Quand on lit Dany Laferrière, on se demande toujours (enfin je me demande), ce qui est vraiment autobiographique et ce qui ne l’est pas. Ce qui est certain c’est qu’il met beaucoup de lui-même dans tous ses romans et que sa famille a tendance, pour notre plus grand plaisir, à être envahissante.
La preuve ? Nous sommes à Miami où Dany Laferrière s’est installé pendant dix ans pour écrire nombre des romans dont Le goût des jeunes filles. Il rend visite à sa tante Raymonde (un personnage que j’adore malgré ou pour ? son irascibilité). Quand il prend congé, elle lui lance :
"De toute façon, tu as assez de matériau aujourd’hui pour pouvoir écrire pendant toute une semaine." "Elle porte son doigt à sa tempe pour me rappeler qu’elle n’est pas encore folle."
Et il est vrai que la relation de cette visite à tante Raymonde qui constitue l’opus 1 du roman est savoureuse à souhait. Puis le coup de téléphone d’une ancienne amie, Miki, lui permet de reprendre contact avec son passé. Son passé, non ! mais celui d’un adolescent de quinze ans, Fanfan, à Haiti, au temps de la dictature de Duvalier et des tontons Macoutes. Le narrateur est donc à le fois Dany Lafferière qui rend visite à ses tantes, lit les lettres de sa mère mais aussi le héros du livre nommé Fanfan, devenu adulte. Dans quelle mesure Dany et Fanfan ne font-ils qu’un dans la vie ? C’est ce que je ne sais pas. Nous sommes en pleine « autofiction » selon le terme employé à propos de son oeuvre.
Dany Laferrière à l'académie française |
1971 Haïti reproduit, avec dix ans de retard, les années soixante en France, l’émancipation sexuelle, le bouillonnement des idées, la remise en cause des valeurs traditionnelles, Françoise Sagan, les groupes et la musique comme moyen d’expression, une jeunesse en ébullition…
Fanfan observe, de la fenêtre de sa chambre, le va-et-vient de jeunes filles dans la maison d’en face. Elle sont belles, sensuelles mais inaccessibles à ses yeux et nourrissent les fantasmes du garçon. Pourtant, lorsqu’il est poursuivi par la police, c’est chez elles qu’il va se réfugier. Nous faisons la connaissance de Miki, Pasqualine, Chouquette, Marie-Erna, Marie-Flore.
C’est à travers le regard de l’adolescent que nous apparaissent ces filles des quartiers pauvres - qu’il considère comme des déesses - belles mais sans éducation, vulgaires, jalouses, voleuses, intrigantes, prêtes à se déchirer et à se rouer de coups, sans compassion mais aussi sans tabous. Il admire leur liberté, leur manière d’utiliser leur corps selon leur bon plaisir en n’ayant de compte à rendre à personne et surtout pas aux hommes qu’elles tiennent sous leur coupe et qu’elles exploitent à l’occasion. Toutes ont une vie dure et ont affronté depuis leur enfance la misère et le combat pour la vie. Elles se réfugient chez Miki car celle-ci a un amant haut placé et riche qui n’est pas souvent là.
A leur groupe, s’ajoute Marie-Michèle qui appartient à une classe sociale riche qui vit dans « le cercle doré » de Port-au-Prince. Elle tient un journal. Le regard affûté de la jeune fille de « bonne famille » qui n’a que mépris pour sa mère et les amies de celle-ci, nous permet de découvrir l’autre face de la société haïtienne. Son sens de l’observation, sa lucidité et son intelligence débusquent les travers, l’égoïsme, la froideur de cette classe bourgeoise, imbue d’elle-même, à l’abri de la pauvreté et de la promiscuité, retranchés dans ses riches villas, avec voiture et chauffeur et collaborant sans état d’âme aux crimes du dictateur Duvalier et de son successeur, son fils, Baby Doc, ainsi qu’aux exactions de la police, une société pleine de mépris pour les humbles, dominatrice et peu concernée par la terreur qui règne sur le peuple et la misère qui se creuse toujours plus.
« Choderlos de Laclos, écrit Marie Michèle, en décrivant l’aristocratie de son époque, a du même coup décrit la bourgeoisie haïtienne de la mienne. En fait, les privilégiés de toutes les époques et de toutes les races se conduisent toujours de la même manière. Ils passent leur temps à discuter sérieusement de futilités sans prêter aucune attention aux gens qui crèvent autour d’eux. »
C’est ainsi que nous découvrons les deux faces complètement opposées de la société de Port-au-Prince. Complètement opposées ? Certes, mais, remarque Marie-Michèle, il y a la même cruauté, la même méchanceté dans les rapports entre sa mère et ses amies. Cependant, alors que chez les filles, les animosités s’expriment avec des mots orduriers et des crêpages de chignon, dans la haute bourgeoisie, personne n’élève le ton, tout se fait insidieusement et avec le sourire, dans la plus grande politesse et la plus parfaite hypocrisie.
Roman politique et social, Le goût des jeunes filles, n'est pas que cela ! C'est aussi un roman d’initiation : le jeune garçon de 15 ans découvre au milieu de ces filles la sexualité mais aussi, son amour pour la poésie. La littérature tient un grand rôle ici, comme toujours, dans les romans de Dany Laferrière, en particulier avec Magloire Saint-Aude, poète que le narrateur ne peut s’empêcher d’aimer, bien qu’il ait été proche de Duvalier et le poète René Depestre, un ami des humbles.
J’ouvre le livre de Magloire Saint-Aude? Comme ça. Une page au hasard. Je lis :
Poème du prisonnier
Au glas des soleils remémorés.
C’est fou ! J’arrive ici et je tombe sur un vers qui exprime exactement mon état d’âme. Ce que je ressens dans l’instant. Un poème est bon quand il parle uniquement de nous au moment où nous le lisons.
Le goût des jeunes filles est donc un roman riche, intéressant. Il nous fait découvrir un moment de l’Histoire d’Haïti et c’est extraordinaire comment Dany Laferrière parvient à se glisser dans la mentalité d’une jeune fille de 17 ans de la haute bourgeoise et fait de ce témoignage l’un des aspects les plus passionnants du roman !
Je n'ai lu de cet auteur que "Comment faire l'amour avec un nègre...", où là aussi, la confusion est entretenue entre fiction et ce qui relève de son expérience personnelle. Une lecture en tous cas très plaisante, et traitant de thèmes fort sérieux sous ses allures de récit burlesque... Pourquoi pas aller plus loin dans la découverte de l'auteur avec ce titre, qui a en effet l'air très intéressant.
RépondreSupprimerJ'ai été plutôt déçue par "Je suis un écrivain japonais"? Je pense que je trouverais bien plus mon compte avec un titre comme celui-ci, qui se passe à Haïti.
RépondreSupprimerEffectivement comme Dany Laferrière (ou son double) répond à une journaliste dans L'énigme du retour : "En fin de compte vous n’écrivez que sur l’identité ? Je n’écris que sur moi-même."
RépondreSupprimerJ'ai découvert l'auteur cette année avec deux romans, et je continuerai sans doute, j'aime bien cette manière qui semble nonchalante, et ne l'est pas du tout, d'écrire son histoire.
j'ai très envie de découvrir cet auteur! commencer par ce titre?
RépondreSupprimerj'aime beaucoup cet auteur et en effet, moi aussi je me demande chaque fois quelle est la part d'autobio dans ce qu'il décrit...
RépondreSupprimerC'est encore moi, et rien à voir avec ton billet, mais est-ce que tu as vu que j'avais répondu à ton commentaire laissé sur mon blog à propos de la LC de Proust ? Sinon,je le copie ici, cela t'évite de le chercher ! :
RépondreSupprimer"Je ne sais pas si je préfère Proust à Woolf, car je ne l'ai jamais lu (et j'ai beaucoup aimé Mrs Dalloway) mais d'accord pour Du côté de chez Swann, c'est justement l'occasion de m'y mettre ! Si je me souviens bien, l'idée pour les billets, c'était de les rédiger par thématiques : les personnages, le contexte... et tout ce qui nous semblera pertinent en fonction de la lecture. Mais si tu as d'autres idées, on peut aussi aviser lorsqu'on aura commencé, et voir ce qui convient mieux avec ce qu'on aura à dire..."
Bonne soirée !
Encore rien lu de cet auteur mais c'est noté évidemment :-)
RépondreSupprimerComme je crois te l'avoir déjà dit dans un commentaire précédent, j'aime beaucoup Dany Laferrière. Je note donc ce titre ! Merci à toi.
RépondreSupprimerJe note ce titre, c'est tentant.
RépondreSupprimer