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jeudi 20 octobre 2011

David Vann : Désolations


Désolations de David Vann est un des grands livres de la rentrée littéraire. Jamais roman ne portera mieux son titre que ce récit fort et puissant mais d'une noirceur absolue.

David Vann place son récit en Alaska, dans la péninsule de Kenai, au bord d'un lac glaciaire. Gary va  réaliser son rêve en construisant la cabane où il a toujours voulu vivre, sur une île, au milieu du lac, non loin de la ville sur l'autre rive. Il entraîne dans cette aventure sa femme Irène, assez réticente à la pensée de quitter sa maison pour aller habiter dans un lieu coupé du reste du monde pendant le long hiver nordique. Malgré les maux de tête intolérables dont elle souffre, Irène va le suivre pourtant. Leur fille Rhoda s'en inquiète alors que  leur fils, Mark, ne s'en soucie pas!

Si vous attendez à partir de là un récit écologique vous vantant la beauté de la nature, le courage de cet homme et de cette femme dans leur combat face aux dangers qu'ils vont affronter, vous en serez pour vos frais. Dans Désolations - le titre est au pluriel- David Vann dresse un bilan pessimiste, de la nature abîmée par la présence humaine, des rapports entre les êtres mais aussi de la société en général. 

Désolante en effet, cette ville souillée par l'homme et d'une dureté implacable. Une ville sinistrée où les plus chanceux s'en vont pour trouver du travail, échapper à la détermination du choix qui fait de vous un pêcheur ou un employé de la conserverie de poissons, travail à la chaîne, inhumain, sans espoir, dans le froid et la saleté. Une vision sociale accablante. Tout est à l'image de ce pays désolé et sauvage ou les scories laissées par l'homme achèvent de rouiller.

Elle logea un centre commercial de plain-pied, un parking abandonné où pourrissaient une vieille voiture et d'autres débris en bordure de la forêt. Ploucland, dit-elle à voix haute.

Quant à la nature, certes elle est belle loin de la ville mais elle est surtout inhumaine, et il faut, pour y vivre, abandonner toute idée romantique :

Une belle illustration de ses trois décennies passées en Alaska, affalée dans son ciré, cachée, se faisant aussi petite que possible, chassant les moustiques qui parvenaient à voler malgré le vent. Se sentant frigorifiée, seule. Pas la vision grandiose qu'on pourrait avoir, se prélasser par une journée ensoleillée sur une pente douce couverte de lupin violet, la vue dégagée sur les montagnes environnantes.

En fait la nature est la métaphore de ce qui se passe à l'intérieur des consciences, l'enfer personnel que chaque homme ou femme porte en soi. A l'âge de la retraite Gary et Irène font le bilan de leur vie et leur échec est total. Gary a raté sa vie. Doctorant médiéviste à Berkeley, une de plus grandes université américaines en Californie, il peut toujours reporter la responsabilité de son échec sur sa femme. Il n'en est pas moins vrai qu'il s'est senti distancé dans ses études, incapable de les mener à bien. Se fixer en Alaska pour échapper au milieu universitaire, épouser Irène, institutrice de maternelle, qu'il juge inférieure à lui sur le plan intellectuel, est une fuite, non un choix de vie. La construction de la cabane est la réalisation d'un rêve mais l'on s'aperçoit bien vite qu'il n' est pas capable, non plus, de la mener à bien.
 Irène, elle, est brisée dès son enfance par le suicide de sa  mère. Si elle subit la volonté de son mari en s'isolant ainsi dans l'île au moment où un hiver rigoureux s'annonce, ce n'est pas par amour pour lui , qu'elle regarde avec une froide lucidité, mais par peur de l'abandon. Il n'y plus que haine entre eux et le huis clos dans l'île va se révéler terrifiant.
David Vanne explore avec talent le thème de la solitude de chaque être en rapport avec la nature hostile, car ce ne sont pas seulement les personnages âgées qui sont condamnés mais aussi les jeunes.
Marc, le fils de Gary et d'Irène, qui mène la vie rude des pêcheurs est lui aussi en situation d'échec; Il se saoule avec sa femme et ses amis et se drogue. Son indifférence apparente envers ses parents semble plutôt être de l'ordre de la survie. Quant à Rodha, qui est le personnage le plus positif du livre, elle est bien trop fragile pour trouver une issue, échapper à son destin. Capable d'amour et de dévouement envers ses parents, elle aime Jim, un dentiste, et espère fonder une famille avec lui. Elle ne trouvera en face d'elle que trahison, mensonge, indifférence, haine et folie. L'on peut penser raisonnablement qu'elle reproduira le schéma de vie de sa mère, les femmes de cette famille semblant condamnées d'avance par les hommes mais aussi, comme toutes les femmes, par la société qui les place au bas de l'échelle. C'est ce que pense Carl, le jeune étudiant venu en Alaska pendant les vacances pour y connaître sa première déception amoureuse, trahi par la riche et cynique Monique, obligé de prendre un emploi à la conserverie  de poissons où il ne tient même pas un jour! Le constat social est désespérant  et est résumé ainsi par le jeune homme pendant ses quelques heures de travail :

1 Ne travaille pas avec d'autre personne
2 N'exerce pas un travail manuel
3 Sois content de ne pas être une femme sur le marché du travail.
4 le contrôle de qualité n'existe pas. Tous les autres termes du monde des affaires sont aussi des conneries. Le monde des affaires est le cimetière de la pensée et des paroles.
5 Le travail ne sert qu'à gagner de l'argent. Alors trouve-toi un boulot qui aille au-delà, un boulot, qui, dans l'idéal, ne te donne pas la sensation d'en être un.

Quant aux relations entre les hommes et les femmes, elles sont toutes fondées sur des rapports de domination. L'amour n'existe pas, c'est une chimère et ceux qui se laissent aller à y croire en souffriront. Le paysage où le vent, la neige, l'eau sont hostiles, se liguent contre les humains, reflètent la désolation  de leur âme.

Un roman pessimiste, certes, mais excellent.

Voir l'avis de Choco dans Le Grenier à Livres ICI

PriceMinister

Merci à Price Minister et aux éditions Gallmeister pour l'envoi de ce livre