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dimanche 12 février 2012

Kate Morton : Les brumes de Riverton et Captive de Margaret Atwood




 Les brumes de Riverton de Kate Morton est ce qu'il est convenu d'appeler une saga à propos d'une grande famille anglaise de l'époque victorienne. Il s'agit des Hatford qui possèdent le château de Riverton ou Grace, une jeune fille de quatorze ans, est embauchée comme bonne. Le récit est raconté de son point de vue lorsque, à l'âge de 98 ans et à la suite d'un film où la réalisatrice sollicite ses souvenirs, le passé remonte à sa mémoire avec ses moments heureux mais aussi ses  tragédies et ses secrets. Grace fait revivre l'adolescence des soeurs Hatford, Hannah et Emmelyne et de leur frère David. Elle raconte la vie de la domesticité mais aussi des maîtres à cette époque et nous livre les secrets de sa maîtresse Hannah qu'elle aime comme une soeur.  C'est bien sûr aussi son histoire que nous devinons en filigrane derrière le récit. A travers l'histoire des Hatford et de leur décadence, nous assistons à un changement de société et de mentalité avec les bouleversements  apportés par le changement de siècle et la guerre de 1914.

L'intérêt du livre tient pour moi à la connaissance historique de l'auteur, en particulier, des moeurs de l'époque victorienne que Kate Morton fait revivre devant nous. Je me suis intéressée à la vie de la domesticité dans une grande maison, aux préparations des repas et des fêtes, à la hiérarchie qui règne entre les domestiques aussi stricte que celle qui existe chez les Grands. Kate Morton nous dit qu'elle s'est inspirée entre autres, du film de Altmann, Gosford Park et, en effet, elle a su rendre cette atmosphère fébrile et solennelle qui fait d'un dîner une affaire d'honneur sinon d'état! La construction du récit est habile et bien menée puisque l'on ne comprendra qu'à la fin ce qui s'est réellement passé et pourquoi Grace se sent coupable. Les qualités du roman, facile à lire, "romanesque", histoire d'amour, jalousie, drames  ont plu puisqu'il est devenu un best seller. Personnellement, je l'ai lu sans déplaisir mais sans parvenir à me passionner entièrement pour ces personnages, peut-être parce qu'ils sont trop lisses, trop éloignés d'une réalité sociale qui était sans pitié pour les classes humbles.

On a comparé ce roman à celui de Margaret Atwood, Captive qui met en scène (à partir d'une histoire vraie) une servante, elle aussi dénommée Grace, accusée d'avoir tué son patron. Mais la ressemblance s'arrête là!  Pour moi, les deux romans ne sont pas  de la même force, n'ont pas la même ambition! Le roman de Margaret Atwood va beaucoup plus loin dans l'analyse sociale et psychologique des personnages. Atwood ne se contente pas de nous raconter une histoire comme le fait Kate Morton pour "faire plaisir", elle brosse un tableau très noir de la condition des femmes employées dans une grande maison et ses oeuvres sont en général un cri de protestation contre les violences qui leur sont faites et le mépris dans lequel on les tient. Lorsque Kate  Morton raconte la séduction d'une petite bonne (la mère de Grace) engrossée par le fils de la maison, elle montre le séducteur devenu vieux - toujours amoureux des années après- venir pleurer sur la tombe de la dulcinée qu'il n'a pu épouser. Quand Margaret Atwood écrit sur le même sujet, elle montre la jeune fille brisée, abandonnée avec mépris par celui qu'elle aime, chassée, se vidant de son sang jusqu'à la mort, à la suite d'un avortement pratiquée à la sauvette par un charlatan, une scène décrite avec un tel brio, une telle cruauté et en même temps une telle sobriété que le lecteur ne l'oubliera jamais.



Kate MORTON

Titulaire d'une maîtrise sur la littérature victorienne, férue de gothique, l'australienne Kate Morton est depuis toujours fascinée par les romans d'atmosphère. Son premier roman, Les brumes de Riverton, écrit à 29 ans, est un succès mondial, bientôt suivi par Le jardin des secrets paru aux Presses de la Cité. Mariée à un compositeur, elle est mère de deux enfants.



Ce livre a été lu dans le cadre du Challenge des 12 d'Ys sur les écrivains d'Australasie

Les autres écrivains  que j'ai lus dans la liste d'Ys et sur lesquels j'ai écrit un billet :

Un livre/ Un film : réponse à l'énigme N°21 William Irish, Fenêtre sur cour

 Fenêtre sur cour de William Irish


Le prix Hitchcock a été attribué à  : Aifelle Dasola Eeguab Jeneen Keisha Asphodèle Océane Somaja
Merci à Dominique Lire aujardin Maggie Miriam 
pour leur participation.
Le livre : William Irish  : Fenêtre sur cour
Le film Alfred Hitchcock  : Fenêtre sur cour James Stewart Grace Kelly

Cornell Woolrich(1906-1968) est plus connu sous son pseudonyme de William Irish. Il est l'auteur de nombreuses nouvelles qui ont été souvent adaptées au cinéma : La mariée était en noir et La sirène du Mississipi (François Truffaut) J'ai épousé une ombre (Robin Davis). La nouvelle Rear Window  traduit en français par Fenêtre sur cour paraît en 1942 sous le titre de It had to be a murder (Ce ne pouvait être qu'un meurtre), sous son titre définitif la même année et , en 1946, sous le titre Six times Death.

Ressemblances et Différences entre le film et la nouvelle

Le scénariste John Michale Hayes suit avec fidélité la trame narrative de la nouvelle, un homme immobilisé épie le comportement étrange d'un de ses voisins et finit par conclure qu'il s'agit d'un meutre. Mais la nouvelle ne peut suffire à la matière d'un film. Le scénariste a donc enrichi le récit initial. A partir de là, Hitchcock va imposer sa marque et réaliser une oeuvre toute personnelle. Le film va prendre une autre portée et une autre coloration.

Dans le scénario, Jeff est doté d'un  passé mais aussi d'un avenir. Dans la nouvelle nous savons seulement qu'il est immobilisé et qu'il est actif. Il n'y a pas de femme dans sa vie. Dans le film,  nous savons que Jeff est un grand reporter, qu'il aime l'aventure et hésite devant un mariage avec Lisa, la belle et séduisante Grace Kelly, car elle est tout ce qu'il n'est pas!  Il a peur d'une existence bien rangée et mondaine avec cette femme, incarnation de l'élégance et égérie de la mode New yorkaise. Il se laissera convaincre de l'épouser ( piéger serait peut-être le terme exact?) quand Lisa participe avec sang froid à l'aventure policière, mettant même sa vie en danger. Mais l'ironie Hitchcockienne intervient en montrant dans la dernière image, la jeune femme dissimulant une revue de mode sous un magazine de reportage


Les femmes ont une importance dans le film qu'elles n'ont pas dans la nouvelle où elles sont absentes. Dans le livre, en effet, le rôle de l'infirmière Stella (Thelma Ritter) est tenu par un homme à tout faire, Sam, qui  assure aussi celui de Grace Kelly en se rendant dans l'appartement du meurtrier. De fait, ce sont les femmes qui dans le film tirent les ficelles de l'action. Ce sont elles qui prennent des initiatives alors que le héros reste passif. Seul le personnage du détective, ami de Jeff, ne change pas.

La trame de la nouvelle est sèche comme le genre l'exige, réduite à l'action alors que le scénario du film va  partir dans plusieurs directions.  Car le film ne nous conte pas une histoire  mais  plusieurs : celles de la  jeune danseuse très courtisée, de la femme qui souffre de sa solitude et cherche l'amour,du couple de jeunes mariés. Ces derniers ne sont qu'esquissés dans la nouvelle alors qu'ils prennent dans le film  une importance extrême. En observant tous ses voisins Jeff révèle bien des choses sur les rapports amoureux, sur le mariage, le couple en général. Il introduit des thèmes chers à Hitchcock qui ne sont pas sous la plume de Irish, comme le voyeurisme juste effleuré par Irish, la culpabilité.

Enfin d'autres détails diffèrent aussi : dans la nouvelle Jeff est sauvé par le buste de Rousseau alors que dans le film Jeff est sauvé par l'éclair de son appareil photo, c'est le cinéma qui vient à bout de l'assassin. Et puis, marque de l'ironie hitchcockienne par excellence, si dans le livre Irish fait intervenir le médecin qui vient déplâtrer Jeff quand tout est fini, dans le film Hitchcock lui casse l'autre jambe!

Ainsi Hitchcock adopte une tonalité faite de dérision et d'humour. Le  film  est une comédie alors que la nouvelle "policière" d'Irish est franchement noire .