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dimanche 17 novembre 2024

Partir en mer avec les poètes

Caillebotte

 Il fallait pour participer au Book trip en mer de Fanja un peu de poésie. Voici quelques textes poétiques pour partir en voyage !

 Homère :  Charybde et Scylla

Charybde et Scylla
 

Tels sont ces deux écueils. L’un, de son faîte aigu, atteint le haut Ouranos, et une nuée bleue l’environne sans cesse, et jamais la sérénité ne baigne son sommet, ni en été, ni en automne ; et jamais aucun homme mortel ne pourrait y monter ou en descendre, quand il aurait vingt bras et vingt pieds, tant la roche est haute et semblable à une pierre polie. Au milieu de l’écueil il y a une caverne noire dont l’entrée est tournée vers l’Érébos ; et c’est de cette caverne, illustre Odysseus, qu’il faut approcher ta nef creuse. Un homme dans la force de la jeunesse ne pourrait, de sa nef, lancer une flèche jusque dans cette caverne profonde. Et c’est là qu’habite Scylla qui pousse des rugissements et dont la voix est aussi forte que celle d’un jeune lion. C’est un monstre prodigieux, et nul n’est joyeux de l’avoir vu, pas même un Dieu. Elle a douze pieds difformes, et six cous sortent longuement de son corps, et à chaque cou est attachée une tête horrible, et dans chaque gueule pleine de la noire mort il y a une triple rangée de dents épaisses et nombreuses. Et elle est plongée dans la caverne creuse jusqu’aux reins ; mais elle étend au dehors ses têtes, et, regardant autour de l’écueil, elle saisit les dauphins, les chiens de mer et les autres monstres innombrables qu’elle veut prendre et que nourrit la gémissante Amphitrite. Jamais les marins ne pourront se glorifier d’avoir passé auprès d’elle sains et saufs sur leur nef, car chaque tête enlève un homme hors de la nef à proue bleue. L’autre écueil voisin que tu verras, Odysseus, est moins élevé, et tu en atteindrais le sommet d’un trait. Il y croît un grand figuier sauvage chargé de feuilles, et, sous ce figuier, la divine Charybde engloutit l’eau noire. Et elle la revomit trois fois par jour et elle l’engloutit trois fois horriblement. Et si tu arrivais quand elle l’engloutit, Celui qui ébranle la terre, lui-même, voudrait te sauver, qu’il ne le pourrait pas. Pousse donc rapidement ta nef le long de Scylla, car il vaut mieux perdre six hommes de tes compagnons, que de les perdre tous."

 

Victor Hugo

Eugène Boudin:  un grain

Oceano nox

Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

Combien de patrons morts avec leurs équipages !
L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
Vous roulez à travers les sombres étendues,
Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
Ceux qui ne sont pas revenus !

On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
Puis votre souvenir même est enseveli.
Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
Parlent encor de vous en remuant la cendre
De leur foyer et de leur coeur !

Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
Pas même la chanson naïve et monotone
Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
O flots, que vous savez de lugubres histoires !
Flots profonds redoutés des mères à genoux !
Vous vous les racontez en montant les marées,
Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!

 

 Albert Samain

 

William Turner : Soleil levant Venise

 

Matin sur le port

Le soleil, par degrés, de la brume émergeant,
Dore la vieille tour et le haut des mâtures ;
Et, jetant son filet sur les vagues obscures,
Fait scintiller la mer dans ses mailles d’argent.

Voici surgir, touchés par un rayon lointain,
Des portiques de marbre et des architectures ;
Et le vent épicé fait rêver d’aventures
Dans la clarté limpide et fine du matin.

L’étendard déployé sur l’arsenal palpite ;
Et de petits enfants, qu’un jeu frivole excite,
Font sonner en courant les anneaux du vieux mur.

Pendant qu’un beau vaisseau, peint de pourpre et d’azur
Bondissant et léger sur l’écume sonore,
S’en va, tout frissonnant de voiles, dans l’aurore.

Albert Samain, Le chariot d’or

 

Blaise Cendrars

Le douanier Rousseau

  Iles

Iles
Iles où l'on ne prendra jamais terre
Iles où l'on ne descendra jamais
Iles couvertes de végétations
Iles tapies comme des jaguars
Iles muettes
Iles immobiles
Iles inoubliables et sans nom
Je lance mes chaussures par-dessus bord car je voudrais bien aller jusqu'à vous.

 

Jules Supervielle

Georges Lemmen : la plage de Heist

 

 Quand nul ne la regarde

Quand nul ne la regarde,
La mer n’est plus la mer,
Elle est ce que nous sommes
Lorsque nul ne nous voit.
Elle a d’autres poissons,
D’autres vagues aussi.
C’est la mer pour la mer
Et pour ceux qui en rêvent
Comme je fais ici.

 

Jules Supervielle

Félix Valotton : la marée montante

 La mer n'est jamais loin de moi

La mer n'est jamais loin de moi,
Et toujours familière, tendre,
Même au fond des plus sombres bois
À deux pas elle sait m'attendre.
Même en un cirque de montagnes
Et tout enfoncé dans les terres,
Je me retourne et c'est la mer,
Toutes ses vagues l'accompagnent,
Et sa fidélité de chien
Et sa hauteur de souveraine,
Ses dons de vie et d'assassin,
Enorme et me touchant à peine,
Toujours dans sa grandeur physique,
Et son murmure sans un trou,
Eau, sel, s'y donnant la réplique,
Et ce qui bouge là-dessous.
Ainsi même loin d'elle-même,
Elle est là parce que je l'aime,
Elle m'est douce comme un puits,
Elle me montre ses petits,
Les flots, les vagues, les embruns
Et les poissons d'argent ou bruns.
Immense, elle est à la mesure
De ce qui fait peur ou rassure.
Son museau, ses mille museaux
Sont liquides ou font les beaux,
Sa surface s'amuse et bave
Mais, faites de ces mêmes eaux,
Comme ses profondeurs sont graves !

 

Alain Bosquet

Henri Edmond Cross : Les îles d'or

  Mer

La mer écrit un poisson bleu,
efface un poisson gris.
La mer écrit un croiseur qui prend feu,
efface un croiseur mal écrit.
Poète plus que les poètes,
musicienne plus que les musiciennes,
elle est mon interprète, la mer ancienne,
la mer future, porteuse de pétales,
porteuse de fourrure.
 Elle s’installe au fond de moi :
 la mer écrit un soleil vert,
efface un soleil mauve.
La mer écrit un soleil entrouvert
sur mille requins qui se sauvent.
 Alain Bosquet

 

 

 Et la mer en musique avec Claude Debussy

 


 

 


 

lundi 11 novembre 2024

Normandie Calvados Caen : Exposition : Le spectacle de la marchandise, Ville, art et commerce avec Zola et Proust (2)

Joseph Hornecker : Les magasins Réunis à Epinal (1908)
 

L'Exposition Le spectacle de la marchandise, Ville, art et commerce que je suis allée voir à Caen au mois de Juin au musée des Beaux-Arts de Caen, installé dans le château ducal, s’intéresse à la manière dont le développement commercial sans précédent des villes se manifeste dans le regard des artistes de 1860 à 1914. À nouveau, le musée adopte un point de vue élargi sur les oeuvres produites avant la Première Guerre mondiale, déplaçant les oppositions habituelles pour mêler différentes visions d’une même modernité : Jules Adler et Fernand Pelez sont exposés aux côtés de Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Raoul Dufy, Maximilien Luce ou Théophile Steilen... Le parcours fait revivre le bouillonnement des villes marchandes à travers une centaine d’oeuvres (peintures, photographies, films, dessins, gravures) auxquelles se mêlent de petits ensembles d’enseignes commerciales, d’affiches publicitaires et d’objets promotionnels. (Texte site du musée)

Mais déjà avant cette époque : 

 


Les Grands Magasins : Paris

 Dans les grandes métropoles, au premier rang desquelles Paris, les lieux de commerce se multiplient et se diversifient. L’apparition des grands magasins n’entraîne pas la disparition des vendeurs ambulants, des échoppes ou des boutiques traditionnelles. La rue prolonge la boutique. Les marchandises abondent et le spectacle est permanent.

 

Victor Gilbert : Une fruitière

Camille Pissarro : l'avenue de l'opéra


Camille Pissarro dépeint l’activité débordante des nouvelles voies percées au coeur de Paris par le baron Haussmann avec une circulation abondante de passants et de voitures dans l’avenue de l’opéra  bordée de devantures, qui débouche sur l’opéra Garnier.

 

Giuseppe de Nittis  1878)  Le percement de l'avenue de l'opéra entre 1876 et 1879
 

Paris est le symbole de la ville moderne avec ses larges artères et l’invention du grand magasin qui constitue un phénomène spécifiquement parisien. Le Bon Marché ouvre en 1852.

Affiche Au Tapis rouge ( 1872)
 

Le grand magasin Au Tapis rouge a été détruit par les incendies de la fin de la commune de Paris. Il est reconstruit et réouvert en 1872. Sur la gauche, une femme soulève un rideau semblable à celui d'un théâtre pour dévoiler le spectacle du  grand magasin,  avec son monogramme TR  porté par un phénix, symbole du magasin, avec ses  enseignes, les voitures de livraison, la foule. A gauche le phénix  renaît des flammes de l'ancien magasin.

C'est le spectacle que Denise, le personnage principal de Le bonheur des Dames d'Emile Zola, découvre avec admiration quand elle arrive à Paris.

"Denise hocha la tête. Elle avait passé deux ans là-bas, chez Cornaille, le premier marchand de nouveautés de la ville ; et ce magasin rencontré brusquement, cette maison énorme pour elle, lui gonflait le cœur, la retenait, émue, intéressée, oublieuse du reste. Dans le pan coupé donnant sur la place Gaillon, la haute porte, toute en glace, montait jusqu’à l’entresol, au milieu d’une complication d’ornements, chargés de dorures. Deux figures allégoriques, deux femmes riantes, la gorge nue et renversée, déroulaient l’enseigne : Au Bonheur des Dames. Puis, les vitrines s’enfonçaient, longeaient la rue de la Michodière et la rue Neuve-Saint-Augustin, où elles occupaient, outre la maison d’angle, quatre autres maisons, deux à gauche, deux à droite, achetées et aménagées récemment. C’était un développement qui lui semblait sans fin, dans la fuite de la perspective, avec les étalages du rez-de-chaussée et les glaces sans tain de l’entresol, derrière lesquelles on voyait toute la vie intérieure des comptoirs. En haut, une demoiselle, habillée de soie, taillait un crayon, pendant que, près d’elle, deux autres dépliaient des manteaux de velours."

Jules Chéret : Les grands magasins de la Paix

Mais souvent les artistes peignent l'extérieur plutôt que l'intérieur des magasins, les rues, les boulevards qui débordent de passants mais aussi de marchandises, les boutiques, les échoppes animées, les marchés, les marchands ambulants, qui continuent à vivre à côté des grands magasins.

 

Nicolas Tharkhoff : Boulevard des italiens

 

Pierre Bonnard: Boulevard de Clichy
 

Pierre Bonnard: Boulevard de Clichy marchande ambulante (détail)


Victor Gilbert : Le carreau des Halles


Victor Gilbert : Le carreau des Halles (détail)

Victor Gilbert : Le carreau des Halles (détail)


Kupka : Les boutiques ( 1908_1910)


Maximilien Luce : Rue des Abbesses


Maximilien Luce : Rue des abbesses (détail)


C'est ce "dehors" que Marcel Proust dans La prisonnière choisit de décrire par l'intermédiaire des bruits qu'il entend de sa chambre le matin au réveil.

 "Dehors, des thèmes populaires finement écrits pour des instruments variés, depuis la corne du raccommodeur de porcelaine, ou la trompette du rempailleur de chaises, jusqu’à la flûte du chevrier, qui paraissait dans un beau jour être un pâtre de Sicile, orchestraient légèrement l’air matinal, en une « ouverture pour un jour de fête ». L’ouïe, ce sens délicieux, nous apporte la compagnie de la rue, dont elle nous retrace toutes les lignes, dessine toutes les formes qui y passent, nous en montrant la couleur. Les rideaux de fer du boulanger, du crémier, lesquels s’étaient hier abaissés le soir sur toutes les possibilités de bonheur féminin, se levaient maintenant comme les légères poulies d’un navire qui appareille et va filer, traversant la mer transparente, sur un rêve de jeunes employées. Ce bruit du rideau de fer qu’on lève eût peut-être été mon seul plaisir dans un quartier différent. Dans celui-ci cent autres faisaient ma joie, desquels je n’aurais pas voulu perdre un seul en restant trop tard endormi. C’est l’enchantement des vieux quartiers aristocratiques d’être, à côté de cela, populaires."

 

Adolphe Binet : la marchande de fleurs


"Certes, la fantaisie, l’esprit de chaque marchand ou marchande, introduisaient souvent des variantes dans les paroles de toutes ces musiques que j’entendais de mon lit. Pourtant un arrêt rituel mettant un silence au milieu d’un mot, surtout quand il était répété deux fois, évoquait constamment le souvenir des vieilles églises. Dans sa petite voiture conduite par une ânesse, qu’il arrêtait devant chaque maison pour entrer dans les cours, le marchand d’habits, portant un fouet, psalmodiait : « Habits, marchand d’habits, ha… bits » avec la même pause entre les deux dernières syllabes d’habits que s’il eût entonné en plain-chant : « Per omnia saecula saeculo… rum » ou : « Requiescat in pa… ce », bien qu’il ne dût pas croire à l’éternité de ses habits et ne les offrît pas non plus comme linceuls pour le suprême repos dans la paix." Proust La prisonnière


Du dehors au dedans 


Félix Valotton : chez la modiste

Félix Valotton est un de ces artistes qui nous fait pénétrer à l'intérieur comme dans ce tableau peignant le magasin Le bon marché ou une foule de clientes entièrement féminine se presse et se bouscule pour acheter des coupons de tissu à des marchands obséquieux, dans un rapprochement parfois presque trop intime et fiévreux animé par la passion commerciale qui  les saisit tous.


Félix Valotton : Le bon marché


Zola aussi va nous faire pénétrer à l'intérieur du magasin d'Octave Mouret Le bonheur des dames. D'abord par les vitrines dont il décrit la magnificence :

"Mais la dernière vitrine surtout les retint. Une exposition de soies, de satins et de velours, y épanouissait, dans une gamme souple et vibrante, les tons les plus délicats des fleurs : au sommet, les velours, d’un noir profond, d’un blanc de lait caillé ; plus bas, les satins, les roses, les bleus, aux cassures vives, se décolorant en pâleurs d’une tendresse infinie ; plus bas encore, les soies, toute l’écharpe de l’arc-en-ciel, des pièces retroussées en coques, plissées comme autour d’une taille qui se cambre, devenues vivantes sous les doigts savants des commis ; et, entre chaque motif, entre chaque phrase colorée de l’étalage, courait un accompagnement discret, un léger cordon bouillonné de foulard crème. "

à l'intérieur :

"Enfin, on rouvrit les portes, et le flot entra. Dès la première heure, avant que les magasins fussent pleins, il se produisit sous le vestibule un écrasement tel, qu'il fallut avoir recours aux sergents de ville, pour rétablir la circulation sur le trottoir. Mouret avait calculé juste: toutes les ménagères, une troupe serrée de petites-bourgeoises et de femmes en bonnet, donnaient assaut aux occasions, aux soldes et aux coupons, étalés jusque dans la rue. Des mains en l'air, continuellement, tâtaient «les pendus» de l'entrée, un calicot à sept sous, une grisaille laine et coton à neuf sous, surtout un Orléans à trente-huit centimes, qui ravageait les bourses pauvres. Il y avait des poussées d'épaules, une bousculade fiévreuse autour des casiers et des corbeilles, où des articles au rabais, dentelles à dix centimes, rubans à cinq sous, jarretières à trois sous, gants, jupons, cravates, chaussettes et bas de coton s'éboulaient, disparaissaient, comme mangés par une foule vorace."

 

A hauteur d'enfants


Edouard Vuillard : l'écharpe rouge


Deux images montrent les enfants en promenade dans la ville : Peint à hauteur de la petite fille, dans une composition audacieuse, le tableau de Vuillard coupe la silhouette de l'homme qui accompagne et adopte la vision de l'enfant.

 

Geoffroy Henry Photogravure : Sur le chemin de l'école

Les enfants aussi intéressent les grands magasins puisqu'ils peuvent être à l'origine d'un achat, jouets, vêtements ...  En les  séduisant, on ferre la mère. C'est l'idée d'Octave Mouret.

 "Mais son idée la plus profonde était, chez la femme sans coquetterie, de conquérir la mère par l'enfant ; il ne perdait aucune force, spéculait sur tous les sentiments, créait des rayons pour petits garçons et fillettes, arrêtait les mamans au passage, en offrant aux bébés des images et des ballons. Un trait de génie que cette prime des ballons, distribuée à chaque acheteuse, des ballons rouges, à la fine peau de caoutchouc, portant en grosses lettres le nom du magasin, et qui, tenus au bout d'un fil, voyageant en l'air, promenaient par les rues une réclame vivante !" 

 

L’envers social  d’un monde en mutation 

 

Henri Weigelen Alfred Chauchart, propriétaire des Galeries du Louvre

 

Et puis dans ce monde capitaliste en plein essor qui s'ouvre au commerce et s'enrichit, il y a la foule des invisibles, les employés de commerce des grands magasins et les vendeurs ambulants, souvent des enfants pauvres, misérables, fréquemment représentés en peinture, mais qui sont des laissés pour compte dans la société en mutation.


Fernand Pelez : le vendeur de citrons


Paul Sérusier : la marchande de bonbons


Jules Adler : La marchande de fleurs


Norbert Goeneutte : Fleuriste sur le boulevard

La prisonnière Marcel Proust, les bruits ou plutôt la musique de la rue : "C’était : « ah le bigorneau, deux sous le bigorneau », qui faisait se précipiter vers les cornets où on vendait ces affreux petits coquillages, qui, s’il n’y avait pas eu Albertine, m’eussent répugné, non moins d’ailleurs que les escargots que j’entendais vendre à la même heure. Ici c’était bien encore à la déclamation à peine lyrique de Moussorgsky que faisait penser le marchand, mais pas à elle seulement. Car après avoir presque « parlé » : « les escargots, ils sont frais, ils sont beaux », c’était avec la tristesse et le vague de Maeterlinck, musicalement transposés par Debussy, que le marchand d’escargots, dans un de ces douloureux finales par où l’auteur de Pelléas s’apparente à Rameau : « Si je dois être vaincue, est-ce à toi d’être mon vainqueur ? » ajoutait avec une chantante mélancolie : « On les vend six sous la douzaine… "







lundi 23 septembre 2024

Normandie : l'abbaye de Jumièges

L'abbaye de Jumièges
 

 

 L'abbaye de Jumièges située dans les boucles de la Seine ( département Seine-Maritime) fut fondée vers 654 par  Saint Philibert et connut un essor rapide. Ce fut l'un des plus importants et des plus anciens monastères bénédictins de Normandie. A la révolution elle fut vendue comme bien national et partiellement détruite pour exploiter les pierres.

 

 Un tiers de ses bâtiments sont encore visibles aujourd'hui. Mais se promener au milieu ces vestiges permet de saisir la beauté et la puissance de ces ruines grandioses.

 

Jumièges en 1678


L'abbaye de Jumièges


L'abbatiale Notre-Dame érigée entre 1040 et 1060 est considérée comme l'un des chefs d'oeuvre de l'art roman.

 

L'abbatiale Notre-Dame façade ouest

Sa façade ouest comporte un porche surmonté d'une tribune et encadré de deux tours jumelles d'une hauteur de 46 mètres.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef  en direction de  la façade ouest intérieur.

 La nef avec ses 25 mètres de haut est la plus haute de Normandie.

 

L'abbatiale Notre-Dame : intérieur nef vue du mur nord
 

 La nef présente une élévation à triple niveau, grandes arcades, triforium et fenêtres. Quelques traces de peinture datant du XIII et XVI siècle subsistent encore.

 

L'abbatiale Notre-Dame nef vue sur la façade est

 A la croisée du transept seul la tour lanterne est encore visible.

 

Emplacement du choeur : vestiges chapelles gothiques( les nuages :  clouds theory de Laurent Grasso)

 

Du choeur ne demeurent que les vestiges de deux chapelles rayonnantes gothiques.


Passage vers l'église Saint Pierre

Reliée à l’abbatiale Notre-Dame par le passage Charles VII, l’église Saint-Pierre conserve d’intéressants vestiges de la période carolingienne.

 

Logis abbatial du XVII siècle

 Dans l'immense parc l'on découvre la résidence des abbés de l'abbaye. La construction de ce bâtiment fut commencé en 1666 pour remplacer l'ancien logement médiéval abandonné. D'un style classique avec sa haute toiture à la Mansart, il est habité dès 1671 par François II de Harlay de Champvallon, archevêque de Paris et abbé de Jumièges.

 

La porterie

La porterie : on entre par un porche du XIV siècle dans un bâtiment qui a été remanié au XIX siècle dans un style néo-gothique

lundi 16 septembre 2024

Normandie : Pont Audemer et l'exposition Adolphe Binet


Adolphe Binet : la Convalescente ou taches de soleil (1893) Musée des Beaux-arts de Rouen
 

Adolphe Binet : Convalescence (détail) le chien de l'artiste  Black


Pont-Audemer ses ruisseaux, ses maisons à Colombage

 

Pont-Audemer
 

Pont-Audemer est située dans le département de l'Eure en Normandie  dans le Val de la Risle, un affluent de la Seine. La ville est traversée par d'étroits canaux constitués par les bras de la Risle.

Pont-Audemer
 

 

Pont-Audemer
 

Pont-Audemer
 

 

Pont-Audemer

 

 L'église Saint Ouen

 

Pont-Audemer église de Saint Ouen

L'église saint Ouen n'a jamais été terminée. Elle présente différents styles roman, gothique et Renaissance. Ces  beaux vitraux du XVI siècle sont très riches.

 

Pont-Audemer église de Saint Ouen



Pont-Audemer montage de deux vitraux église Saint Ouen
 

Pont-Audemer église de Saint Ouen


 

Pont-Audemer église Saint Ouen

 

Pont-Audemer L'orgue de Saint Ouen
 

 

 Le musée Alfred Canel : Exposition Adolphe Binet, les dernières lueurs

 

Adolphe Binet : le vieux jardinier

C'est dans le musée Alfred-Canel qu'a lieu, dans le cadre du festival Normandie-Impressionnisme, l'exposition consacrée au peintre normand Adolphe Binet (1854-1897) et ceci jusqu'au 1er Décembre, l'exposition ayant été prolongée. Le musée est installé dans la demeure de l'écrivain normand Alfred Canel consacré à l'art et aux sciences et qui possède une bibliothèque d'archives.

Encore une belle découverte que ce peintre, Adolphe Binet dont l'oeuvre évolue du naturalisme au néo-impressionnisme au symbolisme. Dans le Vieux jardinier l'artiste joue avec les lumières comme il le fait avec un autre tableau La convalescente ou les taches de soleil, ou encore dans Avant le déjeuner, tableaux dont l'esthétique se rapproche de l'impressionnisme. Même dans ses oeuvres naturalistes on voit qu'il attache une grande importance aux variations de la lumière et à l'atmosphère en demi-teinte qu'elles créent. 

L'exposition est accompagnée de petits cartons qui expliquent bien chaque toile et l'évolution de l'artiste, ce dont je me sers pour commenter ces tableaux.

 

 Le vieux jardinier (détail) les jeux de la lumière et des taches d'or

A l’école des beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, Adolphe Binet a d'abord peint la ville de Paris en pleine transformation, la tour Eiffel en construction, la gare Saint-Lazare, les travaux pour l'exposition universelle qu’il traite dans une veine naturaliste.

 

Tailleurs de pierre pour pour l'exposition universelle de 1889

Mais Binet est aussi un observateur attentif de ses contemporains, il peint la bourgeoisie parisienne dans ses loisirs. Ainsi il s'intéresse particulièrement aux courses de chevaux, à ceux qui en vivent comme les jockeys, les propriétaires, les parieurs et tous les gens de la haute société qui fréquentent les champs de course ainsi que les milieux interlopes. (La pelouse ou quelques types d'amateurs)

 

Le paddock 1890

 

Adolphe Binet La pelouse ou quelques types d'amateurs 1890

 

A la façon d’Emile Zola, en littérature, la peinture naturaliste d’Adolphe Binet décrit le monde du travail. Originaire lui-même du monde paysan, du côté de sa mère, le peintre est attentif aux petites gens, aux ouvriers qu’il met en scène dans de grandes compositions destinées au Salon.

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (grande composition)

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers(1888)
 

Le déjeuner des Terrassiers  est une grande composition dans le goût naturaliste qui décrit avec réalisme et précision les travailleurs, ici saisis dans un moment de repos. Mais Binet y introduit dès cette époque quelques détails qui annoncent son glissement, plus tard, vers le symbolisme et la spiritualité. La femme debout avec son chemisier constellé d'étoiles tenant l'enfant dans ses bras symbolise la Vierge Marie et Jésus. Les cheveux de ces deux personnages sont nimbés de lumière. Sur la droite, à côté du jeune garçon, assis en retrait, figure le chardon, fleur souvent présente dans l'oeuvre d'Adolphe Binet, qui symbolise les peines terrestres supportées par l'Homme.

 

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (détail)

Adolphe Binet Le déjeuner des terrassiers (détail) le chardon

 

 La peinture naturaliste à laquelle adhère Adolphe Binet retranscrit un monde en profonde mutation technique et humaine, ce qui  correspond aux  préoccupations du régime républicain en 1880.

 

Adolphe Binet: les chevaux de Halage


Adolphe Binet: les chevaux de Halage

 

De 1892 à 1896 Adolphe Binet peint une série de chevaux de Halage qui a pour cadre Lagny-sur-Marne. Le sujet est toujours le même mais le peintre varie ses points de vue, l'heure de la journée, et fixe les variations de lumière, les reflets dans l'eau, l'atmosphère qui s'en dégage et ceci dans une recherche tout à fait impressionniste. Ces tableaux sont aussi un hommage aux chevaux que le peintre, issu d'un milieu rural, aime beaucoup. Il choisit de montrer la beauté et la noblesse des hommes et des bêtes qui travaillent  plutôt que la dureté du métier.
 

Adolphe Binet :  Crépuscule

Crépuscule raconte le retour au logis des pêcheuses de crevettes après une journée de travail. Ce sont les femmes ( ou des vieillards et des enfants) qui pêchent les crevettes pour assurer la subsistance. Il s'agit d'un rude labeur et assez misérable. On le voit à la démarche pesante des personnages, les têtes baissées, les pieds nus et rougis par l'eau de mer, le bas des robes détrempées qu'une jeune fille cherche à essorer. Toute la scène est éclairée et colorée par les dernières lueurs du soleil couchant.



 

 A l'entrée de la demeure, près du muret, un chardon symbolisant la condition du travailleur.

 

Diptyque : la Leçon à la poupée, le déjeuner des poupées

 

Vivant à Paris l’année, Adolphe Binet retourne en Normandie tous les étés où il séjourne, avec son frère, dans la maison familiale à Saint-Aubin-sur-Quillebeuf. Une atmosphère sereine et lumineuse enveloppe les scènes qu’il réalise dans la sphère familiale. Ombres colorées, couleurs vives, touches presque pointillistes témoignent d’expériences néo-impressionnistes. Il est probable qu’Adolphe Binet ait côtoyé le groupe de Lagny (Maximilien Luce, Cavallo-Péduzzi et Léo Gausson).

Le Groupe de Lagny, formé en 1885 était composé de quatre néo-impressionnistes Émile-Gustave Cavallo-Péduzzi, Léo Gausson, Maximilien Luce et Lucien Pissarro, fils de Camille Pissarro).

Avant-gardistes, ils furent un temps, adeptes d'une technique dite le divisionnisme qui est plus connue sous le nom de pointillisme inventée par Georges Seurat. Ils travaillèrent ensemble et mettant en commun leur impression sur la technique. Ils peignaient principalement les berges de la Marne, le monde rural.

Ils organisèrent en 1889, le salon des Beaux-Arts à Lagny-sur-Marne jusqu'à sa disparition en 1907.

Ils furent rejoints dans cette technique par Édouard Cortès, Paul-Émile Colin et et Henri Lebasque (wikipédia)

 

Adolphe Binet : la leçon à la poupée
 

 Le peintre fait le portrait de sa nièce Marie jouant avec la poupée qu'il lui a apporté de Paris. Touche impressionniste des éclats de lumière et des ombres bleues.


Adolphe Binet : le déjeuner des poupées
 

 
 
Adolphe Binet : Avant le déjeuner
 

 
Adolphe Binet Avant le déjeuner


A partir des années 1890, Adolphe Binet représente souvent ses scènes dans les dernières lueurs du jour. Ces effets de lumière tantôt douce, tantôt incandescente sont remarqués par la critique et confèrent un caractère tout à fait original à son œuvre. Puis, ses tableaux glissent progressivement vers une voie plus mystique dans la mouvance du Symbolisme, courant artistique alors en plein essor.


Adolphe Binet : Marie- Madeleine

Adolphe Binet peint des sujets religieux qu’il ancre dans des scènes contemporaines comme cette Marie-Madeleine penchée sur le Christ.

  Curieuse Marie-Madeleine nue, penchée sur le corps de celui qui pourrait être Jésus mais qui est en même temps le cadavre d'un communard tué sur les barricades et à qui des hommes du peuple, ouvriers, rendent hommage. Manière de dire que Christ serait, à cette époque,  du côté des victimes de la répression sanglante de la Commune menée par Adolphe Thiers qui a fait 20 000 morts parmi les Communards  en 1871 ?

 La mort d'Adolphe Binet  en 1897 (à l’âge de 43 ans) ne  permet pas de savoir si le symbolisme de sa peinture était un essai ou une réorientation profonde de sa peinture.

 

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