Si j'ai choisi de lire Les cavaliers afghans de Louis Meunier aux éditions Kero, c'est parce que je savais que l'auteur était parti sur les traces du roman de Joseph Kessel, Les Cavaliers dont les pages superbes m'avaient procuré une impression de liberté exaltante. Elles m'avaient aussi permis de connaître un peuple par l'intérieur, c'est à dire dans sa mentalité profonde que l'on découvre à travers le jeu du buzkashi, sport national qui allie l'amour des chevaux au goût du risque, de la violence et à un orgueilleux sens de l'honneur.
Disons-le tout de suite vous ne retrouverez pas ici le style inspiré et le souffle épique de Kessel qui reste inégalé mais le récit de Louis Meunier se lit avec plaisir. Il faut dire que le jeune homme qui connaît parfaitement cette région d'Afghanistan, la province de Maïmana, est presque aussi fou (c'est un compliment!) que Ouroz, le héros du roman de Kessel!
Louis Meunier, en effet, vient de terminer son école de commerce; il a 23 ans mais il refuse une vie sage et ordonnée. Nous sommes en 2001; les Etats-Unis renversent le régime des Talibans qu'ils avaient auparavant favorisé et les aides internationales affluent en Afghanistan. Aussi lorsqu'on lui propose un poste dans une ONG, dans la province de Maïmana, il n'hésite pas. C'est le début de plusieurs longs séjours dans ce pays immense, sauvage, mosaïque de nombreux peuples qui n'obéissent encore de nos jours qu'à leurs lois et leurs coutumes. Louis Meunier qui a une passion pour les chevaux et qui vient de lire le roman de Kessel ne va avoir de cesse de disputer lui aussi un Buzkashi et de devenir à son tour un Tchopendoz; pas facile pour un étranger à cette culture! Mais il est têtu, impatient, passionné et il s'accroche!
Buzkashi signifie littéralement "attrape-chèvre" : joute équestre des cavaliers des steppes du Nord, le jeu consiste à s'emparer d'une dépouille de chèvre ou de veau, à faire le tour d'un drapeau et à la déposer dans le Hallal, le "cercle de justice", un rond dessiné à la craie sur le sol. Ce sont les seules règles. Au Buzkashi tous les coups sont permis. Les cavaliers, les Tchopendoz, sont des gladiateurs qui placent leur honneur dans la victoire. Ils ne craignent ni les blessures ni la mort.
Le Buzkashi (source) |
Louis Meunier nous présente l'Afghanistan sur dix années de Mars 2002 à Avril 2012, il faut au moins cela pour comprendre toute la complexité de ces peuples qui ont toujours connu la guerre et n'ont jamais pu être soumis. Le jeune aventurier connaît bien son sujet, il a appris la langue et, avec son ONG, il est confronté à toutes les particularités et les difficultés de la région où elle est implantée. Il nous fait découvrir les traditions, les mentalités, le vocabulaire, les habitants et avec eux les chefs de tribus qui règnent en seigneurs sur leur domaine se moquant du président de la république afghane qu'ils appellent par dérision : "le maire de Kaboul"; et puis il y a les groupes maffieux qui organisent le trafic de l'opium et la culture des champs de pavots. Il nous montre aussi la résistance à l'envahisseur étranger depuis les russes en passant par les américains et tous les occidentaux mais comment aussi ces ingérences transforment malheureusement le pays :
La magie s'est estompée, dissimulée par le brouillard de la guerre. Je côtoie des politiciens en campagne, des ambassadeurs en transition, des militaires occidentaux en mission, des seigneurs de guerre sur le retour, des mercenaires en quête d'action… et toujours de moins en moins d'afghans satisfaits. L'opinion internationale s'émeut de chaque vie étrangère perdue tandis que les frappes aériennes occidentales font chaque mois des centaines de victimes parmi les civils. Les attentats se multiplient contre les étrangers-occupants et, parmi les afghans, les querelles fraîches ou anciennes, refont surface entre les Panjshiris et les Pashtouns, les Kuchis et les hasards, les Ouzbeks et les Turkmènes….
Un écrit qui explore donc le présent même si le passé à travers le buzkashi et les traditions subsistent encore. Nous nous intéressons aux aventures du jeune homme qui pour n'être pas celles d'Ouroz ne sont pourtant pas de tout repos! Ainsi quand il entreprend un long voyage à travers les montagnes gagnées par l'hiver pour refaire à l'envers le trajet accompli par Ouroz, il risque bien, avec l'insouciance de la jeunesse, lui aussi, comme son personnage favori, d'y laisser la vie! Les péripéties pour essayer de devenir
Tchopendoz, ses espoirs, ses échecs et par dessus tout l'amour du
cheval qui le relie à la terre afghane , Ashvagan, "la terre des
chevaux" en persan, sont autant de centres d'intérêt de ce récit de voyage qui se lit comme un roman. Enfin si vous voulez savoir si Louis Meunier a pu réaliser son rêve, être tchopendoz, il vous reste à lire son livre, une agréable lecture dont je ne vous dirai pas plus!
Merci à Dialogues croisés et aux Editions Kero