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mardi 12 mars 2024

Jules Verne : Les forceurs de blocus

 


 

Les forceurs de blocus est une longue nouvelle de Jules Verne parue en 1871. La guerre de Sécession ou guerre civile américaine (1861 à 1865) eut de graves répercussions en Ecosse sur l’économie du textile. Pendant La famine du coton, six-cent vingt cinq mille métiers s’arrêtèrent, des milliers d’ouvriers sans travail furent réduits à la misère, les patrons subissant des revers de fortune importants. En effet, les Etats du Sud pourvoyeur du coton cultivé par les esclaves noirs subissaient un blocus de la part des fédérés et ne pouvait ni exporter leur coton, ni recevoir de l’aide extérieure.
Le jeune capitaine James Playfer dont l’oncle,Vincent Playfer, est un riche négociant de Glascow, décide de partir en mer avec un navire à vapeur d’une rapidité exceptionnelle, The Delphin, pour forcer le blocus de Charleston. Il partira chargé d’armes et, après avoir forcé le blocus il les échangera avec du coton.

Il embarque à son bord, en plus de l’équipage, un nommé Crockston, un homme qui se dit excellent marin et son jeune neveu. Or, dès le début du voyage, Crockston se révèle complètement ignorant des choses de la marine et James Playfer comprend tout de suite que le jeune neveu est, en fait, une fille. Je pense que l’on peut le révéler tout de suite car l’intérêt du récit n’est pas là et il ne s’agit en aucune mesure d’une surprise ! En effet, si le lecteur, se doute tout de suite du travestissement, le capitaine n’est pas dupe non plus et traite avec beaucoup d’égard sa jeune et jolie passagère, Jenny Halliburtt.  
Celle-ci a embarqué avec son domestique pour rejoindre son père, journaliste des Etats du Nord, anti-esclavagiste convaincu, retenu prisonnier dans le Fort de Charleston pas les confédérés.
Et c’est là que réside l’intérêt de ce récit :  Le capitaine est avant tout un commerçant et il voit les fédérés et leur cause, l’abolition de l’esclavage, d’un mauvais oeil. Tout ce qui est néfaste au commerce attire son courroux. Face à ce matérialisme, la jeune fille, idéaliste, va plaider pour les Etats du Nord, montrer que la question de  l’esclavage prime dans cette lutte entre le Sud et le Nord,  et mettre en valeur la noblesse de la cause défendue par son père. Le jeune homme, d’abord commerçant dans l’âme, se laisse peu à peu gagner par les idéaux de la jeune fille. Les idéaux? ou les beaux yeux ? Un peu des deux mais les beaux yeux surtout ! 

Les forceurs de blocus est donc un récit d’aventure mais aussi d’amour et ne manque pas d’humour comme on le voit dans la chute de la nouvelle ! Comment les héros forceront-ils le blocus ? Echapperont-ils aux dangers de l’aventure ? Parviendront-ils à libérer le père de Jenny ? C’est ce que je vous laisse découvrir !
Un petite oeuvre peu connue de Jules Verne mais très agréable à lire et qui présente une vue originale de la guerre de Sécession vue du côté européen et des idées de Jules Verne opposé à l'esclavage.

LC  avec Violette ICI

 LC avec Fanja ICI


Chez Fanja
 


 

Chez Nathalie

samedi 17 février 2024

Mariana Enriquez : Les dangers de fumer au lit



Les dangers de fumer au lit est le titre d’une nouvelle qui donne son nom au recueil de l’écrivaine argentine  Marianna Enriquez. Douze nouvelles qui ont pour fil conducteur des personnages, essentiellement féminins. Ainsi dans la nouvelle éponyme, la femme qui fume au lit, confrontée à son corps qui la lâche, à la solitude, n’a plus comme horizon que son drap troué par la cigarette, éclairé par les rais de lumière formant une constellation au-dessus de sa tête, une poésie du désespoir. Un monde réaliste et noir, peuplé d’enfants ou d’adolescentes rebelles dans lequel la mort est omniprésente, où le fantastique côtoie la misère, où les fantômes des enfants, enlevés, disparus du foyer familial, prostitués, battus, prennent possession des villes, rejetés par tous dans la vie comme dans la mort (Les petits revenants) où la magie noire convoque les chiens des enfers pour satisfaire les fantasmes d’une adolescente vindicative dans le texte saisissant intitulé La Vierge des tufières, où la magie noire s’exerce au détriment d’une fillette innocente comme dans Le puits, symbole de l'enfance sacrifiée. Le Caddie ressemble beaucoup à ce conte traditionnel dans lequel une fée récompense la personne qui a été charitable et punit ceux qui n'ont pas d'humanité. La fée est ici un vieillard miséreux et malade qui va faire périr tout un quartier en épargnant la seule famille qui a su faire preuve de compassion.

Ces nouvelles sont d’une force impressionnante, l’écriture en est ramassée, sans fioriture, un style coup de poing qui va droit à l'essentiel. Le mélange de détails horribles et d’imagination débridée où tout est possible, donne plus de poids à la critique sociale et politique d’un pays où la dictature a maintenu le peuple dans la misère et la violence, où les enlèvements étaient monnaie courante, les tortures, les viols et les exécutions sommaires également. (Je suis en train de lire Double fond de l'écrivaine argentine Elsa Osorio qui me plonge dans la terrible violence de la dictature.)

Pourtant Mariana Enriquez aime ses personnages, celles qui sont des victimes, qui sont du mauvais côté de la vie et elle fait partager sa compassion pour elles. Il y a donc une grande humanité dans ces textes par ailleurs féroces.    

 L’Exhumation d’Angelita, la première nouvelle qui ouvre le recueil est un bon exemple de ce mélange de noirceur et d’empathie :  la narratrice trouve des petits os dans le jardin après une pluie qui a transformé la terre en mare de boue :« Je les ai montrés à mon père. Il a dit que c’était des os de poulets » mais la grand-mère lui apprend la vérité :

«  C’était sa soeur, la numéro dix ou onze, ma grand-mère n’était pas très sûre, à l’époque on ne prêtait pas autant d’attention aux enfants. Elle était morte quelques mois après sa naissance, de fièvres, de diarrhées. Comme c’était un petit ange ils l’avaient assise sur une table décorée de fleurs, enveloppée d’un linge rose, appuyée contre un coussin, et lui avaient fabriqué des ailes de carton pour qu’elle monte au ciel plus rapidement.»  
Une petite fille, Angelina, enterrée à la va vite dans le jardin, une petite fille qui n'a même pas de numéro, une parmi tant d'autres comme tous ces enfants oubliés, effacés, niés, une petit fille qui pleure toutes les nuits quand elle est loin de sa famille et qui vient hanter la narratrice quand celle-ci vend la maison. Mais au milieu de cette horreur, de la banalité de la mort, l'on sent pourtant toute la tendresse de l’auteur envers cette créature car le petit fantôme ressemble beaucoup à un bébé malade, une tendresse qui, d’ailleurs, n’est pas dépourvue d’humour… noir  : « Si mon père avait su, ai-je pensé, lui qui s’était toujours plaint qu’il allait mourir sans avoir de  petits-enfants…
Je lui ai acheté des jouets, des poupées, des dés en plastique et des tétines… »


Lorsque Angelina découvre que les nouveaux propriétaires ont fait construire une piscine à la place du jardin, dispersant définitivement ses restes, la narratrice comprend qu’elle ne pourra jamais se débarrasser du petit fantôme : «… j’ai marché rapidement jusqu’à l’arrêt du 15, l’obligeant à courir derrière moi avec ses pieds nus, tellement décharnés qu’on pouvait voir ses petits os blancs.
 

 Un livre qui m'a remuée, qui m'a emplie à la fois de tristesse et de révolte, et qu'il faut parfois relire dans la foulée (le premier saisissement passé) pour mieux en sentir l'impact !



un livre lu dans le cadre du challenge d'Ingammic sur la littérature sud-américaine

Voir Moka qui a un avis différent

Shangols : ici

Bison :Ici

jeudi 1 février 2024

Prosper Mérimée : La Vénus d'Ille

 

Le fantastique est l’un des thèmes étudié en classe de quatrième. J’ai donc relu La Vénus d’IIle  de Prosper Mérimé pour accompagner ma petite-fille. Dans cette nouvelle qui se passe dans les Pyrénées orientales, au pied du Canigou, dans la petite ville d’Ille, le narrateur, un savant archéologue, est reçu par monsieur de Peyrehorade, antiquaire, qui l’invite à admirer la statue antique que ses employés ont déterrée au pied d’une souche d’olivier. Cette statue, d’une grande beauté, est une Vénus romaine mais le narrateur constate que l’artiste a donné à la Vénus un  expression méchante.  D’autre part, une inscription, Cave Amantem, que l’auteur traduit ainsi   « Prends garde à toi si elle t’aime. » semble avertir ses admirateurs qu’elle est dangereuse et qu’il ne faut pas prendre l’amour à la légère.


Cette expression d’ironie infernale était augmentée peut-être par le contraste de ses yeux incrustés d’argent et très brillants, avec la patine d’un vert noirâtre que le temps avait donnée à toute la statue. Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion, qui rappelaient la réalité, la vie. Je me souvins de ce que m’avait dit mon guide, qu’elle faisait baisser les yeux à ceux qui la regardaient.

 
Le narrateur est invité au mariage du fils de Mr Peyrehorade, Mr Alphonse, qui a lieu un vendredi, le jour de Vénus. Celui-ci dans un geste de défi passe l’anneau de mariage destiné à la fiancée, au doigt de la statue. Dans la nuit, après le mariage, on entend des pas sourds dans l’escalier et au matin on retrouve le jeune marié mort, étranglé. Son épouse rend la Vénus responsable.

Dans cette nouvelle, le choix de l’écrivain est de placer le récit sous la plume d’un témoin extérieur, l’archéologue, et non, comme dans le Horla, sous celle de la victime qui dit « je »  et rapporte les évènements tels qu’elle les vit. En fait, nous ne voyons et nous n’entendons que ce que nous raconte le narrateur et c’est notre imagination qui complète le reste. Ainsi tous les faits peuvent être interprétés différemment et libre à nous de voir le fantastique dans tous ces évènements ou de leur donner une explication rationnelle.
Ainsi monsieur Alphonse boit trop de vin de Collioure pendant le dîner. Il est ivre quand il explique au narrateur que la statue refuse de lui rendre la bague.  Propos d’ivrogne ou vérité ?  Les pas lourds entendus dans l’escalier peuvent être les pas du jeune homme aviné ou ceux de la statue venue réclamer son époux ?

Le silence régnait depuis quelque temps, lorsqu’il fut troublé par des pas lourds qui montaient l’escalier. Les marches de bois craquèrent fortement.
— Quel butor ! m’écriai-je. Je parie qu’il va tomber dans l’escalier.


La jeune mariée a-t-elle raison ou est-elle devenue folle ? La police suspecte un homme mais ne parvient pas à trouver le coupable. Fantastique ou réalité ? Et la chute de la nouvelle introduit la même interrogation : La statue est fondue en cloche mais depuis que celle-ci sonne au clocher de l’église les vignes ont gelé deux fois. Oui mais… l’hiver précédent, Mérimée a pris soin de nous le faire savoir au début du récit, bien avant la découverte de la statue, l’hiver avait été rude.

Ainsi le fantastique de la nouvelle fonctionne très bien. De plus, j’ai trouvé une grand intérêt dans les portraits dressés par Mérimée, certains avec beaucoup d’humour comme celui du guide du narrateur qui lui explique la longévité de la statue,

Une grande femme noire plus qu’à moitié nue, révérence parler, monsieur, toute en cuivre, et M. de Peyrehorade nous a dit que c’était une idole du temps des païens… du temps de Charlemagne, quoi !
 
d’autres avec sévérité comme celui du fils Peyrehorade, un imbécile sans cervelle et sans culture, lourd,   cupide. Il épouse sa jolie, intelligente et fine fiancée pour sa dot, sans se préoccuper de ses sentiments. Il n’a aucune délicatesse de sentiments. Ayant oublié la bague au doigt de la statue, il donne à sa jeune épouse un anneau, cadeau d’une de ses maîtresses.

Les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe convenable ; et Mlle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste de Paris, sans se douter que son fiancé lui faisait le sacrifice d’un gage amoureux.

 En conclusion, il mérite bien son sort, celui qui se moque de l’amour !


 Chez Je lis Je blogue


dimanche 21 janvier 2024

Henrik Sienkiewicz : Hania


 

Dans la nouvelle de  Henrik Sienkiewicz, Hania, l’écrivain polonais nous transporte à la fin du XIX siècle dans une famille  polonaise noble, propriétaire d’un domaine rural.
Là, vit Henri, l’aîné des enfants, héritier du domaine, qui, en l’absence momentanée de son père, se voit confier la tutelle d’Hania, la petite-fille de Nikolaï, un vieux serviteur, juste avant la mort de celui-ci. Henri adore sa pupille et se sent investi d’une mission, il surveille son éducation, demande qu’elle soit instruite avec ses frère et soeurs et qu’elle soit considérée comme leur égale. Il commande déjà la maisonnée en petit seigneur.

Malgré la pensée de la mort du pauvre Nikolaï, que j’aimais de tout mon cœur, je me sentais fier et presque heureux de mon rôle de tuteur. Me voir ainsi, moi, garçon de seize ans, le soutien d’un être faible et malheureux, cela me relevait à mes propres yeux, et je me sentais plus homme.

 
Henri a pour ami Sélim, dont le père possède des propriétés voisines; ce dernier est d’origine Tatare. Les familles vivent en bon voisinage malgré des religions différentes, chrétienne et musulmane. Les deux amis s’entendent bien et partagent les mêmes jeux, les mêmes activités. Ils partent loin de chez eux pour poursuivre leurs études et après avoir réussi à leurs examens, tous deux reviennent chez leur père.
 Henri aimait déjà sa pupille avant de partir, son amour se décuple en retrouvant Hania qui a grandi et s’est épanouie, devenue une belle jeune fille. Mais il n’ose avouer ses sentiments à quiconque. Et bien sûr, Sélim tombe amoureux lui aussi d’Hania qui lui répond favorablement, le récit s’accélérant et se terminant, avec ses deux exaltés, en drame.
 

Dans cette nouvelle, Henrik Sienkiewicz place dans un cadre idyllique (ou presque), une famille qui s’aime, un père qui admire son fils aîné, un jeune homme, Henri, conscient de ses responsabilités, des nobles qui sont bons et justes avec leurs domestiques et qui en sont aimés, des voisins tolérants,  bref !  une société patriarcale telle que Sienkiewicz la voyait à la fin du XIX siècle et dont il regrettait la disparition progressive. 


Maman tenait dans la maison une petite pharmacie, et soignait elle-même les malades. Lors de l’épidémie de choléra, elle passa des nuits entières dans les cabanes de paysans avec le docteur, s’exposa à de grands dangers, et mon père qui tremblait à cette seule idée, n’osa pourtant s’y opposer et ne put que répéter :
— Que faire ? c’est son devoir !
Mon père lui-même, malgré son apparente sévérité, la démentit souvent ; il abolit les corvées, excusa facilement les coupables, paya les dettes des paysans, fit célébrer les noces et baptiser les enfants, nous enseigna à respecter les gens, à répondre aux saluts des vieillards, et en fit venir parfois pour prendre leurs conseils. Aussi les paysans s’attachèrent-ils à nous et nous prouvèrent-ils par la suite plus d’une fois leur reconnaissance.

 
L’écrivain sait aussi manier l’humour et nous faire rire avec ses portraits de la gouvernante française avec ses papillotes ou du prêtre Ludwig.


 La nouvelle pourrait donner de prime abord l’impression d’être un conte de fées, le noble épousant la servante au-delà de la disparité sociale, si l’auteur ne semait, de ci de là, des indices qui préparent au drame et qui paraissent inquiétants :  Ainsi les deux jeunes gens sont souvent en rivalité, chacun essayant de surpasser l’autre, à cheval, ou à l’épée. Tous deux sont fort orgueilleux, ont un sens de l’honneur chatouilleux. Le père d'Henri, d’ailleurs, ne supporte pas que Sélim soit supérieur à son fils et Henri n’hésite pas à risquer sa vie pour ne pas le décevoir. Peut-être une mère aurait-elle pu comprendre son fils et empêcher le drame ? Mais celle-ci est absente, malade, partie se soigner à l'étranger.
L’écrivain analyse la psychologie des personnages, en particulier,  le caractère d'Henri, son orgueil, son impossibilité d’avouer ses sentiments par peur de la moquerie, ses sautes d’humeur qui peuvent aller jusqu’à la méchanceté, sa jalousie féroce et son égoïsme car il ne peut accepter de savoir Hania heureuse avec un autre. 

Mon caractère d’ailleurs était dissimulé et de plus, une grande différence existait entre Sélim et moi : j’étais sentimental, tandis que Sélim ne l’était pas pour un sou. Mon amour ne pouvait être que triste. Chez Sélim, il eût été joyeux. Je cachai donc mon amour à tous, je me trompai moi-même, et effectivement nul ne le remarqua. 

Quant à Sélim, sa propension à tout prendre avec légèreté, en riant, ce qui ne ménage pas l’amour propre de son ami, ses colères qui le rendent semblables à ses ancêtres des steppes, et surtout son caractère impulsif le poussent à des actes irréparables.

Lorsque Sélim demandait quelque chose et regardait quelqu’un, il semblait le pénétrer jusqu’au cœur. Les traits de son visage étaient réguliers, nobles, comme dessinés par un burin d’artiste ; la couleur en était basanée, mais tendre ; les lèvres, un peu saillantes, étaient d’un rouge vif, et les dents comme une rangée de perles.
Quand, par exemple, Sélim se disputait avec un camarade, — et cela arrivait assez fréquemment, — alors cette grâce disparaissait comme un mirage trompeur ; il devenait effrayant : ses yeux se replaçaient de travers et brillaient comme ceux d’un loup ; sur son front rougissaient les veines ; la peau de la figure brunissait, — en lui se réveillait le vrai Tatar, tel que ceux avec qui eurent affaire nos ancêtres. Par bonheur, cela ne durait pas.


Ainsi le "conte de fées" n'en est pas un et avec ce premier amour disparaissent toutes les illusions du jeune homme et une partie de sa jeunesse, ce qui témoigne du pessimisme de l'écrivain.  Mais si  la leçon est amère pour les deux personnages masculins, je dois dire qu’elle l’est plus encore pour Hania, le dénouement de la nouvelle se révélant d’une grande cruauté envers la jeune fille.

Je me suis demandée dans quelle mesure ce récit était autobiographique mais je n'ai pas trouvé de réponses malgré des ressemblances dans l'origine sociale d'Henryk et d'Henri.


 Chez Je lis Je blogue



 

lundi 8 janvier 2024

Guy de Maupassant : Le Horla

 


Je viens de relire Le Horla de Maupassant pour accompagner le travail de ma petite-fille après avoir découvert cette nouvelle quand j’avais son âge, après l’avoir étudié avec mes élèves, lu et relu avec chacune de mes trois filles et enfin, vu au théâtre dans un seul en scène (festival off Avignon 2013)  ! Et bien, on le croira ou non, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir, un thème différent, un détail qui vous accroche cette fois-ci plus que cette fois-là. C’est le propre des classiques, la richesse et la polyvalence de la lecture !

 Il y a en fait trois versions de l’histoire dont la première s’intitule Le journal d’un fou (1885) et les deux autres, (1886 et 1887) Le Horla. La dernière, celle que dont je parle ici, est présentée sous forme de journal intime. Cette oeuvre est écrite cinq années avant la mort de Maupassant qui, atteint de la syphilis, décède, en 1995, dans la maison psychiatrique du docteur Blanche, le cerveau ravagé par la maladie, en proie à des crises d’angoisse, à de terribles hallucinations, gagné par la folie après avoir tenté de se suicider en 1992.

Maupassant, quand il écrit Le Horla, est déjà atteint de troubles psychiatriques. Son personnage, bien que fictionnel, est donc très proche de lui et ce récit permet d’avoir la description précise,  sous la plume d’un écrivain talentueux, des troubles neurologiques et de leur évolution liés à ce fléau qui touche de nombreux hommes célibataires au XIX siècle. Les jeunes filles ne sont accessibles que par le mariage, enfermées dans des couvents, ou, à défaut, comme le dit Rimbaud, à l'abri «sous l’ombre du faux col effrayant de son père ». Reste la fréquentation des prostituées :  La maison Tellier, maison close de Maupassant reste célèbre !   On pense aussi à Gérard de Nerval qui décrit les troubles psychiatriques engendrés par la syphilis dans Aurélia, cette oeuvre devenue un classique des études de médecine, un passage obligé des étudiants en psychiatrie !

La structure de la nouvelle fantastique
 
 
Le Horla

 

Cette nouvelle  fantastique, le Horla, est  aussi classique par sa structure :  

 Le réalisme :  Dans un cadre réaliste, l’action se déroule du 8 mai au 10 Septembre, en Normandie, sur les bords de Seine, près de Rouen. Le narrateur vit paisiblement dans ce décor idyllique quand il commence à avoir de la fièvre, à se sentir triste, anxieux, à perdre le sommeil, l’appétit… Les détails réalistes créent un décor concret qui rend plus vraisemblable l'apparition du surnaturel et instaure le doute dans l’esprit du lecteur.

Le surnaturel : Ce malaise qui va tourner à l’angoisse est dû à un élément perturbateur, un être invisible qui surveille constamment le narrateur, l’épie, et vient même se coucher sur lui pour l’étrangler ou boire son âme sur ses lèvres ! Une sorte de Vampire  !  
 Le Horla, c’est ainsi qu’il se nomme, en référence, pensent les critiques car Maupassant ne donne pas d’explication, à un mot Normand le Horsain qui signifie l’étranger. Le nom semble désigner celui qui est à la fois Hors et Là, au dehors et au dedans, oxymore décrivant ce double vampirique qui a pris possession du personnage et qui s’efforce de l’effacer.

Je suis perdu ! Quelqu’un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu’un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j’accomplis. »

Dès lors le narrateur se demande s’il n’est pas en train de devenir fou et va chercher des preuves de l’existence du Horla pour acquérir la certitude que celui-ci est bien réel : Des preuves ? Il en a et plusieurs ! le Horla boit l’eau et le lait qu’il pose sur sa commode, il tourne les pages d’un livre, il cueille une rose et la déplace, il empêche le miroir de réfléchir l’image du narrateur…
Des preuves de sa folie ? Il en a tout autant ! Ses maux physiques et mentaux ne cessent de s’aggraver, l’anxiété devient angoisse, la peur, épouvante, ses souffrances atteignent un paroxysme : troubles de la personnalité, dédoublement de la personnalité, effacement du moi,  hallucinations, paralysie du sommeil, paranoïa…
La présence du Horla ne cesse de s’affirmer détruisant le narrateur jusqu’à une sorte de crescendo au cours de laquelle la créature domine l’humanité et devient le maître de l’univers.

« Mais le Horla va faire de l’homme ce que nous avons fait du cheval et  du boeuf ; sa chose, son serviteur, sa nourriture, par la seule puissance de sa volonté. »

La chute de la nouvelle : L’écrivain a amené le lecteur à douter : il nous a rappelé que nos sens ne sont pas capables de tout saisir. La vue, l’ouïe, l’odorat… nous induisent en erreur. Donc, peut-être Le Horla existe-t-il vraiment puisque l’on ne peut voir l’invisible, sinon pourquoi sévirait-il jusqu’au Brésil selon ce que rapporte la très sérieuse  Revue du Monde scientifique ?  Ou bien, le  narrateur a sombré dans la folie comme semble l’annoncer l’incendie de sa maison  qui entraîne la mort de ses domestiques et la dernière phrase du récit : "Il va donc falloir que je me tue, moi !"

Le doute qui laisse planer le mystère en conclusion donne sa valeur a toute nouvelle fantastique.

 
Les qualités picturales des descriptions

 

La Seine vue sur Rouen

 Quand on lit la nouvelle pour la  première fois, c’est  l’aspect fantastique qui fascine le plus, bien sûr !  Mais il y a tout ce qui nourrit le texte et, en particulier, les qualités picturales de l'oeuvre ! 

Le narrateur vit dans une belle maison sur le bord de la Seine, près de Rouen «  la grande  et large Seine  qui va de Rouen au Havre, couverte de bateaux » qui passent devant la maison du narrateur composent un tableau riant et paisible de la Normandie.
A gauche, là-bas, Rouen, la vaste ville aux toits bleus, sous le peuple pointu des clochers gothiques…. Ils sont innombrables, frêles ou larges, dominés par la flèche de fonte de la cathédrale et pleins de cloches qui sonnent dans l’air bleu des belles matinées…
semblable à un tableau de Monet.


Le voyage au Mont Saint Michel qui arrache le personnage à la peur et la folie  est le prétexte à une  magnifique description de l’abbaye que Maupassant fait surgir au milieu de « cette baie démesurée » » « entre deux côtes écartées se perdant dans la brume » « sur l’horizon encore flamboyant » du soleil couchant  « le profil de ce fantastique rocher qui porte sur son sommet un fantastique monument. »

Du crépuscule à l’aurore,  la  vision lointaine se rapproche ensuite jusqu’aux détails :  « j’entrai dans ce gigantesque bijou de granit, aussi léger qu’une dentelle, couvert de tours, de sveltes clochetons, où montent des escaliers tordus, et qui lancent dans le ciel bleu des jours, dans le ciel noir des nuits, leurs têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses, et reliés l’un à l’autre par de fines arches ouvragées. »
Diffusion de la lumière comme dans un tableau impressionniste, contrastes de couleurs, beauté plastique des formes, nous ressentons comme un apaisement cet intermède de beauté qui permet au narrateur d’échapper à l’horreur du Horla.

J’ai aimé aussi ce récit dans le récit  pendant lequel le moine compte au personnage les légendes du pays ou lorsqu’il lui explique que nous pouvons être trompés par nos sens en lui donnant comme exemple le vent

« Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, détruit les falaises et jette aux brisants les grands navire, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l’avez-vous vu, pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant. »

 

 

Mais c'est par une seule phrase que Maupassant convoque, avec Bougival, ce lieu de divertissements populaires, guinguette, bal, canotage (on sait que Maupassant en est adepte),  non loin de Paris,  tous les peintres impressionnistes et c'est grâce à l'évocation de la fête et des plaisirs que le narrateur du Horla pense tenir la créature maléfique éloignée.

 

Auguste Renoir : Le Bal de Bougival

Auguste Renoir : Le déjeuner des canotiers

 

"J’ai été dîner à Bougival, puis j’ai passé la soirée au bal des canotiers... Croire au surnaturel dans l’île de la Grenouillère serait le comble de la folie."


Monet : La Grenouillère
Auguste Renoir : La Grenouillère


 
Canotage  : Berthe Morizot
 

Canotage :  Edouard Manet/ Gustave Caillebotte

 

Le théâtre est aussi un lieu où oublier la peur . Ainsi le personnage  se rend  à la Comédie française où l’on joue un pièce d’Alexandre Dumas fils et il assiste à la fête de la République le 14 juillet, « Les pétards et les drapeaux m’amusaient comme un enfant."

 

Claude Monet : le 14 juillet

La fête nationale est d'ailleurs prétexte à un monologue pessimiste sur la sottise la nature humaine, que ce soit de la part du peuple,  "un troupeau imbécile" "on lui dit : «  amuse-toi ! ».  Il s’amuse" et "ceux qui dirigent sont de sots, ils obéissent à des principes qui ne peuvent être que niais... ».

 

Le XIX siècle, le siècle des sciences

L'influence de Mesmer (1730_1815)


La nouvelle traite aussi des préoccupations scientifiques de l’époque de Maupassant. Et pour justifier sa croyance dans des forces invisibles qui échapperaient à l’homme et ne seraient donc pas de l’ordre du surnaturel  le narrateur s’appuie sur  les théories de Mesmer,  médecin allemand qui soignait ses patients grâce à un « fluide animal » appelé magnétisme ou mesmérisme. Il fait allusion aussi  aux pratiques des  médecins de l’école de Nancy ou école de la suggestion, Hyppolite Berheim et Ambroise Liébeault,  que Maupassant connaissait et qui utilisaient l’hypnose pour guérir l’hystérie.
La thérapie de l'hypnose encore très mal définie par les  médecins eux-mêmes a donné lieu à des controverses entre l’école de Nancy et Charcot, de la Salpétrière. Elle  est encore plus mal connue du grand public pour qui ces pratiques  flirtent avec l’occultisme et le spiritisme dans le désir de faire parler les morts.

Depuis que l’homme pense, depuis qu’il sait dire et écrire sa pensée, il se sent frôlé par un mystère impénétrable pour ses sens grossiers et imparfaits, et il tâche de suppléer, par l’effort de son intelligence, à l’impuissance de ses organes. (…) De là, sont nées les croyances populaires au surnaturel, la légende des esprits rôdeurs, des fées, des gnomes, des revenants, je dirai même la légende de Dieu, car nos conceptions de l’ouvrier-créateur, de quelque religion qu’elles vous viennent, sont bien les inventions les plus médiocres, les plus stupides, les plus inacceptables sorties du cerveau apeuré des créatures. Rien de plus vrai que cette parole de Voltaire : « Dieu a fait l’homme à son image mais l’homme le lui a bien rendu ». « Mais depuis un peu plus d’un siècle, on semble pressentir quelque chose de nouveau. Mesmer et quelques autres nous ont mis sur la une voie inattendue, et nous sommes arrivés vraiment, depuis quatre ou cinq ans surtout, à des résultats surprenants. »

Ainsi dans Le Horla, le narrateur assiste à une séance d’hypnose au cours de laquelle sa cousine, hypnotisée, accomplit des actes qui lui ont été dictés par le praticien, sans que sa volonté soit sollicitée. Or, la conclusion du narrateur est que Mesmer  et ses successeurs, en jouant sur la faculté d'intervenir  par l'hypnose sur le psychisme de l'être humain, sont responsables de la montée en puissance du Horla,  ce « Seigneur » qui dominera le Monde.

"Ils ont joué avec cette arme du Seigneur nouveau (le Horla), la domination d’un mystérieux vouloir sur l’âme humaine devenue esclave. Ils ont appelé cela magnétisme, hypnotisme, suggestion... Que sais-je ?  Je les ai vus s’amuser comme des enfants imprudents avec cette horrible puissance ! Malheur à nous ! Malheur à l’homme !"

La nouvelle annonce donc la fin de l'être humain ! 





vendredi 4 décembre 2020

Balzac : La femme abandonnée

Le personnage de la vicomtesse de Bauséant est un personnage important de La Comédie humaine. Dans Le père Goriot  on l'y voit tenir un brillant salon parisien où il est de bon ton de paraître et n’y est pas reçu qui veut. Mais lorsqu’elle est abandonnée par son amant, elle quitte son mari et vient se réfugier à Bayeux. Mise au ban de la société pour sa scandaleuse conduite et son indépendance, elle vit orgueilleusement retirée dans ses appartements. Balzac lui consacre cette courte nouvelle intitulée La Femme abandonnée. Le second personnage est le jeune baron Gaston de Nueil, parisien lui aussi, mais en exil à Bayeux pour des raisons de santé. Il s’ennuie à mourir dans cette société provinciale étriquée et rigide. Aussi lorsqu’il entend parler la vicomtesse, son imagination fait le reste et il en tombe amoureux sans l'avoir encore rencontrée. Il finira par devenir son amant et vivre avec elle mais …

Avec sa vive imagination et sa promptitude à tomber amoureux, le baron me fait penser au Julien Sorel de Stendhal. Surtout dans la scène où renvoyé par la vicomtesse et raccompagné à la porte de la demeure par un serviteur, il comprend que son honneur est en jeu et son orgueil le pousse à la témérité. Mais la comparaison s’arrête là, Julien étant un roturier peu habitué à la société mondaine, ce qui n’est pas le cas de Gaston de Nueil.

L’intrigue de cette nouvelle est légère, assez convenue et m'a laissée un peu sur ma faim. Toute sa valeur réside à mes yeux dans deux éléments :

La conclusion de la nouvelle

La brutalité de la chute racontée en une phrase et d’un ton entièrement détaché, crée un choc, conclusion lapidaire, inattendue, de cette histoire d’amour. C’est dommage que Balzac ne se soit pas arrêté à cette phrase, ce qui aurait donné une plus grande force au dénouement qui me rappelle la manière de Victor Hugo dans La légende des siècles : et le lendemain Aymerillot prit la ville. Mais Balzac n’est pas Hugo (et réciproquement)  et il parle ici en moraliste! C'est pourquoi la conclusion est suivie  par des considérations dignes d’un entomologiste sur la nature humaine, la femme amoureuse.

La satire de la vie provinciale

Ce que j’ai le plus apprécié dans La femme abandonnée, c’est la satire acide de la société provinciale qui est décrite avec une méchanceté étudiée. Dans ses romans, Balzac nous montre la société en action, dans la nouvelle, il nous en fait la synthèse et nous la décrit comme une carte du ciel, avec ses planètes tournant autour du soleil. Or ce dernier est ici un astre bien faible en province et Balzac a des formules acérées  pour le décrire :
"C’était d’abord la famille dont la noblesse, inconnue à cinquante lieues plus loin passe, dans le département, pour incontestable et de la plus haute antiquité…"  "Cette espèce de  famille royale  au petit pied " " Cette famille fossile" " Le chef de cette race illustre est toujours un chasseur déterminé. Homme sans manières, il accable tout le monde de sa supériorité nominale…"
"Sa femme a le ton tranchant, parle haut, a eu des adorateurs, mais fait régulièrement ses pâques; elle élève mal ses filles et pense qu’elles seront toujours assez riches de leur nom. "

"Puis viennent les astres secondaires" :
Ceux qui gravitent autour de la noblesse ancienne, une noblesse récente  plus à la mode mais tout aussi conventionnelle et figée, dans un autre style, les gentilshommes campagnards, les membres du clergé tolérés pour leur fonction mais roturiers donc inférieurs.
Et Balzac de conclure :
La vie de ces routinières personnes gravite dans une sphère d’habitudes aussi incommutables que le sont leurs opinions religieuses, politiques, morales et littéraires.

Bien entendu pour le réac Balzac, la supériorité parisienne même s'il s'agit de la noblesse n'est pas à démontrer et tout ce qui s'attache à la province est dénigrée. Mais comme il n'épargne pas, non plus, les parisiens, disons que c'est acceptable !

 Lecture commune (oui, je suis en retard !)

initiée par Maggie Ici

Miriam Ici 

Céline Ici


vendredi 13 septembre 2019

Tove Jansson : L'art de voyager léger


Tove Jansson, auteure, peintre finlandaise de langue suédoise, est surtout célèbre pour ses livres de jeunesse et les petits personnages qu’elle a créés, les Moumines.
 
Tove Jansson et ses Moumines

 Aujourd’hui, c’est un recueil de nouvelles s’adressant aux adultes que je présente : L’art de voyager léger.

L’art de voyage léger donne son titre au recueil bien que cette nouvelle soit la dernière publiée, comme un adieu au lecteur, un zeste d’humour à savourer, à la fois léger et un peu amer. C’est l’histoire d’un homme qui part en voyage, en emportant le minimum dans ses bagages et qui a l’air de dire un adieu à sa maison, à ses proches, à ses voisins, qui tous ignorent son départ. Pourquoi ce mystère, cette angoisse d’être découvert, pourquoi rompt-il ainsi avec sa vie antérieure ? lorsque nous l’apprendrons, nous ne pourrons pas nous empêcher de sourire et… de le plaindre !

Les autres récits concernent des moments de sa vie de petite fille, Noël, la jupe de tulle, L’iceberg mais aussi de l’âge adulte, dans l’île où elle a vécu en Finlande. Si l’on distingue bien la voix de l’enfant avec sa vision magique du monde, l'art de se raconter des histoires et d'y croire,  et celle de la femme plus âgée, les deux se rejoignent pourtant dans la description d’un univers qui n’est pas toujours rationnel et où la nature, les animaux restent souvent inexplicables, mystérieux.
La mer y est omniprésente et l’insularité façonne la fillette comme la vieille femme qui toutes deux vivent presque en osmose avec la mer. Dans Le bateau, la petite fille part seule avec la complicité de sa mère qui veut faire d’elle une femme libre, sur le canot que lui a offert son père. On la sent volontaire, sans peur, aventureuse, en phase avec la nature. Tout comme le sera dans L’écureuil, l’adulte qui vit seule dans son île, coupée du monde l’hiver, avec ce petit animal pour unique compagnon. Pourtant, quelques failles se font sentir, quelques fêlures dans la voix vieillissante de l’écrivaine. Elle ne parvient pas à réparer le moteur du bateau,  ne peut plus monter sur le toit pour ramoner la cheminée… Et puis surtout elle commence à avoir peur de la mer, ce qu’elle ressent comme une trahison ! C’est l’heure de Prendre congé. Il y a beaucoup de nostalgie dans ces  beaux textes de l'enfance puis du renoncement. Le style est sobre, refuse l'emphase, la dramatisation. Tout paraît doux et léger mais toujours avec cette petite pointe de tristesse qui est celle des souvenirs qui s'effilochent, d'une vie qui passe...


L'ile de Tove Jansson : Télérama

dimanche 19 février 2012

Un livre/ Un film : Réponse à l'énigme N°22 Maupassant, Boule de Suif





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Le prix Maupassant-Ford est attribué à  : Aifelle, Eeguab,  Jeneen,  Keisha,  Lystig,   Nanou,  Somaja
Le prix Maupassant à Maggie. Merci à tous les participant(e)s.

Le livre : Boule de Suif de Guy de Maupassant
Le film : La chevauchée fantastique de John Ford





 Guy de Maupassant appartenait au groupe des écrivains naturalistes qui se réunissaient à Médan, dans la propriété d'Emile Zola. Tous s'engagèrent à écrire une nouvelle ayant pour sujet la guerre pour un recueil collectif. Boule de Suif fut écrit en 1879 et publié dans le recueil : Les soirées de Médan en 1880. Cette nouvelle, peut-être l'une des meilleures de l'écrivain, assura la notoriété de Maupassant dans le monde des Lettres.


Guy Maupassant place l'action de Boule de Suif  à Rouen envahi par les Prussiens pendant la guerre de 1870-71. Pour échapper à l'occupation, dix personnes de milieux sociaux différents - dont une jeune prostituée, Elizabeth Rousset, surnommée Boule de Suif - se retrouvent, enfermés dans une diligence qui doit les amener jusqu'au Havre. Mais lors d'une halte dans un relais, un officier prussien donne l'ordre de retenir la voiture, avec tous ses passagers, si Boule de Suif refuse de coucher avec lui. Celle-ci, très patriote, blessée dans ses sentiments, refuse. Chaque membre de la "bonne société" va faire alors en sorte de la pousser dans les bras de l'ennemi. Mais lorsqu'elle s'exécute et que la diligence repart, elle est en butte au mépris de ces vertueux voyageurs qui ne veulent plus lui adresser la parole et refuse de partager leur repas avec elle.

Dans cette nouvelle Guy de Maupassant va se faire le petit plaisir de réunir dans un huis-clos, une diligence, tous les représentants de la société française. Il place la voiture dans un milieu hostile, la neige, les congères qui empêchent d'avancer, le froid, la guerre qui dévaste les campagnes et prive les voyageurs de nourriture, les soldats ennemis qui entretiennent la peur et prolongent le face-à face. En effet, quel autre lieu aurait pu réunir en ces temps de guerre, Mr L'Oiseau, négociant en vin, et son épouse, Mr Carré-Lamadon, propriétaire de trois filatures, et sa jeune femme, le comte et la comtesse de Bréville, deux bonnes soeurs, un Républicain démocrate et une prostituée. Un éventail complet de la société qu'il attaque d'une plume féroce. Personne n'est épargné même si, in finale, la prostituée se révèle la plus sympathique et la plus honnête!


 LES BOURGEOIS

Avant  de les réunir dans même un lieu, Maupassant avait exercé sa vindicte sur les bourgeois normands "bedonnants, émasculés par le commerce" qui laissent l'ennemi entrer dans Rouen sans réagir. Il fustige leur lâcheté mais aussi leur hypocrisie quand il pactise avec les prussiens à condition que ce ne soit pas en public.
. Et pourquoi blesser quelqu'un dont on dépendait tout à fait? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la témérité. - Et la témérité n'est plus un défaut des bourgeois de Rouen, comme au temps des défenses héroïques où s'illustra leur cité. - On se disait enfin, raison suprême tirée de l'urbanité française, qu'il demeurait bien permis d'être poli dans son intérieur pourvu qu'on ne se montrât pas familier, en public, avec le soldat étranger.
En fait, la seule chose capable de toucher les bourgeois, de les émouvoir sincèrement, c'est lorsque l'on s'attaque à leur argent.
Les vainqueurs exigeaient de l'argent, beaucoup d'argent. Les habitants payaient toujours; ils étaient riches d'ailleurs. Mais plus un négociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu'il voit passer aux mains d'un autre.

Les bourgeois qui voyagent dans la voiture sont les dignes représentants de cette classe. Monsieur Loiseau est un filou qui vend ses mauvais vins à l'armée française, de plus il aime les plaisanteries salaces et se montre volontiers grivois devant les dames.
De taille exiguë, il présentait un ventre en ballon surmonté d'une face rougeaude entre deux favoris grisonnants.
Madame Loiseau est encore plus avare que lui et souffre dès qu'il est question de dépenser de l'argent.
Monsieur Carre-Lamadon, "homme considérable", est un fieffé coquin qui a compris que la politique devait lui rapporter :
 Il était resté, tout le temps de l'Empire, chef de l'opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à la cause qu'il combattait avec des armes courtoises, selon sa propre expression.
Quant à sa femme, elle aime beaucoup (trop?) les militaires et l'on croit comprendre, qu'à la place de Boule de Suif, elle n'aurait pas fait la fine bouche devant le bel officier prussien.

LA NOBLESSE
Le comte et la comtesse de Bredeville sont aussi passés à la moulinette par un Maupassant en forme et brillant qui  montre avec ironie sur quoi reposent la suffisance et la prétendue supériorité de leur famille. Monsieur se vante de ressembler à Henri IV qui "avait rendu grosse une dame de Bréville, dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province.". Quant à madame, qui n'est pas d'origine noble, elle est très bien accueillie parce qu'elle a été "aimée par un des fils de Louis-Philippe". Autrement dit ces messieurs de la noblesse ont eu la bonne fortune d'être "cocufiés" par plus grands qu'eux et en ont retiré des bénéfices!

Ces  nobles et ces bourgeois que tout pourrait opposer vont pactiser car il sont tous les représentants du pouvoir conféré par l'argent : Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le côté de la société rentée, sereine et forte, des honnêtes gens autorisés qui ont de la religion et des principes.

LA RELIGION
La religion est représentée par les deux soeurs qui égrenaient de longs chapelets en marmottant des Pater et des Ave. L'une était vieille avec une face défoncée par la petite vérole comme si elle eût reçu à bout portant une bordée de mitraille en pleine figure. L'autre, très chétive, avait une tête jolie et maladive sur une poitrine de phtisique rongée par cette foi dévorante qui fait les martyrs et les illuminés.
Jusqu'ici le trait est caricatural mais les religieuses restent en retrait et sont réservées. Le trait satirique se durcit quand il s'agit de persuader Boule de Suif de céder au commandant prussien. Lorsqu'on lui demande son avis, la plus âgée des soeurs va trouver  des arguments :
Alors, soit par une de ces ententes tacites, de ces complaisances voilées, où excelle quiconque porte un habit ecclésiastique, soit simplement par l'effet d'une inintelligence heureuse, d'une secourable bêtise, la vieille religieuse apporta à la conspiration un formidable appui.
Le trait satirique va très loin. Maupassant souligne qu'il ne s'agit pas du comportement propre à un seul individu mais à tous les gens d'église : "quiconque porte un habit ecclésiastique". D'autre part, la soeur à le choix entre la "inintelligence heureuse" (j'adore la formule!)  et la "complaisance voilée"!On voit que les soeurs n'échappent pas à l'hypocrisie générale et elles se comporteront par la suite avec autant de dureté, oubliant ce qu'est la charité chrétienne, laissant Boule de Suif sans repas, bouleversée, détruite par l'opprobre générale..

LE PEUPLE
Les deux personnes du peuple qui voyagent dans la diligence et que les autres considèrent avec suspicion et mépris sont-ils mieux traités par l'écrivain?
Voyons ce qu'il en est du démocrate, Cornudet, que Maupassant appelle le démoc, (le terme est déjà en lui-même méprisant), homme du peuple qui  a "mangé" la fortune héritée de son père", non pas en l'utilisant pour une cause noble mais en buvant, dans les "cafés démocratiques". (Appréciez l'alliance des mots!) On s'aperçoit vite que ses idées révolutionnaires ne sont que des paroles vaines. Cornudet est un poivrot qui n'agit pas, il reste passif et la langue acerbe de l'écrivain ne l'épargne pas plus que les autres :
...il attendait impatiemment la République pour obtenir enfin la place méritée par tant de consommations révolutionnaires.


 Un film de Christian-Jaque
 Le portrait  physique  d'Elizabeth Rousset, dite Boule de Suif est aussi caricatural Petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses... mais l'on s'aperçoit vite que la sympathie de l'auteur lui est acquise.
C'est la seule qui ait tenu tête à l'ennemi et soit obligée de partir pour se soustraire aux ennuis que lui a causé son attitude patriotique. Pour les mêmes raisons, elle refuse de céder au commandant prussien et lorsqu'elle le fait sous la pression des autres, c'est pour elle un sacrifice. D'ailleurs, elle sent honteuse et souillée. De plus, c'est la seule à montrer de la générosité. Elle partage son déjeuner quand les autres voyageurs ont faim alors que ceux-ci refusent de lui parler et de lui donner à manger. A travers ces deux repas pris dans la diligence, le premier où elle offre ses provisions et le deuxième où les autres lui refusent les leurs, se dessinent toute l'hypocrisie des classes sociales supérieures, la cruauté et la bassesse. On sent l'écoeurement de Maupassant, son mépris. Même le prétendu démocrate, Cornudet, n'est pas en reste, qui chante la Marseillaise pour narguer la pauvre fille et la torturer plus longtemps encore que les autres. Il est vrai que ce faisant, il irrite aussi ses compagnons de voyage et se venge de leur dédain.



LA GUERRE

Le thème de la guerre est omniprésent puisque c'est à travers cette situation tragique qui bouleverse le pays que se révèle le caractère de chacun.
Et d'abord le comportement de l'armée française en guenilles, sans drapeau, ni régiment et de la garde nationale qui fusille ses propres sentinelles et " se préparant au combat quand un petit lapin remuait dans les broussailles" et qui disparaît quand l'ennemis arrive. Rodomontade, fanfaronnade, désordre, lâcheté, voilà le comportement de ceux qui sont chargés de la défense du pays.

La suite avec l'occupation allemande est une description qui nous rappelle ce qui s'est passé dans notre pays dans un passé beaucoup moins lointain

La collaboration 
La seule qui refuse la collaboration est Boule de Suif. Elle a des provisions chez elle et aurait pu nourrir des soldats chez elle mais elle ne peut pas supporter cette honte. Alors que tous les autres accueillent les prussiens à leur table et leur font  fait bonne figure
Dans beaucoup de familles, l'officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment; puis on pouvait, un jour ou l'autre, avoir besoin de sa protection.
La résistance
Mais la résistance existe qui est le fait de groupe ou d'individu isolé. Les pêcheurs ou les mariniers retrouvent parfois le cadavre d'un allemand :
Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire.

La critique de la guerre 
La critique de la guerre est menée par les gens du peuple, les paysans en particulier.Une vieille femme constate que c'est mal de tuer son prochain mais que, pendant la guerre, on accorde le plus de médailles à celui qui en tue le plus :
"Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais cela!"
et tous de conclure que ce sont les pauvres gens qui souffrent  toujours le plus quelque soit leur origine, leur pays : ainsi  le soldats prussiens ça ne les amuse pas, la guerre, allez ! Je suis sûr qu'on pleure bien aussi là-bas après les hommes; et ça fournira une fameuse misère chez eux comme chez nous.
ET finalement tous désignent les mêmes coupables  : : "C'est les grands qui font la guerre. »" et ils se demandent si l'on ne devrait pas plutôt tuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir ? »

Boule de Suif est une nouvelle extrêmement lucide et sans concession sur la société. Elle est écrite dans une langue très pure, très sobre qui fait ressortir l'ironie mordante de Maupassant avec plus d'acuité. Les descriptions de la neige, du pays gris et désert, sont très belles et servent de cadre désolé au drame qui se joue dans cet environnement hostile.
Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre; il effaçait les formes, poudrait les choses d'une mousse de glace; et l'on n'entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l'hiver, que ce froissement vague, innommable et flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement d'atomes légers qui semblaient emplir l'espace, couvrir le monde.
Ces "gredins honnêtes", comme les nomme Maupassant, représentent une société haïssable qui n'a aucune morale mais qui se targue d'appartenir à la "bonne société", ce qui leur assure quoiqu'ils fassent - vols, escroqueries, mensonges, adultères, lâcheté, cruauté, hypocrisie, vulgarité, égoïsme, avarice - le respect de leurs pairs et le droit de piétiner ceux qui leur sont inférieurs par le rang.

John Ford  : une transposition du film dans l'ouest américain

 Ringo (John Ford) et Dallas (Claire Trevor) dans La chevauchée fantastique

 Chez Ford, dans La chevauchée fantastique, le huis-clos de la diligence révèle aussi la vérité de chacun.  On est au lendemain de la guerre de Sécession et pendant les guerres indiennes. Voir Wens

Les personnages  ne sont pas aussi noirs que ceux de Maupassant à part, peut-être, l'un d'entre eux.

La prostituée Dallas est expulsée de la ville par le shérif sous  l'impulsion de La ligue de vertu.  Elle se révèlera humaine et chaleureuse.  Elle se montrer compétente et courageuse pendant l'accouchement et l'attaque. C'est un personnage d'une grande valeur intérieure.

La jeune femme Mrs Mallory qui va accoucher est femme d'officier venue rejoindre son mari en garnison.  Elle appartient à la bonne société, a des manières aristocratiques.  Elle n'a rien de commun avec Dallas mais elle est lui reconnaissante de lui venir en aide même si elle ne peut se lier d'amitié avec elle. C'est la seule que le voyage ne ne change pas.

Ringo est une jeune cow boy, simple, naïf, qui s'est échappé d'un pénitencier pour tuer les meurtriers de son frère. C'est un être qui n'est pas corrompu, ce qui lui permet de comprendre la véritable nature de  Dallas et de l'aimer.

Le shérif Curly Wilcox, un homme bourru,  doit surveiller Ringo mais il le protège car il  sait qu'il n'est pas de taille à lutter contre les tueurs.

Hatfield, ancien officier sudiste, est devenu joueur professionnel.  Malgré ses défauts, il se comporte avec courage.

le docteur est un ivrogne. Les horreurs de la guerre de Sécession l'ont poussé à boire. Mais il va se retrouver  lorsqu'il doit faire naître le bébé.

Le palefrenier Peacock est simple d'esprit, il est poltron mais il se montre à la hauteur pendant l'accouchement et l'attaque des indiens.

 Le banquier Gatewood, un arriviste,  fuit la ville avec l'argent de la banque. Il veut abandonner la jeune femme enceinte au moment de l'accouchement. C'est le personnage le plus abject de tous, celui que Ford n'aime pas.

 John Ford est plus optimiste que Maupassant, il a une vision confiante dans la nature humaine si bien que la charge sociale est édulcorée par rapport à la nouvelle. Les hommes et les femmes peuvent avoir des défauts mais ils ne sont pas entièrement mauvais. Ils vont se sentir concernés par la naissance de l'enfant qui représente l'espoir et être régénérés par les épreuves qu'ils ont vécues.

lundi 28 novembre 2011

Saneh Sangsuk : Venin



Avec cette nouvelle Venin je découvre Saneh Sangsuk, écrivain thailandais. Ce livre raconte l'étonnante l'histoire de" Patte folle" comme le nomment les habitants mal intentionnés de son village, petit garçon estropié, et de sa lutte avec une gigantesque cobra de quatre mètres de long. Maintenant le serpent enroulé autour de son corps à bout de bras, la main enserrant le cou du monstre, il parcourt le village à la recherche d'un secours.
Ce récit est court, très ramassé. Il est d'abord précédé d'une présentation de l'enfant et de sa famille dans le contexte d'un  village. Le petit garçon n'a plus qu'un bras à la suite d'un accident et il a développé une grande force physique dans son bras unique. Il garde les vaches de ses parents et rêve à son avenir. il sera montreur de marionnettes et possède déjà un don particulier pour animer des figurines fabriquées  avec de la paille de riz. La vie du village, ses dissensions, les croyances qui animent chacun et qui les déchirent forment une première partie rapide qui laisse place  à l'apparition du serpent monstrueux.
Et c'est là le vrai sujet de la nouvelle. La lutte de l'enfant contre le serpent racontée sobrement est d'une grande intensité. On a l'impression d'être confronté à un combat mythique, celui de  l'être humain face à une force supérieure presque divine. Le serpent n'est-il pas envoyée par la Mère des Eaux, un monstre surgit des entrailles de la terre ? C'est ainsi que l'on peut le voir même si  Saneh Sangsuk a pris soin de dénoncer  au préalable les fausses croyances des villageois dominés par un devin simulateur et fourbe.
L'art de l'écrivain pour maintenir un suspense haletant est très habile. Parfois, il  nous entraîne à la limite de l'angoisse puis il nous laisse respirer   lorsque l'enfant, qui a envie de relâcher l'étreinte de sa main (mais sait que cela lui sera fatal),  arrive à s'évader par la pensée. L'angoisse revient pourtant, lancinante car penser à autre chose affaiblit le combattant et il a besoin d'être lucide pour continuer le combat. Nous sommes ainsi maintenus en haleine, avec l'espoir que les parents ou les villageois  viendront apporter de l'aide au  petit garçon. Nous  sommes  ainsi menés jusqu'à épuisement et puis soudain, tout se dénoue avec une rapidité surprenante. Trente et une pages sont nécessaires à décrire ce combat, dix lignes suffisent pour  en donner le dénouement. On pense au procédé utilisé par Victor Hugo dans sa légende des siècles "Le lendemain Aymeri prit la ville". Mais contrairement au poème de Hugo, le récit de Saneh Sansuk n'est pas épique, tout au moins stylistiquement, il est au contraire, d'une retenue remarquable, phrases courtes et sobres, sans émotion ou pathos. Et c'est de ce style épuré que la nouvelle tire sa force.
Quand le cobra projeta son corps vers le haut à nouveau, le petit d'homme se dressa d'un bond lui aussi. Les yeux du petit d'homme se révulsèrent, sa bouche béa pleine du vacarme d'un silence assourdissant. Il était trop terrorisé pour prendre la fuite. Il était tout à son jeu. Les cris des autres petits d'hommes sonnaient comme dans un rêve. Fuis, mais Fuis donc, Patte Folle! Fuis! La furie du serpent ne fit qu'augmenter.  Il se dressa plus haut encore. Sa tête se rétracta vers l'arrière comme un grand arc tendu à l'extrême. Sa gueule s'ouvrit grande, révélant des crocs recourbés et luisants. Le vent continuait à souffler en rafales. (...) Un milan planait haut dans le ciel, lançant son cri suraigu d'affamé tandis qu'il faisait demi-tour pour regagner son aire inaccessible.. Le cri du Milan n'avait pas pris fin que le serpent frappait de toutes ses forces.


lundi 21 novembre 2011

Jack London : Construire un feu



Construire un feu de Jack London  réunit plusieurs récits de Jack London dont la nouvelle éponyme.

L'ensemble des sept nouvelles se situent dans un lieu géographique qui s'étend du Nord-Ouest du Canada jusqu'à la Colombie britannique et l'Alaska avec pour axe le Yukon. Ces paysages glacés, désertiques, qui mettent l'Homme à l'épreuve, le confrontent à la solitude et à la mort, sont les champs d'expérience d'hommes rudes, âpres, durs à la souffrance, à la nature fruste mais au courage souvent sans mesure. Ces individus sans foi ni loi, cruels et violents, trappeurs, chercheurs d'or, voyageurs, Jack London nous en brosse des portraits  forts et haut en couleurs. Ainsi dans Perdu-de-face, le personnage principal parti de Pologne, arrive en Alaska où il se joint à une bande de chasseurs de phoques barbares qui réduisent la population autochtone à l'esclavage. Mais les victimes prouveront bientôt qu'elles ne valent pas mieux que les bourreaux.

Dans toutes ces nouvelles, la nature sert de révélateur, elle confronte l'Homme à sa propre image, elle est aussi la métaphore de la Mort que chacun doit affronter.  Dans Construire un feu, un homme accompagné de son chien se sont engagés sur une piste qui longe le Yukon pris dans les glaces et  qui doit les conduire vers le refuge où l'attendent ses compagnons. Mais la route est longue, la température avoisine -75° et l'on ne s'engage jamais seul sur une piste avec un froid aussi intense.. Construire un feu devient alors un geste désespéré qui, si l'on échoue, vous condamne obligatoirement à la mort. L'homme apprendra à ses dépens que la nature ne permet pas la moindre erreur. C'est peut-être l'un des plus belles et des plus saisissantes nouvelles du recueil.

Sur un mode plus léger nous voyons dans Ce Sacré Spot, deux amis se fâcher car chacun veut refiler à l'autre le chien Spot, voleur, paresseux, batailleur qui ne pense qu'à manger!  Mais l'ironie devient cruelle avec Mission de confiance, récit dans lequel Fred Churchill est chargé de rapporter un sac à son ami Mc Donald. Il le fera  au prix d'énormes souffrances, au risque de sa vie, avant d'apprendre ce que contenait la sacoche. Jack London dans ce recueil manie, en effet, toutes les facettes de l'humour.  L'humour noir  avec  la disparition de Marcus O Brien, récit dans lequel les personnages ont  des conceptions un peu particulières de la justice. Ils estiment légitime d'expédier dans l'au-delà leur camarade s'il chante faux et offense leurs oreilles! L'humour tourne à la farce grotesque mais sanguinolente dans Perdu-la-Face où le héros pour éviter d'être torturé par les indiens invente un stratagème qui ridiculise le chef. Quant à Braise d'or, l'un des personnages féminins du recueil, elle paiera le prix fort pour sa légèreté, le cadavre de son fiancé abandonné s'invitant à sa noce. Humour noir qui glisse  vers un  fantastique macabre, vision hallucinée de ce cadavre éjecté de son cercueil et qui conduit la fiancée infidèle à la folie. 
Ainsi l'humour semble souvent inséparable du pessimisme  de Jack London souligne  les thèmes de la Nature implacable et de la Mort, celui de la barbarie de l'Homme dans un pays qui semble échapper aux lois de la civilisation. Une barbarie qui n'a d'égale que le courage car l'Homme est capable du meilleur et du pire! Un très beau recueil de nouvelles.

              Une Bande dessinée de Chabouté


Chabouté a adapté la nouvelle Construire un feu en Bande dessinée. C'est une réussite! Les dessins en noir et blanc correspondent à chaque phrase-clef de la nouvelle, décrivant le froid, la solitude de l'homme, les gestes minutieux rendus difficiles par le gel pour allumer le feu. Les plans d'ensemble qui peignent l'immensité déserte et donnent la mesure de  la petitesse de l'homme alternent avec des gros plans. Ceux-ci montrent dans le détail les souffrances endurées par le personnage, l'action terrible du froid. Les pensées sont traduites dans des bulles comme s'il s'agissait d'une voix off qui commente la situation. La beauté des dessins rend pleinement compte de cette confrontation tragique entre l'Homme et la Nature, de la disproportion entre l'être humain si frêle et la nature si puissante. Elle montre la démesure de cette lutte racontée par Jack London et comment l'homme paiera son orgueil de sa mort.
 Deux artistes de talent réunis pour une oeuvre sombre et forte.

Chez Folfaerie


Chez Sabbio