Quelle joie de pouvoir lire un Thomas Hardy que je ne connaissais pas, réédité cette année 2018 dans l’édition Archipoche. Il semble que Sous la verte feuillée ne soit pas le livre le plus réputé de cet auteur et l’intrigue elle-même est légère, faite de petits riens qui peignent la vie des paysans, leur travail, la simplicité et la joie de vivre de ces villageois, carrier, fermier, cordonnier, forgeron, tous musiciens et chanteurs qui accompagnent le service divin à l’église. Le livre est aussi un hymne à la musique toujours présente et donne lieu à des grandes discussions assez réjouissantes sur la supériorité des instruments à corde et les mérites respectifs de chacun d’entre eux.
![]() |
Breughel : Noce paysanne |
Ce n’est pas sans raison que Thomas Hardy avait d’abord sous-titré le livre « une peinture rurale de l’école hollandaise ». Comme dans un tableau flamand, il peint les moeurs de la campagne, le parler paysan (respecté dans la traduction française), les coutumes, les mentalités. Les personnages y sont truculents et bien campés, l’écrivain y dresse des portraits un peu caricaturaux mais sans méchanceté et fait revivre le monde rural de son époque avec beaucoup de verve, de malice et d’authenticité. Autre thème qui s’entrelace au premier, celui de l’amour : le sympathique et naïf Dick Dewy tombe amoureux de la coquette et jolie Fancy, institutrice du village de Mellstock, qui draîne les coeurs et ne sait pas ou ne veut pas décourager ses prétendants…
Certains passages sont savoureux, ainsi celui, par exemple, au cours de laquelle les musiciens vont en délégation chez le pasteur qui veut remplacer leurs violons par un orgue. J’ai beaucoup ri de ce dialogue de comédie. Pourtant il y a une certaine nostalgie dans cette scène car ces amoureux de la musique vont être remerciés et remplacés par l’orgue joué par Fancy, tradition contre modernisme, musique du coeur et du terroir contre musique savante. Et l’on regrette avec eux la fin des traditions campagnardes comme celle où le groupe fait la tournée des maisons pour jouer devant chaque fenêtre pendant la veillée de Noël, une sorte de douceur de vivre en train de disparaître.
De plus, sous l’humour et derrière la légèreté, on sent le regard attentif, lucide et un peu désabusé de Hardy sur les rapports sociaux et leur hiérarchie. Fancy, fille de fermier, a été élevée comme une demoiselle, a fait de bonnes études et se trouve donc déclassée par rapport à son milieu d’origine. Trop bien éduquée, trop instruite, trop délicate et raffinée pour le monde paysan, elle n’en reste pas moins d’un statut inférieur aux yeux de la société bourgeoise. Il faut noter par exemple, la cruauté inconsciente des termes employés par le pasteur quand il condescend à la demander en mariage alors qu’elle n’est pas de son rang :
« Vous me comprendrez … si je vous dis honnêtement que j’ai lutté contre mes sentiments, trouvant que je ne devais pas vous aimer. »« après quelques mois de voyage avec moi vous seriez tout à fait digne de pénétrer dans la société »
Mais loin d’être sensible à ce qui devrait être humiliant pour elle, cette proposition donne à la jeune fille un éblouissement, elle se voit un instant échapper à sa condition, devenir une dame. Aussi quand arrive le dénouement (que je ne vous révèlerai pas ) le lecteur peut se demander si, malgré les apparences, la fin de ce récit est aussi joyeuse que ce qu’elle paraît être.
Beaucoup moins grave et moins tragique que les autres romans de Hardy, Sous la verte feuillée, titre empruntée à une chanson populaire chantée par nos paysans-musiciens, procure un grand plaisir de lecture, une oeuvre pleine de fraîcheur et de gaité écrite par un écrivain proche de la terre.