuel et bourgeois ... ce que Dany Laferrière est,  après tout. j'admirais le style mais il me manquait l'approche par l'intérieur du pays, pas quelqu'un qui vivrait le quotidien terrible du peuple haïtien. Dany Lafferière est très conscient lui-même de ce paradoxe. Le grand sujet du roman haïtien, dit-il, devrait être la faim mais personne n'a jamais osé l'aborder.
c'est qu'il est difficile d'en parler quand on ne l'a pas connue et ceux qui l'ont vue de près ne sont pas forcément des écrivains."
De plus la faim n'intéresse personne :
Pourquoi? Parce que cela ne concerne que des gens sans pouvoir d'achat. L'affamé ne lit pas, ne va pas au musée, ne danse pas? Il attend de crever.

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Mais je me suis de plus en plus coulée dans le livre au fur et à mesure qu'il se réapproprie le pays et surtout quand il part de Port-au-Prince pour un voyage qui lui permet des rencontres avec les Haïtiens,  la découverte des milieux paysans riches d'une religion, le Vaudou, aussi étrange qu'ésotérique, jusqu'au village natal de son père. Là, enfin vient le temps où l'homme d'âge mûr retrouve sa terre d'enfance, où il ré-adopte son pays tout en se faisant ré-adopter par lui :
On me vit aussi sourire
dans mon sommeil
comme l'enfant que je fus
du temps heureux de ma grand mère.
Un temps enfin revenu.
C'est la fin du voyage.


Par sa forme graphique - strophes et vers libres qui alternent avec la prose- par la richesse des images qu'il éveille en nous, ce livre se lit comme un recueil de poésies, lentement, en s'arrêtant, en le reprenant, en s'imprégnant des émotions qu'il fait naître mais aussi en réfléchissant à la situation haïtienne, à la faim, à la misère, à tous ceux qui profitent cette situation pour s'enrichir, à tous ceux qui font qu'il n'y aura jamais de solution heureuse pour ce peuple exploité.
Les thèmes de ce livre sont variés et riches. Ils s'entrecroisent pour former une trame dense, épaisse et solide, un enchevêtrement qu'il nous échoit, à nous lecteurs, de démêler : celui de l'exil, bien sûr, et de l'identité, du déracinement et de l'appartenance, de la confrontation du passé et du présent, celui d'une culture mystérieuse que l'on connaît peu et mal. Celui d'un pays qui est classé comme le plus pauvre de la planète, un pays opprimé par des dictatures successives, un pays qui est tombé dans le chaos avec une démocratie corrrompue, un pays exploité par les différentes puissances qui prétendent lui venir en aide.

Franketienne, peintre haïtien
18.1271766215.jpgJ'ai beaucoup apprécié aussi la galerie de portraits qui défilent devant nous : la mère douloureuse qui n'a jamais revu son mari et a compté chaque jour qui la séparait de son fils, l'ancien révolutionnaire qui a trahi ses idées, devenu ministre et riche collectionneur de tableaux, ou l'ami de son père, plein de dignité et de fierté, reconverti en éleveur de poules, enfin le portait du peintre haïtien Franketienne qui refuse de vendre un tableau au ministre et préfère le donner au chauffeur de celui-ci!
24.1271768341.jpg

Voir aussi l'article de Dominique dans A sauts et à gambades sur L'énigme du retour. 
 Texte publié dans mon ancien blog le 20 avril 2010