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mardi 8 octobre 2019

Andrea Wulf : L'invention de la nature (3) Ernst Haeckel et Humbodt


Voici le troisième billet que j’écris sur L’invention de la nature, les aventures d’Alexander Humboldt d'Andrea Wulf. (Billet 1 et billet 2). L'auteure parlait précédemment du rayonnement fantastique qu'Alexander Humboldt avait eu chez ses contemporains et aussi sur les générations à venir dans tous les domaines scientifiques, littéraires, poétiques, philosophiques. Mais ce que j’ai choisi de vous rapporter aujourd’hui, c’est l’influence qu’il a exercée sur l’art par l’intermédiaire d’Ernst Haeckel.

Ernst Haeckel.
 Ernst Haeckel a vingt cinq ans quand meurt Alexander von Humboldt, une grande perte pour le jeune homme qui a lu toutes les oeuvres du maître et s'en est profondément imprégné. A l’époque, Haeckel cherche sa voie, déchiré entre sa double vocation pour l’art et pour la science. Si Humboldt prêchait la réconciliation des deux et même leur complémentarité, Haeckel ne sait comment concilier son amour de la peinture et de la nature, en particulier dans la spécialité qu’il s’est choisie, la zoologie. A cette époque, il prend pour sujet d’étude, les méduses et les minuscules organisme unicellulaires du plancton comme les radiolaires. C’est en les observant au microscope qu’il découvre ces « petites merveilles » dont les structures très diverses présentent des motifs symétriques, réguliers, d’une extrême finesse et d’une grande beauté. Un univers « poétique et enchanteur ». Il ne lui reste plus qu’à utiliser son talent de dessinateur et de peintre pour le révéler au public dans un livre qui eut un immense succès : Die RadoliarienLes radiolaires.

Les radiolaires de Ernst Haeckel dans l'invention de la nature d'Andrea Wulf
Les radiolaires de Ernst Haeckel Spumellaria
Les radiolaires de Ernst Haeckel les stephoidea
C’est aussi à cette époque qu’il découvre L’origine des espèces de Darwin et qu’il en devient le grand défenseur.  Et pour rendre compte des rapports d'Alexander  von Humboldt avec la nature, il invente un mot nouveau destiné à une longue vie : L’Oecologie ou écologie, du grec « oikos, « maison » au sens large de milieu naturel.

Formes artistiques de la nature Ernst Haeckel les Ascidiae
Entre 1899 et 1904, il publie Formes artistiques de la nature, des planches représentant des radiolaires et des méduses qu’il peint en laissant libre court à son talent artistique. Ces oeuvres vont fonder le langage stylistique de l’Art Nouveau et devenir une source d’inspiration toujours renouvelée pour les artistes et créateurs.

L'art nouveau 



Certains artistes se mettent à imiter les éléments organiques marins mis en valeur dans Formes artistiques. Haeckel, lui-même décore sa maison nommée Médusa, à Iéna, de formes empruntées à ses méduses bien-aimées. 

Plafonnier villa Médusa
L’architecte René Binet édifie la porte monumentale d’entrée à l’exposition universelle de Paris en 1900 en s’inspirant des radiolaires.

Projet de la porte d'entrée de Binet  : exposition universelle de 1900 à Paris
Les oeuvres d'Antoni Gaudi à Barcelone :  escaliers, arches, fenêtres, flèches évoquent le varech, les invertébrés marins, ses lustres sont des nautiles, ses vitraux arborent des oursins géants.
Antoni Gaudi : La Sagrada

Gaudi : maison  Batllo
Et la coupole de  Louis Comfort Tiffany à Chicago rappelle la forme et les couleurs d'un radiolaire Ascidiae.

Louis Comfort Tiffany couple du centre culturel de Chicago
 En France, les bouches de métro de Hector Guimard sont considérées comme les chefs d'oeuvre de l'art nouveau. Il en reste quatre-vingt huit, à l'heure actuelle, sur les cent-soixante sept oeuvres créées par l'architecte. Pour la première fois (et initié par Eiffel avec sa tour pour l'exposition de 1900) le fer devient une matière noble, associé aux transparences et aux vives colorations du verre.


L'architecte, Louis Sullivan aux Etats-Unis décore ses gratte-ciel de motifs tirés de la faune et la flore qui ressemblent aux dessins des organismes marins de Haeckel, comme cette porte d'entrée du Carson Scott Pirie Building à Chicago.

Le  Sullivan  center Carson Scott Pirie: Chicago

Les lampes, les vases,  les bijoux, tous les objets se font fleurs ou méduses. Ainsi en est-il des créations du maître verrier français Emile Gallé, de René Lalique ou du créateur américain Louis Comfort Tiffany.

   
Emile Gallé (France)
collier René Lalique (France)
Emile Gallé (france)

Musée art nouveau à Budapest (Hongrie)
Musée art nouveau à Budapest (Hongrie)

Louis Comfort Tiffany (USA)
 
L'Art nouveau -c'est le terme adopté en France- à l'origine dans une galerie de peinture parisienne dont le propriétaire, l’Allemand Siegfried Bing, exposait et vendait des œuvres en avance sur leur temps. L'Art nouveau  naît en réaction à une industrialisation trop poussée, et en "sécession " avec la tradition et le conservatisme artistique. Il  se répand dans tous les pays occidentaux où il devient universel. Les artistes de cette fin du XIX siècle et du début du XX siècle sont gagnés à cet amour de la nature et se mettent à l’unisson. 

« Le nouveau langage stylistique de l’art nouveau insufflait dans toutes les créations des éléments empruntés à la nature, que ce soit dans les gratte-ciel, les bijoux, les affiches, les bougeoirs, le mobilier ou les textiles. De sinueuses ornementations enroulaient leurs lianes et leurs fleurs sur les vitres gravées des portes, et les ébénistes donnaient aux pieds de table et aux accoudoirs des formes incurvées de branchage » Andrea Wulf

Budapest Porte de la caisse d'épargne : Odon Lechner
Cette passion des formes sinueuses, des courbes qui reproduisent la poussée des végétaux avec une luxuriance parfois considérée comme exagérée font dire à ses détracteurs en France, que l'Art Nouveau, est un "style nouille" ou "style métro" par allusion à Hector Guimard..

Il est aussi appelé style Tiffany aux Etats-Unis d'après Louis Comfort Tiffany, Jugennstil en Allemagne, Sezessionstil en Autriche, Stil Liberty en Italie, Style sapin en Suisse,  Modern en russe, Modernismo en Espagne.
A Prague, son nom tchèque, « Secese » (Sécession) qui apparaît d'abord à Vienne, désigne un mouvement de jeunes artistes novateurs qui s'opposent à l'académisme mais le style en lui-même est né en Belgique avec l’architecte Victor Horta qui est considéré comme le père de ce nouveau style.

Maison Horta Belgique

Maison Victor Horta Belgique (détail)

Avec l'artiste tchèque Alfons Mucha  devenu si célèbre à Paris avec ses affiches, le « style Mucha » voit le jour.

Prague Affiche Sara Bernhardt
Prague  musée Musha
Prague Vitrail de Musha la cathédrale Saint Guy

Et voilà ce qu'inspirent encore de nos jours les recherches d'Ernst Haeckel : les lustres méduses de l'artiste Thimoty Horn en résidence à la villa Medusa à Iéna en 2006

Thimoty Horn (2006)

Thimoty Horn (2006)
Thimoty Horn (2006)


Je vous parlerai un autre jour d'Odon Lechner  et d'Emile Vidor, deux des plus grands artistes de l'art nouveau Hongrois que j'ai découverts lors de mon récent voyage à Budapest..



dimanche 20 mai 2018

Prague : Notre-Dame de Lorette

Notre-Dame de Lorette
Notre-Dame de Lorette est une des grandes églises baroques de Prague. Elle est située près du château et non loin du monastère Strahov sur la place Loretánské (náměstí). Elle a été bâtie en 1626 sur les ordres de la famille Lobkowicz qui voulait faire édifier une réplique de la maison de la Vierge de Loreto, près d'Ancône, en Italie.
La Santa Casa ou maison de la Vierge, selon la légende, fut transportée par des Anges, de la Palestine en Italie, en une seule nuit de décembre 1294.
Notre-Dame de Lorette

Notre-Dame de Lorette (façade)

La Notre-Dame de Lorette de Prague est vite devenue un grand pèlerinage marial.  L'ensemble est administré par l’ordre des Capucins et comprend l’église de la Nativité achevée par l’architecte baroque Kilian Ignac Dientzenhofer vers 1735, le monastère, les cloîtres et les chapelles. Les fresques de Václav Vavřinec Rainer sont une copie fidèle de la Lorette italienne.
Installée dans le cloître, la maison de la Vierge, aux murs intérieurs très simples, décorés de fresques en partie effacées, est enchassée dans des murs extérieur richement décorés.

Le cloître

Le cloître  : La maison de la Vierge (extérieur)

La Maison de la Vierge (intérieur)

Fresques de la Maison de la Vierge

Le cloître : fresques

Tableau du cloître : jeux de reflets

Fresque du cloître :
La maison transportée en bateau est une autre version plus réaliste (les Anges n'y sont pour rien) du voyage de la Palestine en Italie !

Eglise baroque de la Nativité

Eglise baroque de la Nativité (détail)

Eglise baroque de la Nativité

L'église de la Nativité : les orgues

L'église de la Nativité : la coupole


L'église de la Nativité (détail)


Maison de la Vierge, Eglise de la Nativité, cloître, vus du premier étage

Vue sur une chapelle
Le trésor de l'église  situé au premier étage est célèbre car il comprend un ostensoir de la fin du XVII siècle connu sous le nom de Le soleil de Prague. Il est orné de 6222 diamants provenant de la robe de mariage de la comtesse Kolowrat qui les a ensuite consacrés à la décoration de l'ostensoir.
Je n'ai pas entendu le fameux carillon composé  de 27 cloches !


Le soleil de Prague (source)

mercredi 16 mai 2018

Sylvie Germain : La pleurante des rues de Prague



Sylvie Germain :  La pleurante des rues de Prague

" Cette inconnue, qui donc est-elle ? Une vision, elle-même porteuse, semeuse de visions. Une vision avare de ses apparitions. Elle ne s'est montrée que peu de fois, et toujours très brièvement. Mais chaque fois sa présence fut extrême. Une vision liée à un lieu, émanée des pierres d'une ville. Sa ville - Prague. Jamais elle n'a paru ailleurs, bien que certainement elle en ait le pouvoir. Cette femme n'a ni nom, ni âge ni visage. Peut-être en a-t-elle, mais elle les tient cachés. Son corps est majestueux et inquiétant. Elle est immense, une géante. Et elle boite fortement. " (Quatrième de couverture)

Dans le livre de Sylvie Germain, la pleurante, cette géante qui apparaît au milieu des brumes du fleuve dans Prague la mystérieuse est l’Allégorie de la Souffrance et de la Mort qui hante la ville et son passé. La narratrice la rencontre partout, dans les différents quartiers de Prague; elle n’est qu’une vision toujours solitaire, une apparition qui représente toute la tragédie du monde, non un corps mais une « immatérielle »« une pleurante » gonflée de larmes, habitée des gémissements, qui « boite sans fin entre deux mondes, celui du visible et celui de l’invisible, celui du présent et du passé, celui de la chair et du souffle et celui de la poussière et du silence. Elle louvoie d’un monde à l’autre, - passeuse clandestine de larmes mêlées, celles des disparus et celles de vivants. »

En général, j’aime le style poétique de Sylvie Germain et sa façon d’introduire le fantastique au milieu du réel. Mais là, et j’en ai été la première surprise, je n’ai pas du tout était séduite par sa pleurante ! Le personnage lui-même, pas ce qui tourne autour d’elle. Il m’a semblé que chaque fois qu’elle apparaissait, cette vision sonnait faux, trop littéraire au sens péjoratif du terme, c’est à dire d’artificiel et d’apprêté.
Je n’y peux rien et je me suis demandée pourquoi ? Peut-être parce que la pleurante ne correspond plus à cette cité telle que je viens de la voir lors de mon second voyage à Prague en ce mois de mai 2018, plus de dix sept ans après mon premier séjour. Cette ville trop bondée, bruyante, vouée au commerce, ce trop plein de boutiques que l’on retrouve maintenant presque partout en Europe, cette ville pourtant riche, belle, unique, mais qui perd ainsi beaucoup de son âme.
photographe:  Roman Vischniac

Mais il y a bien des aspects du livre que j’ai appréciés : les description de la ville sous le brouillard, dans le givre et le gel ou sous le parfum des lilas… les personnages ranimés par la voix de la pleurante m’ont touchée et là, je me suis laissé emportée par le récit : celui de Bruno Schulz, écrivain, dessinateur mort dans le ghetto de Drohobicz, celui du père de la narratrice, mourant, de la petite Sarah sur la photo de Roman Vischniac, du cygne dansant au bord de l’eau, de la nouvelle de Kafka A cheval sur un tas de charbon …. De très beaux passages écrits avec sensibilité et poésie. 


"A Prague, dès la fin de l'automne et pendant tout l'hiver, la brume a une odeur, et même une consistance. Certains soirs elle se fait presque palpable tant elle est dense et ocrée. Les fumées de la ville gonflent et teintent la brume, la poussière du lignite flotte dans l'air avec un goût âpre, et suave cependant. Les villes comme les corps ont une odeur. Ont une peau."


Prague : Château et cathédrale Saint-Guy

Prague vue du château