Les Maia, Os Maias, de José-Maria de Eça de Queirós est considéré comme le chef d’oeuvre de ce grand écrivain portugais du XIX siècle. Paru en 1888, le roman raconte l’histoire de la famille patricienne, les Maia, sur trois générations, mais sur des périodes de temps inégales : le récit commence en 1875 quand le jeune Carlos après avoir obtenu son diplôme de médecine vient s’installer à Lisbonne, chez son grand-père Alfonso, dans une ancienne et austère maison, Le Ramalhete. Un retour dans le passé nous fait connaître les membres de la famille dont la vie est présentée au cours de deux chapitres. Carlos reste le personnage central des XVIII chapitres que compte le roman.
Les trois générations de la famille Maia
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Adaptation de Os Maias de Joao Bothelo (2014) |
Première génération : Le patriarche est Alfonso da Maia qui, s’il a un instant effrayé ses parents par ses élans libertaires pourtant très mesurés, est rentré sagement dans le rang. Il représente la noblesse de classe avec son conservatisme, son catholicisme fervent et son respect du clergé, ses préjugés mais aussi sa noblesse de coeur. Il aime les enfants, les êtres pauvres et faibles, et élève son petit-fils orphelin, Carlos, avec beaucoup d’amour. C’est un homme qui est en accord avec ses principes et sa morale, contrairement à la plupart des personnages hypocrites qui peuplent ce roman et qui n’ont que l’apparence de la vertu. C’est pourquoi il est épargné par Eça de Queiros.
La deuxième génération : le fils d’Alfonso, Pedro da Maia, est aux yeux de son père, un faible. Il se mésallie en épousant une jeune femme d’un demi-monde malgré la volonté paternelle et se suicide quand celle-ci s’enfuit avec un bel Italien, emmenant avec elle sa fille bien-aimée et laissant son bébé Carlos derrière elle.
Carlos, dernier descendant de la famille Maia, est un jeune homme brillant qui promet beaucoup. Adoré par son grand-père, il est pourtant soumis, quand il est enfant, à une stricte éducation « à l’anglaise », bain froid et sport chaque matin, pour forger sa personnalité. Mais Carlos qui veut exercer la médecine, se consacrer aux sciences et à la recherche, est comme tous les jeunes gens fortunés de l’époque, un dilettante papillonnant, léger, beau parleur, incapable d’agir. "Un jeune homme de goût et de luxe" ainsi le définit l’écrivain !
Une fresque sociale
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Os Maias adaptation du réalisateur portugais Joao Bothelo
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Dans Les Maia, Eça de Queiros peint une fresque de la société lisbonnaise à la fin du XIX siècle. |
Carlos et son ami Joao da Ega, noble richissime et dandy désabusé, écrivain et journaliste raté, représentent la jeunesse argentée et frivole mais ils sont, somme toute, relativement sympathiques. Que de châteaux en Espagne, construisent-ils ! Le lecteur a souvent envie de secouer leur inertie ! Ah! s’ils pouvaient agir au lieu de parler, peut-être ne seraient-ils pas des parasites de la société, peut-être pourraient-ils apporter leur pièce à l’édifice ! Oui, mais… non ! Ils ne sont pas épargnés par l'ironie de l’écrivain même si celui-ci éprouve pour eux une certaine tendresse peut-être parce qu'il reconnaît en eux sa propre jeunesse.
Ega avec ses velléités, ses provocations, son non-conformisme de façade, est intéressant mais parfois insupportable. On sait que s’il se permet de choquer et d’effrayer la bonne société, il ne peut le faire que parce qu’il porte un grand nom et a la fortune de maman derrière lui en perspective ! Carlos, lui, est capable de sentiments vrais : son amour pour son grand-père est touchant, celui pour Maria Eduarda témoigne d’une grande sincérité et d’une certaine candeur même si sa passion a des limites comme le prouve ses hésitations après sa noble demande en mariage qu'il renvoie à un temps plus lointain. Car Carlos aussi partage les préjugés sociaux et religieux de son temps*.
Toute la jeunesse dorée qui gravite autour de Carlos et de Joao d’Ega se perd en intrigues amoureuses, maris trompés, maîtresses bien vite délaissées et méprisées puisqu'elles ont cédé (péché ?), misogynie assez répandue dans cette société. Tout ce petit monde oisif critique les dirigeants politiques incompétents, déplorant l’immobilisme de la société, refaisant le monde… en paroles, discutant à perte de vue littérature, défendant le naturalisme et Zola contre le vieux poète désargenté et digne, Alencar, représentant -parfois un peu ridicule mais touchant- du romantisme.
Le portrait de Damaso Salcede, parvenu snob et vulgaire qui ponctue toutes ses phrases par : « c’est d’un chic ! », est chargé. La scène où les témoins de Carlos le provoque en duel et où il réagit en poltron est d’un humour savoureux. De Queiros a non seulement l’art du portrait mais aussi celui de scènes prises sur le vif, très bien observées, où ses personnages agissent comme des bouffons. En fait partie aussi, la scène des courses de chevaux où se rendent tous les snobs de la ville, hommes ou femmes, parce qu’il est de bon ton d’y être et d’y montrer sa toilette ! Ils s’y ennuient mortellement car ils n’aiment, en bons portugais, que les courses de taureaux !
Les politiques ne sont pas épargnés, en particulier le Comte Guvarinho considéré comme un âne mais qui sera porté au pouvoir parce que "la politique, aujourd’hui, c’est le fait positif, l’argent ! l’argent ! la galette! le pognon ! Le petit pognon bien-aimé, mon vieux ! L’argent divin".
L’ironie devient féroce :
Dans ce pays béni, tous les politiciens on un "immense talent". L'opposition reconnaît toujours que les ministres qu'elle couvre d'injures ont, en dehors de ce qu'ils font, "un talent de premier ordre !" Inversement la majorité admet que l'opposition, à qui elle reproche constamment les bêtises qu'elle a faites, est pleine de "très robustes talents !". Mais tout le monde est d'accord pour dire que le pays est dans le gâchis. Il en résulte une situation ultra-comique : un pays gouverné par un "immense talent" qui, de tous les pays d'Europe, est, de l'avis unanime, le plus stupidement gouverné ! Je fais une proposition : comme les talents échouent toujours, essayons une fois les imbéciles !
ou encore :
"Que diable fait-on à la Cour des Comptes? demanda Carlos. On joue aux cartes? on bavarde?
- On fait un peu de tout, pour tuer le temps... Même des comptes ! "
L’ influence de la littérature française
Les Maia fut d’abord une nouvelle intégrée dans un recueil intitulé les scènes de la vie réelle avant d’être repris en roman. On y sent l’influence de la littérature française.
Si J. M. Eça de Queiroz se réclame de Zola et du naturalisme, c’est parfois plutôt à Balzac qu’il me fait penser dans Les Maia à travers le tableau la société et la ville, Lisbonne, qu’il nous donne à voir. Sous la plume de Eça de Queiroz, les personnages sont plus le produit de leur milieu social et de leur époque à la manière de Balzac que de l’hérédité selon Zola.
Et quand Carlos tombe vraiment amoureux d’une femme mariée, Maria Eduarda, qu’il idéalise, c’est aussi Flaubert qui s’invite avec Balzac. On pense à l’amour du jeune Frédéric pour madame Arnoux dans L’éducation sentimentale (1869).
Mais au-delà des influences, c’est un regard personnel, critique et ironique, mais aussi désabusé, que Eça de Queiros porte sur la société de son temps qu’il n’épargne pas, s’incluant peut-être lui-même dans la critique puisque l’on dit que Joao de Ega est un peu son double.
Une métaphore ironique et pessimiste
Le roman s’achève sur une image montrant les contradictions des deux jeunes gens. Ceux-ci après avoir longuement discuté sur la valeur de la vie en arrivent à la conclusion : "Nous aurons au moins établi la théorie définitive de l’existence. En effet, il est inutile de faire aucun effort, de courir anxieusement vers quoi que ce soit … Ni vers l’amour, ni vers la gloire, ni vers l’argent, ni vers la puissance…"
Puis l'écrivain les montre courant après un tramway dans l’espoir de l’attraper :
« - On peut encore l’attraper !
De nouveau la lanterne glissa et s'enfuit. Alors, pour attraper le tramway, les deux amis se mirent à courir désespérément sur la rampe de Santos et sur l’Aterro, dans la première clarté de la lune naissante. »
Métaphore dérisoire et nostalgique - on court après un tramway comme s'il s'agissait de quelque chose d'important mais on n’avance dans la vie "qu’à petit pas lent et prudent", convaincu de "l'inutilité de tout effort" - métaphore à travers laquelle l’écrivain reste fidèle à sa vision ironique et désenchantée d'une société immobile et sclérosée.
*Quant au scandale de la liaison de Carlos et de Maria Eduardo, (je n’en dis pas plus pour ne pas éventer le coup de théâtre) on peut dire qu’il ne surprend pas le lecteur du XXI siècle. C’est tellement attendu pour nous mais peut-être pas pour le lecteur du XIX siècle !
José-Maria Eça de Queirós
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José-Maria Eça de Queiros
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"José-Maria Eça de Queirós ( 1845-190O) est l'un des écrivains portugais qui, entre 1865 et 1885, se sont dressés contre l'establishment, contre leurs aînés et contre le culte de la tradition. Ils étaient internationalistes, républicains, socialistes, violemment anticléricaux et quelquefois athées. On les regroupa sous le nom de génération de soixante-dix : c'est, en effet, entre 1865 et 1885 qu'ils écrivirent leurs œuvres les plus virulentes. Ensuite, pour la plupart, ils modérèrent leurs attaques. L'un d'entre eux, Teófilo Braga, fut président de la République après la révolution de 1910. Queirós devint le plus grand romancier portugais de son temps et peut-être de tous les temps. Son influence fut énorme non seulement au Portugal, mais encore dans l'ensemble du monde ibéro-américain. Ses principaux romans sont traduits dans toutes les langues. Et le temps paraît donner raison à Valery Larbaud, pour lequel cet auteur est « un des grands romanciers européens du xixe siècle ». (...)
Le roman Les Maia (Os Maias,
1888), peut-être son chef-d'œuvre, montre comment le doute et
l'hésitation, la compréhension et la tolérance, le pessimisme succèdent
chez Queirós à ce dépit salutaire qui se traduisait auparavant en
attaque impétueuse."
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