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vendredi 15 juillet 2016

Festival OFF d'Avignon 2016 : La reine de beauté de Leelane au théâtre des Corps Saints



L'action de La reine de beauté de Leelane de Martin McDonagh se situe dans un village pauvre du  Connemara, de nos jours ! La région offre peu de perspectives d’avenir, le chômage est important et les jeunes partent travailler en Angleterre où ils sont méprisés et exploités. C’est à travers quatre personnages que McDonagh fait revivre cette région d’Irlande qu’il connaît bien et ce milieu rural populaire dont il utilise la langue assez pittoresque bien servie par la traduction. Celle-ci rend, en effet, le côté primaire des personnages qui ont peu de vocabulaire et appartiennent à une classe sociale défavorisée. Pourtant, malgré la maladresse et la simplicité du ton, j'ai été émue par la lettre de Pato à Maureen et par la manière touchante dont il exprime son amour.

Maureen est une femme de quarante ans qui doit s’occuper de sa mère Mag, une femme méchante, exigeante, égoïste, qui fait tout pour la maintenir à son service en l’empêchant de vivre sa vie.  Maureen est amoureuse de Pato, son ami d’enfance, qui la proclame Reine de beauté de Leelane. Il lui écrit pour lui demander de la suivre dans son exil aux USA et confie sa lettre à son petit frère Ray. Mag va tout mettre en oeuvre pour faire échouer ce projet.

Les thèmes de la pièce sont riches et révèlent l'Irlande profonde, celle qui n'a pas encore totalement évolué.  La pauvreté, le chômage et l’exil en sont les thèmes majeurs ainsi que le poids de la religion qui prive Maureen d’une sexualité normale et la maintient auprès de sa mère malgré la haine réciproque qu’elles éprouvent l’une envers l’autre; portée à son paroxysme, cette haine peut déboucher à tout moment sur la folie et Sophie Parel qui interprète Maureen a un jeu exacerbé qui exprime la tension extrême de ce personnage et la fait paraître prête à basculer dans la violence.
La reine de beauté de Leelane est une pièce pessimiste qui touche et remue et il faut tout l’humour de McDonagh son auteur et la mise en scène enlevée, rapide, incisive voire coup de poing de Sophie Parel pour faire passer la pilule! Car on rit beaucoup au cours de cette pièce, un humour noir, corrosif qui ne laisse pas indifférent! Et puis il y a, outre Sophie Parel, les trois autres comédiens, Catherine Salviat qui est Mag, Gregori Baquet, Pato, et Arnaud Dupont, Ray, qui  interprètent magistralement tous ces personnages et provoquent le rire, font naître l’émotion. Un très bon spectacle!

Festival OFF d'Avignon 2016 : Tous contre tous d'Arthur Adamov et Les bêtes de Charif Ghattas au théâtre des Halles


Tous contre tous

Tous contre tous est une pièce interprétée en coréen (surtitrée en français) par les jeunes comédiens de l’Université nationale des Arts de Corée et mise en scène par Alain Timar. La pièce écrite en 1952 a pour thème les réfugiés. C’est un sujet que Arthur Adamov connaît bien : russo-arménien il a dû lui-même quitter la Russie avec ses parents, en 1914, quand il était enfant, pour l’Allemagne et la Suisse. Dans Tous contre tous, à la fin de la seconde guerre mondiale, Adamov fait allusion à la déportation des juifs et des minorités mais aussi aux déplacements de population liés aux nouvelles frontières de 1945. Mais, bien sûr, ce thème repris de nos jours est plus que jamais au centre de l’actualité contemporaine. 
Le sujet m’intéresse mais je n’ai pas été entièrement accrochée. Tout d’abord  la mise en scène me rappelle trop celle que Alain Timar avait concoctée pour Ubu Roi et que d’ailleurs j’avais énormément aimée ! Les comédiens sont tous en scène et changent des costumes pour incarner l’un ou l’autre des personnages. Leur manière d’évoluer très symétrique, un peu mécanique, pour souligner l’oppression, la dictature, le racisme, est justifiée, certes, mais met en valeur ce qui ne m’a pas plu dans la pièce, son aspect démonstratif. En effet, sa structure repose sur une symétrie : lorsque  la population du Sud émigre vers le Nord, il est pris en haine par ceux qui les accusent de leur prendre leur travail, mais lorsque le Nord fuit vers le Sud, la même situation se reproduitb! Histoire de montrer comme le disait Cavanna qu’on « est toujours le Rital de quelqu’un » ! Mais on avait compris, merci ! Comme souvent dans les pièces « engagées » d’une certaine époque, le dramaturge enfonce le clou pour se faire comprendre, d’où une insistance et un aspect répétitif assez ennuyeux et ceci d’autant plus que les personnages ne sont pas vraiment des êtres humains mais servent à la démonstration.

 Les bêtes


L’autre pièce mise en scène par Alain Timar est de Charif Ghattas. C’est une satire de la bourgeoisie qui se veut féroce : un couple Line et Paul collectionnent à eux deux tous les défauts de cette classe sociale aisée mais vide, intéressée seulement par l’argent et sans conscience, sans état d’âme quant à la manière de le gagner ! Superficiels en amitié, snobs quand il s’agit de relations humaines ou d’oeuvres d’art mais finalement peu cultivés, ils ne sont qu’apparence, une façade sans rien derrière ! Mais tout va changer quand ils font entrer chez eux un SDF.
Et c’est là que la pièce m’a déçue. J’espérais que l’histoire allait introduire un homme du peuple, un vrai, un personnage de chair non une idée, quelqu’un qui menacerait - même momentanément - l’équilibre du couple en lui opposant une réalité sociale. Il n’en est rien ; le SDF est du même milieu, il n’introduit pas une dimension humaine dans l’action. En fait, il est aussi pourri qu’eux et couchera avec tout le monde donnant ainsi à la pièce un petit air de vaudeville, de théâtre de boulevard. Dommage ! Tous ces personnages sont peu intéressants. La pièce est brillante, peut-être ? Méchante, sûrement ! Mais superficielle ! Un exercice de style qui fait rire mais ne me touche pas ! Par contre les comédiens qui interprètent les trois personnages sont excellents et nul doute qu’ils n’obtiennent beaucoup de succès.