Dans les Lusiades, Os Lusiadas, Luis Vaz de Camoes compose " moins une épopée qu'un chant national, un hymne patriotique en l'honneur des Lusitaniens". C'est ce qu'affirme François-Félix Ragon dont je lis la traduction en vers.
Un poème épique
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Les Lusiades est un poème épique achevé en 1556 et publié seulement en 1572 après le retour des Indes de Luis Vaz de Camoes. Il est dédié au roi Sebastien 1er : "Grand roi, dont les états contemplent le soleil, Soit que son front se lève à l'Orient vermeil, Soit que du haut des cieux son char se précipite Vers les palais d'azur où l'attend Amphitrite". Ce dernier mourut peu après la publication des Lusiades dans la guerre des Trois Rois à la bataille de Ksar El Kebir au Maroc en 1578.
Ce poème est composé de dix chants qui présentent, d'une manière inégale, environ 110 strophes de huit décasyllabes par chant. Le héros est d'abord collectif, Os Lusiades, les descendants du Dieu Lusus qui est le fils et compagnon de Bacchus, -selon l'étymologie retenue par Camoes- l'ancêtre des portugais, donc.
Dès le chant I, dans la strophe 1, Camoes indique quel est son but, chanter les héros lusitaniens et les exploits des marins et des rois de son pays.
chant I
Je dirai, si le ciel seconde mon génie,
Les combats, les héros de la Lusitanie,
Qui, s'ouvrant sur les mers des passages nouveaux,
Par de là Taprobane* ont guidé leurs vaisseaux,
Et qui par des efforts de valeur plus qu'humaine
Ont sur ces bords lointains établi leur domaine.
Je célèbre ces rois valeureux et chrétiens,
De la foi, de l'empire invincibles soutiens,
Et qui, de leur audace effrayant l'infidèle,
Ont conquis à leurs noms une gloire immortelle.
* ile de Ceylan
Les voyages fameux et d'Ulysse et d'Enée.
Cependant, tout en dénigrant selon
un procédé épique fréquent les héros célèbres et les poètes qui les ont
chantés pour mieux glorifier son oeuvre et en montrer la supériorité, on
voit qu'il se met dans les pas des plus grands. Il surenchérit sur rien
de moins que Homère ou Virgile pour l'antiquité, rien de moins que les héros des chansons de geste les plus célèbres pour le Moyen-âge,
ceux-ci rejoignant les héros lusitaniens dans leur lutte contre les
Maures au nom de la foi Chrétienne et, il faut bien le dire, dans le cas
des Portugais, pour des raisons économiques. Tout au long du poème, les
références à Enée ou Ulysse sont nombreuses et les procédés homériques sont souvent repris. Ainsi comme dans l'Odyssée ou l'Iliade, les Dieux interviennent dans le destin des hommes : Bacchus est l'ennemi
des Portugais dont il jalouse la bravoure, Vénus les aime et les
protège car ils sont vaillants et la Beauté les accompagne dans tout ce
qu'ils entreprennent. Jupiter, en juge neutre, reconnaissant leur
valeur, leur témoigne sa faveur. Mais les dieux romains ne sont qu'une
licence poétique qui témoigne de la grande culture classique de Luis Vaz de Camoes et rappelle, par le style, le divin Homère :
Et le sommeil fuyait, rappelant aux travaux
Les mortels que dans l'ombre endormaient ses pavots;
La vapeur de la nuit en perle transparente
Retombait sur les fleurs dans la plaine odorante....
Mais le fond du poème est imprégné par la foi chrétienne et manifeste de
l'esprit de croisade vis à vis de l'Islam.
Le voyage de Vasco de Gama
Vasco de Gama (XVI siècle) |
Le poème Les Lusiades raconte donc le premier voyage de Vasco de Gama : Gama, l'illustre chef de la grande entreprise, /Gama, que le destin protège et favorise, qui est mandaté par le roi Manuel 1er pour ouvrir la route des Indes : "Ainsi le commandait le plus chéri des rois, Dont toujours les désirs furent pour nous des lois.
Le roi Manuel 1er (1469-1521) |
L'amiral part de Lisbonne en 1497 à la tête de quatre navires et naviguera à peu près un an avant d'atteindre L'Inde. Son vaisseau amiral est le Sao Gabriel, le São Rafael est commandé par son frère Paulo de Gama, la caravelle le Berrio par Nicolau Coelho, et le navire de charge par Gonzalo Nunez. Cette route maritime périlleuse où il dut mener des combats contre les "Maures", cette route difficile, aventureuse,- les fureurs de la mer, les tourments de la faim, Et des cieux ennemis et des périls sans fin - fit du Portugal l'un des pays les plus puissants du XVI siècle, une fois qu'il fut libéré des taxes imposées par les Turcs et les Arabes sur les épices et qu'il eut vaincu la prépondérance de la République de Venise sur le commerce vers l'Orient par les voies terrestres.
Le poète rend compte aussi comment la découverte des Indes est un progrès dans la connaissance des autres pays et des cultures. «Portugais, nous sommes de l'Occident, / Nous allons à la recherche de l'Orient» écrit-il. Le voyage du grand navigateur lança, en effet, des ponts sur les océans entre Occident et Orient, reculant ainsi les limites de l'homme : Tes guerriers, appelés à des destins plus beaux*, Uniront l'ancien monde à des mondes nouveaux. Préoccupation humaniste qui occulte la violence de cette "union" réalisée bien souvent par la force et en particulier dans le second voyage que fera Vasco de Gama. Le massacre des "Infidèles" musulmans -au nom du Christianisme- ou ceux des peuples "sauvages" et "perfides" qui trahissent la confiance des navigateurs non seulement n'émeut pas le poète, mais est conforme, au contraire, à la mentalité de l'époque. C'est un prétexte à exalter les exploits guerriers des valeureux soldats dans un grossissement épique qui ne ménage pas les flots de sang. Le sang en noirs torrents inonde le vallon, Et d'une horrible pourpre a rougi le gazon.
En cela, le poème Les Lusiades fait écho à la Chanson de Roland et célèbre la Geste de Vasco de Gama et de ses compagnons. De plus, il rappelle, dans le Chant VI, avec l'histoire des douze preux appelés en Angleterre par Lancastre pour défendre l'honneur des dames, l'influence du roman courtois, Les lusiades étant à la croisée de ces diverses sources.
* plus beaux que ceux d'Ulysse ou d'Enée
Le départ de Vasco de Gama 1497 par Alfredo Roque Gameiro |
Si les chants I et II racontent les délibérations des dieux de l'Olympe, les batailles de Vasco de Gama avec les peuples arabes et le chant III et IV l'histoire des rois du Portugal, dans le chant V, Vasco de Gama accueilli par un noble personnage, le prince de Mélinde (Kenya), comme Ulysse chez Alkinoos, doit narrer son histoire à l'hôte qui le reçoit. C'est ce récit oral de Vasco de Gama que j'ai trouvé le plus intéressant et qui fait du Chant V mon passage préféré.
Le départ de Lisbonne est un moment poétique d'une grande beauté d'une douceur et d'une nostalgie communicatives. On sent bien le sentiment qui s'empare des hommes à la pensée que beaucoup d'entre eux ne reverront jamais leur famille et leur patrie.
Balançait nos vaisseaux sur les vagues mobiles.
Le cri de nos adieux retentit dans les airs.
Emportés par les vents, nous volons sur les mers.
Le soleil, près d'entrer au signe de Némée,
De ses feux inondait la nature enflammée,
Quand sur l'immensité du superbe Océan
Remparts où nous laissons un peuple dans les larmes,
Séjour de nos aïeux pour nous si plein de charmes,
Rivages paternels à nos regards si doux,
Monts de notre pays, nous fuyons loin de vous.
De Cintra par degrés les collines s'abaissent;
Les flots riants du Tage à nos yeux disparaissent.
Vasco de Gama raconte comment il suit le trace de ses prédécesseurs, étape par étape, le long de la côte ouest de l'Afrique puis jusqu'au Mozambique avant d'atteindre le pays du Gange et de l'Indus et retrace les grands moments des découvertes initiées par Henry le Navigateur, (1394-1460) roi du Portugal, qui, dans sa lutte contre l'Islam, cherche à repousser la main mise des musulmans sur la route des Indes. Henry appelle à sa cour les cosmographes, cartographes, ingénieur navals, navigateurs, et obtient le soutien financier des Compagnons du Christ. La construction de la caravelle sera l'outil essentiel à l'entreprise.
La nef de Gama passe devant Madère découverte en 1419, devant le Sénégal atteint par Dinas Dias, la Gambie révélée en 1446 par C'ada Mosto, la Serra-Leona... Le vaisseau poursuit sa route. Ce fleuve est le brillant et superbe Zaïre Qui baigne du Congo le populeux empire, Région à l'Europe inconnue autrefois, Et que le Portugal a soumise à la croix. Par delà l'équateur nous poussons notre cou. Enfin le cap des Tempêtes, appelé par la suite cap de la Bonne Espérance, que Bartolomeu Diaz fut le premier à l'atteindre, est en vue. Bartolemeu Diaz accompagne d'ailleurs Vasco de Gama au début de son voyage.
https://recitsdumonde.fr/recits/premier-voyage-de-vasco-de-gama-aux-indes/ Pendant
ce récit, le capitaine décrit les maladies qui ravagent l'équipage.
Ainsi il livre la première description qui fut faite du scorbut :
Chant V 129
Un terrible fléau termina la carrière.
Oui pourrait de ce mal décrire les horreurs?
Des malheureux marins qu'atteignaient ses fureurs
Les gencives s'enflaient, et dans leur bouche impure
Leurs chairs en se gonflant tombaient en pourriture.
Ne nous prêtait ses soins pour combattre le mal;
(...)
Oh! que l'homme aisément trouve ici-bas sa tombe!
Que faut-il à la mort! Du soldat, du héros
A la fin de son récit qui clôt le chant V, Vasco de Gama prend congé du souverain de Melinde (Kenya) et il atteint le port indien de Pantalayini, situé à une vingtaine de kilomètres de Calicut en 1498.
chant VI
Que le Gange superbe arrose de ses ondes,
Quand, du haut du grand mât, les matelots joyeux
Ont vu de loin la terre apparaître à leurs yeux.
« Amis, s'est écrié le nocher de Mélinde,
Je ne me trompe pas, c'est la terre de l'Inde ;
Elle offre à mes regards le port de Calicut;
Et si de vos travaux l'Inde seule est le but,
Ne craignez plus les flots, les vents et les orages;
Votre course finit à ces prochains rivages. »
Les autres chants continuent à célébrer les héros portugais. Ils racontent l'échec de Vasco de Gama dans ses négociations commerciales avec le Zamorin mais toujours en glorifiant l'amiral et en faisant retomber la faute sur l'étranger, Le Musulman jaloux perfidement s'exerce A rendre infructueux leurs projets de commerce (chant IX) et son retour au Portugal. Gama s'est éloigné du climat ou l'aurore Montre son front riant que la rose colore (Chant IX). On y voit aussi la muse de le Renommée prédire le destin du Portugal et la constitution de son grand empire colonial.
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