J'ai déjà tellement lu, relu et étudié Orgueil et préjugés  de jane Austen que je n'ai pas envie ici d'en faire un résumé suivi d'un commentaire. Je préfère l'aborder d'un autre manière.
Le premier chapitre de Orgueil et préjugé est déjà en soi un  chef d'oeuvre. Il a une valeur démonstrative et une efficacité qui ne se  démentira pas tout au long du roman. Ainsi dès les premières pages, on  reste abasourdi par l'intensité de la peinture que nous offre Jane  Austen avec une extraordinaire  économie de moyens, une  apparente  simplicité qui tient à son talent et au regard lucide et perspicace  qu'elle porte sur le monde autour d'elle.
Ainsi les premières lignes du roman ont une force ironique et une  violence envers la société  étonnante sous son apparente banalité. Nous  en savourons la subtilité.
C’est une vérité  universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune  doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son  sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence,  cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le  considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre  de leurs filles.
La première phrase semble avoir une valeur de maxime. Jane Auten tout  en donnant l'impression de dire un lieu commun, "une vérité  universellement connue", s'abandonne à son penchant satirique en  montrant en quelques mots ce qu'est le mariage aux yeux de  cette  société, un marché où jeunes filles et jeunes gens sont à vendre aux  plus offrants. Que ce marché s'accompagne d'une âpre concurrence,"la  propriété légitime de l'une ou l'autre", va de soi. Personne ne semble  remettre en question l'ordre établi ,"cette idée est si bien fixée", et  l'amour n'entre pas en compte dans le mariage.
Ce premier chapitre a pour but  de nous présenter l'action, les  personnages en présence. On peut dire comme au théâtre que c'est une  scène d'exposition et nous tenons en main dès le début toute la clef de  compréhension du roman. Nous savons qu'un jeune homme riche, Monsieur  Bingley, vient de louer une maison voisine des Bennet. Que Mrs Bennet   et Mr Bennet ont cinq filles à marier et en quelques mots nous apprenons  qui sont ces filles  leurs particularités physiques, leur intelligence.  L'enjeu de la discussion entre les deux époux est de savoir si Mr  Bennet ira rendre visite à Bingley pour l'amener dans le filet tendu par  madame pour ses filles.
Ce que j'aime particulièrement dans Jane Austen, c'est qu'elle n'a pas  besoin de se lancer dans de grandes explications psychologiques pour  nous faire comprendre le caractère de ses personnages, quels rapports  ils entretiennent entre eux et les sentiments qui les lient. Il suffit  qu'elle les fasse parler! Jugez plutôt!  Un dialogue et tout est dit,  nous savons tout sur eux! (extrait)
— Savez-vous, mon cher ami, dit un jour Mrs. Bennet à son mari, que Netherfield Park est enfin loué?
Mr. Bennet répondit qu’il l’ignorait.
— Eh bien, c’est chose faite. Je le tiens de Mrs. Long qui sort d’ici.
Mr. Bennet garda le silence.
— Vous n’avez donc pas envie de savoir qui s’y installe ! s’écria sa femme impatientée.
— Vous brûlez de me le dire et je ne vois aucun inconvénient à l’apprendre.
Mrs. Bennet n’en demandait pas davantage.
— Eh bien, mon  ami, à ce que dit Mrs. Long, le nouveau locataire de Netherfield serait  un jeune homme très riche du nord de l’Angleterre. Il est venu lundi  dernier en chaise de poste pour visiter la propriété et l’a trouvée  tellement à son goût qu’il s’est immédiatement entendu avec Mr. Morris.  Il doit s’y installer avant la Saint-Michel et plusieurs domestiques  arrivent dès la fin de la semaine prochaine afin de mettre la maison en  état.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Bingley.
— Marié ou célibataire ?
— Oh ! mon ami, célibataire ! célibataire et très riche ! Quatre ou cinq mille livres de rente ! Quelle chance pour nos filles !
— Nos filles ? En quoi cela les touche-t-il ?
— Que vous êtes donc agaçant, mon ami ! Je pense, vous le devinez bien, qu’il pourrait être un parti pour l’une d’elles.
— Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici ?
— Dans cette  intention ! Quelle plaisanterie ! Comment pouvez-vous parler ainsi ?…  Tout de même, il n’y aurait rien d’invraisemblable à ce qu’il s’éprenne  de l’une d’elles. C’est pourquoi vous ferez bien d’aller lui rendre  visite dès son arrivée.
— Je n’en vois pas  l’utilité. Vous pouvez y aller vous-même avec vos filles, ou vous  pouvez les envoyer seules, ce qui serait peut-être encore préférable,  car vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait se tromper et  égarer sur vous sa préférence.
— Vous me flattez,  mon cher. J’ai certainement eu ma part de beauté jadis, mais  aujourd’hui j’ai abdiqué toute prétention. Lorsqu’une femme a cinq  filles en âge de se marier elle doit cesser de songer à ses propres  charmes.
— D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui en reste beaucoup.
— Enfin, mon ami, il faut absolument que vous alliez voir Mr. Bingley dès qu’il sera notre voisin.
— Je ne m’y engage nullement.
— Mais pensez un  peu à vos enfants, à ce que serait pour l’une d’elles un tel  établissement ! Sir William et lady Lucas ont résolu d’y aller  uniquement pour cette raison, car vous savez que, d’ordinaire, ils ne  font jamais visite aux nouveaux venus. Je vous le répète. Il est  indispensable que vous alliez à Netherfield, sans quoi nous ne pourrions  y aller nous-mêmes.
— Vous avez  vraiment trop de scrupules, ma chère. Je suis persuadé que Mr. Bingley  serait enchanté de vous voir, et je pourrais vous confier quelques  lignes pour l’assurer de mon chaleureux consentement à son mariage avec  celle de mes filles qu’il voudra bien choisir. Je crois, toutefois, que  je mettrai un mot en faveur de ma petite Lizzy.
— Quelle idée ! Lizzy n’a rien de plus que les autres ; elle est beaucoup moins jolie que Jane et n’a pas la vivacité de Lydia.
— Certes, elles  n’ont pas grand’chose pour les recommander les unes ni les autres, elles  sont sottes et ignorantes comme toutes les jeunes filles. Lizzy,  pourtant, a un peu plus d’esprit que ses sœurs.
— Oh ! Mr. Bennet,  parler ainsi de ses propres filles !… Mais vous prenez toujours plaisir  à me vexer ; vous n’avez aucune pitié pour mes pauvres nerfs !
— Vous vous  trompez, ma chère ! J’ai pour vos nerfs le plus grand respect. Ce sont  de vieux amis : voilà plus de vingt ans que je vous entends parler d’eux  avec considération.
— Ah ! vous ne vous rendez pas compte de ce que je souffre !
—  J’espère, cependant, que vous prendrez le dessus et que vous vivrez  assez longtemps pour voir de nombreux jeunes gens pourvus de quatre  mille livres de rente venir s’installer dans le voisinage.
Ce dialogue nous a permis de comprendre que Mr et Mrs Bennet, les  parents d'Elizabeth, sont aussi différents que possible. Mr Bennet est  un homme intelligent, cultivé mais ironique, froid, égoïste et renfermé.  Il se protège de la sottise de sa femme et de certaines de ses filles  en gardant le silence. Plus tard, on verra qu'il fuit ses  responsablilités. Mrs Bennet est d'une sottise incommensurable, elle est  inculte et superficielle. Elle parvient à ses fins à force de  jérémiades et use son mari jusqu'à ce qu'elle obtienne de lui ce qu'elle  veut. Si Mr Bennet a épousé Mrs Bennet à cause de sa beauté, on sent  bien qu'il n'a plus d'amour pour sa femme. Il ne cesse jouer avec son  manque d'humour et de répartie en feignant de ne pas la comprendre : Nos filles? En quoi cela les touche-t-il ? et il ironise : Est-ce dans cette intention qu’il vient s’installer ici ? j'ai pour vos nerfs le plus grand respect. Il se moque d'elle : je pourrais vous confier quelques lignes pour l’assurer de mon chaleureux consentement à son mariage. Aussi lorsqu'il lui fait un compliment  : car vous êtes si bien conservée que Mr. Bingley pourrait se tromper et égarer sur vous sa préférence,  son ton est tellement sarcastique que l'on ne peut croire un seul  instant à sa sincérité. D'ailleurs, il ajoute peu après cette remarque  cruelle à propos de la beauté des femmes qui ont eu cinq enfants : D’autant que, dans ce cas, il est rare qu’il lui en reste beaucoup. Mr Bennet sait être méchant et l'on voit qu'il n'a pas une meilleure opinion de ses filles à l'exception de Lizzie.
Cette conversation est caractéristique de la  technique de Jane Austen pour présenter aux lecteurs des portraits  croqués sur le vif. Et certes, nous rions car la satire est réussie et  brillante. Mais quel regard acéré cette jeune fille porte sur les gens!
Le dialogue que je cite ici est une véritable scène de comédie. Il n'est  donc pas étonnant que le roman ait pu être adapté aussi souvent au  cinéma comme il pourrait l'être aussi très facilement au théâtre.
Lorsque en quelques lignes qui concluent ce chapitre, l'écrivain  consent à nous donner des renseignements sur ces personnages, cela  devient inutile! Nous avons déjà tout compris!
  Mr. Bennet était  un si curieux mélange de vivacité, d’humeur sarcastique, de fantaisie  et de réserve qu’une expérience de vingt-trois années n’avait pas suffi à  sa femme pour lui faire comprendre son caractère. Mrs. Bennet elle-même  avait une nature moins compliquée : d’intelligence médiocre, peu  cultivée et de caractère inégal, chaque fois qu’elle était de mauvaise  humeur elle s’imaginait éprouver des malaises nerveux. Son grand souci  dans l’existence était de marier ses filles et sa distraction la plus  chère, les visites et les potins.