Pages

Affichage des articles dont le libellé est littérature allemande. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est littérature allemande. Afficher tous les articles

mercredi 15 octobre 2025

Theodor Fontan : Frau Jenny Treibel

 


Pour le challenge du roman naturaliste en Europe, j’ai choisi  de lire un écrivain allemand très connu en Allemagne et beaucoup moins en France, Theodore Fontane. C'est ce que déplore Claude David dans la préface du livre édité chez Robert Laffont. Ce volume présente quatre romans de cet auteur dont celui que j’ai lu, Frau Jenny Treibel paru en1892. 

Effectivement je ne connaissais pas Fontane et même pas de nom ! Claude David explique que l'écrivain appartient à une famille huguenote française qui chercha refuge en Allemagne après la révocation de l’Edit de Nantes et qui forme à Berlin une « colonie » restée unie au XIX siècle. Son oeuvre romanesque, dix-sept romans, commencée à l’âge de soixante ans s’achève lorsqu’il en a presque quatre-vingts en 1898. 

J’ai eu du mal à saisir toutes les allusions qui concernent les particularités historiques et les idées politiques d’une Allemagne divisée qui commence à s’unifier après la victoire de 1870 sur les Français à Sedan. Par exemple, est-ce que Fontane critique les Hambourgeois parce qu'il est contre l'unification? On nous dit qu’il est prussien et berlinois de coeur. Or, il ne cesse de critiquer la rigidité des Hambourgeois, l’éducation conventionnelle et étouffante qu’ils donnent aux filles, leur affectation, leur snobisme vis à vis des anglais à qui ils veulent ressembler : « So english ! ». 

Le récit

Theodor Fontan


Nous sommes à Berlin dans les années 1885 après la destitution de Bismarck. L’énorme indemnité payée par la France après la défaite de Sedan et les territoires annexés apportent richesse et puissance aux Allemands, amenant au pouvoir une classe bourgeoisie souvent inculte, matérialiste, mais riche, comme la décrit Fontane dans Frau Jenny Treibel.  

Jenny Triebel, fille de boutiquier, a épousé un riche conseiller commercial, Triebel, fabricant de produits chimiques, qui se lance dans la politique. Madame a désormais cinquante ans et deux fils : Otto qui travaille dans le commerce du bois et qu’elle a marié à une riche Hambourgeoise Héléna, et Léopold, un « gamin » de 25 ans, entièrement soumis à sa maman et qu’elle entend bien marier selon son choix.

Face à eux, une autre famille, Willibald Schmidt, universitaire et sa fille Corinna. Autour de ces derniers gravite « le groupe de sept sages », société constituée de professeurs qui se réunissent pour des échanges intellectuels et partager un bon repas. Marcel, un jeune professeur d’archéologie, amoureux de sa cousine Corinna, est soutenu par le père de la jeune fille. 
Or l’intelligente, fantasque et spirituelle Corinna a décidé d’épouser Léopold Triebel malgré la volonté de sa mère Jenny, et bien qu’elle considère le jeune homme comme un gentil benêt; elle n’a, d’ailleurs, pas plus de considération pour la famille Triebel. Elle veut sortir de sa classe sociale pour accéder aux plaisirs que donne la richesse et va tout faire pour séduire Léopold. 

Il y a aussi la « chère Schmolke », la servante des Schmidt, avec son franc parler. Cette dernière représente le peuple dans le roman et bénéficie de la sympathie de l’auteur. Elle aime Corinna qu’elle a connue enfant à la mort de la mère et a une vision très juste de la société.

Une vision sociale


L’intrigue est légère et tient en peu de mots : Corinne épousera-t-elle Léopold ou non ? Mais l’intérêt est ailleurs, dans la vision de la société et la critique en règle de la bourgeoisie, classe sociale que n’aime pas Fontane et dont il parle avec ironie. L’auteur oppose ici une classe sociale instruite, les professeurs, Schmidt et ses amis, qui, malgré leurs défauts, vanité, pédanterie et chicaneries, incarnent la culture et le savoir, et une classe moyenne, propriétaire, en train de se doter d’une immense richesse mais qui est inculte et sotte et tâche d’augmenter son pouvoir par les alliances et la politique, les Treibel. Le fameux repas que donne la famille chez eux, suivi d'un concert, est une véritable scène de comédie qui souligne les ridicules de chacun !

Treibel, monsieur le conseiller commercial, n’est pas un méchant homme mais il est conservateur et a «la bourgeoisie dans le sang», c’est dire qu’il est imbu de sa classe sociale mais aussi de lui-même.

 «  Treibel, ordinairement nerveux lorsque quelqu’un parlait longtemps, ce qu’il n’autorisait, mais dans ce cas avec une grande générosité, qu’à lui-même… »
 

 Jenny Triebel, est une femme qui se persuade qu’elle est très sensible et aimante. Elle se plaît à dire qu’elle aime la poésie qu’elle confond avec romantisme et sensiblerie. Mais elle est en réalité une femme au coeur sec, qui ne s’intéresse, en fait, qu’à l’argent et au pouvoir. Jeune fille, elle s’est fiancée avec Willibard Schmidt. Celui-ci,  très amoureux d’elle, comme elle aime à le rappeler, lui écrivait des poèmes. Mais elle le laisse tomber pour épouser le conseiller général Triebel. Le professeur s'en est consolé, mais il ne se fait plus d'illusion sur elle. Jenny est le personnage qui, avec, Héléna, la Hambourgeoise, est la moins sympathique de tous et que Fontane épargne le moins.

"C’est une personne dangereuse, et d’autant plus dangereuse qu’elle ne le sait pas elle-même; elle s’imagine sincèrement avoir un coeur sensible et surtout ouvert « au choses les plus hautes ». En réalité ce coeur n’est accessible qu'au tangible, à tout ce qui a du poids, qui rapporte des intérêts et elle ne cédera Léopold que contre au moins un demi-million, d’où qu’il vienne. "

 Willibard Schmidt, juge, le plus souvent, avec légèreté les gens qui l’entourent, il est d’une grande indulgence envers sa fille et n’intervient pas dans ses caprices. Il attend, au contraire que le bon sens reprenne le dessus, et admire Corinna pour son indépendance et son émancipation. Il pense qu’elle reviendra d’elle-même à la raison, tablant sur son intelligence, sa sincérité. L'éducation qu'il donne à sa fille est en avance sur son temps et fait de Corinna, une jeune fille "moderne". Il adopte sur tout une attitude détachée qui ne va pas de sa part sans un certain égoïsme. Rien ne le touche profondément, tout au moins à l’âge qu’il a atteint.  Mais quel humour !  Il résume la situation ainsi   : « On peut à la rigueur entrer dans une famille ducale, mais pas dans une famille bourgeoise. »  Quant à Rosalie Schmolke, la servante, elle représente le bon sens populaire et dit à propos de l’hypocrisie de Frau Jenny Triebel,  "elle a toujours la larme à l’oeil mais c’est des larmes qui ne coulent pas, elles veulent pas descendre "

J’ai beaucoup aimé la finesse psychologique des personnages et la complexité des caractères qui s’expriment essentiellement dans le discours. Les personnages de Fontane sont des bavards et possèdent le don de la parole. 

  Naturalisme ?


 Fontane dit de lui-même que sa plus grande qualité est de ne pas chercher à changer la nature humaine. Effectivement, le regard qu’il porte sur ses semblables est sans illusion mais jamais vraiment amer ou violent. On dirait parfois qu’il se tient à distance de ce qu’il observe, un peu comme un entomologue, avec curiosité, et un certain détachement souriant et léger. On voit qu'il ne s'agit pas d'un naturalisme à la Zola.  Le réalisme de Fontan est élégant. Il occulte le plus souvent les détails crus, la misère, la sexualité, le crime, même quand il parle du peuple pour lequel il éprouve de la sympathie. C'est pourquoi l'on a pu parler à son propos de "réalisme poétique".

Il y a pourtant un beau passage qui aborde le sujet de la prostitution mais toujours avec délicatesse quand le mari de Schmolke, à présent décédé, chargé de la police des moeurs, s'aperçoit que sa femme est jalouse des prostituées et lui explique dans le langage du peuple ce qu'éprouve tout homme qui a du coeur  : " Il sent ses cheveux se dresser sur la tête devant toute cette misère, tout ce malheur et, quand il en arrive certaines qui sont par ailleurs mortes de faim, ça arrive aussi, et nous savons que les parents sont à la maison à se tourmenter nuit et jour à cause de cette honte, parce que cette pauvre créature qui est souvent arrivée là d'une drôle de manière, ils l'aiment quand même, ils voudraient l'aider, lui porter secours, si aide et secours sont encore possibles, et bien, je te le dis Rosalie, quand il faut voir ça tous les jours, quand on a un coeur, quand on a servi dans le premier régiment de la Garde, quand on est pour l'honnêteté, la tenue, la santé, les histoires de séduction et tout ça, ça passe et on voudrait sortir et pleurer."

 

 

 







samedi 13 septembre 2025

Odon Von Horvath : Un fils de notre temps


 

  

 Odön Von Horvath

Nationalité : Hongrie 
Né(e) à : Fiume, Autriche-Hongrie , le 09/12/1901
Mort(e) à : Paris , le 01/07/1938
Biographie : 

Né dans une famille noble et catholique, mais aux idées libérales, Ödön von Horváth avait du sang hongrois, croate, tchèque, allemand. Sa nationalité était linguistique : l'allemand, sa langue maternelle. 

Détenteur d'un passeport hongrois, Odön von Horvath se défend toute sa vie d'une appartenance à une nation :"Le concept de partie falsifié par la nationalisme, m’est étranger. Ma patrie, c’est le peuple."

En 1933 il ajoute :  « Notre pays, c’est l’esprit. » 

Fils d'un diplomate austro-hongrois, il grandit dans différentes villes : de Belgrad à Budapest en passant par Vienne, Presbourg et enfin Munich, où il décide de poursuivre des études de germanistique.

Il quitte la ville, sans diplôme, pour s'installer à Murnau et se consacrer entièrement à l'écriture. Près d'un an plus tard, il part pour Berlin où une maison d'édition lui offre un contrat qui lui permet de vivre de sa plume. En 1931, il obtient le prix Kleist pour sa pièce 'Légendes de la forêt viennoise'. Il rejoint Vienne qu'il quittera à son tour pour échapper aux représailles du national-socialisme

Horváth a su en particulier renouveler la tradition du théâtre populaire pour en développer une veine critique, qui n’a rien perdu de son actualité. Von Horváth se réfugie à Paris le 26 mai 1938 avec son amie Wera Liessem pour rencontrer Robert Siodmak et discuter de l'adaptation cinéma de « Jeunesse sans Dieu.» 

Le 1er juin, alors qu'il se promène sur les Champs-Élysées, une tempête déracine un marronnier et une des branches le tue devant le théâtre Marigny

Auteur de dix-sept pièces de théâtre et de trois romans, Odön von Horvath dénonce le fascisme dans ses dernières œuvres. (Wikipédia)

Un fils de notre temps

Comment peut-on adhérer à l’idéal nazi ? Comment un jeune homme né libre peut-il accepter de perdre sa liberté, d’adhérer à une discipline qui ressemble plutôt à un lavage de cerveau? Comment peut-il être amené à tuer ceux qui, hier, lui ressemblaient, comme lui, pauvres, chômeurs, sans avenir, désespérés ?

C’est avec une grande lucidité que, devant la montée du nazisme, Odon Von Horvath écrit  Un fils de notre temps, un livre qui "urge" qui urge"
Van Horvath y décrit la société allemande dont l'économie va très mal après la défaite et le traité de Versailles de 1918, et où le sentiment de la revanche à prendre sur l’humiliation ressentie ne cesse de grandir.

Le chômage touche une grande partie de la population, avec tous ses maux, la faim, la pénurie de logement, le manque de vêtements, le froid, la misère et par dessus tout la perte de l’estime de soi. A force de pointer à la soupe populaire, de vivre d’aumônes, de voler pour manger, le personnage qui parle à la première personne dans ce roman, ne veut plus. Il refuse de continuer ainsi :

«  Je suis un homme honnête, pourtant, et ce n’est que le désespoir de ma situation qui m’a fait bailler ainsi, comme un roseau sous le vent, six sombres années durant. Le chemin penchait toujours plus et mon coeur était toujours plus triste. Oui, j’étais devenu amer. »

Le voilà donc soldat et heureux : il n’a plus faim,  il a un uniforme neuf,  un capitaine qui lui tient lieu de père (le sien, il ne l’apprécie guère !) et surtout il  est est fier de lui-même, de sa vie où tout est réglée, où l’ordre règne, de ses capacités de tireur. Il est prêt  à remplir le rôle qu’on lui demande de tenir car « la patrie ne va bien que si elle se fait craindre c’est à dire quand elle possède une arme affûtée. Et cette arme, c’est nous.  ». 
« Mais un soldat n’est pas un assassin »
leur lance leur capitaine horrifié par les crimes commis par cette armée transformée à machine à tuer et qui ne respecte pas la  déontologie. Quand on est soldat, il faut bien apprendre à tuer ! Quand on est soldat, il faut perdre son bras… pour rien et être exclu comme un chien. Bien vite, le désenchantement s’installe. Et le soldat exhorte un enfant qui le regarde mourir : 

« Et quand tu sera grand, ce sera peut-être une autre époque, et tes enfants te diront : ce soldat n’était qu’un vulgaire assassin - alors, ne m’insulte pas aussi.
Comprends donc : il ne savait pas que faire d’autre, il était un fils de son temps. »


Ce court roman écrit dans un style dépouillé, tranchant, résonne comme un cri en 1940 face à la montée des violences et de l'idéologie nazie mais il est toujours aussi actuel et nous éclaire aussi sur nous-mêmes et sur notre époque, celle de toutes les intolérances, des génocides et des guerres d’expansion qui ravagent le monde.
 

vendredi 31 janvier 2025

Todd Strasser : La Vague et Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher...

 

 EN MEMOIRE  :

 Pour célébrer le quatre-vingtième anniversaire de la libération d'Auschwitz.

La Vague de Todd Stasser est un roman paru en 1981 adapté d’un téléfilm d’après l’expérience bien réelle menée dans une classe de terminale à l’école de Cubberley à Palo Alto en Californie par un professeur d’Histoire en 1969. En 2008 sortit aussi un film portant le même titre de Dennis Gansel en Allemagne.

Selon le professeur  qui a raconté l’expérience: « Il s’agit de l’évènement le plus  effrayant que j’aie jamais vécue en une salle de classe, »

Ben Ross le professeur charismatique d'un lycée enseigne la seconde guerre mondiale à ses élèves et leur présente un film sur les camps de concentration. Les élèves, bouleversés par les images, s’étonnent qu’aucun allemand n’ait réagi et que tous aient suivi Hitler, adhéré à ses idées.

« Comment  les Allemands ont-ils pu laisser des millions d’êtres humains innocents se faire assassiner? »*

Ben Ross les invite à une expérience :  dans un premier temps il les fait « jouer » à observer une discipline stricte puis à répéter les trois slogans :  La Force par la discipline, la Force par la communauté, la Force par l’action. Il en profite d’ailleurs pour leur faire apprendre leurs leçons ! Au début, les jeunes gens  s’amusent mais peu à peu ils se piquent au jeu et ceci d’autant plus qu’une énergie nouvelle les anime, un sentiment de force, de pouvoir, une solidarité inédite naît entre eux de cette expérience.

« Les élèves sentaient une nouvelle fois monter en eux l’impression de puissance et d’unité qui les avait envahis la veille » « 

Bientôt, le professeur leur fait adopter un logo, une vague, et un geste qui ressemble à celui exécuté par Musk pendant la cérémonie d’investiture de Trump.

"Rappelez-vous, au sein de la Vague, vous êtes tous égaux. Personne n’est plus important ou plus populaire que les autres, et personne ne doit se sentir exclu du groupe."

Robert, l'un des élèves, souffre-douleur de la classe est l’un des plus enthousiastes dès le début. Désormais il fait partie du groupe car tous sont solidaires.  Serait-ce un des effets positifs de cet engouement ?

"Si tu étudies les personnes qui rejoignent les sectes, tu verras qu’il s’agit presque toujours de gens mal dans leur peau et dans leur vie. Pour eux, la secte est une façon de changer, de recommencer à zéro, comme une renaissance ".

Mais tous les adhérents de la Vague ne sont pas des exclus, loin de là :  L’équipe de foot, les élèves des autres classes viennent rejoindre le groupe, des cartes de membre sont distribués, portant le logo de ralliement.

« La Vague n’était plus une simple idée, ni même un jeu. Mais un mouvement qui avait pris corps grâce à ses élèves. C’étaient eux la Vague, et Ben comprit qu’ils pouvaient agir seuls, sans lui, s’ils le voulaient. »

Et bientôt il y un glissement vers l’intolérance. Ceux qui ne veulent pas adhérer à la Vague sont rejetés,  harcelés par les autres et même frappés. Laurie et David ainsi que les membres de la rédaction du journal  du lycée cherchent pourtant à résister et vont avertir le professeur que le mouvement prend de l’ampleur et risque de conduire au désastre.

"Ben commençait à comprendre à quel point sa « petite expérience » s’avérait bien plus sérieuse que ce qu’il avait imaginé. Ils étaient prêts à lui faire une  confiance aveugle, à le laisser décider à leur place sans hésiter une seconde - ce constat l’effrayait. Si le destin des hommes était de suivre un chef, raison de plus pour que les élèves retiennent cette leçon : Il faut toujours tout remettre en question, ne jamais faire confiance aveuglément à quelqu’un. Autrement…"

 Lui-même s’est laissé prendre un moment à ce jeu, il est si agréable d’être écouté, respecté, obéi, d’avoir un tel pouvoir sur ses élèves … mais c’est au détriment de la liberté individuelle et de la réflexion. Il lui faut alors tout arrêter et faire comprendre la leçon aux enfants.

Vous aurez appris que nous sommes tous responsables de nos propres actes et que nous devons toujours réfléchir sur ce que nous faisons plutôt que de suivre un chef aveuglément; et pour le restant de vos jours, jamais au grand jamais, vous ne permettrez à un groupe de vous dépossédez de vos libertés individuelles ».

 La vague est  un témoignage romancé à partir des écrits du professeur et du téléfilm. Ce n'est pas un grand texte littéraire mais une démonstration. Il est simple à lire et je pense qu'il constituerait une bonne base de lecture pour des élèves de 4 ième et 3 ième d'autant plus qu'il parle de l'univers scolaire. Pour ceux de la seconde à la terminale les oeuvres de Jorge Semprun, Primo Levi, sur ce sujet, sont évidemment plus complexes et plus littéraires.

La mort est mon métier de Robert Merle est aussi un livre riche et passionnant qui vient corroborer la démonstration de La Vague

"Il a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait ça sont des allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s'écrier avec horreur, comme un prêtre que j'ai connu : "Mais c'est le démon ! mais c'est le Mal !"
Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l'opinion populaire.
"Qu'on ne s'y trompe pas : Rudolf Lang n'était pas un sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l'échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.
Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l'intérieur de l'immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leur sérieux et leurs "mérites" portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l'impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l'ordre, par respect pour l'Etat, bref en homme de devoir : et c'est en cela justement qu'il est monstrueux.

 https://claudialucia-malibrairie.blogspot.com/2011/06/gitta-sereny-au-fon-des-tenebres-un.html

 

 

Martin Niemöller : Quand ils sont venus me chercher ...

 

Martin Niemöller


* J'espère que le professeur d’histoire a tout de même expliqué à ses élèves qu’il y a  eu des opposants au régime hitlérien et que ce sont eux, qui, dans les années 1930, ont été envoyés les premiers dans les camps de concentration. C’est d’ailleurs ce que nous dit le texte du pasteur de l’église protestante, Martin Niemöller.
"Martin Niemöller passa 8 ans en camp de concentration sur ordre de Hitler auquel il s'était opposé à partir de 1934. Ancien officier nationaliste de sous-marin allemand durant la Grande Guerre, devenu pasteur par refus de tuer des innocents, il est au début attiré par les thèses du parti nazi mais réalise très vite la perversion du national-socialisme et organise, avec Dietrich Bonhöffer, la dissidence anti-régime et la résistance d'une partie de l'église allemande. Arrêté en 1937 et enfermé à Sachshausen puis Dachau, il sera libéré par les Américains en avril 1945." (wikipédia)


Quand ils sont venus chercher les communistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas communiste.


Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas syndicaliste.


Quand il sont venus chercher les sociaux-démocrates, 

je n'ai rien dit,

 je n'étais pas social-démocrate.

 

Quand ils sont venus chercher les Juifs, 

je n’ai rien dit, 

je n’étais pas juif.
 

Puis, quand ils sont venus me chercher, 

il ne restait plus personne

 pour protester.

 

lundi 2 décembre 2024

Katja Schönherr : Marta et Arthur

 


Marta et Arthur de Katja Schönherr

Quand  Marta se réveille cette nuit-là et qu’elle constate la mort d'Artur, son non-époux ( car il ne voulait « surtout pas l’épouser »  ), le lecteur a quelques raisons de s’étonner. Non seulement Marta diffère le moment d’appeler son fils au téléphone mais elle a l’air de ne pas trop croire à cette mort et de souvent la remettre en cause. La voilà qui essaie de recouvrir son mari allongé dans le lit sous une couche de sable et de le déguiser en dieu de la mer en le munissant d’un trident. L’on apprendra qu’il déteste le contact du sable. Et pendant la journée et les deux nuits qui suit cette mort, se déroule le récit de cette haine qui unit le couple depuis quarante ans, et de toutes les cruautés mesquines qui ont jalonné leur vie.

Marta est une jeune fille bien malheureuse. Elle n’a pas connu son père. Sa mère boit, reçoit ses amants, la brutalise et la jette dehors le jour de ses dix-huit ans. C’est peut-être pour cela que Marta, flattée qu'un adulte s'intéresse à elle, a une relation sexuelle avec Artur, ce professeur plus vieux qu’elle, qu’elle a connu sur les bancs du lycée, lui, stagiaire-professeur et elle élève en dernière année. Outre que cet homme, froid, tatillon, étroit d’esprit, sans chaleur humaine, s’intéresse de trop près aux très jeunes filles, elle n’en est même pas amoureuse ! C’est contraint et forcé qu’il l’accueille chez lui quand elle est à la rue, puis qu’il est acculé à la vie commune lorsqu’il lui fait un enfant.

On ressent d’abord beaucoup d’empathie envers cette jeune femme dont le mari ne se dérange même pas pour aller la chercher à la maternité, elle et leur bébé, après son accouchement et semble préférer ses poissons à son fils. 

"Les deux mains appuyées sur les genoux, Artur fixait les poissons d'un air absent. Cette odeur inhabituelle montait à la tête de Marta. Elle s'assit quand même à côté d'Artur, avec son ventre évidé. Elle retira sa veste, ouvrit son chemisier et essaya d'allaiter. Le bébé ouvrit une bouche vorace. Artur ne faisait pas attention à eux. On aurait dit un personnage en cire."

Artur témoigne d'une méchanceté qui fait mouche, l'indifférence et les mots faisant plus mal que les coups. D’autre part, quand  l’enfant grandit, il paraît, lui aussi, aussi dur que son père à qui il ressemble. Pourtant, l’attitude de la mère envers lui quand il est plus grand, est dérangeante. Et quand Michaël, prévenu de la mort de son père arrive chez Marta, il apporte un autre éclairage au personnage. Est-elle vraiment une victime ?  Et l’on finit par se poser la question de savoir si Marta a glissé vers la  démence et à quel moment. N’a-t-elle pas aussi un peu « aidé » à la mort « naturelle » d’Artur ?

Ce premier roman est extrêmement maîtrisé. L’écrivaine manifeste beaucoup d’habileté dans la conduite du récit. Elle nous englue dans la grisaille de l’âme humaine, dans le désespoir sans révolte, et la non-existence. Elle nous aiguille aussi sur des voies différentes qui nous obligent à revenir sur nos certitudes.  C’est extrêmement dur et cette lecture m’a fait souffrir même si je reconnais le talent de Katja Schönherr et, peut-être, justement à cause de ce talent !

 

Voir le billet de Kathel ICI

mercredi 27 novembre 2024

Julie Zeh : Décompression


Le titre du roman de Juli Zeh Décompression est un terme de plongée sous-marine qui fait allusion aux étapes nécessaires que doit observer le plongeur lorsqu’il remonte des profondeurs pour éliminer l’azote accumulé dans le sang sous l’effet de la pression. Mais peut-être désigne-t-il aussi ce que va vivre Sven lorsqu’il accueille Jola, actrice d'une série télé et Theo, écrivain en panne d’écriture, un couple que l’on peut qualifier de toxique et qui va le prendre dans ses filets. Echappera-t-il aux vertiges des profondeurs … Saura-t-il échapper à la pression psychique, respecter les étapes de la survie ?


Sven est l’un des narrateurs du récit. Allemand, il a fui son pays pour échapper à une société nocive et factice à ses yeux, qui ne cesse de juger, de condamner son semblable. Il est professeur de plongée sur l’île Lanzarote. Il vit avec sa compagne Antje et ne s’autorise pas l’émotion et surtout pas la passion. Il pratique dans sa vie les vertus exigées par la plongée, maîtrise de soi, méthode et concentration, existence bien réglée où sa compagne et lui-même ont chacun une tâche bien définie, ce qui assure sa tranquillité d’esprit. Il va devoir se mettre au service de Jola et de Theo, non seulement pour la plongée mais pour leur faire découvrir l’île. Mais Jola est d’une beauté renversante et lui fait des avances. Théo est un mari complaisant parfois…  et jaloux toujours. Le couple se déchire et se hait, les égos s’affrontent dans leur échec respectif, la cruauté, les provocations et les coups pleuvent. Ils ont parfois  un comportement dangereux en plongée et même dans la vie courante. Sven résiste mais semble perdre pied. La trop séduisante et richissime Jola est-elle une femme innocente, victime, ou allumeuse, perverse et manipulatrice ? Quel est son but ? Jusqu’où Sven va-t-il se laisser entraîner ? Nous serions (presque) de tout coeur avec Sven si ce n’était la froideur du personnage, sa dureté, son manque d’attention envers sa compagne qu’il utilise sans l’aimer. Il donne l’impression de ne pas s’intéresser aux autres et d’avoir seulement de l’affection pour son gecko, petit animal affectueux qu’il a appelé Emil. C’est un être qui refuse de vivre.

Oui, mais… Jola  ? Elle aussi tient son journal au jour le jour. Voilà une narratrice qui raconte les évènements mais en prenant le contre-pied de ce qu’affirme Sven. Lequel des deux dit la vérité ? Le doute s’installe et il faut noter le talent de l’écrivaine pour brouiller les pistes, nous inquiéter, nous faire côtoyer le précipice qui, s’il est bien réel quand il s’agit de la plongée, n’en est pas moins psychologique. Et puis, de temps en temps, survient une échappée sur ce que pensent les autres, le ressenti de Theo, d’Antje, des habitants de l’île, qui n’éclaire pourtant pas mais complexifie.
J’avoue que j’ai été absolument fascinée par ce roman même si le suspense est angoissant. Aucun des personnages n’est vraiment sympathique mais ils ont tous une présence et une force qui nous entraînent et nous prennent au piège d’une lecture au suspense haletant.

 

Lanzarote, île des Canaries


L’île Lanzarote, archipel des Canaries, est un personnage à part entière : C’est un île volcanique austère, sans végétation, dépouillée, au relief volcanique et accidenté qui ne permet pas de circuler librement sans danger.  Elle isole, elle coupe du monde. C’est ce que veut Sven désireux de ne plus avoir ce contact avec son pays et qui se fait une règle de ne plus juger autrui, de ne jamais participer à la médisance. En même temps, elle emprisonne. Les trois personnages principaux ne peuvent se libérer les uns des autres mais ils n’échappent pas au regard d’autrui et, de ce fait, au jugement de la société.
D’ailleurs quand le Yacht du multimillionnaire Bittmann entre au port avec sa « cargaison » de personnalités, c’est tout le microcosme de la société allemande que Sven retrouve et que Julie Zeh croque sous sa dent :  frivolité, intellectualisme prétentieux, malveillance, ragots… La question est posée avec le critique littéraire que Julie Zeh n’épargne pas  : Quand on n’est pas capable d’écrire un livre, peut-on être à même de le juger ? Mais c’est vrai aussi pour toutes les formes d’art.
Enfin, il y a les plongées, les promenades sous la mer avec ses beautés et ses dangers : la scène du poisson torpille, entre autres, est remarquable et puis la découverte de l’épave qui émerveille Sven avec la descente à cent mètres de profondeur.

"Le vaisseau fantôme que je surplombais était de la longueur d’un terrain de football et gisait en deux morceaux. L’étrave se trouvait séparée du reste de la coque. La nef centrale semblait bien conservée, mise à part une grue qui s’était effondrée et barrait la passerelle.
Mon regard plongea dans un abîme opaque assez large pour avaler une vache. Un immense banc de sardines tournait autour de la cheminée, souple comme une étoffe, vif comme une créature dotée d’une volonté unique. Une grande assemblée de barracudas s’attardait à l’étage d’en dessous, trop repue pour la chasse. J’appuyai sur le déclencheur. L’île entière m’envierait  cette photo."


Enfin la lente remontée au suspense si réussi et sa surprise finale!

Keisha Ici

 

Fanja


lundi 15 janvier 2024

Annette Hess : La maison allemande

 

Dans La maison allemande de Annette Hess, nous sommes en 1963 et le deuxième procès des criminels nazis du camp d’extermination d’Autschwitz va avoir lieu à la grande la désapprobation de l’opinion publique, les journaux se faisant l’écho de  la population qui pense que l’on ne doit pas remuer le passé.

« Ce qui ressortait de la plupart des articles, c’était qu’il fallait tirer un trait sur le passé. Les vingt et un accusés étaient de gentils grands-pères et pères de famille, de braves citoyens travailleurs qui avaient traversé le processus de dénazification sans se faire particulièrement remarquer. »

Evan Bruhns, une jeune interprète allemand-polonais, est sollicitée pour traduite les  dépositions des victimes polonaises mais elle se heurte dès le début à l’opposition de ses parents Edith et Ludwig et de son fiancé Junger, un riche héritier.  Eva comme la plupart des jeunes gens de son âge a été tenue dans l’ignorance de ce qui s’est passé, les générations précédentes préférant laisser dans l’oubli l’horreur des faits et le rôle actif ou passif qui a été le leur.
Pour la jeune fille qui va traduire les témoignages et être au plus près des victimes, ce sera la prise de conscience de ce qu’a été le nazisme et l’horreur des camps de concentration. Elle découvrira la responsabilité, pour ne pas dire la culpabilité d’une grande partie de la population, y compris de ses parents. Sa compassion envers les victimes et son indignation sont d’autant plus virulentes que les accusés, presque certains de leur impunité, nient les faits et opposent indifférence et mépris aux juifs qui ont le courage de venir témoigner.  Et effectivement les peines retenues contre eux seront légères.
 

"Mais Otto Cohn leva la main.
_ J’ai une dernière chose à dire. Je sais que tous ces messieurs affirment qu’ils ne savaient pas ce qui se passait dans le camp. Le lendemain de mon arrivée, je savais déjà tout.  Et je n’étais pas le seul. Il y avait là un garçon de seize ans qui s’appelait Andreas Rapaport. Il a écrit  avec son sang sur le mur en hongrois : « Andréas mort à seize ans. ». Ils sont venus le chercher au bout de deux jours. Il m’a crié : «Je sais que je vais mourir. Dis à ma mère que j’ai pensé à elle jusqu’au dernier instant. » Mais je n’ai pas pu le lui dire car elle était morte aussi. Ce garçon, il savait ce qui se passait là-bas !
Cohn fit quelques pas en direction des accusés. Les deux poings levés , il criait.
-Il savait et vous non ? ! Vous, Non ?
!
Eva se dit que Cohn ressemblait  à un personnage de la Bible, Dieu en colère, et qu’à la place des accusés elle le craindrait. Mais ces messieurs en costume-cravate gratifiaient Cohn de regards méprisants, amusés ou indifférents. »

Pour Eva, le procès provoque un bouleversement qui va impacter toute sa vie. Un sentiment de culpabilité pèse sur elle. Les fautes des parents doivent-ils retomber sur les épaules des enfants ? C’est la question que pose ce roman.  Ainsi quand Eva va retrouver le coiffeur juif qui a survécu au camp de concentration et où sa mère l'amenait se faire coiffer, elle ne sait comment exprimer sa désolation. Après son départ,  celui-ci répond à une assistante qui demande ce que voulait sa visiteuse : " Ils veulent qu'on les console".

En même temps qu’elle découvre le passé, elle prend conscience de l’aliénation féminine dans l’Allemagne des années 60 où la femme a obligation de se marier et d’être une épouse obéissante et soumise, et obligatoirement  une mère de famille dévouée !  La dépendance dans laquelle Junger, son fiancé, veut  la maintenir n’a d’égale que le conformisme social du jeune homme même si celui-ci évolue comme on le verra au cours du récit. La différence de milieu social entre Junger qui se trouve à la tête de l’entreprise de son père et Eva, fille de propriétaires d’un petit restaurant dans un quartier populaire de Francfort, complète cette vision sociale.
Un autre personnage curieux, c’est Annegret, la soeur d’Eva, elle aussi victime des hommes. Peut-être aussi, porte-t-elle a sa manière le monstrueux passé de son pays ? Plus âgée que sa soeur Eva, elle a peut-être mieux compris ce qui se passait à ce camp ? Ses actes, ceux d’un esprit malade, sont aussi glauques que ceux des SS des camps de concentration mais le dénouement est assez surprenant, peut-être à l’image de tous ces bourreaux qui ont fini tranquillement leur vie dans leur lit, n’ayant jamais à rendre compte de leurs crimes comme on le verra  à l'issue du procès !
Un roman intéressant et lucide à la fois pour connaître cette période en Allemagne et pour l’analyse psychologique des personnages qui réagissent à ces faits.


 

lundi 24 juillet 2023

Bertold Bretch : Ariane Ascaride : Au bonheur de donner


Aux dérèglements du monde, Ariane Ascaride oppose la poésie de Bertolt Brecht, forte, engagée, drôle, irrespectueuse.

"J’avais 13 ans, je suis allée à Marseille voir chanter une dame qui s’appelait Pia Colombo. Elle a interprété une chanson qui disait « Comme on fait son lit, on se couche ». Je ne saurai jamais pourquoi ces paroles ont si fort résonné en moi. J’ai pendant des années fredonné ce refrain…
J’ai relu beaucoup de poésies de Brecht, qui est toujours présenté comme un auteur austère, sérieux et théorique… On connaît moins sa bienveillance, son humour et son sens du spectacle. Cet auteur a éclairé certains moments de ma vie et je voulais, en cette période de grand bouleversement, faire à nouveau entendre ses mots si encourageants soulignés par David Venitucci."

Ariane Ascaride
 

Mon avis

 La comédienne Ariane Ascaride dit les textes de Bertold Bretch accompagnée par l'accordéoniste  David Venitucci. Bertold Bretch chante le bonheur de donner, l'amour des autres, la solidarité avec les déshérités, l'exil, la guerre. La prestation des deux artistes est impeccable. Je n'ai pas toujours été sensible au style de la chanson réaliste même si certains textes m'ont intéressée.

 La Scala de Provence du 7 au 28 juillet 2023 à 16H

Durée: 1H10

Relâches
Les lundis 10, 17 , 24 Juillet

Textes et chansons Bertolt Brecht
Avec Ariane Ascaride
Musique originale David Venitucci
Collaboration artistique Patrick Bonnel
En hommage à Marcel Bluwal

mercredi 21 juin 2023

Stefan Zweig : Balzac


 Stefan Zweig considérait que la biographie qu’il avait entreprise de Balzac serait son oeuvre capitale. Il y travailla pendant dix ans accumulant les documents, reprenant inlassablement - comme le faisait Balzac lui-même- les textes qu’il avait rédigés, découvrant sans cesse d’autres nouveaux aspects du sujet. En 1933, face à la montée du nazisme, il s’enfuit à Londres, puis au Brésil, laissant tout derrière lui, y compris ce manuscrit inachevé. Quand il se suicide en 1942, son éditeur et ami, Richard Friedenthal, reprend les documents éparpillés en divers lieux, les rassemble et accomplit un long travail de révision dès 1943, au milieu des bombes.

La comédie humaine


Et c’est vraiment une somme que cette biographie de Balzac ! Stefan Zweig nous amène dans ce livre énorme à la découverte de l’homme physique avec ses faiblesses, ses vanités, ses outrances, et de l’écrivain soulignant sa force de travail et sa puissance visionnaire.  C’est ainsi qu’il a pu créer en un temps record, en vingt ans, et au prix d’un travail de Titan, un univers reproduisant la société de son temps, avec la représentation, du haut en bas de l’échelle, de toutes les classes sociales, de tous les métiers et la peinture de la nature humaine dans tous ses aspects psychologiques, dans toute son infinie variété. Un Démiurge ! Balzac est conscient du caractère unique de son oeuvre et de son immensité. C’est ainsi qu’il écrit, avec lucidité, dans la préface réunissant ses romans :  

L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il paraît aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que l’ouvrage terminé, le public décidera.

C’est Dante et sa Divine Comédie qui a inspiré à Balzac le titre de la sienne. La comédie humaine n’a pas pu être achevée. La mort interrompt son oeuvre prématurément. Balzac est victime de son incroyable mode de vie ! Il s’éteint à l’âge de 51 ans, épuisé, usé par sa démesure, par le travail incessant, par les nuits sans sommeil à son bureau, la consommation abusive de café, son poids excessif, et ses tourments. Il ne devait pas être de tout repos, en effet, d’être si endetté qu’il lui fallait vivre caché, fuir d’un logement à l’autre pour échapper aux créanciers ou se réfugier en catimini chez des amis ! Mais l’homme a un optimisme et une joie de vivre qui lui permettent de rebondir chaque fois.


L’homme et l’écrivain

Honoré de Balzac dans sa robe de chambre de travail

Ce que j’ai apprécié dans cette biographie, c’est que Stefan Zweig, malgré son admiration fervente pour Balzac qu’il considère comme le plus grand écrivain de son époque ( et non Victor Hugo ? Cela se discute ! ) n’occulte ni les faiblesses de l’homme qui se répercutent sur l’oeuvre, ni celles de l’écrivain.  Il me permet de mieux comprendre pourquoi j’ai parfois des réserves quand je lis certains des romans de Balzac.

Pour des raison financières et pour se rendre indépendant de ses parents Balzac écrit, dans sa jeunesse, des romans feuilletons médiocres dans un style relâché et sentimentaliste qui se ressent dans nombre de ses romans postérieurs. Zweig, dans son culte pour l’écrivain, parle même de prostitution à propos de ces textes ! Balzac en était conscient puisqu’il n’a jamais signé cette sous-littérature que par des noms d’emprunt. Le style de Balzac explique Zweig a longtemps porté les marques de ce relâchement quand il a enfin écrit sous son nom et est devenu un écrivain célèbre. Il ne se défait de ces défauts que dans les grands romans de la fin dans les années de 1841 à 1843 : La Rabouilleuse, une Ténébreuse affaire, Les illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes, et surtout ces deux titres :  la Cousine Bette, le cousin Pons… Le biographe analyse les plus grands romans de l’écrivain et nous révèle ainsi ses réussites et son talent.

Car ces deux romans Le cousin Pons et la Cousine Bette, sortis du plan primitif des Parents pauvres, sont ce qu’il a produit de plus grand. Ici, au sommet de sa vie, Balzac atteint le plus haut sommet de son art, jamais son regard ne fut plus clair, sa main d’artiste plus sûre, plus impitoyable. (…)  En eux plus de faux idéalisme, plus de ce romantisme doucereux qui rend pour nous irréelles et par suite sans action plus d’une de ses oeuvres antérieures.

Balzac, à la suite d’affaires catastrophiques sera toute sa vie endetté!  Sa fuite en avant, son style de vie dispendieux, sont responsables du fait que ses dettes non seulement s’accumulent mais se démultiplient si bien qu’il n’a pour solution que d’écrire toujours plus de livres pour gagner toujours plus d’argent sans jamais parvenir à assainir ses finances. On ne peut pas écrire autant, pressé par la manque d'argent, et n'écrire que des chefs d'oeuvre  aussi tous les romans de Balzac ne sont pas au même niveau !

De plus, Zweig souligne le snobisme de l’écrivain à propos de la noblesse. Il est le Stefan Bern de son époque mais avec le génie en plus !  Petit-fils de paysans, il ajoute une particule à son nom, se réclamant indûment des Balzac d’Entraygues, orne son carrosse d’un blason auquel il n’a aucun droit et devient la risée du Tout-Paris. Légitimiste, il est le larbin de tout ce qu’il y a de plus réactionnaire dans Paris. Son admiration des grandes dames le rend servile et n’est égal qu’au mépris qu’il éprouve pour les femmes du peuple ou les bourgeoises.  Zweig parle à son propos d’une vanité puérile et ridicule. Son arrivisme s’accompagne d’un manque de goût évident, d’un luxe ostentatoire. Evidemment, tout ceci marque son oeuvre.

Mais il rattrape tout cela par la force de sa volonté qui le maintient à son bureau : Balzac, alors qu’il est maladroit en société, a une intelligence supérieure pour l'analyser et en révéler les dessous. Il comprend tout de l’âme humaine et possède une vision lucide de tous les rouages de la société. C’est un géant de la littérature !

Dans ces romans de la période de maturité, les manies mondaines et aristocratiques qui rendent si pénibles les oeuvres de la précédente période, disparaissent progressivement; Son regard a peu à peu appris à pénétrer la prétendue haute société qu’il adorait avec le respect involontaire du plébéien. Les salons du Faubourg Saint Germain ont perdu de leur magie.


Un hommage à Stendhal


Ce qui m’a réconcilié avec Balzac, aussi, c’est qu’il reconnaît le génie de Stendhal, qui était tout à fait méconnu dans les années 1825 -1840. Et là, quand il s’agit de littérature, il cesse d’être mesquin ! Il lui rend un vibrant hommage. Avec Hugo et dans un style complètement opposé, Stendhal est mon écrivain préféré de l'époque de Balzac.

Balzac écrit : " J’ai déjà lu, dans Le Constitutionnel, un article tiré de la Chartreuse qui m’a fait commettre le péché d’envie. Oui, j’ai été saisi d’un accès de jalousie à cette superbe et vraie description de la bataille que je rêvais pour Les scènes de la vie militaire, la plus difficile portion de mon oeuvre; et ce morceau m’a ravi, chagriné, enchanté, désespéré. "

Et Zweig commente : "Rarement le regard magique de Balzac s’est manifesté plus splendide qu’ici, où parmi les milliers et les milliers de livres de son temps, c’est justement celui-là, le plus ignoré, qu’il vante. Il célèbre comme un chef d’oeuvre, comme le plus grand chef d’oeuvre de son époque, La Chartreuse de Parme... qu’il appelle  " le chef d’oeuvre de la littérature des idées".


L’entourage de Balzac

Laure de Berny, la Dilecta

Stefan Zweig peint aussi des portraits passionnants des femmes et des amis qui ont joué un rôle dans la vie de Balzac : sa mère qui ne l’a jamais aimé. Zweig la peint sans complaisance comme une petite bourgeoise méchante, dépourvu d’instinct maternel, proche de ses sous, à l’esprit étriqué et conventionnel. Dans une autre biographie de Balzac écrite par Titiou Lecoq ICI, celle-ci prend la défense de Madame Balzac. Ce ne devait pas être de tout repos d’être la mère de cet énergumène et celui-ci a toujours fait appel à elle quand il avait besoin de ses services pour mieux la critiquer après.
Stefan Zweig brosse aussi un beau portrait de madame de Berny, le premier amour de Balzac, la Dilecta ! Et un autre, sévère, de Madame de Hanska, la grande dame russo-polonaise, vaniteuse, égoïste et superficielle.

Cette biographie nous apprend beaucoup sur Balzac et son oeuvre et elle est aussi très agréable à lire. En fait, elle se lit comme un roman et c’est bien de cela qu’il s’agit, le roman d’une vie, et ce personnage hors du commun nous réserve bien des surprises. D’autre part, découvrir ou redécouvrir la genèse de chaque livre est passionnant. Un livre à lire !

 Oeuvres de Balzac  dans ce blog ICI


 Le Balzac de Stefan  Zweig est ma participation à la Quinzaine de Balzac chez Patrice et Eva;  et la Barmaid des lettres du 15 juin au 30 Juin

 

 

Ceci est le premier livre lu pour le challenge Les épais de l'été initié par Taloiduciné chez Dasola. Il remplace le challenge de Brize que celle-ci a souhaité arrêter après 11 années. Du 21 Juin au 29 Septembre.

Balzac de Stefan Zweig : 664 pages


POUR LES EPAIS DE L'ETE QUI VEUT FAIRE UNE LC AVEC MOI A RENDRE LE 25 SEPTEMBRE : LA CHARTREUSE DE PARME de STENDHAL. 

 Je ne l'ai pas lu depuis très longtemps et une relecture ne me déplairait pas !

 


Si vous voulez me rejoindre inscrivez-vous dans les commentaires.



mercredi 3 mai 2023

Leon Morell : Le ciel de la chapelle Sixtine


Le ciel de la chapelle Sixtine de Leon Morelle raconte les quatre années consacrées à la peinture du  plafond de la chapelle Sixtine, travail imposé à Michel Ange par le pape Jules II et que l’artiste vécut comme un cauchemar.  Il faut dire que Michel Ange ne se considérait pas comme peintre mais comme sculpteur et n’était heureux que devant un bloc de marbre. En 1508, lorsqu’il commence ce travail titanesque, Michel Ange n’a pas d’expérience au niveau de la fresque. De plus, le plafond de la Sixtine avec ses bosses, ses replats, est une surface particulièrement difficile à maîtriser. Mais le pape s’entête, conseillé par son favori, l’architecte et peintre Bramante, jaloux de Michel Ange qu’il espère voir échouer. Michel Ange n’a pas vraiment le choix, les geôles du Château Saint Ange ou obéir.

 

La chapelle Sixtine, plafond inauguré en 1512 devant le pape Jules II

Leon Morelle imagine un personnage fictif, Aurélio, jeune homme d’une grande beauté, qui  entre dans l’atelier de Michel Ange comme apprenti et surtout comme modèle, inspirant les personnages d’Adam ou de jeunes éphèbes qui peuplent le plafond de la Sixtine. C’est à travers ce personnage, tout à fait crédible, que l’on va suivre les étapes de la fresque, les découragements, les tâtonnements, les échecs, mais aussi les progrès fulgurants de l’artiste pour maîtriser la technique de la fresque, sa maîtrise du dessin et de la couleur, son imagination foisonnante, et ses traits de génie qui susciteront l’émerveillement dans tous les pays de la Renaissance. Nous apparaît aussi, à travers les yeux du jeune homme, la personnalité de Michel Ange, un homme tourmenté, qui rejette le péché de la chair et son homosexualité latente, un chrétien qui est imprégné d’histoire biblique, un artiste qui ne vit que pour son art, la sculpture. Un homme capable de se priver de sommeil, de nourriture, qui vit son art comme une ascèse et qui refuse à ses compagnons d’atelier - qu’il a pourtant fait venir de Florence -  d’intervenir dans son travail de création même si ce sont des artistes renommés. Autour d'eux gravitent tout une foule de personnages célèbres dont le moindre n'est pas celui de Rafaël en train de peindre les stanze du palais du Vatican, ou encore Erasme que Michel Ange admire.

 J’ai moins aimé, par contre, le personnage fictif de la courtisane Aphrodite qui vit dans le palais pontifical et est la maîtresse de Jules II. La manière dont elle intervient dans la vie de Michel Ange ne m’a pas paru convaincante. Pour montrer la prostitution et la dépravation de l’Eglise, le personnage de Magherita, jeune et belle jeune femme que Aurélio rencontre sur la route de Flaminia, en direction Rome, suffit amplement.

 Peu à peu, les différentes scènes de la Bible se créent devant nous et font de ce roman historique très bien documenté un livre très intéressant.


De Zacharie et Jonas : évolution de la technique et des coloris

 

Le prophète Zacharie

Michel Ange a commencé les fresques du plafond  par la partie située au-dessus de la porte d'entrée de la chapelle avec Le prophète Zacharie. Il a terminé par la partie située au-dessus de l'autel, près du mur du Jugement dernier qu'il peindra plus tard, avec le prophète Jonas qui témoigne de l'évolution de la technique du dessin, de la composition et des couleurs, au cours de ces années.

Le prophète Jonas

Des premières scènes aux dernières

 

L'ivresse de Noë

La première scène est L'ivresse de Noë trop classique, sans inventivité, aux coloris froids; la deuxième est le Déluge pour laquelle le peintre se reprochait d'avoir placé trop de personnages.

 

Le Déluge

Dans les dernières scènes, la création d'Adam, la création du soleil et des plantes,  la séparation de la lumière et des ténèbres, Michel Ange est arrivé à l'apogée de son art et maîtrise la fresque plus qu'aucun  artiste ne l'a jamais fait !


Michel Ange  : Dieu créa le soleil et les plantes


(Détail)  Michel Ange  : Dieu créa le soleil


Voir aussi dans mon blog : Rome la chapelle Sixtine redécouverte par Robin Richmond  

jeudi 5 janvier 2023

Je lis donc je suis !

 

 

Aifelle a lancé le jeu annuel et maintenant traditionnel du début d'année : Je pense donc je lis !

Voilà ce qu'écrit Aifelle : "Un titre en forme de déclaration aussi péremptoire me fait rire. Ceux qui ne lisent pas ne seraient donc pas ? allons donc .. mais quelque part, c'est un plus me semble-t-il. Toujours est-il que je me suis livrée au jeu rituel de fin d'année. Je rappelle la règle. Répondre aux questions en utilisant uniquement les titres de livres lus en 2022."  Je vous renvoie à son billet ICI  .

 

Pour souligner le "c'est un plus" d'Aifelle, voici les deux citations mises en exergue sur la page d'accueil de mon blog et toujours tellement vraies.

 


 

 

"Lire c'est boire et manger. L'esprit qui ne lit pas maigrit comme le corps qui ne mange pas". Victor Hugo


Les livres "c'est la meilleure des munitions que j'aie trouvée en cet humain voyage". Montaigne






 

 J'ai répondu facilement aux questions et j'ai eu souvent à choisir entre plusieurs titres sauf pour le moyen de transport  dont la réponse est,  je l'avoue, un peu tirée par les cheveux. Mais pourquoi pas ? Marcher sur les ailes du vent... 

 Autrement, je crois que cela fonctionne ? Qu'en pensez-vous ?

Décris-toi ... 

Petite    Edward Carey : Petite

Comment te sens-tu ?

 Celle qui pleurait tous l’eau  Niko Tackian : Celle qui pleurait sous l'eau

Décris où tu vis actuellement ...

L’île sous la mer   Isabelle Allende : L’île sous La mer

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?    

Dans ce jardin qu’on aimait   Pascal Quignard : Dans ce jardin qu'on aimait

Ton moyen de transport préféré ?

 Qui sème le vent : Marieke Lucas Rijneveld : Qui sème le vent

Ton/ta meilleur(e) ami(e) est ...

La pupille de Thorpe-Combe  Frances Trollope : La pupille de Thorpe-Combe

Toi et tes amis vous êtes ...

A l’ombre des loups  Alvydas Slepikas : A l’ombre des loups 

ou dans la gueule de l'ours  : Jamie McLaughin : Dans la gueule de l’ours

Comment est le temps ?

Un pays de neige et de cendres  Petra Rautianen : Un pays de neige et de cendres

Quel est ton moment préféré de la journée ?

Le tournesol suit toujours la lumière du soleil  Martha Hall Killy : Le tournesol  suit toujours la lumière du soleil

Qu'est la vie pour toi ?

Je refuse  : Per Petterson : Je refuse   

Ta peur ?

L’invention du diable Hubert Haddad : L'invention du diable

Quel est le conseil que tu as à donner ?

Rompre le silence : Mechtild Borrmann : Rompre le silence

La pensée du jour ...

Gagner la guerre Jean-Philippe Jaworsky : Gagner la guerre

Comment aimerais-tu mourir ? 

Au nom du bien Jake Hinkson : Au nom du bien

Les conditions actuelles de ton âme ?

Apaiser les tempêtes   Jean Hagland : Apaiser nos tempêtes

Ton rêve ?

Le royaume de ce monde  Alejo Carpentier : Le royaume de ce monde

 

 

Et vous quelles citations proposez-vous pour décrire tout ce qu'apporte la lecture, "ce plus" dont parle Aifelle et qui nous fait vivre, nous, lecteurs !

Déposez vos citations dans les commentaires et je les noterai dans ce billet pour constituer un petit recueil.