C'est d'une histoire vraie qui a eu lieu à Vienne en 1777 que s'empare Alissa Walser pour raconter l'histoire du docteur Mesmer et de sa patiente Maria Théresa Paradis, fille d'un fonctionnaire important à la cour de l'impératrice. Cette jeune virtuose qui se produit en concert est atteinte de cécité à la suite d'un choc nerveux. Tout ceci pourrait paraître bien banal si le docteur Mesmer n'était pas un magnétiseur qui soigne d'après des méthodes apparaissant comme bien étranges en ce temps-là! Magnétiseur, oui, mais pas charlatan ou vendeur d'illusion. C'est un médecin et un homme de sciences intègre qui cherche à faire reconnaître les découvertes qu'il a faites intuitivement puis par expérimentation et qui s'insurge quand on parle de miracle ou de sorcellerie.
La recherche scientifique et médicale
Parmi les centres d'intérêt du roman, il y a, bien sur, ce domaine médical étrange qui concerne le magnétisme, ce fluide mystérieux parce qu'inexpliqué que nous possédons tous, paraît-il, capable de rétablir la santé si l'on parvient à le maîtriser. Le docteur Mesmer a beau partir à Paris pour échapper à l'obscurantisme et la médiocrité de sa ville, Vienne, il rencontrera partout l'incrédulité. A l'époque des grandes découvertes de Freud qui lui aussi fait scandale, Mesmer n'a pas trouvé le siècle né pour le comprendre. D'ailleurs, même de nos jours le magnétisme rencontre encore bien des détracteurs et demeure une science suspecte.
Une critique sociale : La liberté, le non-conformisme
En fait la pianiste comme le médecin, tous deux unis par le même amour de la musique sont des êtres trop en avance sur leur temps. Maria Paradis est une jeune fille qui cherche à obtenir sa liberté, elle ne respecte pas les conventions. Tout se passe alors comme si le monde autour d'elle niait sa guérison, refusant de croire qu'elle a recouvré la vue, car on la préfère aveugle que non-conformiste et amorale. Il en est de même du médecin. Le roman offre une analyse sans concession d'une société corsetée, étroite et rigide et cet aspect du roman m'a intéressée.
Une réflexion philosophique :
C'est dans la nuit de la cécité que Maria Theresa Paradis rencontre la musique qui est son élément, sa raison de vivre. Elle a appris à jouer sans voir les touches de son piano et en apprenant par coeur les oeuvres faute de pouvoir lire les partitions. Paradoxalement, c'est en retrouvant la vue qu'elle perd la musique et sa virtuosité. On pense aux recherches de Diderot dans Lettres sur un aveugle à l'usage de ceux qui y voient qui lie la connaissance au sens niant ainsi l'intervention divine dans l'acquisition des idées. Ce roman nous donne donc à réfléchir aux problèmes philosophiques liés à notre perception du monde par les sens. Ne sommes-nous pas abusés par eux.? C'est ce que dit le père de Maria dans une conversation avec sa fille. La vue ne permet peut-être pas de voir la réalité et nous donne une idée fausse du monde qui nous entoure :
C'est qu'il fallait parfois saisir les choses pour y croire. La vue à elle seule n'y suffisait pas. Il fallait saisir d'abord. Au moins un petit bout d'un grand tout.
Crois-tu demanda Maria que ce que l'on ne peut pas saisir est faux?
Non, il voulait simplement dire que l'oeil était parfois obtus et stupide et en saisissait rien.
et Mesmer affirme
Les yeux ne sont en rien plus proches de la vérité que les autres sens; Tout n'est que mirage et illusion
Ce livre est original et offre une écriture recherchée. Les thèmes développés m'ont interpellée. Mais il est vrai que je n'ai pu entrer totalement dans le roman. Les personnages sont vus de l'extérieur et le narrateur se contente de décrire ce qu'il voit comme un témoin impartial. Du coup les personnages ne sont jamais vus de l'intérieur, nous ne pénétrons pas dans leur conscience. Ceci est à la fois une force car ce parti-pris conserve un certain mystère aux personnages mais c'est aussi une faiblesse car nous ne pouvons pas totalement adhérer à leur histoire. Le récit reste froid et l'écriture jouant sur les dialogues, passant du style direct, indirect à l'indirect libre renforce cette distanciation voulue entre le lecteur et le personnage, ce qui donne l'impression d'assister de loin à la scène, en spectateur..
Voir le billet d'Ys ICI
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