Pages

mercredi 16 mai 2018

Sylvie Germain : La pleurante des rues de Prague



Sylvie Germain :  La pleurante des rues de Prague

" Cette inconnue, qui donc est-elle ? Une vision, elle-même porteuse, semeuse de visions. Une vision avare de ses apparitions. Elle ne s'est montrée que peu de fois, et toujours très brièvement. Mais chaque fois sa présence fut extrême. Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d'une ville. Sa ville - Prague. Jamais elle n'a paru ailleurs, bien que certainement elle en ait le pouvoir. Cette femme n'a ni nom, ni âge ni visage. Peut-être en a-t-elle, mais elle les tient cachés. Son corps est majestueux et inquiétant. Elle est immense, une géante. Et elle boite fortement. " (Quatrième de couverture)

Dans le livre de Sylvie Germain, la pleurante, cette géante qui apparaît au milieu des brumes du fleuve dans Prague la mystérieuse est l’Allégorie de la Souffrance et de la Mort qui hante la ville et son passé. La narratrice la rencontre partout, dans les différents quartiers de Prague; elle n’est qu’une vision toujours solitaire, une apparition qui représente toute la tragédie du monde, non un corps mais une « immatérielle »« une pleurante » gonflée de larmes, habitée des gémissements, qui « boite sans fin entre deux mondes, celui du visible et celui de l’invisible, celui du présent et du passé, celui de la chair et du souffle et celui de la poussière et du silence. Elle louvoie d’un monde à l’autre, - passeuse clandestine de larmes mêlées, celles des disparus et celles de vivants. »

En général, j’aime le style poétique de Sylvie Germain et sa façon d’introduire le fantastique au milieu du réel. Mais là, et j’en ai été la première surprise, je n’ai pas du tout était séduite par sa pleurante ! Le personnage lui-même, pas ce qui tourne autour d’elle. Il m’a semblé que chaque fois qu’elle apparaissait, cette vision sonnait faux, trop littéraire au sens péjoratif du terme, c’est à dire d’artificiel et d’apprêté.
Je n’y peux rien et je me suis demandée pourquoi ? Peut-être parce que la pleurante ne correspond plus à cette cité telle que je viens de la voir lors de mon second voyage à Prague en ce mois de mai 2018, plus de dix sept ans après mon premier séjour. Cette ville trop bondée, bruyante, vouée au commerce, ce trop plein de boutiques que l’on retrouve maintenant presque partout en Europe, cette ville pourtant riche, belle, unique, mais qui perd ainsi beaucoup de son âme.
photographe:  Roman Vischniac

Mais il y a bien des aspects du livre que j’ai appréciés : les description de la ville sous le brouillard, dans le givre et le gel ou sous le parfum des lilas… les personnages ranimés par la voix de la pleurante m’ont touchée et là, je me suis laissé emportée par le récit : celui de Bruno Schulz, écrivain, dessinateur mort dans le ghetto de Drohobicz, celui du père de la narratrice, mourant, de la petite Sarah sur la photo de Roman Vischniac, du cygne dansant au bord de l’eau, de la nouvelle de Kafka A cheval sur un tas de charbon …. De très beaux passages écrits avec sensibilité et poésie. 


"A Prague, dès la fin de l'automne et pendant tout l'hiver, la brume a une odeur, et même une consistance. Certains soirs elle se fait presque palpable tant elle est dense et ocrée. Les fumées de la ville gonflent et teintent la brume, la poussière du lignite flotte dans l'air avec un goût âpre, et suave cependant. Les villes comme les corps ont une odeur. Ont une peau."


Prague : Château et cathédrale Saint-Guy

Prague vue du château