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jeudi 18 juillet 2013

Laure Murat : La maison du Docteur Blanche



Dans La maison du docteur Blanche, Laure Murat retrace pour nous l'histoire  de l'institution psychiatrique fondée par Esprit Blanche et reprise par son fils Emile, une célèbre clinique privée qui accueillit pendant une grande partie du XIX siècle tous les grands de ce monde atteint de troubles mentaux, assez fortunés pour pouvoir y séjourner.

Esprit Blanche
 L'essai est donc passionnant car en s'appuyant sur  les dossiers de la Maison du docteur Blanche, sur des archives, des lettres, des articles de journaux, Laure Murat reconstitue l'histoire de la folie au XIX siècle, ses avancées mais aussi ses faiblesses et ses ignorances.
Le mot "psychiatre" n'apparaît qu'en 1802 et "psychiatrie" en 1842, mais, nous dit Laure Murat, la libération des aliénés est l'acte fondateur à partir duquel la nouvelle discipline s'élabore et se pratique. Philippe Pinel serait, en effet, à la fin du XVIIIème, celui qui libéra les fous de leur chaîne : jusqu'alors à peine mieux considéré qu'un animal, créature du diable ou sorcier malfaisant, le fou commence à être regardé comme un malade. Avec la révolution il gagne un statut de "patient.
Mais si le XIX siècle est un creuset bouillonnant quant aux recherches et aux théories qui s'élaborent sur les maladies mentales que l'on commence à nommer et à classer, les médecins sont bien souvent démunis devant les cas graves. Les docteurs Blanche, père et fils, sont entièrement dévoués à leurs patients qui prennent les repas avec eux et avec lesquels ils vivent en famille mais la connaissance du cerveau et des troubles psychiatriques en est encore à ses balbutiements. Ainsi le rapprochement n'est pas fait entre la syphilis et la paralysie, les crises de démence et la dégénérescence qu'elle entraîne. D'autre part, bien souvent, Emile Blanche comme la plupart des médecins de son époque réagit lorsqu'il faut juger de la santé mentale d'une personne selon les préjugés et les principes religieux et sociaux de sa classe, bourgeoise et bien pensante. Certaines femmes (le cas n'est pas isolé) qui essaient de se libérer de la tutelle de leur père ou veulent divorcer de leur mari sont considérées comme anormales et enfermées dans un asile!  Il vaut mieux aussi quant on est un fils de famille entrer dans le rang et obéir à son père, ce qui n'est pas le cas du fils de Jules Verne considéré pour cette raison comme fou.
De plus, cet essai nous fait rencontrer des écrivains et des artistes célèbres et ce n'est pas le moindre de ses intérêts car Laure Murat va à travers eux étudier les rapports entre la folie et la création artistique ou littéraire. 

Gérard de Nerval
 Un des premiers malades suivi par Esprit Blanche puis par Emile est Gérard de Nerval. Les registres de la Maison du docteur Blanche sont assez elliptiques sur son cas et c'est son oeuvre Aurélia, transposition poétique de ses troubles mentaux, de ses visions, qui est à la fois le meilleur document scientifique autant qu'un monument littéraire, un témoignage autant qu'une oeuvre d'art. Ce texte, les psychiatres du XXème siècle s'en serviront pour étudier sous la prose poétique, l'intérêt clinique du récit.
Nous rencontrons aussi à la maison du docteur Blanche  le musicien Gounod, au faîte de sa gloire, les Halévy, Marie D'Agoult, la comtesse de Castiglione, maîtresse de Napoléon III, Theo Van Gogh peu de temps après la mort de son frère Vincent. Nous assistons à l'horrible et lente agonie de Guy de Maupassant qui fut durant toute sa vie fascinée par la folie qu'il explora avec une triste prescience dans son oeuvre.  Toutes ces souffrances indicibles qu'aucun médicament ne peut soulager à l'époque font dire à Emile Blanche - et ce sont ces derniers mots  : Moi, j'ai trop vu de misères, je n'en puis plus.

J'ai beaucoup apprécié cette étude fouillée et complète sur la Maison du docteur Blanche et ses patients de 1821 à 1893, date de la disparition d'Emile qui n'a pas connu les débuts de la  psychanalyse. Une étude qui est aussi un témoignage historique, traversé par les révolutions, la guerre franco-prussienne, la Commune, de la vie parisienne et de la société du XIXème siècle dans les milieux littéraires et artistiques.




Chez l'Ogresse de Paris